Archives pour mai 2023

Misanthrope (To catch a killer) – Damián Szifrón – 2023

02. Misanthrope - To catch a killer - Damián Szifrón - 2023Les désaxés.

   8.0   Je n’étais pas trop de ceux qui avaient été impressionné il y a dix ans par Les nouveaux sauvages. Mais il y avait un truc, un rythme, une folie, c’était inégal comme tout film à sketchs (il y était question de gros pétages de plombs, sur la route ou lors d’un mariage, entre autres) c’était assez savoureux et dévastateur dans son genre. Il y avait un cinéaste à suivre.

     Dix ans c’est le temps qu’il aura fallu au cinéaste argentin pour revenir au cinéma, avec un film très hollywoodien, sur l’Amérique (qu’il vient pervertir et dézinguer comme il faut), dans une tradition du film d’enquête hollywoodien (on pense au Silence des agneaux, à Manhunter, à Seven, à Prisoners) situé à Baltimore.

     Pour être tout à fait honnête, j’y suis allé à la fois pour le genre (même si j’ai tendance à penser qu’il a trouvé son format parfait dans le domaine sériel : True detective, Mindhunter…) et pour Shailene Woodley, que j’aime d’amour depuis White bird, de Gregg Araki (Hâte de la revoir dans le Ferrari, de Michael Mann).

     Bref, quand le nom de Szifron est apparu à l’écran, j’ai senti que j’avais déjà croisé ce blaze quelque part, mais impossible de le remettre. Si le film m’avait gonflé, j’aurais passé la séance à tenter de m’en souvenir. Heureusement Misanthrope m’a happé, en disons trente secondes, pour ne plus me lâcher, deux heures durant.

     C’est un magnifique film d’enquête, de traque, avec un super duo d’enquêteurs (le film est habité par des acteurs fabuleux : Ben Mendelsohn, incroyable, par exemple) avec un tueur plus discret que ceux des films suscités mais qui s’avère peut-être encore plus flippant, glaçant et surtout très charismatique, dans l’ombre : cette voix bordel. Et surtout c’est un type intelligent, extra lucide, touchant même dans le dernier acte, alors qu’il a tout pour être détesté (et surtout mal traité en tant que personnage) puisque c’est un tueur de masse, qui agit donc à l’encontre des serial killer habituels : il n’obéit à aucun modus operandi, pour le choix de ses victimes.

     C’est un film impressionnant, ne serait-ce que pour ses quinze premières minutes, la nuit du nouvel an. Entre la scène des tirs de sniper en rafale, l’installation policière des néons verts afin d’établir les angles de tirs, puis l’assaut de l’immeuble, c’est simple, ça fait longtemps que j’avais pas été soufflé à ce point par la scénographie dans une ouverture de polar. Un plan, parmi d’autres, m’a complètement retourné : on suit la jeune policière courir entre les buildings et on découvre grâce au plan de contre plongée l’appartement en flamme très haut dans le gratte-ciel. Vertige total, qui aura son miroir inversé quelques minutes plus tard, sans trop en dire.

     Bien sûr il faudrait parler de la suite du film car c’est du même acabit. C’est puissant, archi sombre – le film tente plein de choses, trop sans doute, ça mériterait d’étirer davantage (mais deux heures c’est peu pour tout ce qu’il veut mettre) notamment la séquence du centre commercial, construite magistralement en deux temps, mais qui est sans doute trop resserrée ou celle de la fausse piste, au supermarché, probablement un peu trop expédiée là aussi.

     Qu’importe, c’est un grand film sur l’Amérique et ses dérives globales : En creux le film montrera le fiasco de cette guerre des polices, bien sûr la question des tueries de masse, ira dans l’horreur absolue des abattoirs, fera un portrait très précis d’un pays qui ne s’est pas remis du 11 septembre, de la peur généralisée face à un événement inexplicable, et surtout place au centre de l’intrigue une jeune flic, au profil atypique car pas du tout dans la lignée des supers flics habituels : Elle est forte, intuitive, mais surtout très fragile, asociale, complètement cassée (on apprend qu’elle était jadis camée, suicidaire) et vraiment border tant elle éprouve une fascination ambiguë pour ce tueur, car comme lui, elle ne sait plus vivre dans ce monde, elle a juste choisi une autre issue pour y survivre. Franchement on voit pas ça tous les jours.

Voyages en Italie – Sophie Letourneur – 2023

18. Voyages en Italie - Sophie Letourneur - 2023Elle et Lui.

   8.0   Belle idée que d’avoir emprunté le titre du film de Roberto Rossellini en le transposant au pluriel, comme si cette histoire d’un couple ordinaire plongé dans l’extraordinaire était celle de tous ces couples anonymes qu’on voit dans le très beau générique d’introduction. Qui plus est, Rossellini n’est pas qu’artificiellement dans le titre. Il est aussi dans les lieux puisqu’on y évoque aussi bien les ruines de Pompéi que le volcan de Stromboli. Il est également dans le mélange formel imposé par Sophie Letourneur qui semble dire que son inspiration multi-facette vient d’abord du néo-réalisme. Et enfin, il apparaît dans un dialogue, le temps d’une scène en bagnole : une discussion de couple, comme mille autre, mais savoureuse (car entre Philippe Katerine & Sophie Letourneur) et qui évoque cette fois les films de Rossellini qu’il tournait avec Ingrid Bergman. Pourtant, de Rossellini, Voyages en Italie en est moins proche que d’un Luc Moullet, en grande partie celui d’Anatomie d’un rapport. La réalisatrice de La vie au ranch expérimente encore.

     Ce titre au pluriel symbolise aussi le projet du film : le réel et sa fabrication. Il y a le voyage (celui que Sophie Letourneur semble avoir fait avec son vrai compagnon, à qui elle dédie Voyages en Italie) et il y a la reconstitution de ce voyage pour en faire un film, au sein duquel les personnages le fabrique aussi. En d’autres mots, il y a le voyage et les souvenirs, variés, infinis, qu’on en a et qu’on restitue, en les racontant, en les filmant. C’est assez vertigineux. Je ne crois pas avoir déjà vu cela dans un film.

     Par ailleurs, quand Voyages en Italie est sur le point d’accuser le coup, d’atteindre ses propres limites de néo-naturalisme mollasson et crado (l’image est vraiment ingrate, zooms variés compris), il dévoile son véritable dispositif : il s’agit moins du film de vacances d’un couple que de la fabrication (ou plutôt de l’élaboration de son écriture, sous la couette) de ce film dans un dialogue de souvenir partagé. Ils se racontent leur voyage. Dans le but d’en faire un film, probablement celui qu’on voit. Ils se racontent ce voyage en enregistrant leurs discussions sur un dictaphone, soit exactement le processus de création de Sophie Letourneur depuis ses premiers courts métrages. Ca m’a beaucoup plu d’être ému par un dispositif pourtant si théorique, sur le papier, sans doute car le ton du film est d’une légèreté salvatrice.

     L’idée assez inédite ici serait de cartographier le moment où le couple n’est pas vraiment dans le romanesque, la dramaturgie. Ils essaient juste de raviver une flamme. Lui pense qu’il faut se contenter de travailler sur la quotidienneté, l’ordinaire. Elle plutôt sur la vacance, l’extraordinaire. Et c’est tout.

     Par ailleurs ce voyage en Italie ne débouche sur rien de tangible : est-ce qu’ils s’aiment davantage, est-ce qu’ils s’aiment moins ? Vont-ils rester ensemble ou se séparer ? La flamme est-elle ravivée ou en passe de s’éteindre ? Le film ne répond jamais à cela. En revanche il répond à une chose, concrète, émouvante : ils sont ensemble, ils s’aiment, ils partagent des choses. Rien n’est blanc ou noir. Tout est fragile. Il y a de la vie. Ils ont des problèmes dans leur couple mais on ne saura jamais vraiment quoi, si ce n’est que ce sont des problèmes de quotidien, et de désir de l’autre, sans doute. C’est déjà un peu inédit comme couple de cinéma. Même quand ils baisent, car un moment donné ils baisent – malgré l’apparente déflation sexuelle qui règne dans leur couple – ce n’est jamais une baise de réconciliation, ni une baise qui ravive volontiers quelque chose. C’est une baise ordinaire dans l’extraordinaire. Et le lendemain rien n’a vraiment changé. C’est le même couple avant et après avoir fait l’amour. Mais ils sont ensemble et restent ensemble.

     C’est sûr qu’on sort des canons de la romcom ou de la comédie de remariage traditionnelle. Mais j’aime l’idée humble, lumineuse que Letourneur a de dire qu’être à deux c’est à la fois beau et chiant, mais que c’est mieux d’être à deux. Évidemment chacun jugera de sa préférence mais il me semble qu’elle est très honnête avec cette interrogation.

     Il faut donc saisir les moments où le film nous montre qu’ils s’aiment. Et c’est pas si évident. Ce n’est en tout cas pas placardé. Mais il y a des moments, notamment celui-ci, le plus beau : Une façon de se passer les lunettes de soleil entre deux tunnels, sur un tube de Jakie Quartz, avec ce magnifique « je t’aime » muet quand il apparaît dans la chanson. Il y a plein d’autres moments, qui encore une fois sont à saisir dans la quotidienneté, au détour d’un regard où d’une parole.

     Par ailleurs, si on adore Philippe Katerine, c’est magnifique. Un beau cadeau tant on ne l’a jamais vu si beau, si fragile, si touchant. Si on ne l’aime pas, Voyages en Italie est un bon moyen de l’adorer. Vraiment, j’insiste.

La grande extase du sculpteur sur bois Steiner (Die große ekstase des bildschnitzers Steiner) – Werner Herzog – 1974

08. La grande extase du sculpteur sur bois Steiner - Die große ekstase des bildschnitzers Steiner - Werner Herzog - 1974Le vol d’Icare.

   8.5   Werner Herzog entreprend d’accompagner le suisse Walter Steiner, sculpteur sur bois mais surtout champion de saut à ski. Ou de « vol à ski » dira Herzog, tant il pulvérise la concurrence, notamment au cours d’un championnat en Yougoslavie, durant lequel il établira le record du monde lors de son premier saut, avant de chuter lors du second puis de sauter à nouveau (afin de ne pas craindre de ne plus jamais pouvoir le faire, dira-t-il aux journalistes) en réduisant sa hauteur de départ.

     Au même titre que dans La soufrière ou Gasherbrum, il s’agit pour Herzog d’approcher l’humain dans une zone de danger, entre la vie et la mort, dans cet instant d’extase, d’adrénaline et de liberté, qui seront au cœur d’un ultime carton constituant les dires aussi mégalos qu’absurdes de Steiner, qui se rêve seul au monde, nu sur un rocher. Steiner rejoint ainsi le dernier habitant de Basse-Terre devenue ville fantôme ou l’alpiniste Reinhold Messner entêté à grimper deux sommets de 8000m en une seule ascension.

     Ce ne sont pas des héros, ils ne cherchent pas à briller, à faire acte de bravoure ou de résistance, ni même à exister (lorsqu’Herzog trouve l’homme au pied du volcan, le type dort, paisiblement) : ils sont en décalage avec le monde, animés d’un instinct sauvage, d’un état second, d’un désir de « conquête de l’inutile » pour reprendre les mots de Messner, qui trente ans plus tard, lors d’un entretien, évoque le tournage de Gasherbrum : On est presque surpris qu’il soit toujours de ce monde.

     Mais c’est peut-être d’autant plus fort chez Walter Steiner chez qui cette sensation d’extase se manifeste dans un contexte éphémère (Un saut à ski s’étire sur quelques secondes) et universel : en définitive l’homme à toujours rêver de voler. Steiner devient Icare devant la caméra d’Herzog, qui le filme souvent au ralenti (Une approche qui évoque par ailleurs celle qu’en fait Julien Farraut qui, dans L’empire de la perfection, observe et décompose le service de John McEnroe) dans son ascension, la bouche ouverte.

      La grande extase du sculpteur sur bois Steiner (quel titre magnifique, énigmatique) retrace à merveille cette double quête très étrange. Celle d’un homme qui rêve moins d’être le meilleur que de continuer de sauter. Et celle d’un cinéaste qui est fasciné, moins par le saut à ski, l’Himalaya ou le volcan Guadeloupéen que par ces hommes qui ont pactisés avec le danger qu’ils représentent.

Harry, un ami qui vous veut du bien – Dominik Moll – 2000

03. Harry, un ami qui vous veut du bien - Dominik Moll - 2000« Je crois qu’on perd tous un peu les pédales, là… »

   8.5   Je me souviens très exactement du moment où j’ai découvert ce film, du lieu, de l’atmosphère, de ceux avec qui j’étais. Il était très tard, tout le monde avait fini par s’endormir, moi pas, seul devant ce film si bizarre, parfois drôle, souvent angoissant. J’avais seize ans.

     Je n’oublierai jamais les lieux du film, cette maison de campagne, sa chambre au grenier, sa salle de bain rose, encore moins ses alentours, ce puisard, la route des crêtes, ces trois voitures. Ni cette ouverture sur la route, la chaleur qui en émane, les cris des enfants. Je n’oublierai pas non plus « Le grand poignard en peau de nuit » cet étrange poème récité de mémoire. Séquence ô combien anxiogène : Je me suis toujours demandé ce que ça me ferait si un vieux camarade d’école que j’ai oublié me récitait mon poème que j’ai oublié aussi. Je n’oublierai pas non plus « Les singes volants » et le cauchemar cheap, qui plus tard, en découle. 

     Je pense qu’on peut facilement être terrifié par Harry, un ami qui vous veut du bien. En faire des terreurs nocturnes tenaces, tant Harry Balestero, le personnage incarné par Sergi Lopez, concentre toutes nos angoisses, entre intrusion impossible mais douce, admiration absurde mais bienveillante, liberté louche mais contagieuse. Il est évidemment ce personnage qui nous veut du bien mais qui nous fera beaucoup de mal.

     La première scène du film est fondamentale. Le couple est dans sa voiture, sans clim, avec les gamines qui s’égosillent à l’arrière. Le visage qui s’impose durant cette imposante première séquence est celui de Michel. Son calme d’apparence trahit une sensation de ras-le-bol, dans sa voix, sa sudation, son impuissance. S’il rencontre dans la foulée cet « ami » d’enfance, c’est aussi par enjeu théorique qui se joue : Harry sera son double fantasmé, son opposé. Il ne râle pas sur ses gosses, il n’en a pas. Il ne croule pas sous la pression quotidienne, il semble vivre au jour le jour. Il ne crève pas de chaud dans sa vieille Renault, il a une Mercedes climatisée. S’il est fan de lui, de ka version de lui qu’il a oublié, ce n’est pas un hasard. Ce n’est pas un ami qui lui veut du bien, c’est son démon intérieur, son ange de la mort, son Méphistophélès.

     Si le film est si réussi, si beau, c’est en partie grâce à son interprétation globale : Bien sûr, Sergi Lopez livre sa prestation la plus malaisante, à l’image de cette légendaire réplique : « Il pense que t’es une connasse, avec un pois chiche dans la tête » ; mais Laurent Lucas est absolument parfait, dans ce rôle de père de famille dépassé, qui retrouve un camarade qui lui fait renouer avec le plaisir d’écrire mais qui est persuadé que pour retrouver l’inspiration il se doit de détruire ce qui l’empêche d’y accéder. Pourquoi ne le voit-on pas assez, cet acteur ? Récemment des (très) seconds rôles dans Le bureau des Légendes, Vernon Subutex, Grave ou Une intime conviction. Dommage de ne plus le voir au premier plan. Il y a aussi Mathilde Seigner, impeccable, seule fois où elle ne m’agace pas, d’ailleurs.

     Je l’ai revu maintes fois ensuite, ce film, avec toujours le même malaise, la même fascination. Cette fois ci n’y a pas échappé : Je l’adore, vraiment. En le revoyant (ça faisait facile dix ans) j’ai réalisé qu’une expression que j’emploie parfois se trouve là-dedans : « raisonnablement casse-couilles ». J’adore ce film.

Les zozos – Pascal Thomas – 1973

26. Les zozos - Pascal Thomas - 1973L’adolescence nue.

   8.0   Il va falloir que je le revoie bientôt, pour une raison simple : Je suis resté en admiration béate devant la photo du film, plus que devant le film lui-même. Et ce dès les premières secondes, avec ce plan-séquence sur un chemin de campagne, qui capte toute l’ambiguïté de l’adolescence dans un même élan, sa douceur et sa cruauté. Chaque plan, cadre, scène sera dès lors plus réussi(e) que le/la précédent(e). Au générique j’apprends que le chef op n’est autre que Colin Mounier, déjà responsable de la photo de mes deux Rozier préférés : Du côté d’Orouet & Les naufragés de l’île de la tortue. Y a pas de hasards. 

     Il est rare devant un film de sentir à ce point l’époque, les couleurs de l’époque, la respiration de l’époque. Une époque imaginaire par ailleurs, pour moi qui ne l’aie pas vécue (puisqu’il s’agit de celle de l’enfance de mes parents : C’est en grande partie pour cela que ça m’émeut tant, j’imagine, de me voir offrir leur vie quotidienne d’alors, sur écran). Une respiration qui ressemble à celle de Mes petites amoureuses (Jean Eustache, 1974) ou L’argent de poche (François Truffaut, 1976) : Deux de mes films préférés. On pourrait en citer plein d’autres (piocher chez Pialat, chez Doillon, par exemple) mais ce sont les deux auxquels j’ai le plus songés, devant Les zozos, sans doute aussi pour leur cadre scolaire. Et provincial.   

     Ça pourrait hérité du Truffaut des Quatre-cents coups (1959) ou à l’opposé du spectre se rapprocher d’A nous les petites anglaises (1976) de Michel Lang (après tout, les deux garçons ne cherchent qu’à baiser) pourtant le film ne ressemble à rien d’autre, dans le ton, comme dans sa construction. On pense plutôt au Vigo de Zéro de conduite (1933) pour sa spontanéité, son énergie et sa capacité à capter la vie d’un internat & les flirts éphémères. On ne sait jamais où ça nous emmènera. On y voit le Poitou. Mais aussi la Suède.

     Le récit se déroulant au début des années 60 et Pascal Thomas ayant 27 ans lors de la réalisation de ce premier long, il est fort probable que le film soit en grande partie autobiographique. Mais qu’importe finalement. Ce qui compte c’est le regard qu’il pose dessus. Bref j’y reviendrai ultérieurement. Mais je pense pouvoir dire que c’est mon Pascal Thomas préféré, devant Confidences pour confidences & Mercredi folle journée. En attendant de voir Le chaud lapin et Pleure pas la bouche pleine (tous deux avec Bernard Menez !) même si je constate que c’est l’enfer pour trouver ses films sur support physique.

Deux hommes en fuite (Figures in a landscape) – Joseph Losey – 1970

01. Deux hommes en fuite - Figures in a landscape - Joseph Losey - 1970Traqués.

   8.0   Dans un pays inconnu (probablement en Amérique latine) deux hommes traversent la campagne et fuient un hélicoptère. Bientôt, l’un d’eux se débarrassera d’un simple berger qui se trouvait sur leur chemin. Lors d’une escale nocturne dans un village, ils voleront des provisions et des armes chez une vieille dame. Ils tueront bientôt le passager de l’hélicoptère qui les pourchasse – dont on peut sentir l’inspiration chez Ted Kotcheff, pour une mythique scène de Rambo – déclenchant un gigantesque serpentin de patrouilles à leurs trousses entre champ de mais et forêts d’oliviers.

     Le titre original est très beau : Figures in a landscape. Mais le titre français apporte aussi son lot de vérité : il s’agit quand même davantage d’une traque que de simples silhouettes dans le paysage. Néanmoins, le film est épuré. Losey a évacué toute psychologie : On ne saura rien de ces personnages, de ce vers quoi ils vont (une frontière ?), de ce qu’ils fuient, ce pourquoi ils fuient et pourquoi ils étaient préalablement prisonniers. On imagine qu’ils se sont évadés, puisqu’ils ont d’abord les mains liées derrière le dos. On apprend d’eux, brièvement, au détour d’un de leurs moments de folie ou de brève confession.

     C’est un film parfaitement ancré dans le nouvel Hollywood et dans la thématique de la fuite cher à Losey. Qui s’ouvre sur la plage à l’aube et se terminera dans la neige sur le haut d’une montagne. Un film semi-abstrait. Car très physique, sauvage. Une matrice de Duel ? De Gerry ? On pense aussi aux Sarafian (Vanishing point, Cat Dancing, Le convoi sauvage) de la même époque. Robert Shaw & Malcolm McDowell forment un beau duo. Excellente découverte.

Retour à Séoul – Davy Chou – 2023

08. Retour à Séoul - Davy Chou - 2023L’origine de soi.

   7.5   Celui-là je l’attendais nettement moins que le film de Thomas Salvador. J’y suis allé dans la foulée le même soir et il n’a pourtant pas souffert d’être passé après La montagne : j’ai adoré. De bout en bout, aussi bien sa première partie que le chapitre plus elliptique suivant. J’aime sa façon de capter chacun des lieux, la finesse de son écriture, ce personnage à la fois un peu antipathique qu’on adore malgré tout, ce qu’il fait de la musique en général, toutes les scènes avec le père notamment, très émouvantes. Je connais peu Davy Chou, mais si la Corée du sud n’est pas son pays, il y investit surtout l’idée de la double culture, qu’il partage avec son personnage (qui serait inspiré d’une amie à lui), puisqu’il est français et cambodgien d’origine.

     Comme son titre l’annonce fidèlement, c’est l’histoire d’un retour. Précisément celui d’un retour aux origines. Celui de Freddie, vingt-cinq ans, née en Corée mais adoptée dès sa naissance, par une famille française. C’est aussi un très beau portrait de femme, sur dix années de son existence, que couvre cette quête d’identité. Une quête dont on ne saura finalement si elle a été forcée par son héroïne ou par le hasard : C’est en partant au préalable pour le Japon, que Freddie atterrit à in fine à Séoul.

     Plusieurs fois, Freddie (magnifique Park Ji-min), femme imprévisible et instable, fuit, la fixité, l’habitude, la norme. Ici elle crée une rencontre collective, là elle se propulse sur une piste de danse. Cette dépendance au « décadrage » est à double tranchant, d’une part car il offre au personnage un statut quasi antipathique, chaotique, parfois même cruel, d’autre part car le film épouse ses humeurs, et de fait, braque constamment, par rupture de tons, ellipses variées. Freddie est habitée d’une liberté et d’une colère, qui se nourrissent l’une et l’autre. C’est un personnage dur. Qui d’une ellipse à l’autre, change d’apparence, de métier, d’énergie. C’est aussi grisant que perturbant.

     A chaque bifurcation, chaque rebond, le film change donc aussi au même titre que le personnage se transforme. Son univers aussi. Ainsi, lorsqu’elle retrouve son père, le choc est immense pour lui, d’affronter un échec et de vouloir le réparer à tout prix, contre cette culpabilité qui le ronge mais aussi contre ce manque qu’il s’était forcé à oublier. Freddie, elle, semble ne pas être touchée par ces retrouvailles, comme aidée par ce moteur de l’incompréhension de l’abandon, qui la guide au quotidien. Mais, contre ses attentes, elle doit composer avec ce père bientôt envahissant et le fait qu’elle soit hantée par l’absence de sa mère. Très beau film.

Je te promets – TF1 – S3 – 2023

05. Je te promets - TF1 - S3 - 2023Pâle copie.

   3.0   Je voulais tenter l’expérience de regarder la saison 3 de Je te promets tout en découvrant celle de This is us. C’était très intéressant. Surtout très embarrassant pour l’une d’entre elles. Ce qui embarrasse ici, plus encore que pour les saisons précédentes – à moins que le fait de les regarder en même temps change la donne ? – c’est de constater combien tout ce qui fonctionne assez bien dans Je te promets est ce qui constitue un absolu copié collé de This is us. Jusque dans des plans, des dialogues, des grimaces… la lumière en moins (la française est tellement terne là-dessus, on ne ressent jamais les lieux car il n’y en a pas, tout respire le studio, partout) et l’interprétation en deçà (je vais pas m’attarder sur ce point, je trouve les acteurs plutôt investis ici aussi, pas tous et pas de façon canalisée, c’est tout).

     Lorsque Je te promets se permet des incartades vis à vis du matériau original c’est pour produire du fan service TF1 : L’épisode 5 autour des auditions à l’aveugle de The Voice, l’épisode 7 qui nous plonge dans les battles, au secours. Pire placement produit ever. C’est quoi le caprice suivant ? Michael Gallo jouant aux côtes de Jean Luc Reichman dans Leo Mattei ? Tanguy rejoignant le casting de Danse avec les stars ? Rose dans Qui veut gagner des millions ? Je veux bien qu’il faille réadapter à notre sauce franchouillarde, mais faites-le pour faire un truc intéressant, original, personnel (et pas calibré uniquement pour le spectateur de TF1), émouvant. On demande pas d’atteindre la puissance d’écriture et d’incarnation de This is us, mais qu’il y ait un minimum d’investissement, d’amour pour ce qui est (re)fait.

     Car si y a bien quelque chose de difficile à atteindre c’est de faire aussi émouvant que la troisième saison de This is us : Véritable torrent émotionnel qui emporte tout, jusque dans cet accident au Vietnam, cette rencontre dans une caravane, cette confession dans une chambre d’ado, cette salle d’attente d’hôpital. Je te promets ne retient rien de ça ou le peu, les bâcle. Tant mieux, autant se réinventer. Mais bon… Il me restera toutefois deux belles idées, seulement, que Je te promets aura trouvé toute seule : Un, la chanson de Barbara Pravi pour la nièce. Deux, tout l’arc narratif autour du Petit Prince. C’est pas grand-chose, mais c’est déjà quelque chose, et c’est plutôt très réussi.

     Oui mais voilà, il y a un truc qui ne trompe pas sur l’ambition de cette série : Cette saison ne comporte que 8 épisodes, contre 12 chacune des deux précédentes. Pas étonnant puisque j’ai appris que la série avait été annulée. Ils bâclent tout car le cœur n’y est pas. On se fiche de tout. Le montage est par ailleurs trop abrupt, bordélique, on navigue d’époque en époque sans transition, sans échos. Je suis un peu déçu, je ne pourrai plus la comparer avec This is us. J’aimais bien l’idée de continuer de suivre en parallèle l’originale NBC et sa copie TF1. Tant pis.

This is us – NBC – S3 – 2019

04. This is us - NBC - S3 - 2019Go ahead.

   9.0   L’arc narratif tournait au préalable autour de la mort du père : C’était un déni généralisé dans la première saison, l’acceptation dans la seconde. C’était très beau. Parfois un peu exagéré dans ce petit côté très affecté ou ce suspense permanent, mais sans cesse compensé par une force mélodramatique inédite, une galerie de personnages passionnants, une écriture au cordeau.

     S’il s’agit de tourner encore autour de cette disparition, la troisième saison sera celle de renaissances, et d’ouverture. Il sera par exemple moins question, dans le passé, de Jack que de son frère, (supposé) mort au Vietnam. La série investit donc aussi ces années-là et continue de faire chevaucher les temporalités avec la limpidité qui la caractérise. Et travaille les redéploiements de Kate, Randall & Kevin. Sur une année entière, grosso modo.

     Kate est plongée dans sa grossesse puis son accouchement, aux côtés de Toby, évidemment (qu’ils sont beaux tous les deux) : la scène de la couveuse, je m’en suis pas remis. Randall se lance dans une autre aventure en tant que conseiller municipal. Quant à Kevin, il se projette avec Zoé et devra bientôt refaire face à ses addictions. La plus belle chose à voir se trouve du côté de Randall & Beth, qui traversent une crise de couple insoluble si chacun souhaite s’épanouir dans sa nouvelle vie professionnelle, la politique pour l’un, la danse pour l’autre.

     Pas certain d’avoir été si ému, constamment, par une série télé que par This is us, franchement. Et notamment par cette troisième magnifique salve. C’est simple, je termine chaque épisode en miettes. Cette saison est plus belle que la précédente, plus homogène, cohérente, renouant ainsi avec l’excellence miraculeuse de la première.

L’école est à nous – Alexandre Castagnetti – 2022

03. L'école est à nous - Alexandre Castagnetti - 2022La grève. 

   4.0   La colle, le précédent film de Castagnetti, qui prenait (un peu trop) ouvertement Breakfast club & Un jour sans fin comme modèles – tout le monde les prend pour modèles, ça devient embarrassant – avait ses défauts mais les transformait en qualité, assez miraculeusement : en faisant répéter à l’infini cette journée de colle, les personnages antipathiques prenaient de l’étoffe, l’hystérie d’ensemble devenait contagieuse, la rom’com neuneu apparaissait touchante (je reviens pas sur ce film-là, j’en avais suffisamment parlé à l’époque, je conseille de le tenter, c’est vraiment chouette, léger et pas bête).

     L’école est à nous ne réitère malheureusement pas ce semi-exploit. Le film est parfois attachant, peut-être paradoxalement davantage grâce aux profs qu’aux élèves cette fois, mais c’est globalement trop naïf dans l’ensemble. Et puis formellement c’est à peu près tout le contraire du fond défendu par la prof de maths, clairement l’héroïne du film : c’est d’une platitude désarmante. Y a rien de pire qu’un fond subversif dissout dans une forme scolaire. Je suis un peu dur car le film est charmant mais quand tu te permets de remettre en question tout le système scolaire en filmant ça avec zéro idée c’est très embêtant.

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