Les désaxés.
8.0 Je n’étais pas trop de ceux qui avaient été impressionné il y a dix ans par Les nouveaux sauvages. Mais il y avait un truc, un rythme, une folie, c’était inégal comme tout film à sketchs (il y était question de gros pétages de plombs, sur la route ou lors d’un mariage, entre autres) c’était assez savoureux et dévastateur dans son genre. Il y avait un cinéaste à suivre.
Dix ans c’est le temps qu’il aura fallu au cinéaste argentin pour revenir au cinéma, avec un film très hollywoodien, sur l’Amérique (qu’il vient pervertir et dézinguer comme il faut), dans une tradition du film d’enquête hollywoodien (on pense au Silence des agneaux, à Manhunter, à Seven, à Prisoners) situé à Baltimore.
Pour être tout à fait honnête, j’y suis allé à la fois pour le genre (même si j’ai tendance à penser qu’il a trouvé son format parfait dans le domaine sériel : True detective, Mindhunter…) et pour Shailene Woodley, que j’aime d’amour depuis White bird, de Gregg Araki (Hâte de la revoir dans le Ferrari, de Michael Mann).
Bref, quand le nom de Szifron est apparu à l’écran, j’ai senti que j’avais déjà croisé ce blaze quelque part, mais impossible de le remettre. Si le film m’avait gonflé, j’aurais passé la séance à tenter de m’en souvenir. Heureusement Misanthrope m’a happé, en disons trente secondes, pour ne plus me lâcher, deux heures durant.
C’est un magnifique film d’enquête, de traque, avec un super duo d’enquêteurs (le film est habité par des acteurs fabuleux : Ben Mendelsohn, incroyable, par exemple) avec un tueur plus discret que ceux des films suscités mais qui s’avère peut-être encore plus flippant, glaçant et surtout très charismatique, dans l’ombre : cette voix bordel. Et surtout c’est un type intelligent, extra lucide, touchant même dans le dernier acte, alors qu’il a tout pour être détesté (et surtout mal traité en tant que personnage) puisque c’est un tueur de masse, qui agit donc à l’encontre des serial killer habituels : il n’obéit à aucun modus operandi, pour le choix de ses victimes.
C’est un film impressionnant, ne serait-ce que pour ses quinze premières minutes, la nuit du nouvel an. Entre la scène des tirs de sniper en rafale, l’installation policière des néons verts afin d’établir les angles de tirs, puis l’assaut de l’immeuble, c’est simple, ça fait longtemps que j’avais pas été soufflé à ce point par la scénographie dans une ouverture de polar. Un plan, parmi d’autres, m’a complètement retourné : on suit la jeune policière courir entre les buildings et on découvre grâce au plan de contre plongée l’appartement en flamme très haut dans le gratte-ciel. Vertige total, qui aura son miroir inversé quelques minutes plus tard, sans trop en dire.
Bien sûr il faudrait parler de la suite du film car c’est du même acabit. C’est puissant, archi sombre – le film tente plein de choses, trop sans doute, ça mériterait d’étirer davantage (mais deux heures c’est peu pour tout ce qu’il veut mettre) notamment la séquence du centre commercial, construite magistralement en deux temps, mais qui est sans doute trop resserrée ou celle de la fausse piste, au supermarché, probablement un peu trop expédiée là aussi.
Qu’importe, c’est un grand film sur l’Amérique et ses dérives globales : En creux le film montrera le fiasco de cette guerre des polices, bien sûr la question des tueries de masse, ira dans l’horreur absolue des abattoirs, fera un portrait très précis d’un pays qui ne s’est pas remis du 11 septembre, de la peur généralisée face à un événement inexplicable, et surtout place au centre de l’intrigue une jeune flic, au profil atypique car pas du tout dans la lignée des supers flics habituels : Elle est forte, intuitive, mais surtout très fragile, asociale, complètement cassée (on apprend qu’elle était jadis camée, suicidaire) et vraiment border tant elle éprouve une fascination ambiguë pour ce tueur, car comme lui, elle ne sait plus vivre dans ce monde, elle a juste choisi une autre issue pour y survivre. Franchement on voit pas ça tous les jours.