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Archives pour février 2024

Pauvres créatures (Poor things) – Yórgos Lánthimos – 2024

???????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????Poupée d’images et de sons.

   8.0   La bande annonce me filait des boutons. Lanthimos m’avait exaspéré avec The Lobster, gonflé avec La favorite. Et pourtant, une force étrange m’a poussé à aller voir ce film en salle. J’avais envie de cette expérience ce soir-là, un quitte ou double de 2h20. Au moins, je savais qu’en cas de grosse souffrance, Lanthimos et moi c’était définitivement terminé.

     Et j’ai adoré. Inexplicable. Enfin si : j’ai entièrement acheté ce personnage et ce pitch incroyable : l’histoire de Bella, suicidée enceinte recueillie et ressuscitée par un savant fou lui ayant greffé le cerveau du bébé qu’elle portait, qui va peu à peu s’émanciper et découvrir l’espèce humaine via une odyssée tortueuse à travers l’Angleterre de l’époque victorienne puis l’Europe.

     C’est Frankenstein et Candide qui rencontrent Freaks et Nymphomaniac. En gros. Tout était surprise pour moi, exaltante, au diapason du voyage de Bella. Ses déambulations londoniennes puis son départ en bateau. L’escale à Alexandrie. Puis Paris. Un apprentissage accéléré, du plaisir sexuel, du rapport à la jalousie, la possession, du système capitaliste, de la transmission de la domination, elle qui était, au préalable, émancipée naturellement des codes de la société et du patriarcat.

     Toutes les extravagances visuelles (plans distordus au fisheye notamment) de Lanthimos soudain ont pris sens devant mes yeux, sens avec le destin de ce personnage, son voyage vers une humanité monstrueuse. Il y a mille choses à voir en permanence, dans chaque plan. C’est un vrai plaisir pour les yeux.

     J’ai tellement ri, aussi. Grâce à une Emma Stone démente. Et un Mark Ruffalo improbable. Et surtout j’ai senti que Lanthimos aimait cet univers, qu’il aimait son personnage, tous ses personnages, qui ne sont plus seulement des objets d’étude expérimentale mais des êtres qui existent, avec une histoire à défendre. On ressentait un peu la naissance de ça dans La favorite, mais ça manquait encore d’incarnation.

     Ici Lanthimos ajuste sa mise en scène au regard de Bella. Et par la même occasion il ne fait pas du savant un être abscons, d’une part car il reste dieu (Godwin, l’appelle-t-elle) aux yeux de Bella et d’autre part car il est une sorte de docteur Frankenstein doublé de la créature de celui qu’incarnait jadis son père.

     Il sera difficile d’oublier le vertige imposé par cette expérience visuelle, ces images folles, ces bulles d’acide gastrique qui côtoient des animaux hybrides, ces tapisseries et ces architectures hallucinantes. Je laisse volontiers Barbie aux autres et je garde Poor things.

Godzilla Minus One (Gojira Mainasu Wan) – Takashi Yamazaki – 2024

36. Godzilla Minus One - Gojira Mainasu Wan - Takashi Yamazaki - 2024Une affaire de famille.

   6.0   Godzilla, j’y connais rien, franchement. J’ai vu celui de Roland Emmerich y a longtemps. Et le Gareth Edwards à sa sortie. C’est tout. J’y allais uniquement car le film était accompagné de dithyrambes d’un côté ou déception cinglante de l’autre (le papier de Thoret est violent). Et donc ça m’attirait encore davantage.

     C’est un peu Une affaire de famille qui rencontre Pearl Harbor, en somme. Kore-Eda & Michael Bay. Mélange détonnant, qui déploie ses nombreux défauts dans l’un et dans l’autre, mais aussi de belles qualités.

     J’ai aimé cette partie de mélo d’après-guerre. Cette famille, qui au préalable n’en est pas une et qui n’accepte d’ailleurs pas d’en être une, qui se construit sur des ruines, de l’entraide, de l’humain. C’est très beau. Et le champ de ruines du Tokyo dévasté est impressionnant. Je pense malgré tout que le film ne va pas assez loin, dans le quotidien de l’après désastre, de ceux qui tentent de survivre. Par instants j’ai pensé au très beau Pluie noire, de Shohei Imamura. Mais c’est effleuré.

     J’ai aimé sa partie blockbuster. L’introduction sur l’île de Godo. La scène de Godzilla à Ginza, qui détruit tout alors que la ville était en totale reconstruction. Le film saisit brillamment l’état d’esprit japonais, le cauchemar de la bombe atomique, le traumatisme de la défaite, l’obsession sacrificielle, symbolisée en grande partie par ce portrait de kamikaze déserteur.

     Le film cite un peu trop Les dents de la mer, il me semble. Cette chasse au monstre, d’abord sur des bateaux en bois (les seuls à pouvoir détruire les nombreuses mines laissées par les Américains) puis avec des croiseurs, échoue souvent à provoquer l’angoisse, l’attente, la durée qui irriguait tout le chef d’œuvre de Spielberg. Là quand il ne se passe rien, on s’ennuie, en grande partie car ça ne fait que causer. Et quand il se passe quelque chose ça va beaucoup trop vite.

     La dernière partie est efficace, mais on ne peut s’empêcher de penser que ça aurait pu être mieux. Le film tente de nous faire une « Titanic » en nous expliquant le plan sur maquette avant qu’on le vive, mais Yamazaki n’est pas Cameron, en ne parvient pas à nous faire oublier la maquette, disons. Sans parler du twist parachute qu’on avait vu venir à des kilomètres (« une dernière chose… » puis cut, sérieusement…) et que je craignais qu’on nous explique par un désuet flashback et ça n’a pas loupé. Au même titre que la scène pivot de la disparition (j’essaie de pas trop en dire) qui est un peu ridicule. Au même titre que tous ces moments où l’on force la gamine à pleurer, qui bizarrement sera hors champ dans le dernier plan de retrouvaille. Chelou.

     Tout n’est donc pas réussi mais il y a de l’idée. Un désir de film à l’ancienne. Une envie de romanesque. Et un galvanisant portrait non pas des troupes armées et du sens du sacrifice, mais du désir de vivre et construire une famille.

Imphy, capitale de la France – Luc Moullet – 1995

09. Imphy, capitale de la France - Luc Moullet - 1995On dirait le sud.

   6.5   En observant la vie parisienne (Paris, le cancer de la France, blâme-t-il d’entrée de jeu) Luc Moullet se demande s’il ne faudrait pas délocaliser la capitale, en prenant exemple sur Brasilia, Berne ou Islamabad. Trouver une ville moins pluvieuse, plus au sud. Une ville à la campagne. Il jette alors son dévolu sur Imphy, village de la Nièvre, situé pile poil au centre de l’hexagone.

     « Imphy, moi je trouve que c’est parfait parce que y a de la place. Euh, le Sénat on va le mettre là ».

     Bien que Moullet envisage d’emblée un terrain pour le ministère de l’intérieur ou celui des finances, entre vaches et rivière, Imphy s’avère humide, froide, brumeuse, la première autoroute se situe à soixante bornes, les terrains sont trop marécageux pour construire des bâtiments publics et Nevers, ville historique du Parti Socialiste est trop proche pour qu’on accepte d’implanter le gouvernement juste à côté. On est qu’au tiers du film et déjà, Imphy, c’est du passé.

     Il sera ensuite question d’un ancien terrain militaire transformé en lieu de chasse à Avord, où Moullet imagine déjà la justice sur une île minuscule qui lui rappelle la géographie de Canberra. Mais pour Antonietta Pizzorno, qui l’accompagne comme elle l’accompagnait jadis sur Anatomie d’un rapport, et le fera plus tard dans La terre de la folie, Avord et Imphy même combat.

     Nous irons alors à Comtal, dans l’Aveyron car pour elle il faut aller au sud. Pour lui, ça n’a plus aucun sens : « on a fait tout ce chemin pour pas grand-chose, on peut pas dire que ce soit très folichon ici hein ». « Ah moi j’aime bien, il fait beau. Voilà ça va être ici la capitale, fini le film ! »

     Un peu à la manière d’une screwball comedy, le film devient une éternelle dispute sur le choix du lieu. La dimension comique et absurde chère à Moullet est toujours aussi efficace, même si ici on le sent plus paresseux, dans l’image et dans le texte, que sur bien d’autres tentatives. Mais l’idée est tellement géniale, le ton si caractéristique de son auteur, que de mon côté c’est un plaisir de bout en bout.

Portrait d’une jeune fille de la fin des années 60 à Bruxelles – Chantal Akerman – 1994

05. Portrait d'une jeune fille de la fin des années 60 à Bruxelles - Chantal Akerman - 1994Walk on the wild side.

   7.0   Au même titre que Us go home (Claire Denis), L’eau froide (Olivier Assayas) Travolta et moi (Patricia Mazuy), Les roseaux sauvages (André Téchiné) – cités dans mon ordre de préférence, je n’ai pas vu les autres encore – Portrait d’une jeune fille des années 60 à Bruxelles, fait partie de la collection Arte « Tous les garçons et les filles de leur âge » diffusée en 1994. Ce que j’aime dans cette collection qui m’est chère, c’est l’impact, la personnalité de son auteur qui en ressort à chaque fois. Chantal Akerman ne dérogera évidemment pas à la règle : ce film d’une heure, pas plus (certains ont toutefois connu des versions rallongées) c’est du pur Akerman.

     Une lycéenne décide de ne plus aller au lycée, elle déambule dans Bruxelles et fait la rencontre d’un déserteur. Pas de nostalgie de la reconstitution : le récit se déroule dans les années 60, mais son tournage ne cache jamais qu’il se situe dans les années 90. Ce n’est jamais cosmétique chez Akerman, ça fonctionne moins sur le décor que sur la respiration, la captation d’un état d’esprit, du langage. C’est le portrait d’une rêveuse, d’une époque en mutation. Un très beau film sur l’adolescence et sur Bruxelles. La séquence de chambre, dansée sur Suzanne, de Léonard Cohen est à chialer tellement c’est beau.

Jane B. par Agnès V. – Agnès Varda – 1988

14. Jane B. par Agnès V. - Agnès Varda - 1988« L’inconnue célèbre »

   5.0   « C’est pas grave si on perd le fil ? » Demande Birkin. « J’aime les labyrinthes » répond Varda. Ce jeu, cher à la cinéaste, se traduit bien souvent dans l’image autant que dans les mots. Un moment donné, elle dit passer du coq à l’âne, un travelling passera donc d’un coq à un âne. Il y a des idées en permanence. Néanmoins, le film se perd dans ses aléas variés. Il est bien plus beau, à mon avis, dans le dialogue qui se joue entre Birkin et Varda, occasionnant un double portrait qui se nourrissent l’un l’autre. Il est moins intéressant quand il s’agit de cumuler les petits sketchs de films / personnages que Birkin ne jouera jamais, d’un simili Laurel & Hardy à un récit d’aventure dans le désert, en passant par une dispute conjugale avec Léotard dans une galerie d’art à un rôle de Jeanne d’Arc. Mineur donc, pas grave tant j’apprécie tous les ponts que fait Varda, cette façon si ludique et vivifiante de faire dialoguer sa filmo de films en films.

Kung-Fu Master – Agnès Varda – 1988

05. Kung-Fu Master - Agnès Varda - 1988« T’as de beaux restes, tu sais ? »

   6.0   Comme à son habitude, les mots chez Varda sont beaux et cinglants : « on ne pouvait pas avoir l’air plus minable qu’il était et je l’ai trouvé magnifique ».

     Mary Jane est une mère célibataire d’une quarantaine d’années. Un jour, elle tombe sous le charme de Julien, un camarade de classe de sa fille de quatorze ans. Le garçon est fou d’un jeu sur une borne d’arcade, Kung-fu master, dans lequel il incarne un karatéka combattant des ennemis de niveau en niveau afin de délivrer une femme prisonnière. Mary Jane aussi voudra bientôt jouer.

     L’analogie clignote mais sans lourdeur. Borne d’arcade ou pas le jeu sera la thématique dominante : il y a aussi cette jolie scène de plage où Julien explique les règles de Donjons et Dragons à Mary Jane. Il y a toute cette dynamique inversée qui voit la femme en plein apprentissage. Et c’est finalement moins l’histoire d’une femme qui tombe amoureuse d’un adolescent que la quête nostalgique de sa jeunesse perdue. C’est très beau. Et le film navigue entre légèreté et gravité, avec l’angoisse du SIDA partout, en filigrane.

     Ce qui est très étrange et touchant aussi, c’est son aspect film de familles. Demy et Gainsbourg réunis. Puisque Jane Birkin y tourne avec ses deux filles, Charlotte Gainsbourg et Lou Doillon. Et Varda y fait jouer son fils, Mathieu Demy. Beau film.

Anatomie d’une chute – Justine Triet – 2023

03. Anatomie d'une chute, Justine TrietMirage manquant.

   9.0   L’ouverture d’Anatomie d’une chute agit en trois temps, trois secousses au moyen d’une temporalité qui s’avère assez floue. Tout d’abord, Sandra donne une interview dans le salon de leur chalet, pendant que son mari travaille vraisemblablement au grenier en écoutant la musique très forte. Ensuite, Daniel, leur fils de onze ans, est en train de promener le chien dans les montagnes. Et pour finir, le corps sans vie de Samuel est retrouvé par son fils, au pied du chalet. Que s’est-il passé ? Accident, suicide ou meurtre ? Il ne s’agit pas seulement d’une image manquante, d’un angle mort que le procès parviendra à éclaircir mais d’une vérité évaporée qui ne cessera de nous échapper. Il faut faire le deuil de la vérité pour établir une vérité, sa vérité.

     C’est un grand film sur le couple, d’une part. Sur « l’utopie égalitaire dans un couple » pour reprendre les mots de Justine Triet elle-même. Mais un film dans lequel, le réel conjugal, le visible, serait continuellement empêché, à l’image de cette toute première séquence qui raconte déjà quelque chose de leur quotidien sans clarifier ce qu’il en est. Il n’y aura finalement qu’une seule séquence de couple et là-aussi elle sera saisie par le prisme d’un filtre (d’une vérité, non de la vérité en somme) qui serait celui de la reconstitution visuelle d’une captation sonore. La langue raconte aussi beaucoup. Elle matérialise les problèmes au sein du couple, tout en le prolongeant au tribunal. C’est très beau d’assister à la vulnérabilité de Sandra lorsqu’elle délaisse le français pour repasser par l’anglais. Et pourtant le cœur du film est moins celui du couple, encore moins celui de la vérité, que la relation entre la mère et son fils, entre Sandra et Daniel. La confiance qui se délite entre eux, la distance qui se crée, le vertige de cette expulsion entre deux audiences puis le choix de la défense final.

     C’est aussi, bien sûr, un grand film de procès (peut-être le plus grand que j’ai pu voir). Sur l’impossible vérité. Les flashbacks racontent par ailleurs moins la vérité qu’une vérité, celle du point de vue, du souvenir voire de ce qu’on décide de se souvenir. La scène du père, en voiture, avec la voix du gamin superposant ses paroles c’est fantastique. Le film de procès convoque un genre, très classique, ce à quoi Anatomie d’une chute semble en permanence se refuser. C’est La vérité, de Clouzot, mais aussi Gone girl, de Fincher. C’est d’une grande complexité. Elle fait du mystère, de l’insoluble, son sujet.

     Il faut noter que cette affaire de vérité contamina aussi le tournage, puisque Sandra Huller (au moins aussi impressionnante que dans Toni Erdmann) tenait à savoir auprès de Justine Triet si son personnage était coupable ou innocent. La réponse était aussi claire (d’un point de vue pratique) qu’ambiguë (d’un point de vue moral) : « Il faut la jouer comme si elle est innocente ». On ne parvient parfois plus à discerner la vérité du mensonge du déni car tout y est flou : Son écrivaine mystérieuse, la mort suspecte de son mari et un enfant mal-voyant au milieu. Sandra est observée, scrutée de toute part, dans plusieurs langues, aussi bien son comportement conjugal que familial, dans ses ambitions professionnelles, mais aussi sa liberté sexuelle, ses éventuels remords, son étrange impassibilité voire ce qui se trouve même dans ses livres.

     Et c’est aussi, forcément, un grand film de mise en scène, avec des choix forts, radicaux, des idées de cinéma partout, renouvelant notre rapport au récit en permanence. Déjà, il y a deux espaces identifiés, deux lieux véritables : Un chalet et une salle d’audience. Un chalet que l’on découvre avec l’avocat. Un tribunal dans lequel on est projeté sans prévenir car l’ellipse ici est reine, elle renforce le mystère imposé par le récit. Le film ne sera jamais parasité par des scènes plus triviales ou attendues. Tout se concentrera dans ces deux lieux, qu’importe la temporalité.

     Parmi la kyrielle de superbes personnages qui parcourent le film, il y en a un qui cristallise notre rapport au film tout entier : L’avocat général est un personnage passionnant dans la mesure où il est haïssable (par le spectateur) en fonction de notre attachement à Sandra, de notre croyance en sa culpabilité ou non. Et la réussite du film se situe ici aussi : Notre point de vue ne cesse d’évoluer, de se modeler en fonction des nouvelles données, des différents témoignages, des incohérences. C’est la parole qui domine le récit.

     Le film est jalonné de très belles idées, fortes, tranchées, à l’image de celle de l’enregistrement audio et ce qui l’accompagne puis accapare l’image : Une scène de dispute, insoutenable. Un truc aussi puissant que les meilleurs moments de Jusqu’à la garde ou As bestas. Une scène d’autant plus troublante qu’elle semble être une projection parmi d’autres de ce qu’on entend. Cet enregistrement aurait pu n’être pourtant que sonore, nous priver d’images, nous placer dans la peau des jurés. Choisir de l’incarner de cette façon-là est un geste fort, parmi d’autres.

     On peut s’amuser à analyser chaque séquence mais s’il fallait n’en retenir qu’une seule, ce serait la toute première : tandis que Sandra reçoit une étudiante venue l’interviewer au sujet de son bouquin, son mari, hors champ à l’étage, écoute de la musique. L’idée de cette ritournelle inaugurale (PIMP de Bacao Rhythm & Steel Band) est formidable puisqu’elle agit par couches. Il y a d’abord son volume. Il y a ensuite sa répétition. Une scène de ménage passive, une façon de dire « je t’emmerde » et de pousser le procédé jusqu’au malaise. Et jusqu’à la scission elliptique. Cette ellipse concentrera tout le mystère autour du récit à venir, de la découverte du corps jusqu’à l’issue du procès, en passant par le flashback d’une dispute conjugale.

     Anatomie d’une chute fut un choc. Et pourtant Justine Triet et moi c’était compliqué depuis dix ans et (le magnifique) La bataille de Solferino : Je n’aime ni Victoria ni Sybil. Enfin je vois leurs qualités respectives,  mais j’y reste complètement hermétique. Là non. Il s’est passé quelque chose. Elle a franchi un cap. C’est un film vertigineux. Un long film mais dont la longueur est légitime. Un film hybride, qui révèle la puissance du hors-champ, la problématique de la langue, la violence du déballage (et donc de la destruction) d’une intimité conjugale, familiale le tout sans respecter ni la charte d’un film d’enquête, ni celui d’un film de procès. La culpabilité nous intéresse in fine moins que tout ce qui entoure les faits, les mystères qu’il révèle, la dissection d’un couple, d’une femme, l’ambivalence de la vie.

Vermines – Sébastien Vaniček – 2023

04. Vermines - Sébastien Vaniček - 2023La tour infernale.

   7.0   Pour être honnête, rien ne m’excitait plus en ce début d’année (ou cette fin d’année selon qu’on l’ait vu fin décembre ou début janvier) que ce premier film français, réalisé par Sébastien Vaniček (et co-écrit avec Florent Bernard) combinant huis clos dans un immeuble et invasion arachnoïde.

     C’est un super film. Qui m’a agrippé illico, dès son introduction au Maroc qui rappelle d’emblée les ouvertures de L’exorciste et Arachnophobie. Et qui prolonge cette fulgurance au sein de l’immeuble qui concentrera toute l’action du film, ainsi que dans la multitude de bestioles qui le peuplent, quand bien même le film joue aussi sur leur parcimonie, leur capacité de dissimulation. On pense bientôt davantage à Alien.

      On attendait des araignées, on en a. A l’intérieur d’une chaussure, d’un conduit d’aération, s’extirpant d’une fissure ou d’une bouche, se calfeutrant au plafond ou derrière des toiles. Elles sont partout. Numériques ou non (c’est très varié, d’un plan, d’une scène à l’autre) sont très réussies, flippantes. Et chaque personnage de ce petit groupe (car c’est avant tout un survival groupé) est intéressant, a une histoire, quelque chose à défendre. Le lieu aussi (les arènes de Picasso, à Noisy le grand) en impose : on ne sort pas de l’immeuble, de ces appartements, couloirs, escaliers, caves. C’est très fort.

      Il y a des choses que j’aime moins, soit tout l’esprit des violences policières qui tire le film vers un horizon disons plus social, façon Les misérables, alors que son essence c’est clairement le genre, la série B, physique et généreuse comme on l’aime. De manière générale, il me semble que le dernier quart est moins fort, plus brouillon, jusque dans cette dernière scène un peu à côté.

     Qu’importe, Vermines réussit suffisamment de choses pour oublier ce qui pêche. Il y a des séquences inouïes, à l’image de celle du couloir de la cave à traverser avant de rebrousser chemin. Il y a notamment un cri d’agonie, hors-champ mais vécu à travers les visages des autres, impuissants, qui m’a sidéré. C’est un vrai coup d’éclat, plein de promesses.

Acide – Just Philippot – 2023

37. Acide - Just Philippot - 2023Il pleut, il pleut, il brule.

   6.5   Ne serait-ce que pour la scène centrale du pont (y a vraiment cette idée de passage, de film coupé en deux, d’espoirs détruits) et son impressionnant mouvement de foule ainsi que sa résolution macabre, dans ce fleuve d’acide terrifiant, il faut voir Acide. Scène traumatisante pour moi. Je pense que je m’étais fait un autre film, au vu de ses premières minutes. Un film apocalyptique qui viserait dans le même temps celui de remariage. Acide sera beaucoup plus sombre que cela : Une course-poursuite, vers nulle part. La famille, dysfonctionnelle et disloquée, en sera le cœur battant, mais jamais pour détourner la dureté du récit. Tout est sombre à souhait, dès ces premières images de révolte (qui rappellent En guerre, de Stephane Brizé) jusqu’à la dernière, sur ce lit dans cet hôpital de fortune. Le temps en famille sera fait de désaccords et de cris tant il charrie un douloureux passé, une séparation probablement faite du même bois. Le soleil du film c’est une histoire d’amour, mais on ne la suivra que par téléphone ou visio, avant qu’elle ne disparaisse dans le néant. C’est très dark. Alors on pourra toujours gloser sur le réalisme de certaines situations. L’acide qui ronge des tôles et contamine des rivières mais qui n’a ni incidence sur les pneus ni les arbres, c’est un vrai problème. Ça m’a gêné certes mais j’y ai cru en tant que montre diluvien, sélectif, incompréhensible, quasi abstrait et surtout j’ai cru à tout le reste, que le film navigue dans les eaux de La guerre des mondes (en permanence) ou qu’il fasse du pied à The last of us (l’escale d’une nuit chez une femme et son enfant calfeutrés), il m’a semblé surtout très graphique dans le peu de moments où il ose s’aventurer. Le film s’est tellement fait éventré de partout je m’attendais à trouver ça à chier. C’est peut-être moins réussi que La nuée mais j’ai trouvé ça très bien, moi.

Les Rascals – Jimmy Laporal-Trésor – 2023

06. Les Rascals - Jimmy Laporal-Trésor - 2023Les guerriers de Paris.

   5.5   Paris, 1984. Chez un disquaire, une bande de jeunes banlieusards, multiraciale, reconnaît l’un des skinheads ayant tabassés trois d’entre eux quelques années plus tôt. Ils lui rendent la pareille, ouvrant la porte d’une somme de vengeances et règlements de compte tragiques et violents. Une scène de rixe en écho à celle d’origine (que le film offre en ouverture) qui intervient au tiers du film.

     Entre temps il s’agit de suivre le quotidien de cette bande, qui se fait appeler Les Rascals, blase jaune qu’ils arborent sur leurs blousons violets. Bonne idée mais cette présentation est trop laborieuse, trop concentrée sur deux d’entre eux, dont on peine d’ailleurs à comprendre qu’il s’agit probablement des gamins tabassés qui ouvrent le film.

     Par la suite et en parallèle, le film choisit de dessiner le portrait d’une fille qui n’est autre que la sœur de l’extrémisme repenti qui s’est fait tabasser. Très vite radicalisée néo-nazie la voilà en mission vengeresse. Mais pareil, elle peine à exister, comme si le réa voulait à la fois ne pas être manichéen et en faire un personnage, mais ne pas la traiter en tant que personnage pour rappeler son opinion. C’est un peu raté.

     La grande idée du film c’est son ancrage dans la réalité, qu’il appuiera par ailleurs via l’insert d’une archive. C’est la montée des skinheads néo-nazis soutenu par les théoriciens de la Fac de droit d’Assas, les bienveillantes policières et un JT qui mentionne uniquement la violence contre une jeune ado et non l’échange de violence globale. L’autre grande idée c’est son refus d’idéaliser ce petit monde, ni de le diaboliser d’ailleurs.

     Les acteurs sont un peu dans l’excès, annulant nombreuses scènes qui étaient au préalable réussies. Mais il y a de la personnalité, de l’engagement. Et c’est un premier long métrage. Bref, pour un West Side Story à la française, sans musique ni danse – quoique l’univers musical y ait aussi son importance – c’est plutôt pas mal. Très graphique, en plus.

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silencio


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