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Archives pour décembre 2023

Trenque Lauquen – Laura Citarella – 2023

10. Trenque Lauquen - Laura Citarella - 2023Laura ou la dernière fugue.

   8.5   Trenque Lauquen est difficile à résumer et définir. Il faut déjà dire que c’est le film d’un collectif de cinéastes, El Pampero Cine, qui s’était déjà illustré avec La Flor (le seul de leurs films qui soit sorti chez nous jusqu’alors) et qui ambitionne de faire des films autrement, en s’échangeant les rôles (réalisateur, acteur, technicien…) et en tournant sur une longue durée, sans calendrier, quand c’est possible, sans subventions de l’Etat. C’est du no limit donc le produit fini ici pèse 4h22. C’est toujours bon de prévenir.

     Trenque Lauquen raconte l’histoire de deux hommes qui partent à la recherche d’une femme, Laura. Qui partait elle en quête d’une autre disparition, celle de Carmen Zuna, qui l’a conduit vers un secret : ses correspondances amoureuses et érotiques (en 1960) cachées dans les pages d’un livre sur l’émancipation sexuelle féminine écrit par Alexandra Kollontaï en 1926. Puis le film nous emmènera vers un autre secret, celui d’une apparition. En deux parties et douze chapitres.

     C’est un film vertigineux à la structure mutante, dans lequel des mystères ouvrent sur d’autres mystères ; Les temporalités s’enchevêtrent ; Les histoires s’entremêlent. Mutant jusque dans sa conception : l’idée est de faire d’une disparition la trajectoire d’une naissance, d’une ouverture et d’un amour, voire plusieurs, aussi impossibles fussent-ils. Le film est jalonné d’objets, de lettres, de livres. Une scène fait écho à une autre. Les voix se multiplient, les pistes aussi. C’est comme une plante qui de déploie et qui semble ne jamais cesser de grandir et s’épanouir. C’est un vrai film tentaculaire.

     Tout ce qu’on verra dans Trenque Lauquen tient de ce que les personnages voient et se racontent, au gré d’une circulation de la parole toujours plus mystérieuse. Car s’il y a parole il y a point de vue donc un mystère, une vérité. On peut très bien mettre en corrélation Trenque Lauquen avec l’autre grand film de l’année sur la parole, à savoir Anatomie d’une chute.

     C’est un vrai film de femme. D’une femme sur une femme fasciné par une autre femme. En creux il y a d’ailleurs un film sur le poids de la maternité, aussi discret soit-il. Trenque Lauquen a été tourné sur six ans, au gré notamment de la pandémie et de la vie : la grossesse de Laura Citarella. Et c’est aussi le récit d’un lieu, qui est celui de l’enfance de la cinéaste. C’est un peu le jeu de l’amour et du hasard de la fiction et du mystère, Trenque Lauquen.

     C’est un film libre, qui parvient à échapper à tout. Il échappe à la normalité du récit, de la durée, de la résolution, déjà. C’est d’ailleurs une femme qui échappe aux hommes. Une histoire qui échappe au récit. Car l’histoire de Carmen Zuna finit par s’évaporer, au même titre que Laura s’évapore aussi ainsi que le désir des hommes (ici Ezequiel et Rafael) de retrouver Laura, s’évapore. C’est fragile comme procédé, bien sûr, puisque le film nous échappe en permanence, mais c’est aussi une façon de raconter, de vivre avec et dans un film, de faire l’expérience d’une évaporation en somme, après l’exaltation de l’enquête, aussi nébuleuse soit-elle. C’est à la fois très stimulant et très doux.

     On y verra à raison du Antonioni, du Rivette. Car c’est à la fois une errance et un jeu de piste. Mais j’y ai vu du Weerasethakul, du Trueba, du Mendonca Filho, du Hamaguchi pour ma part. Oui ce film c’est un peu comme si Aquarius et La bande des quatre avaient croisé Memoria et L’Avventura. C’est très beau. Et c’était pile pour moi.

Croix de fer (Cross of iron) – Sam Peckinpah – 1978

9-Croix de fer, Sam Peckinpah, 1978L’enfer est ici.

   9.0   Le nihilisme de son auteur se trouve à son apogée avec Croix de fer, récit d’un bataillon allemand en retraite sur la péninsule de Taman, en 1943, depuis la défaite à Stalingrad. Deux figures masculines s’y rencontrent et rivalisent : un sergent aussi rigoureux que désenchanté, admiré de ses soldats et qui méprise les hiérarchies, et un officier opportuniste, aristocrate prussien en quête du fameux symbole de bravoure, la croix de fer.

     C’est La horde sauvage sur le front russe. Soit une plongée dans les entrailles de l’enfer, au sein de forêts désolées, tranchées de boues, terrains de barbelés sur lesquels s’entassent les cadavres. L’horreur de la guerre n’a plus de limites dans Croix de fer. On roule sur un corps dans une ornière. Un enfant se voit criblé de balles. C’est un chaos de chairs avant tout. La terre tremble en permanence. La bande-son est quasi exclusivement faite de tirs d’artillerie et autres explosions, au loin ou tout proche.

     Comme à son habitude, Peckinpah use d’un montage cut lors des scènes de batailles, accentuant l’immonde absurdité du combat, d’un plan à l’autre, d’un ralenti à l’autre. C’est la représentation la plus sale de ce que peut être la guerre. Ça transpire de partout, des visages, des sons. On y sent presque la puanteur des sous-sols. D’un point de vue graphique c’est dément.

     C’est son seul film de guerre. De guerre pure, disons. Il fait figure d’anomalie tant c’est un film très maîtrisé, ce qui semble improbable quand on connaît l’histoire de sa conception : le film est produit pour rien par un producteur de pornos, c’est à la base une commande (Peckinpah avait le choix entre ça et King Kong, qui se fera finalement par John Guillermin) et son réalisateur, alors en fin de course, est bourré du matin au soir.

     C’est un film apocalyptique qui fait le portrait permanent d’une dichotomie fulgurante, dans la lignée de ses quatre minutes introductives, durant lesquelles des images d’archives de guerre, des troupes allemandes, d’Hitler, de bombardements sont entrecoupées de visages d’enfants, le tout accompagné par une mélodie enfantine qui côtoie une symphonie militaire. Il y a du Eisenstein dans cette introduction. Grosse claque, évidemment.

The killer – David Fincher – 2023

18. The killer - David Fincher - 2023Un monde sans désir.

   8.0   La grande idée, en tout cas moi ça m’apparaît être une grande idée, cohérente dans l’œuvre de Fincher – dans la continuité de Zodiac, The social network, The girl with the dragon tattoo – c’est qu’il y a portrait d’un post-humain. Pour ne pas dire d’une ébauche d’intelligence artificielle. C’est Le samouraï (de Melville) sur une plateforme. Que le film soit distribué par Netflix le rend plus cohérent, encore.

     Et son récit comme sa mise en scène, iront dans ce sens, évidemment casse-gueule, à savoir la digne représentation de l’ennui, d’un programme, d’une machine, avec pourtant un rouage qui se grippe et in extremis, la puissance d’une incarnation qu’on n’attendait pas. C’était déjà le cas dans The social network en somme : Mark Zuckerberg était une machine bien huilée, opérationnelle et obsessionnelle, mais c’était aussi un monstre de névroses.

     Le personnage du tueur ici est plus ambigu et passionnant qu’il n’en a l’air. La première séquence, très longue, le suit, tandis qu’il attend sa cible, dans l’immeuble d’en face. La voix off, la sienne, n’est qu’un mantra omniprésent, répétitif. Or, elle est aussi très contradictoire. Il passe son temps à nous expliquer qu’il ne rate pas. Et il va rater. Quand plus tard il rebondit face à cet évènement nouveau, c’est encore pire : Il fait tout le contraire de ce à quoi il s’était fixé, à savoir suivre le plan, ne pas improviser, effectuer uniquement le travail pour lequel on te paie. Il fait tout l’inverse.

     Il se fixe alors une mission, qui est de tuer ceux qui s’en sont pris à celle qu’il aime. D’une part il y a donc quelqu’un qu’il aime. D’autre part, le personnage se dit en marge mais force est de constater qu’il s’en prendra aux moins puissants. Du chauffeur de taxi aux commanditaires. Mais pas aux riches, ni à la cible qu’il rate au préalable, ni au client qu’il épargne finalement. Le système a donc dévoré le personnage. Au même titre que les marques se sont accaparé son quotidien (sont cités ostensiblement Entreprise, Avis, FedEx, Paris Aéroport, Mcdo, Starbucks, Uber Eats, Hertz, Amazon). Ou comme Netflix a dévoré le cinéma.

     Dans le même ordre d’idée, il n’y a plus rien de glamour dans The killer. Ni cet enchainement de meurtres (une approche dérivée du jeu vidéo, avec sa construction, ses paliers, ses boss, moins son caractère ludique) ni cette histoire d’amour (elle n’existe pas à l’écran) ni cette vengeance (soit malaisante, soit atrophiée). Jusque dans son utilisation des chansons. Certes, on entend les Smiths (dans les écouteurs du tueur) mais ce sont des bribes de morceaux, toujours entrecoupés. Ils rythment le modus operandi du tueur mais jamais la mise en scène, qui elle reste accompagnée par le score (toujours aussi) fulgurant de Trent Reznor & Atticus Ross.

     Avec The killer Fincher va au bout de cette expérimentation qui déjà apparaissait dans Mindhunter (dont il réalise le pilot) : l’enjeu dramatique est réduit au même état que l’enjeu psychologique, à néant. Ne reste plus qu’à mettre en scène ce néant. Et c’est ici que le génie fincherien prend toute sa dimension paradoxale : Le film a un cœur qui bat, qui serait celui de l’image et du montage. The killer est un film froid comme la glace, qui a tout pour ennuyer tant sa démarche s’avère éminemment conceptuelle. Et pourtant The killer est un grand film de mise en scène, qui m’a tenu en haleine de bout en bout. Que je veux déjà revoir. Je vais en profiter pour revoir plein de Fincher, d’ailleurs.

Le monde après nous (Leave the world behind) – Sam Esmail – 2023

18. Le monde après nous - Leave the world behind - Sam Esmail - 2023Paradis fiction.

   6.0   C’est un film pensé comme une série et qui l’intègre doublement dans son dispositif : les chapitres comme des épisodes, la non-fin de petit malin (il avait déjà prévenu dans le finish cynique de son introduction) et l’utilisation de la série Friends. Chose importante à rappeler : Sam Esmail était showrunner de Mr Robot (vu une saison de ce pensum lourdingue ça m’a suffi) donc oui, Le monde après nous est un film de showrunner. C’était cool de faire une rétro Fincher juste avant. Mr Robot, déjà, c’était du sous Fincher. C’est vraiment le Fincher du pauvre, formellement ou celui de Panic Room : on ne compte plus le nombre de plans séquences à travers des vitres, des trous, renversés, débullés, c’est un festival.

     Et pourtant, le film m’a beaucoup intéressé. J’aime l’idée qu’il soit un film catastrophe où la catastrophe est quasi absente car entièrement vécu du point de vue de ses deux familles. On devra donc se satisfaire de scènes isolées, dont une avec un pétrolier échoué, une autre avec des Tesla détraquées (prend ça, Elon Musk), une autre avec un crash d’avion, une autre avec un drone menaçant et enfin une explosion lointaine. Et c’est très bien. Celles des cerfs sont clairement sans intérêt (et moches) en revanche : les flamants roses suffisaient.

     Le film souffre d’être comparé à d’autres non-stop et notamment pour ses effets outranciers. Il me semble que ces effets ne racontent rien, qu’ils sont juste là pour faire joli. Et se la péter. Par exemple, la scène des Tesla – probablement la plus belle idée du film – est bien fichue mais avec son super plan séquence on ne peut s’empêcher de penser à celle de la voiture dans Les fils de l’homme, de Cuaron. J’ai souvent pensé à d’autres films, devant Le monde après nous. Du Aronofsky, du Peele, du Shyamalan. Et comme ça vient de Netflix on a vraiment l’impression de voir leur cuvée de Noël catastrophiste (l’an dernier il s’agissait de Don’t Look up) à la sauce Knock at the cabin. Bon je m’égare, mais je trouve que le film s’égare aussi beaucoup, qu’il veut manger à tous les râteliers. Et il le reconnait lui-même : La gamine qui cite Donnie Darko. Son frangin qui porte un t-shirt d’Invasion Los Angeles. Sans parler du décor (qui semble-t-il change au fur et à mesure ?), de ces nombreux plans zénithaux, ces travellings, cette obsession symétrique. Il y a du Kubrick là-dedans.

     A trop enchaîner les séquences miroir, toutes construites de la même manière, notamment ces deux climax en montages alternés un peu bourrins, avec stridence, mystère, plans sophistiqués, référencés (Hitchcock bien évidemment : La mort aux trousses avec l’avion, Les oiseaux avec le drone aux tracts) tout le toutim, qui ne mènent sur rien, la tension sans doute recherchée par le film est relativement absente. Le film est par ailleurs beaucoup trop long.

     J’essaie encore de comprendre ce que le film veut me dire, dans le fond, car dans la forme je suis persuadé qu’il ne veut rien dire. De comprendre pourquoi il est produit par les époux Obama, déjà. De comprendre pourquoi il n’ose pas afficher franchement son combat. Est-ce une attaque terroriste ? Une attaque extraterrestre ? Une attaque cybernétique ? Une attaque chimique ? Une catastrophe naturelle mondialisée ? Un soulèvement des machines ? J’aime penser que ce soit la revanche d’un programme militaire conscient d’être un programme, donc qu’il s’agisse de l’attaque d’une intelligence artificielle.

     Alors que tente de dire le film, si ce n’est de nous faire part d’un discours cynique et misanthrope ? Qu’au final il n’y a plus grand chose à sauver de ce monde ? Que lorsqu’on se sera tous réfugié et isolé (c’est aussi une constante dans le film : personne ne voit ni vit les événements en même temps) dans nos bunkers il nous restera plus qu’à mater nos séries, les finir et les remettre ad aeternam ? Vraiment eu cette sensation qu’il me disait que le plus important c’est pas la fin du monde. Le plus important c’est de pouvoir regarder la fin d’une série. Or on peut retourner le truc et se dire que l’essentiel, quand on n’a plus de connexion internet c’est d’avoir des vinyles et des dvd. Faire ainsi l’apologie du support physique dans un film produit et distribué par Netflix c’est soit un geste de résistant soit du gros foutage de gueule.

     Reste que le casting est magnifique. Quel bonheur de revoir Julia Roberts, même dans ce rôle de publiciste misanthrope. Mais aussi Ethan Hawke et Mahershala Ali. Et dans un moindre rôle, Kevin Bacon. Plaisir total. Les gamins sont bien choisis aussi. Et même si le film ne fait que balancer des embryons de pistes sans vraiment les traiter, il y a des scènes comme celle des dents qui tombent qui sont assez impressionnantes. Pas mal, donc.

Illusions perdues – Xavier Giannoli – 2021

20. Illusions perdues - Xavier Giannoli - 2021Quand j’étais critique.

   6.0   J’ai tellement développé une non-envie de voir ce film, que ce soit lors de sa sortie (cette bande annonce m’horripilait) ou après son succès (un peu trop foudroyant) aux Césars, qu’il était normal que je finisse par le mater au détour d’un passage télé… un dimanche soir.

     J’ai mis un peu de temps à y entrer. À la fois pour me faire à cette voix off (très présente) et aussi parce que le film décolle vraiment lorsque Lucien quitte Angoulême et Louise puis arrive à Paris, fait connaissance avec Lousteau, découvre le journal, puis Coralie et tous ces personnages qui gravitent, campés par des Stevenin, Depardieu, Dolan, Lenquesaing.

     Quel casting ! Et quelle ambition narrative, romanesque ! Le film trouve son équilibre, le souffle épique de l’ivresse parisienne, d’une efficacité redoutable au point que ces 2h30 passent d’un claquement de doigts. Enfin presque. Il y a quand même quelques baisses de régime. Et une tendance à l’académisme : c’est très scolaire, ça manque de fièvre, de grandes envolées – un peu à l’image de sa voix off trop narrative, qui fait souvent doublon avec ce que l’on voit, et qui frise l’indigestion.

     J’aurais préféré que le film plonge dans un truc plus virtuose voire grandiloquent encore, j’ai la sensation qu’il n’ose pas trop, qu’il se fait plus sage que le milieu qu’il brosse, plus sage que ces love story, plus sage que son personnage. C’est pas Barry Lyndon, quoi.

     Enfin c’est pas grave, je m’attendais à détester – car j’avais détesté le voir coiffer de la sorte aux Césars deux films chouchous que sont Onoda (Arthur Harari) & Annette (Leos Carax) – mais finalement c’est plutôt une bonne surprise. Et ça donne envie de se plonger dans une lecture balzacienne.

Nona et ses filles – Arte – 2021

21. Nona et ses filles - Arte - 2021Mère et filles.

   7.0   Le visionnage de L’amour et les forêts m’a rappelé que je devais revenir sur cette mini-série – en neuf épisodes d’une trentaine de minutes : c’est très court – signée Valérie Donzelli, découverte lors de son passage télé sur Arte il y a pile deux ans.

     Tandis qu’elle est mère de triplées quadras qu’elle a élevée toute seule et alors que, du haut de ses soixante-dix ans, elle milite toujours activement au planning familial, Nona tombe enceinte. Si l’on accepte cette aberration, c’est gagné.

     Enfin presque : Evidemment le pitch est alambiqué. Beaucoup trop fabriqué. Mais partons de ce que Donzelli clame elle-même : « La maternité est un peu surnaturelle ». C’est une affaire de séisme, au sein d’une famille, ici au sein d’une relation de frangines.

     Il y a George, l’étudiante éternelle toujours chez maman ; Gaby, la sexologue essayiste célibataire ; Manu, la mère au foyer de cinq enfants. J’adore cette idée des trois prénoms mixtes. Leur alchimie sororale est le cœur battant : Virginie Ledoyen, Clothilde Hesmes et Valérie Donzelli elle-même – chacune avec leur caractère propre – apportent une fraicheur au fil des épisodes, d’une grande cohérence dans le portrait de ces trois sœurs.

     Si c’est une vraie série de femmes (où brille Miou-Miou, évidemment) les hommes n’y sont pourtant pas exclus, tant les rôles donnés à Michel Vuillermoz, Antoine Reinartz ou Barnaby Metschurat (Le sage-femme) sont très beaux aussi.

     Bien sûr la série s’ouvre de façon complètement improbable. Bien sûr on retrouve toute la fantaisie habituelle de Donzelli (et parfois des tics de mise en scène dont on peut se passer) qui se poursuit sur une tonalité tour à tour grave et légère. C’est sa marque de fabrique. Il me semble qu’elle y trouve le juste équilibre ici – bien qu’il ne faille pas lâcher : on peut rester sceptique durant les premiers épisodes – qui lui faisait défaut depuis dix ans.

     La série monte en puissance pour atteindre une déchirante conclusion. Probablement ce que Donzelli a fait de mieux depuis La guerre est déclarée (c’est pas difficile, c’est vrai). Et une série que je pourrais agréablement revoir dès maintenant, je me rends compte.

L’amour et les forêts – Valérie Donzelli – 2023

17. L'amour et les forêts - Valérie Donzelli - 2023La prisonnière.

   6.0   Si le film est formellement son plus sage, on retrouve la Donzelli bricoleuse au détour des séquences entre frangines : Virginie Efira incarne les deux rôles, à la fois très différents et complémentaires, pour un double rôle de jumelles, j’entends. C’est bien vu. On aurait adorer en voir davantage quand bien même ce soit tout à fait cohérent avec le récit, qui est donc celui d’une femme, Blanche (belle idée que de tout nous faire vivre de son seul point de vue) harcelée, vampirisée par son mari, un pervers narcissique dont la perversion est quasi invisible au préalable, mais pourtant bien réelle dès leur rencontre jusqu’à cette manipulation qu’il sème a mesure et les altercations plus ou moins violentes qui ponctuent leurs disputes qui ne sont qu’une enfilade de reproches qu’il lui profère. J’aime beaucoup l’idée (qui vient probablement du livre dont il est adapté) de créer des virages sous forme de climax en apparence anodins : Ici une frange, là des endives au jambon.

     Le film est bien pensé dans son crescendo, plutôt bien vu dans sa mise en scène, aussi discrète soit-elle. Car il me semble que Donzelli (et son petit côté pop, disons, grossièrement parlant) s’efface énormément derrière son récit et son duo d’acteurs personnages. Au vu de ses derniers films c’est pas plus mal, me direz-vous, mais on y gagne quand même pas grand-chose. Il lui manque clairement l’ampleur classique et romanesque qu’elle avait su travailler dans sa très belle série, Nona et ses filles. Sans doute d’une part car le sujet de la relation toxique est rebattu (plus impressionnant dans Mon roi, de Maïwenn, par exemple) d’autre part car cette perversion est moins nuancée et complexe que ce que le film croit être. Enfin Melvil Poupaud est génial hein, terrifiant comme il faut, mais pour moi c’est un évident psychopathe depuis le début et le film manque un peu de nous faire ressentir ce truc un peu impalpable que Blanche ressent. Elle est plus maso que sous emprise d’un monstre, si j’ose dire. Je sais que ça existe, bien sûr, mais ce que le film me donne m’empêche parfois d’y croire.

     L’amour et les forêts est aussi l’histoire contée à une tierce personne. Ne la voyant pas au départ (la voix est off) on imagine que c’est une amie. Puis on pense à une psychologue. Avant de découvrir tardivement qu’il s’agit d’une avocate, laissant imaginer ce vers quoi le film va aller : une issue procédurière. Ça aurait pu être très lourd comme procédé, mais Donzelli dissémine ses scènes et cette voix off avec parcimonie. Mais je ne pouvais m’empêcher d’être un peu déçu de ne pas voir le film plonger dans le film de genre, le thriller cauchemardesque, façon Les nuits avec mon ennemi.

     Ce qui est nouveau chez Donzelli c’est la dureté frontale vers laquelle tend le récit, malgré des touches de légèreté qui lui ressemblent beaucoup. On sent bien la co-écriture avec Audrey Diwan, pour le coup. Quoiqu’il en soit, j’aime bien l’idée, qui parcourait déjà La guerre est déclarée, d’ancrer le film dans une rêverie, convoquée notamment par cette chanson dans la voiture qui peut rappeler Jacques Demy, avant de le plonger dans une ambiance plus lourde façon Jusqu’à la garde. À part ça la photo est superbe. Dans la forêt, dans la maison, partout. C’est très soigné, très agréable.

Y a-t-il un Français dans la salle ? – Jean-Pierre Mocky – 1982

19. Y a-t-il un Français dans la salle - Jean-Pierre Mocky - 1982Le désordre et l’ennui.

   2.0   Mocky c’est toujours bancal. Parfois d’un film à l’autre. Souvent au sein d’un même film. Celui-ci est doté d’un prologue aussi étrange que prometteur. Puis plus rien sinon un machin d’une lourdeur infinie, un peu rigolo si on est bien luné, j’imagine. Je devais pas l’être suffisamment. J’ai trouvé ça consternant, vulgaire, avec sa provoc gratuite et ses acteurs en totale roue libre. On peut pas toujours se cacher derrière la truculence du verbe ou l’absurdité d’un plan. Les personnages sont tous plus infects les uns que les autres, et Mocky a l’idée saugrenue de nous faire entendre chaque fois leurs pensées. Au secours. La satire politique cynique se double pourtant in extremis d’un souffle romantique assez beau. Insuffisant pour faire oublier ce qui précède mais c’est à l’image de Mocky : même dans un film aussi insupportable que celui-ci, j’y trouve toujours un truc, une surprise.

Les âmes sœurs – André Téchiné – 2023

16. Les âmes sœurs - André Téchiné - 2023Amour et amnésie.

   3.5   Comme souvent avec Téchiné tout m’a semblé complètement étriqué, artificiel, trop écrit, pas très incarné, mis en scène de façon terne, sans idées, calfeutré derrière une idée romanesque qui brille puis s’évente aussitôt. Pas une scène qui s’étire ni se transcende. C’est tout plat, tout mou. C’est le récit d’une relation fraternelle ambiguë, aussi bien perdue que récupérée par l’amnésie, mais on ne ressent rien de cet amour, de cette passion, de ce lien, qu’il ait jadis été consommé ou qu’il soit en train de réapparaître. Tout ce qui peut être beau là-dedans se situe dans le film qu’on a fantasmé, pas dans celui-là. Au demeurant, c’est toujours un plaisir de voir Noémie Merlant et Benjamin Voisin mais ils n’ont absolument rien à jouer.

L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty (Die angst des tormanns beim elfmeter) – Wim Wenders – 1972

15. L'Angoisse du gardien de but au moment du penalty - Die angst des tormanns beim elfmeter - Wim Wenders - 1972L’étranger.

   5.0   Faisait partie de ces films que je rêvais de voir grâce à leur beau et mystérieux titre à rallonge, aux côtés de, au pif : « De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites » de Paul Newman ou « La grande extase du sculpteur sur bois Steiner » de Werner Herzog. Je l’aime nettement moins que ces deux films, malheureusement.

     Un gardien de but allemand, en déplacement avec son équipe à Vienne, encaisse un but, sort du match et de ses gonds, puis se fait expulser par l’arbitre. Il entame alors une longue errance dans la capitale autrichienne, passe la nuit avec la caissière d’un cinéma puis l’étrangle, avant de se retirer dans un village et de suivre l’enquête dans les journaux. En parallèle, la disparition d’un enfant remue tout le pays.

     Le film est aussi impalpable que son personnage. Tout ce qui l’anime semble calquer sur l’idée du choix bref et inéluctable du gardien de but qui fait face à un péno, comme le mentionne ce drôle de titre. Le film s’arrête sur l’arrêt d’un gardien d’ailleurs, tandis que notre personnage, anonyme dans les gradins, assiste au match. On ne saura rien de plus. On ne comprend d’ailleurs aucune de ses motivations durant tout le film.

     C’est un beau récit d’aliénation inexplicable. D’un homme, étranger face au monde et a lui-même. Encore faut-il percer l’hermétisme forcé imposé par le film. Il y a du Macadam cowboy. Et aussi les prémisses du cinéma d’Alan Clarke. Mais j’ai un peu somnolé, j’avoue.

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silencio


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