Vodka, chips, saucisses.
6.0 Les prémisses de La vie au ranch se situent dans ce court métrage, réalisé six ans plus tôt. D’abord au moyen de ce dispositif d’écriture si particulier, si « letourneurien » disons, qui consiste à « mettre en jeu » un texte enregistré. La réalisatrice capturait en effet des discussions de soirées sur un dictaphone. Discussions qu’elle découpait ensuite, afin de rejouer ce matériau fini, monté. L’objectif serait celui-ci : permettre à cette parole d’être mise en images mais plutôt comme une matière subtilement burlesque plutôt que foncièrement naturaliste. Mais ici – ou dans La vie au ranch plus tard, et de façon plus étirée – il s’agit aussi de remplir cette image vide : par le son bien sûr mais aussi par les objets et surtout le choix du cadre. Impossible ici de ne pas effectuer un diagnostic de la pièce, de cette table basse, ce canapé, de voir cette vodka, ces chips Lays au ketchup, ces saucisses cocktail à la moutarde. Quant au cadre il faut qu’il soit rempli quasi systématiquement. Que ça déborde dans l’image autant que ça déborde de parole. Paroles qui se chevauchent puisque ces trois filles sont vite bourrées comme des coings. Ce n’est pas évident de créer en neuf minutes seulement le vertige d’une soirée entre trois nanas, capter leurs discussions, leurs obsessions, au point de croire en leur ivresse. Letourneur y parvient. Tout en jouant dedans. Et notamment en jouant celle qui dira, entre relents et hoquets, tandis que les deux autres la bordent, lui tiennent les cheveux, ne cessent de lui demander si elle veut pas gerber : « Je veux pas m’étouffer dans mon vomi comme Jimmy Hendrix ». Évidemment, cette punchline sent le vécu et – merci le dictaphone – sort probablement tout droit d’une de leur vraie soirée beuverie : En effet, Letourneur tourne (et joue dans) ce film avec deux de ses copines. Tout est déjà dans ce premier court. Ça ne demandait qu’à s’étirer.
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