« Je crois qu’on perd tous un peu les pédales, là… »
8.5 Je me souviens très exactement du moment où j’ai découvert ce film, du lieu, de l’atmosphère, de ceux avec qui j’étais. Il était très tard, tout le monde avait fini par s’endormir, moi pas, seul devant ce film si bizarre, parfois drôle, souvent angoissant. J’avais seize ans.
Je n’oublierai jamais les lieux du film, cette maison de campagne, sa chambre au grenier, sa salle de bain rose, encore moins ses alentours, ce puisard, la route des crêtes, ces trois voitures. Ni cette ouverture sur la route, la chaleur qui en émane, les cris des enfants. Je n’oublierai pas non plus « Le grand poignard en peau de nuit » cet étrange poème récité de mémoire. Séquence ô combien anxiogène : Je me suis toujours demandé ce que ça me ferait si un vieux camarade d’école que j’ai oublié me récitait mon poème que j’ai oublié aussi. Je n’oublierai pas non plus « Les singes volants » et le cauchemar cheap, qui plus tard, en découle.
Je pense qu’on peut facilement être terrifié par Harry, un ami qui vous veut du bien. En faire des terreurs nocturnes tenaces, tant Harry Balestero, le personnage incarné par Sergi Lopez, concentre toutes nos angoisses, entre intrusion impossible mais douce, admiration absurde mais bienveillante, liberté louche mais contagieuse. Il est évidemment ce personnage qui nous veut du bien mais qui nous fera beaucoup de mal.
La première scène du film est fondamentale. Le couple est dans sa voiture, sans clim, avec les gamines qui s’égosillent à l’arrière. Le visage qui s’impose durant cette imposante première séquence est celui de Michel. Son calme d’apparence trahit une sensation de ras-le-bol, dans sa voix, sa sudation, son impuissance. S’il rencontre dans la foulée cet « ami » d’enfance, c’est aussi par enjeu théorique qui se joue : Harry sera son double fantasmé, son opposé. Il ne râle pas sur ses gosses, il n’en a pas. Il ne croule pas sous la pression quotidienne, il semble vivre au jour le jour. Il ne crève pas de chaud dans sa vieille Renault, il a une Mercedes climatisée. S’il est fan de lui, de ka version de lui qu’il a oublié, ce n’est pas un hasard. Ce n’est pas un ami qui lui veut du bien, c’est son démon intérieur, son ange de la mort, son Méphistophélès.
Si le film est si réussi, si beau, c’est en partie grâce à son interprétation globale : Bien sûr, Sergi Lopez livre sa prestation la plus malaisante, à l’image de cette légendaire réplique : « Il pense que t’es une connasse, avec un pois chiche dans la tête » ; mais Laurent Lucas est absolument parfait, dans ce rôle de père de famille dépassé, qui retrouve un camarade qui lui fait renouer avec le plaisir d’écrire mais qui est persuadé que pour retrouver l’inspiration il se doit de détruire ce qui l’empêche d’y accéder. Pourquoi ne le voit-on pas assez, cet acteur ? Récemment des (très) seconds rôles dans Le bureau des Légendes, Vernon Subutex, Grave ou Une intime conviction. Dommage de ne plus le voir au premier plan. Il y a aussi Mathilde Seigner, impeccable, seule fois où elle ne m’agace pas, d’ailleurs.
Je l’ai revu maintes fois ensuite, ce film, avec toujours le même malaise, la même fascination. Cette fois ci n’y a pas échappé : Je l’adore, vraiment. En le revoyant (ça faisait facile dix ans) j’ai réalisé qu’une expression que j’emploie parfois se trouve là-dedans : « raisonnablement casse-couilles ». J’adore ce film.
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