Donnie Darko – Richard Kelly – 2002

12. Donnie Darko - Richard Kelly - 200228 jours plus tôt.

   9.0   Revu grâce à la magnifique édition Carlotta. Donnie Darko m’avait marqué, ado, il me semble l’avoir vu trois fois, très vite. Et puis je l’ai un peu oublié. Je pensais que ça ne fonctionnerait plus. Je me suis repris une claque. D’autant que je l’ai d’abord revu dans son director’s cut, soit avec vingt minutes supplémentaires et un montage un peu différent, et le film est plus fou ainsi, fragile et déchirant.

     C’est une fable. Une sorte de récit d’initiation focalisé sur un adolescent plus ou moins schizophrène, qui consulte une thérapeute et qui lors d’une crise de somnambulisme, rencontre un lapin qui va lui sauver la vie en échappant à un mystérieux accident, de réacteur tombé d’un avion sur sa chambre.

     Mais une fable très réaliste, qui parle de l’Amérique, du malaise adolescent, du fossé générationnel. Une fable dans laquelle il s’agit d’ancrer le récit dans une banlieue pavillonnaire, aussi idéalisée qu’effrayante. On retrouve dans le début de Donnie Darko quelque chose de l’ouverture du Blue Velvet, de David Lynch.

« Wake up ! »

     La première scène de repas de famille est formidable tant elle ne raconte rien d’autre qu’un trouble, générationnel et identitaire, mais elle est prise dans une sensation de routine. On y mange goulument des pizzas, tout en parlant politique (« I’m voting for Dukakis » s’exclame la sœur ainée) en s’insultant, entre frères et sœurs, par des combinaisons de jurons inédites. Il y a l’idée géniale, très actuelle, d’une famille républicaine libérée sur l’évocation de la politique et la sexualité.

     Il y a aussi le choix des années 80. La reconstitution n’est jamais outrancière aussi bien dans l’image, les objets, les vêtements, l’utilisation musicale. On est loin du mimétisme nostalgique d’un Stranger things, par exemple. Donnie Darko semble plutôt naviguer hors du temps, c’est sans doute pour cela qu’il est encore si fort aujourd’hui, que le temps n’a pas vraiment d’incidence sur lui. C’est aussi un film de voyage temporel, jalonné par un livre fictif « La philosophie du voyage dans le temps » dont on voit d’ailleurs des extraits, de chapitres, de pages en surimpression dans le director’s cut.

     La dimension fantastique dans le film de Richard Kelly est telle qu’elle menace de faire écrouler tout l’édifice, ce qui le rend si fragile, si beau. Il y a des portails temporels, des tentacules liquides (qui ne sont pas sans rappeler les serpents de mer d’Abyss, de James Cameron) qui précèdent les déplacements des personnages, un lapin géant et mystérieux qui annonce une fin du monde imminente : dans 28 jours, 6 heures, 42 minutes et 12 secondes, plus précisément. Et un gamin qui doit sauver sa communauté de l’apocalypse en reliant deux dimensions et en se sacrifiant.

28.06.42.12.

     Le premier film de Richard Kelly fonctionne aussi parce qu’il est relativement fauché. Qu’il y a un super-héros (ce patronyme déjà : Donnie Darko) mais qu’on ne voit jamais ses supers-pouvoirs. Donnie serait clairement une sorte de messie. Après tout, quand il sort du cinéma dans lequel il est allé voir Evil Dead, avec Gretchen, on découvre qu’en second programme le cinéma diffuse La dernière tentation du christ, de Martin Scorsese.

     Le film adopte le point de vue de la marge, symbolisé par Donnie mais pas uniquement : Il s’agit de se méfier des imprécateurs comme le gourou Jim Cunningham (qu’on découvrira pédophile) ou la prof de gym Kitty Farmer (qui l’a soutenu) afin de privilégier les voix dissonantes, celle d’une psychiatre ou de professeurs éclairés, et ceux en marge que l’on moque (Cherita, l’immigrée en surpoids) ou que l’on délaisse (Grand-mère-la-mort).

     J’aime que le film préserve ses zones mystérieuses, même pour des choses apparemment anodines comme la relation entre Mlle Pomeroy (Drew Barrymore) et Mr Monnitoff (Noah Wyle) : on sait qu’ils sont ensemble, qu’il existe un lien fort entre eux, mais on le voit qu’au travers de leurs regards échangés et bien entendu au cours de la fameuse séquence finale sous Mad World, et son panoramique de personnages absolument bouleversant.

     La tragédie du 11 septembre plane sur le film, qui est pourtant sorti avant (au festival de Sundance, en janvier 2001) puis juste après (sortie nationale en octobre). La création dans la destruction, vantée par Graham Greene (dans la version longue) et reprise par Donnie dans la salle de classe, c’est clairement l’idée qui ne serait pas passée à l’étape du scénario après une telle catastrophe. Mais il y fait écho c’est indéniable. Et pire que cela : Il fait presque office de miroir de deux évènements traumatiques de l’Amérique : les attentats du World Trade Center donc, et le massacre de Columbine. Sans doute ceci explique l’échec commercial du film. Pourtant, quel film américain capte mieux son époque que Donnie Darko au début des années 2000 ?

 « Le destin, contre ta volonté, contre vents et marées, attendra que tu te donnes à lui »

     Richard Kelly est alors un très jeune réalisateur. Il n’a que vingt-quatre ans. Donnie Darko est son premier long-métrage. C’est un vrai geste de premier film, spontané, marqué pourtant d’une maturité impressionnante, en ce sens que si l’enrobage utilise l’héritage 80’s – les banlieues de Spielberg, les personnages de Lynch, le geste d’un Zemeckis, le remplissage musical, les nombreux ralentis – l’énergie, elle, semble bien de son époque. C’est un film sur une Amérique en pleine gueule de bois, une jeunesse dépressive, autant menacées par les conspirateurs et autres influenceurs toxiques, que marquées par des troubles du sommeil et des fantasmes sexuels refoulés.

     Je me rends compte que Richard Kelly me manque énormément. Il n’a rien fait depuis quinze ans.

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