L’amer de sables.
5.5 C’est tout d’abord plaisant, dans le domaine du blockbuster, d’avoir une suite logée dans la continuité plastique du premier film. Je n’ai pas revu le Dune de Villeneuve, mais j’ai eu la sensation de retrouver l’univers que j’avais laissé y a de cela deux ans et demi. D’un côté ça me plaît, qu’il y ait un code visuel respecté, une patte de cinéaste – qu’on va retrouver aussi chez un Cameron pour prendre le meilleur exemple – et d’un autre côté je dois dire que le film m’a peu surpris, je l’ai vu (bien) dérouler son programme, bien disposer ses pions, ses ruptures de tons, bien chorégraphier ses scènes d’action sans les faire trop durer, éviter les tunnels de parlotte ou l’humour lourdingue inhérent au genre.
Tout y est à sa place, sans faute de goût. Ça m’aurait plu d’avoir un truc plus imparfait, plus sale, plus abstrait, peut-être. Ça tient aussi au fait que l’histoire m’intéresse à peu près autant qu’une course de bagnoles, et dans ces cas là j’ai besoin d’être impressionner par la forme (Villeneuve séduit à de nombreuses reprises, sur un plan, une trouée, une apparition, un pic de violence) mais surtout par la matière organique qu’il charrie, qui m’a un peu déçu. Trop de petites machines d’appel noires, pas assez de bêtes de sables, pour résumer. Ou plus simplement trop de Hans Zimmer, pas assez de vent.
C’est vraiment un film de designer. Un film tellement peu organique (Lynch en avait fait quelque chose de sale, de bizarre, Villeneuve en tire un truc lisse, sans relief, au diapason du baron) qu’il ne parvient jamais à offrir la sensation du désert. Dans le même ordre d’idée, les acteurs, les personnages, les visages, tout parait interchangeable. Le film ira même jusqu’à désexualiser la matière érotique de ses interprètes : Thimothy Chalamet était un corps dans Call me by your name. Là il ne reste qu’une enveloppe.
Me restent pourtant des choses intéressantes, paradoxalement la séquence de l’arène Harkonnen en noir, gris et blanc – la plus fidèle représentante de cette deshumanisation totale, pourtant le geste formel en impose – ou ces curieuses sorties de sables des Fremen et de beaux morceaux de bravoure : La séquence avec la moissonneuse dont on va se servir de l’ombre de ses bras métalliques pour la pulvériser.
D’autres trucs me semblent raté à l’image de la première chevauchée du vers géant par Paul Attréide. Si la séquence ne parvient jamais à procurer l’ivresse de chevaucher un ver géant, la construction de cette scène en elle-même est plutôt bien troussée mais c’est tout ce qui englobe ce rite initiatique qui manque de souffle (le voyage nocturne dans le désert, où est-il ?) et souffre d’une ellipse très pratique et d’un manque de glissement vers cette dernière épreuve. Pareil ensuite : Moi ce qui me manque c’est de voir comment on monte sur ce vers ultra rapide et comment on y descend. Il s’arrête en gare ? Il y a un frein à main ? J’ai besoin de voir ça. Mais le film prend soin de l’ellipser.
Ce qui m’a plutôt séduit en revanche c’est ce récit d’affrontement permanent entre prophétie et pragmatisme, entre fondamentalistes et sceptiques, bref un regard tout à fait contemporain. Lucidité et scepticisme qui habitent entièrement Chani, personnage le plus profond. Villeneuve s’applique à nous mettre de son côté, de bout en bout. Je ne sais pas si son rôle est si emblématique dans le roman d’Herbert mais elle est à mes yeux le cœur battant de cette suite.