La prisonnière.
6.0 Si le film est formellement son plus sage, on retrouve la Donzelli bricoleuse au détour des séquences entre frangines : Virginie Efira incarne les deux rôles, à la fois très différents et complémentaires, pour un double rôle de jumelles, j’entends. C’est bien vu. On aurait adorer en voir davantage quand bien même ce soit tout à fait cohérent avec le récit, qui est donc celui d’une femme, Blanche (belle idée que de tout nous faire vivre de son seul point de vue) harcelée, vampirisée par son mari, un pervers narcissique dont la perversion est quasi invisible au préalable, mais pourtant bien réelle dès leur rencontre jusqu’à cette manipulation qu’il sème a mesure et les altercations plus ou moins violentes qui ponctuent leurs disputes qui ne sont qu’une enfilade de reproches qu’il lui profère. J’aime beaucoup l’idée (qui vient probablement du livre dont il est adapté) de créer des virages sous forme de climax en apparence anodins : Ici une frange, là des endives au jambon.
Le film est bien pensé dans son crescendo, plutôt bien vu dans sa mise en scène, aussi discrète soit-elle. Car il me semble que Donzelli (et son petit côté pop, disons, grossièrement parlant) s’efface énormément derrière son récit et son duo d’acteurs personnages. Au vu de ses derniers films c’est pas plus mal, me direz-vous, mais on y gagne quand même pas grand-chose. Il lui manque clairement l’ampleur classique et romanesque qu’elle avait su travailler dans sa très belle série, Nona et ses filles. Sans doute d’une part car le sujet de la relation toxique est rebattu (plus impressionnant dans Mon roi, de Maïwenn, par exemple) d’autre part car cette perversion est moins nuancée et complexe que ce que le film croit être. Enfin Melvil Poupaud est génial hein, terrifiant comme il faut, mais pour moi c’est un évident psychopathe depuis le début et le film manque un peu de nous faire ressentir ce truc un peu impalpable que Blanche ressent. Elle est plus maso que sous emprise d’un monstre, si j’ose dire. Je sais que ça existe, bien sûr, mais ce que le film me donne m’empêche parfois d’y croire.
L’amour et les forêts est aussi l’histoire contée à une tierce personne. Ne la voyant pas au départ (la voix est off) on imagine que c’est une amie. Puis on pense à une psychologue. Avant de découvrir tardivement qu’il s’agit d’une avocate, laissant imaginer ce vers quoi le film va aller : une issue procédurière. Ça aurait pu être très lourd comme procédé, mais Donzelli dissémine ses scènes et cette voix off avec parcimonie. Mais je ne pouvais m’empêcher d’être un peu déçu de ne pas voir le film plonger dans le film de genre, le thriller cauchemardesque, façon Les nuits avec mon ennemi.
Ce qui est nouveau chez Donzelli c’est la dureté frontale vers laquelle tend le récit, malgré des touches de légèreté qui lui ressemblent beaucoup. On sent bien la co-écriture avec Audrey Diwan, pour le coup. Quoiqu’il en soit, j’aime bien l’idée, qui parcourait déjà La guerre est déclarée, d’ancrer le film dans une rêverie, convoquée notamment par cette chanson dans la voiture qui peut rappeler Jacques Demy, avant de le plonger dans une ambiance plus lourde façon Jusqu’à la garde. À part ça la photo est superbe. Dans la forêt, dans la maison, partout. C’est très soigné, très agréable.