Sur les terres de la rédemption.
6.5 Paul Schrader a toujours plus ou moins fait la même forme narrative, le même film. Mais au cours de ses trois derniers qu’on pourrait aisément ranger dans un triptyque (First reformed, The card counter et celui-ci) il n’aura jamais été aussi proche de faire trois fois le même, et trois fois sa matrice absolue qu’est Taxi driver (de Scorsese, mais dont il a écrit le scénario). Master gardener est le moins intéressant de ces trois derniers films, néanmoins c’est du pur Schrader y a pas de doute.
Le jardinier solitaire ici ressemble au prêtre de l’un ou au joueur de cartes de l’autre. Ce n’est pourtant ni une autocaricature ni un prolongement. Plutôt une copie un peu anecdotique ou un brouillon tardif. L’intérêt principal (s’il ne tient pas sur la puissance dramatique ni de l’interprétation colossale de ses deux précédents, sans vouloir dévaloriser le jeu et la présence de Joel Edgerton non plus) se joue sur trois niveaux.
Tout d’abord dans le trouble qu’il provoque au-delà du film lui-même : Master gardener ne fonctionne pas en tant que projet indépendant. Il est un formidable objet théorique, un film-écho aux films précédents de Schrader, mais guère davantage, tant il est désincarné, si peu tranchant. Je serais curieux de voir ce qui reste de Master gardener pour un spectateur qui ne connait pas le cinéma de Paul Schrader.
L’intérêt réside paradoxalement aussi dans son récit et tout particulièrement ses personnages, au moyen de cette étrange triangulation : Il y a Narvel, le blanc suprémaciste repenti et Maya, la jeune métisse, schéma schraderien en diable. Or il y ajoute cette riche propriétaire, Norma, une Sigourney Weaver qui incarne une sorte de prolongement du colonialisme puisqu’elle ne dirige plus une plantation mais un jardin, le sien. Et la dimension sexuelle n’est pas exempte de ce curieux triangle.
Enfin, troisième et dernier écart, il s’agit probablement du Schrader le moins sombre, passé la connaissance de l’infâme background du personnage principal. Son histoire nous est offerte si tardivement, bien après que nous ayons appris à l’apprécier, que le mouvement crée un vertige un peu malaisant. Et la possibilité de rédemption pour un personnage à priori irrécupérable semble faire partie intégrante du projet, fragile, mais qui aura trouvé une autre façon de faire entrer en collision les (vies et passés) contraires.
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