Le bonheur.
8.0 Il est à préciser d’emblée que Hafsia Herzi sera de tous les plans ou presque. Dès lors, impossible de ne pas vivre le film au diapason de Lydia, le personnage qu’elle incarne, aussi opaque cette silhouette au manteau rouge et à la chevelure noire restera-t-elle, de bout en bout.
Lydia est sage-femme. Le film s’ouvre sur deux évènements marquants la concernant. Tout d’abord elle se sépare de son compagnon de longue date, puis elle apprend que sa meilleure amie, Salomé, est enceinte. Quelques temps plus tard, elle fait la rencontre de Milos, un coup d’un soir. Plus tard encore, tandis qu’elle soulage son amie en se baladant dans l’hôpital avec son bébé, elle recroise Milos dans l’ascenseur, qui vient voir son père, malade. Comme guidée par un instinct de survie absurde, Lydia se fait passer pour la maman de l’enfant. Et la spirale du mensonge est enclenchée jusqu’au geste le plus désespéré et inexcusable.
Evidemment, présenté ainsi, on croirait voir un film au fort potentiel scénaristique, un peu cloisonné dans ses rebondissements improbables. Or c’est tout l’inverse qui se produit. D’abord car Le ravissement s’intéresse au quotidien de Lydia, notamment dans son consciencieux investissement en tant que sage-femme, mais aussi en captant sa dépression silencieuse, ses insomnies. Ensuite dans la gestion quotidienne de cette filiation clandestine, puisqu’il s’agit pour Lydia de déployer une double vie, dont l’une d’elles serait celle qu’elle a fantasmée et qu’elle partagera avec Milos. Et pour finir car si tout se joue au travers du regard de Lydia, le film établi une proximité bouleversante aussi bien avec Salomé, qui gère difficilement son post partum qu’avec Milos, qui prend son nouveau rôle très à cœur – alors qu’il avait préalablement été clair avec Lydia dans sa volonté d’une relation sans lendemain – en plus d’être notre guide, puisqu’il joue le rôle du narrateur rétrospectif.
Iris Kaltenbäck raconte avoir été marquée par Le ravissement de Lol V. Stein, de Marguerite Duras. Elle en reprend donc un peu de son titre, en plus d’en extirper la parole intérieure : Chez Duras, il s’agissait de conter la vie imaginée d’une femme en plein déni de chagrin, à travers les yeux d’un homme. Dans le film d’Iris Kaltenbäck, ce sera la voix off de Milos qui nous guidera. Une parole appuyée sur des faits et acceptant l’impossibilité de comprendre les émotions et comportements de Lydia.
En résulte un film complètement casse-gueule dans la mesure où la carapace de Lydia ne sera jamais percée. C’est un film très doux et paradoxalement très angoissant. Un grand film sur la solitude et les désillusions de la vie. C’est un premier long métrage et c’est un film magnifique au sein duquel scintillent trois étoiles, Hafsia Herzi, Alexis Manenti, Nina Meurisse et brille de mille feux la réalisation si singulière, élégante et vibrante (citons uniquement la scène incroyable de l’accouchement ou tout simplement le plan final bouleversant) d’Iris Kaltenbäck, dont on reparlera forcément très vite.