Piège ouvert.
7.0 J’aime beaucoup. Mais d’une part je l’ai vu dans la foulée de Pauvres créatures, je devais être assez rincé et/ou rassasié et encore un peu plongé dans l’univers baroque de Yorgos Lanthimos, il m’a donc fallu du temps pour entrer dans le film. Et d’autre part j’adore tellement tout ce que j’ai vu de Todd Haynes jusqu’ici (il m’en manque toutefois quelques-uns) que May december m’apparaît clairement un cran en dessous.
Quoiqu’il en soit, cette histoire d’actrice rendant visite à une famille jusqu’à s’immiscer dans leur quotidien, afin d’effectuer des recherches en vue du rôle qu’elle va incarner dans le film relatant leur histoire d’amour tumultueuse ayant alimenté la presse à scandale vingt ans auparavant, m’a peu à peu fasciné. Il est à préciser qu’est dit « May-December » une relation marquée par la différence d’âge.
Si à l’instar de Dark Waters, le matériau de base s’avère être un fait divers, on retrouve surtout le Haynes obnubilé par Sirk sur lequel plane ici le spectre bergmanien, celui de Persona et Les communiants. Mais c’est bien à Safe qu’on songe le plus et le fait d’y retrouver Julianne Moore dans un rôle à la fois similaire et tout à fait opposé, n’est évidemment pas étranger à cette sensation.
Quand elle avait 36 ans, Gracie est tombée amoureuse et enceinte d’un gamin de cinquième, qu’elle a fini par épouser, entre nombreuses démêlés judiciaires. Une histoire folle mais vraie, que Haynes va dynamiter en parachutant cette actrice dedans, plus de vingt ans après les faits, alors qu’elle se retrouve avoir l’âge que Gracie avait à l’époque et a côtoyé son mari, qui est donc toujours le garçon en question, et qui a lui aussi dorénavant son âge.
C’est un film brillant, absolument vertigineux, que Haynes par sa mise en scène comme d’habitude, complexe, inspirée, peinera pourtant à rendre émouvant, voulant à tout prix jauger chaque personnage sans vraiment choisir un angle. Les passions respectives, commerce de gâteaux pour l’une, vivarium de chrysalides pour l’autre, fascinent moins que leurs dénis contradictoires. Quant aux personnages plus secondaires, on peine à les voir exister et à saisir leurs fêlures, c’est très bizarre.
On en sort donc un peu paumé. Avec cette impression qu’on connaît in fine aucun d’entre eux, qu’on ne s’est attaché à aucun d’entre eux – ce qu’il fait de plus beau se joue avec le personnage du père, je crois mais il m’a manqué quelque chose. Et pourtant son ambiance feutrée reste. Cette maison notamment, à la fois magnifique et angoissante. Et c’est aussi un plaisir de revoir Julianne Moore chez Haynes, accompagnée de Natalie Portman. Elles sont toutes deux géniales.
Tous les papiers reviennent sur l’étrange musique du film, un réarrangement du morceau de Michel Legrand pour Le Messager (repris pour Faites entrer l’accusé) qui revient tel un leitmotiv mystérieux, je ne m’y attarde pas, tout simplement car je n’ai pas vu le film de Losey et je n’étais pas un spécialiste de l’émission jadis présentée par Christophe Hondelatte. Quoiqu’il en soit, ce thème répété confère au film une atmosphère particulière, de l’ordre de la gravité parodique ou de la tragédie légère, c’est curieux. Je le reverrais bien.