Défense de rentrer.
7.0 Un Joel Scumacher qui m’avait, jadis adolescent, beaucoup marqué, sans doute pour ce qu’il faisait de Michael Douglas (pure incarnation mystérieuse et sexy dans Basic Instinct) soit cet anti-héros du quotidien, républicain américain en costard cravate et attaché-case, qui pète un plomb en plein embouteillage sur un périphérique de Los Angeles, au cours d’une chaude matinée ensoleillé. Ça c’est le souvenir que j’en gardais ainsi que ses multiples arrêts mouvementés qui suivront, au cœur d’une cité, dans un fast food, une épicerie ou chez un vendeur d’armes.
En réalité le film est bien plus complexe et intéressant que ce fulgurant pitch, puisque d’une part il dévoile beaucoup de ce personnage (qui veut simplement rentré chez lui mais qui n’en a pas le droit) au fil des minutes (c’est aussi une façon de créer de l’ambiguïté : on s’attache à lui avant de comprendre la folie qu’il charrie déjà avant) et effectue un portrait en parallèle (j’avais complètement oublié ça) d’un inspecteur (Robert Duvall, génial, comme d’habitude) lors de son dernier jour avant la retraite, qui pourrait être l’autre version de ce mec, son relief bon et nonchalant, qui lui a su préserver son couple malgré un passé délicat et des apparences électriques : un médiocre qui accepte sa médiocrité, en somme.
D’autre part, Chute libre est un portrait de Los Angeles assez impressionnant, de son melting-pot, son horizontalité, sa violence, sa pauvreté et son mercantilisme. Et une satire de l’Amérique tout entière, post Reagan. Et post Vietnam. Il faut voir comment cette « chute » s’incarne, vectorisée par cet homme qui est persuadé d’être l’américain dont l’Amérique rêve, celui de la réussite, économique et patriotique. Cet homme qui ne comprend pas comment il a pu perdre sa femme, perdre le droit d’approcher sa fille (on suppose qu’il a harcelé son ex-épouse) et son boulot (dans le secteur de la défense) sur le motif qu’il n’était plus économiquement viable.
Le film est passionnant dans le portrait croisé qu’il dresse de ces deux personnages, qu’apparemment tout oppose, mais que des échos permanents viennent rapprocher. C’est aussi ce qui fait sa grande portée théorique guidée évidemment par cette cavalcade meurtrière improbable. Une scène importante vient par ailleurs clarifier son irréalisme : quand un gang armé tire sur Douglas au téléphone et le rate alors qu’il ne bouge absolument pas (« I’m the bad guy ? » demandera-t-il à la fin au flic) et que tous les badauds autour se prennent des balles.
À partir de là on croit à tout le reste car on entre dans un cinéma plus abstrait, dans lequel culmineront deux scènes iconiques : celle du nazi dans son sous-sol de magasin de surplus militaire et celle du bazooka avec le gamin sur la parcelle d’autoroute en construction. On pourrait aussi faire un parallèle avec Taxi driver tant D-Fens (le surnom du personnage, associé à sa plaque d’immatriculation, car il travaillait au ministère de la défense) est un miroir de Travis Bickle, qui plus est à la fin lorsqu’il arbore la tenue militaire.
Je m’étais juré (encore… décidément, après avoir découvert (et pas détesté) Un homme en colère, de Guy Ritchie, qui était blacklisté depuis belle lurette chez moi) de ne plus voir de Schumacher depuis Le nombre 23 (vu en salle à l’époque) mais j’ai bien fait de revoir Chute libre, c’est vraiment ce qu’il a fait de mieux (de ce que j’ai vu, bien sûr) à savoir un film à son image, à la fois très ambigu (il y a clairement un parfum de vigilante, dedans), très fluide dans sa narration et très théorique en définitive.