Voyage à travers le cinéma de l’Occupation.
6.0 Rien d’étonnant à voir Tavernier, cinéaste cinéphile engagé, faire un film de guerre et un film sur le cinéma. Le plus troublant, c’est qu’il fasse les deux en même temps. Le récit se déroule sous l’Occupation. On suit la trajectoire de deux hommes qui ne se croisent pour ainsi dire jamais, mais qui se reflètent, se font échos. Le premier, Jean Devaivre, assistant metteur en scène, actif et calculateur, va entrer à la Continental (firme cinématographique allemande qui produit des films français) afin de camoufler ses activités de résistants clandestins. L’autre, Jean Aurenche, scénariste, passif et ferme, refuse autant la résistance que toute collaboration allemande. Deux personnages incarnés par Jacques Gamblin et Denis Podalydes. Deux héros, disons, secondés par une kyrielle de personnages dantesque puisqu’on parle de plus d’une centaine de rôles parlants. Le film est aussi une plongée au cœur des plateaux de tournage parisiens et sera l’occasion de reconnaître la conception de certains films, dont La main du diable, de Maurice Tourneur. Laissez-passer est donc un moyen de réhabiliter ces cinéastes qui continuèrent d’exercer leur art malgré tout, pour lesquels Tavernier rendra par ailleurs hommage plus tard au cours du chapitre « La nouvelle vague de l’occupation » dans son long Voyage à travers le cinéma français. Laissez-passer est sans doute trop dense, trop confus, trop saccadé, trop ambigu, déséquilibré dans ses deux destins, trop conscient de son name dropping – paradoxalement discret puisqu’on entend de grands noms mais on voit essentiellement des petits, comme si Tavernier englobait tout le monde dans un grand tout, aussi chaotique et absurde que la guerre. Il y a beaucoup trop de personnages et de situations, de variations entre comédie et drame, pour réellement passionner et émouvoir, sur près de trois heures. Mais l’ambition en impose, le film est souvent impressionnant, dans sa reconstitution, ses plans-séquence et nombreux travellings, et sa volonté de combiner les mémoires de Devaivre et les souvenirs d’Aurenche. Ça ressemblait sur le papier à un film impossible, Tavernier en a tiré un truc inégal certes, mais assez vertigineux.
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