Archives pour mars 2024

Wild boys of the road – William A. Wellman – 1933

08. Wild boys of the road - William A. Wellman - 1933La ballade des sans-espoir.

   8.5   Une merveille totale, un pré-code inouï, très cru, très sec, c’est Les raisins de la colère version Wellman, qui s’intéresse à Tommy & Eddie, deux adolescents pendant la grande Dépression des années 30, qui se retrouvent sur les routes, dans les trains, d’un État à l’autre, parce que leurs familles sont en grande difficulté financière et qu’ils ne veulent pas accabler leurs parents. Ils rencontrent bientôt Sally à bord d’un train de marchandise et de nombreux autres compagnons de voyage, et deviennent des vagabonds en quête d’un petit boulot.

     Wild boys of the road (renommé chez nous Les enfants de la crise) symbolise presque les prémisses du film noir : La dérive vers la pègre devenant suite logique d’une jeunesse s’enlisant dans la pauvreté. Pas étonnant de la part de Wellman, juste après le superbe L’ennemi public, avec un James Cagney qui pourrait être le prolongement (le film se déroule à Chicago, ville vers laquelle les désœuvrés de Wild boys of the road vont) du personnage principal. La grande découverte c’est Frankie Darro. Il incarne Eddie et semble être une version rajeunie du même James Cagney qui campera aussi un Eddie bientôt dans une autre merveille, signée Raoul Walsh : Les fantastiques années 20.

     Le film est jalonné de séquences fortes, indélébiles. C’est hyper violent (Une rixe policière où s’affrontent les jets d’œufs et coups de matraques, mais aussi un viol, une amputation…) d’une grande noirceur et in extremis rattrapé par un happy end improbable et artificiel auquel on ne croit pas : après vérification il s’agit d’un épilogue imposé par les studios Warner en forme de propagande pour le New Deal de Roosevelt. Wellman est suffisamment intelligent et fort pour accepter cette concession masquée et intégrer une fin à laquelle le studio va croire mais à laquelle nous ne sommes dupes, comme pour montrer qu’il aurait fait tout l’inverse avec ce juge et sa vision gentiment paternaliste. Le dernier plan reste par ailleurs hyper ambigu et l’issue est de toute façon beaucoup trop abrupte pour se loger dans la continuité d’un geste aussi radical et sans espoir.

Le ravissement – Iris Kaltenbäck – 2023

31. Le ravissement - Iris Kaltenbäck - 2023Le bonheur.

   8.0   Il est à préciser d’emblée que Hafsia Herzi sera de tous les plans ou presque. Dès lors, impossible de ne pas vivre le film au diapason de Lydia, le personnage qu’elle incarne, aussi opaque cette silhouette au manteau rouge et à la chevelure noire restera-t-elle, de bout en bout.

Lydia est sage-femme. Le film s’ouvre sur deux évènements marquants la concernant. Tout d’abord elle se sépare de son compagnon de longue date, puis elle apprend que sa meilleure amie, Salomé, est enceinte. Quelques temps plus tard, elle fait la rencontre de Milos, un coup d’un soir. Plus tard encore, tandis qu’elle soulage son amie en se baladant dans l’hôpital avec son bébé, elle recroise Milos dans l’ascenseur, qui vient voir son père, malade. Comme guidée par un instinct de survie absurde, Lydia se fait passer pour la maman de l’enfant. Et la spirale du mensonge est enclenchée jusqu’au geste le plus désespéré et inexcusable.

Evidemment, présenté ainsi, on croirait voir un film au fort potentiel scénaristique, un peu cloisonné dans ses rebondissements improbables. Or c’est tout l’inverse qui se produit. D’abord car Le ravissement s’intéresse au quotidien de Lydia, notamment dans son consciencieux investissement en tant que sage-femme, mais aussi en captant sa dépression silencieuse, ses insomnies. Ensuite dans la gestion quotidienne de cette filiation clandestine, puisqu’il s’agit pour Lydia de déployer une double vie, dont l’une d’elles serait celle qu’elle a fantasmée et qu’elle partagera avec Milos. Et pour finir car si tout se joue au travers du regard de Lydia, le film établi une proximité bouleversante aussi bien avec Salomé, qui gère difficilement son post partum qu’avec Milos, qui prend son nouveau rôle très à cœur – alors qu’il avait préalablement été clair avec Lydia dans sa volonté d’une relation sans lendemain – en plus d’être notre guide, puisqu’il joue le rôle du narrateur rétrospectif.

Iris Kaltenbäck raconte avoir été marquée par Le ravissement de Lol V. Stein, de Marguerite Duras. Elle en reprend donc un peu de son titre, en plus d’en extirper la parole intérieure : Chez Duras, il s’agissait de conter la vie imaginée d’une femme en plein déni de chagrin, à travers les yeux d’un homme. Dans le film d’Iris Kaltenbäck, ce sera la voix off de Milos qui nous guidera. Une parole appuyée sur des faits et acceptant l’impossibilité de comprendre les émotions et comportements de Lydia.

En résulte un film complètement casse-gueule dans la mesure où la carapace de Lydia ne sera jamais percée. C’est un film très doux et paradoxalement très angoissant. Un grand film sur la solitude et les désillusions de la vie. C’est un premier long métrage et c’est un film magnifique au sein duquel scintillent trois étoiles, Hafsia Herzi, Alexis Manenti, Nina Meurisse et brille de mille feux la réalisation si singulière, élégante et vibrante (citons uniquement la scène incroyable de l’accouchement ou tout simplement le plan final bouleversant) d’Iris Kaltenbäck, dont on reparlera forcément très vite.

Le grand chariot – Philippe Garrel – 2023

09. Le grand chariot - Philippe Garrel - 2023De la survie des marionnettes.

   7.5   Phillipe Garrel est en rupture avec ses précédents films. Ne serait-ce que dans l’utilisation de la couleur, qu’il avait délaissée depuis le très faible Un été brulant (2011).

     Il y a dans Le grand chariot, un fantasme un peu morbide qui consisterait à assister à son propre enterrement. Il y a l’ambiguïté de l’amour pour son art – ici le théâtre de marionnettes, qui fait aussi référence à son père, Maurice Garrel – et du dégout pour cet héritage forcé qui se referme sur les enfants comme un piège duquel il sera compliqué pour certains de s’extraire. Les enfants par ailleurs incarnés par… Louis, Esther & Lena Garrel.

     Pourtant, je ne m’y attendais pas vraiment (ses derniers films me touchaient moins) le film m’a bouleversé. D’abord dans son portrait de générations au sein de cette famille de marionnettistes, de cette troupe, qui déjà fait perdurer les morts : en théorie l’art d’un père (Maurice, donc) et en fiction celui d’une femme, disparue, dont l’ombre est partout, en tant que fille, épouse ou mère.

     Le film m’a eu sur un plan de coupe déchirant. En effet on voit au début beaucoup de ces représentations de marionnettes du point de vue des coulisses, qu’ils s’agissent d’ailleurs de répétitions ou de réelles représentations devant des enfants, l’idée est de rester au cœur de cette troupe, de cette fabrication. Un moment donné le plan saisit les visages des enfants, une classe probablement. Et on se dit alors qu’il manque le plan permettant de cadrer ce que les enfants voient : les marionnettes sans les marionnettistes. Et Garrel nous l’offrira quand on ne l’attendra plus en y injectant un drame qu’on n’attendait pas non plus.  

     Le geste est minimaliste, simpliste dirons d’autres. Il y a quelque chose de totalement désuet là-dedans, aussi, de quasi anachronique – si l’on excepte certains détails de dialogues (sur les Femen, notamment) ou vestimentaires, le récit pourrait se dérouler dans les années 70 qu’on y verrait que du feu – mais d’une telle sincérité et d’une telle naïveté à l’œuvre, que ça me touche énormément.

     Il y a des gros plans d’une douceur inouïe, celui sur le fermoir du bracelet ou celui sur le visage d’Esther Garrel qui dort. Il y a une scène incroyable, celle de l’orage. Il y a aussi ce personnage quasi fantomatique de la grand-mère, qui malgré la maladie, porte encore la passion de cet héritage familial et le désir de révolte. Sans cesse, devant Le grand chariot (beau film de fantômes) je revois, repense nombreux de ses précédents films, qui se font échos en permanence, cette fragilité, cette mélancolie habituelles, qui habite aussi ce personnage ingrat, peintre maudit, en hommage à Frédéric Pardo, jadis ami proche du cinéaste. 

     Je ne reviens pas sur la polémique autour des accusations envers le cinéaste, bien sûr il faut en parler, il faut que les paroles se libèrent, que les vérités éclatent, mais ça n’enlèvera jamais ce que je pense de son cinéma. C’est sans doute un salaud, c’est aussi un immense cinéaste. Voilà, j’ai vu pile la moitié des films de Garrel. Je rêve de voir les autres.

May december – Todd Haynes – 2024

???????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????Piège ouvert.

   7.0    J’aime beaucoup. Mais d’une part je l’ai vu dans la foulée de Pauvres créatures, je devais être assez rincé et/ou rassasié et encore un peu plongé dans l’univers baroque de Yorgos Lanthimos, il m’a donc fallu du temps pour entrer dans le film. Et d’autre part j’adore tellement tout ce que j’ai vu de Todd Haynes jusqu’ici (il m’en manque toutefois quelques-uns) que May december m’apparaît clairement un cran en dessous.

     Quoiqu’il en soit, cette histoire d’actrice rendant visite à une famille jusqu’à s’immiscer dans leur quotidien, afin d’effectuer des recherches en vue du rôle qu’elle va incarner dans le film relatant leur histoire d’amour tumultueuse ayant alimenté la presse à scandale vingt ans auparavant, m’a peu à peu fasciné. Il est à préciser qu’est dit « May-December » une relation marquée par la différence d’âge.

     Si à l’instar de Dark Waters, le matériau de base s’avère être un fait divers, on retrouve surtout le Haynes obnubilé par Sirk sur lequel plane ici le spectre bergmanien, celui de Persona et Les communiants. Mais c’est bien à Safe qu’on songe le plus et le fait d’y retrouver Julianne Moore dans un rôle à la fois similaire et tout à fait opposé, n’est évidemment pas étranger à cette sensation.

     Quand elle avait 36 ans, Gracie est tombée amoureuse et enceinte d’un gamin de cinquième, qu’elle a fini par épouser, entre nombreuses démêlés judiciaires. Une histoire folle mais vraie, que Haynes va dynamiter en parachutant cette actrice dedans, plus de vingt ans après les faits, alors qu’elle se retrouve avoir l’âge que Gracie avait à l’époque et a côtoyé son mari, qui est donc toujours le garçon en question, et qui a lui aussi dorénavant son âge.

     C’est un film brillant, absolument vertigineux, que Haynes par sa mise en scène comme d’habitude, complexe, inspirée, peinera pourtant à rendre émouvant, voulant à tout prix jauger chaque personnage sans vraiment choisir un angle. Les passions respectives, commerce de gâteaux pour l’une, vivarium de chrysalides pour l’autre, fascinent moins que leurs dénis contradictoires. Quant aux personnages plus secondaires, on peine à les voir exister et à saisir leurs fêlures, c’est très bizarre.

     On en sort donc un peu paumé. Avec cette impression qu’on connaît in fine aucun d’entre eux, qu’on ne s’est attaché à aucun d’entre eux – ce qu’il fait de plus beau se joue avec le personnage du père, je crois mais il m’a manqué quelque chose. Et pourtant son ambiance feutrée reste. Cette maison notamment, à la fois magnifique et angoissante. Et c’est aussi un plaisir de revoir Julianne Moore chez Haynes, accompagnée de Natalie Portman. Elles sont toutes deux géniales.

     Tous les papiers reviennent sur l’étrange musique du film, un réarrangement du morceau de Michel Legrand pour Le Messager (repris pour Faites entrer l’accusé) qui revient tel un leitmotiv mystérieux, je ne m’y attarde pas, tout simplement car je n’ai pas vu le film de Losey et je n’étais pas un spécialiste de l’émission jadis présentée par Christophe Hondelatte. Quoiqu’il en soit, ce thème répété confère au film une atmosphère particulière, de l’ordre de la gravité parodique ou de la tragédie légère, c’est curieux. Je le reverrais bien.

La ligne générale (Generalnaïa Linïa ou Staroye i Novoye) – Sergueï Eisenstein & Grigori Alexandrov – 1929

01. La ligne générale - Generalnaïa Linïa ou Staroye i Novoye - Sergueï Eisenstein & Grigori Alexandrov - 1929Un avant-poste du progrès.

   8.0   Quand on pense cinéma de propagande et Sergueï Eisenstein ressort souvent (et à juste titre) Le Cuirassé Potemkine ou La Grève. Or, existe-t-il un manifeste plus précis, plus fou, plus fascinant que La ligne générale ?

     Via une charte marxiste claire, le quatrième film du cinéaste soviétique est un brûlot politique visant à montrer les bienfaits de la collectivisation des terres agricoles, une ode aux machines nouvelles, au soulèvement du peuple.

     Au préalable Eisenstein s’attache à décrire le quotidien miséreux des paysans exploités par les koulaks, de façon proche du documentaire. Puis l’idée d’une coopérative naît, la colère gronde, le mouvement se met en place.

     Marfa, une jeune paysanne, devient la cheffe de révolte du village et crée un kolkhoze. Les vaches sont partout. Du lait coule en abondance. Une écrémeuse leur permet à tous de s’enivrer de crème blanche, le sourire béat. Ça devient quasi orgiaque. Visuellement le film est dingue. Son montage, merveilleux.

Pitfall – André De Toth – 1949

14. Pitfall - André De Toth - 1949Un moment d’égarement.

   7.0   John Forbes se réveille un matin et réalise que sa petite vie paisible et bien huilée de mari, père de famille et employé d’assurance se levant et se couchant toujours à la même heure, l’emmerde. Tandis que ce jour-là il traîne avec lui une mine désabusée du simple mortel conscient de sa mort à venir, le voilà rendant visite à une certaine Mona Stevens, la compagne d’une petite frappe qui s’est faite pincée, afin de saisir les biens achetés par son client avec l’argent détournés à sa compagnie. Habituellement, Forbes, employé modèle, aurait scrupuleusement rempli son dossier afin d’établir la saisie. Mais d’une part il ne mentionne pas le petit bateau, ce que Mona « aime le plus au monde ». D’autre part, il la revoit, s’amourache d’elle et se retrouve bientôt menacé par un détective (qu’il avait engagé pour la retrouver) jaloux, un mari sur le point de sortir de prison et sa propre conscience. Lui qui souhaitait de l’animation dans sa vie, c’est plutôt réussi.

     C’est un beau film noir, avec une intrigue aussi claire que minimaliste. Avec trois hommes épris d’une femme, fatale à l’épure et malgré elle. Si l’on retient Raymond Burr, qui incarne Mac, une petite raclure de privé pathétique et cynique absolument dégueulasse, c’est surtout les deux rôles féminins traversant le film qui marquent : La voix rauque de la blonde Lizabeth Scott et la force tranquille de la brune Jane Wyatt, qui campe l’épouse de l’assureur paumé. Surtout c’est un film noir à la fois traditionnel dans sa mécanique et très différent dans son récit, plus resserré sur l’intime, à l’image de la présence essentielle du petit garçon et de ses cauchemars récurrents. Il y a vraiment le portrait d’une petite bourgeoisie fissurée de partout avec cette fin qui n’en est pas vraiment une… « On essaiera… » Très beau. D’André de Toth je ne connaissais que le sublimissime La chevauchée des bannis. Merci beaucoup Arte (encore) pour cette découverte.

La rue rouge (Scarlet street) – Fritz Lang – 1947

34. La rue rouge - Scarlet street - Fritz Lang - 1947Peinture perverse.

   7.0   Après Jean Renoir, Lang réadapte La chienne, le roman de Georges de la Fouchardière. L’histoire d’un meurtrier ordinaire, caissier sans histoire et peintre naïf qui fait la rencontre d’une femme dans Greenwich village : elle le prend pour un riche artiste, il en fait sa muse, elle profitera de lui – avec l’aide d’une raclure de compagnon secret – et le dévorera jusqu’à l’humiliation. C’est un univers impitoyable, pervers sur lequel règnent en maître un couple d’arrivistes sans scrupules. Christopher Cross se voit dépossédé de tout, jusqu’à son propre crime. Il n’aura plus que des voix cauchemardesques pour l’accompagner. Edward G. Robinson est magnifique.

At sea – Peter Hutton – 2007

10. At sea - Peter Hutton - 2007Valse de cargo.

    7.0   Il faut savoir que Peter Hutton fut jadis marin sur des cargos marchands. S’ils font partie intégrante de son cinéma, aussi singulier soit-il, ce n’est pas un hasard. Or les cargos n’ont jamais vraiment été ses sujets, que l’on songe à Study of a river ou bien à Time and tide : ils sont un lointain mouvement dans l’un ou un véhicule à plans dans l’autre.

     At sea sera entièrement consacré à la vie de ces cargos puisqu’il s’agit de filmer, trois années durant, la naissance, la vie, la mort d’un porte-conteneurs. C’est d’abord un chantier naval coréen, des ouvriers, affairés à construire, peindre la coque, l’hélice d’un vaisseau si immense qu’il les rend minuscules. C’est finalement un cimetière de démantèlement bangladais où les cargos sont abandonnés. Entre ces deux pôles, le bateau et ses conteneurs hauts en couleurs, navigue, voyage au gré des vagues, des pluies, des jours et des nuits.

     Une fois encore il faut penser les bruits des soudages et des grues, des remous et des vents, des hommes s’affairant autour de lui, pour lui donner vie ou mort.

     Je tenais à remercier Kelly Reichardt qui avait dédié son magnifique film First cow à Peter Hutton, qui venait de mourir. Ça m’avait rendu curieux de découvrir ce cinéma dont j’ignorais tout. Cinq ans plus tard, j’aurais vu sept films et donc fait une belle découverte, dans la lignée d’un Benning, dispositif sonore en moins. Hâte d’en voir d’autres.

Time and tide – Peter Hutton – 2000

05. Time and tide - Peter Hutton - 2000On board.

   6.0   Cette année-là (2000) sortit deux films avec le même titre. Deux Time and Tide très différents. Il y a celui de Tsui Hark et celui de Peter Hutton, dont on parle évidemment moins, mais qui a ma préférence, quand bien même ce ne soit pas celui de ses essais méditatifs qui me passionne le plus.

     Il me semble que le film navigue (je choisis ce terme à dessein) dans trop de directions (à l’image de son ouverture accélérée en noir et blanc), qu’il lui manque des transitions, qu’il me manque la compréhension de son découpage.

     Je retiens de très beaux plans d’hublots, un train sur la rive, un plan obstrué par des gouttes d’eau. Et un bateau. Quel que soit le récit, narratif ou non, ça reste la chose la plus cinématographique à mes yeux, un bateau.

     C’est une fois encore une passionnante réflexion contemplative et silencieuse sur l’horizon, la lumière, la vallée, à travers le voyage d’un remorqueur qui arpente l’Hudson river.

Dune, part two – Denis Villeneuve – 2024

40. Dune, part two - Denis Villeneuve - 2024L’amer de sables.

   5.5   C’est tout d’abord plaisant, dans le domaine du blockbuster, d’avoir une suite logée dans la continuité plastique du premier film. Je n’ai pas revu le Dune de Villeneuve, mais j’ai eu la sensation de retrouver l’univers que j’avais laissé y a de cela deux ans et demi. D’un côté ça me plaît, qu’il y ait un code visuel respecté, une patte de cinéaste – qu’on va retrouver aussi chez un Cameron pour prendre le meilleur exemple – et d’un autre côté je dois dire que le film m’a peu surpris, je l’ai vu (bien) dérouler son programme, bien disposer ses pions, ses ruptures de tons, bien chorégraphier ses scènes d’action sans les faire trop durer, éviter les tunnels de parlotte ou l’humour lourdingue inhérent au genre.

     Tout y est à sa place, sans faute de goût. Ça m’aurait plu d’avoir un truc plus imparfait, plus sale, plus abstrait, peut-être. Ça tient aussi au fait que l’histoire m’intéresse à peu près autant qu’une course de bagnoles, et dans ces cas là j’ai besoin d’être impressionner par la forme (Villeneuve séduit à de nombreuses reprises, sur un plan, une trouée, une apparition, un pic de violence) mais surtout par la matière organique qu’il charrie, qui m’a un peu déçu. Trop de petites machines d’appel noires, pas assez de bêtes de sables, pour résumer. Ou plus simplement trop de Hans Zimmer, pas assez de vent.

     C’est vraiment un film de designer. Un film tellement peu organique (Lynch en avait fait quelque chose de sale, de bizarre, Villeneuve en tire un truc lisse, sans relief, au diapason du baron) qu’il ne parvient jamais à offrir la sensation du désert. Dans le même ordre d’idée, les acteurs, les personnages, les visages, tout parait interchangeable. Le film ira même jusqu’à désexualiser la matière érotique de ses interprètes : Thimothy Chalamet était un corps dans Call me by your name. Là il ne reste qu’une enveloppe.

     Me restent pourtant des choses intéressantes, paradoxalement la séquence de l’arène Harkonnen en noir, gris et blanc – la plus fidèle représentante de cette deshumanisation totale, pourtant le geste formel en impose – ou ces curieuses sorties de sables des Fremen et de beaux morceaux de bravoure : La séquence avec la moissonneuse dont on va se servir de l’ombre de ses bras métalliques pour la pulvériser.

     D’autres trucs me semblent raté à l’image de la première chevauchée du vers géant par Paul Attréide. Si la séquence ne parvient jamais à procurer l’ivresse de chevaucher un ver géant, la construction de cette scène en elle-même est plutôt bien troussée mais c’est tout ce qui englobe ce rite initiatique qui manque de souffle (le voyage nocturne dans le désert, où est-il ?) et souffre d’une ellipse très pratique et d’un manque de glissement vers cette dernière épreuve. Pareil ensuite : Moi ce qui me manque c’est de voir comment on monte sur ce vers ultra rapide et comment on y descend. Il s’arrête en gare ? Il y a un frein à main ? J’ai besoin de voir ça. Mais le film prend soin de l’ellipser.

     Ce qui m’a plutôt séduit en revanche c’est ce récit d’affrontement permanent entre prophétie et pragmatisme, entre fondamentalistes et sceptiques, bref un regard tout à fait contemporain. Lucidité et scepticisme qui habitent entièrement Chani, personnage le plus profond. Villeneuve s’applique à nous mettre de son côté, de bout en bout. Je ne sais pas si son rôle est si emblématique dans le roman d’Herbert mais elle est à mes yeux le cœur battant de cette suite.

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