Paradis fiction.
6.0 C’est un film pensé comme une série et qui l’intègre doublement dans son dispositif : les chapitres comme des épisodes, la non-fin de petit malin (il avait déjà prévenu dans le finish cynique de son introduction) et l’utilisation de la série Friends. Chose importante à rappeler : Sam Esmail était showrunner de Mr Robot (vu une saison de ce pensum lourdingue ça m’a suffi) donc oui, Le monde après nous est un film de showrunner. C’était cool de faire une rétro Fincher juste avant. Mr Robot, déjà, c’était du sous Fincher. C’est vraiment le Fincher du pauvre, formellement ou celui de Panic Room : on ne compte plus le nombre de plans séquences à travers des vitres, des trous, renversés, débullés, c’est un festival.
Et pourtant, le film m’a beaucoup intéressé. J’aime l’idée qu’il soit un film catastrophe où la catastrophe est quasi absente car entièrement vécu du point de vue de ses deux familles. On devra donc se satisfaire de scènes isolées, dont une avec un pétrolier échoué, une autre avec des Tesla détraquées (prend ça, Elon Musk), une autre avec un crash d’avion, une autre avec un drone menaçant et enfin une explosion lointaine. Et c’est très bien. Celles des cerfs sont clairement sans intérêt (et moches) en revanche : les flamants roses suffisaient.
Le film souffre d’être comparé à d’autres non-stop et notamment pour ses effets outranciers. Il me semble que ces effets ne racontent rien, qu’ils sont juste là pour faire joli. Et se la péter. Par exemple, la scène des Tesla – probablement la plus belle idée du film – est bien fichue mais avec son super plan séquence on ne peut s’empêcher de penser à celle de la voiture dans Les fils de l’homme, de Cuaron. J’ai souvent pensé à d’autres films, devant Le monde après nous. Du Aronofsky, du Peele, du Shyamalan. Et comme ça vient de Netflix on a vraiment l’impression de voir leur cuvée de Noël catastrophiste (l’an dernier il s’agissait de Don’t Look up) à la sauce Knock at the cabin. Bon je m’égare, mais je trouve que le film s’égare aussi beaucoup, qu’il veut manger à tous les râteliers. Et il le reconnait lui-même : La gamine qui cite Donnie Darko. Son frangin qui porte un t-shirt d’Invasion Los Angeles. Sans parler du décor (qui semble-t-il change au fur et à mesure ?), de ces nombreux plans zénithaux, ces travellings, cette obsession symétrique. Il y a du Kubrick là-dedans.
A trop enchaîner les séquences miroir, toutes construites de la même manière, notamment ces deux climax en montages alternés un peu bourrins, avec stridence, mystère, plans sophistiqués, référencés (Hitchcock bien évidemment : La mort aux trousses avec l’avion, Les oiseaux avec le drone aux tracts) tout le toutim, qui ne mènent sur rien, la tension sans doute recherchée par le film est relativement absente. Le film est par ailleurs beaucoup trop long.
J’essaie encore de comprendre ce que le film veut me dire, dans le fond, car dans la forme je suis persuadé qu’il ne veut rien dire. De comprendre pourquoi il est produit par les époux Obama, déjà. De comprendre pourquoi il n’ose pas afficher franchement son combat. Est-ce une attaque terroriste ? Une attaque extraterrestre ? Une attaque cybernétique ? Une attaque chimique ? Une catastrophe naturelle mondialisée ? Un soulèvement des machines ? J’aime penser que ce soit la revanche d’un programme militaire conscient d’être un programme, donc qu’il s’agisse de l’attaque d’une intelligence artificielle.
Alors que tente de dire le film, si ce n’est de nous faire part d’un discours cynique et misanthrope ? Qu’au final il n’y a plus grand chose à sauver de ce monde ? Que lorsqu’on se sera tous réfugié et isolé (c’est aussi une constante dans le film : personne ne voit ni vit les événements en même temps) dans nos bunkers il nous restera plus qu’à mater nos séries, les finir et les remettre ad aeternam ? Vraiment eu cette sensation qu’il me disait que le plus important c’est pas la fin du monde. Le plus important c’est de pouvoir regarder la fin d’une série. Or on peut retourner le truc et se dire que l’essentiel, quand on n’a plus de connexion internet c’est d’avoir des vinyles et des dvd. Faire ainsi l’apologie du support physique dans un film produit et distribué par Netflix c’est soit un geste de résistant soit du gros foutage de gueule.
Reste que le casting est magnifique. Quel bonheur de revoir Julia Roberts, même dans ce rôle de publiciste misanthrope. Mais aussi Ethan Hawke et Mahershala Ali. Et dans un moindre rôle, Kevin Bacon. Plaisir total. Les gamins sont bien choisis aussi. Et même si le film ne fait que balancer des embryons de pistes sans vraiment les traiter, il y a des scènes comme celle des dents qui tombent qui sont assez impressionnantes. Pas mal, donc.
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