The Brutalist – Brady Corbet – 2025

19. The Brutalist - Brady Corbet - 2025Mémoires d’un architecte.

   8.0   Étrange, la sortie et réception de ce film. Déjà j’ai lu ou entendu peu d’avis nuancé : on en fait un monument ou un pensum, d’un article / podcast à l’autre. J’ai l’impression aussi que le film est un peu écrasé sous son marketing : sa bande annonce, son affiche, les notules dithyrambiques qui l’accompagnaient faisaient presque état de film monstre, du chef d’œuvre de l’année dès février. Bon j’imagine que cela convient bien à Brady Corbet, qui était un réalisateur (deux films pas même sortis en France) et acteur (des seconds rôles dans Snow Therapy ou Melancholia notamment) très confidentiel jusqu’alors.

     Forcément j’y allais moi aussi avec ces attentes et craintes-là. Peur de voir une grosse machine parfaite et sans âme. On le comparait à du Paul Thomas Anderson, à du Kubrick, du David Lean. Mais déjà quelque chose intriguait d’emblée : son budget, considérable pour un film indépendant, microscopique pour une fresque de cette ampleur narrative, n’allait pas dans le sens de ces louanges monumentales. Mais après tout, Voyage au bout de l’enfer coûtait quinze millions de dollars. Heaven’s gate, autre merveille de Cimino à laquelle on pourrait davantage comparer The Brutalist, en avait coûté trois fois plus. Bref, Brady Corbet fait sa fresque avec beaucoup d’ambition, narrative et formelle, mais peu de moyens. Et c’est très beau de voir que le film s’inscrit malgré tout dans une veine monumentale ou plutôt qu’il est bâti comme un grand film, tourné en pellicule et en Vistavision. Très beau d’assister à un faux biopic, entièrement inventé mais inspiré de plusieurs figures historiques.

     En tout cas il en évoque beaucoup, des films amples. Impossible de ne pas penser au Pianiste, par exemple – présence d’Adrien Brody, en rescapé des camps, oblige. Pas impossible non plus de songer, le temps d’une ouverture incroyable, au Nouveau monde, de Terrence Malick. Et pourquoi ne penserait-on pas à Il était une fois en Amérique ? Au Rebelle, de Vidor ? Il y a de l’ampleur partout, dans chaque recoin, mais déployée à l’économie, tout le temps, c’est très beau. Une scène, à l’image de cette humilité et de cette puissance globale, m’a impressionné : celle du train. Elle nous arrive en tant que séquence onirique : le couple vient de s’endormir, le plan est lointain, la photo vaporeuse. C’est probablement un rêve, enfin un cauchemar. Un train de marchandises serpente le paysage : Dans l’imaginaire collectif et plus encore dans celui du film, difficile de ne pas songer aux trains des déportés juifs. Or, ce long plan nous emmène ailleurs. Le train se perd dans la brume, disparaît puis explose. On n’en voit qu’une lueur de flammes dans l’imposant brouillard. C’est très beau mais c’est un peu gratuit, c’est ça ? Pas du tout : quelques instants plus tard on apprend que le chargement qui devait arriver sur le chantier ne viendra pas à cause d’un accident de train. Et le film fait cela en permanence, on croit qu’il raconte ceci mais il raconte aussi cela, il a une densité folle et un minimalisme assez déroutant pour déployer cette densité.

     Si c’est un monument, c’est le plus humble de tous, à mon avis. Et cette humilité est aussi contenue dans son issue, un épilogue inattendu, situé dans les années 80, habitée par une image vidéo très disgracieuse, une écriture un peu faible, un maquillage grossier, mais ce qu’il transmet de façon aussi évanescente (c’est clairement un anti-twist) c’est la raison même de l’édifice d’une vie. Je trouve cela très fort de finir ainsi, de finir un tel film, monumental ou besogneux selon ce que certains en disent, par ce tube disco de La Bionda. Qui fait cela à part, je ne sais pas, Weerasethakul dans Cemetery of splendor ? Surtout quand on sait quels morceaux déments composés par Daniel Blumberg accompagnent le film (dont on apprendra au générique final qu’il est dédié à Scott Walker) et notamment cette ouverture et cet interlude.

     Parlons d’ailleurs de ces deux autres instants qui me hantent. L’ouverture avant tout, qui m’a sidéré. Au point d’être un peu déçu ensuite avant que le film ne parvienne par bribes à me récupérer sans me lâcher. Cette première séquence nous emmène dans la pénombre d’une cale d’un bateau. Mais au préalable on n’est pas certain de ne pas être dans les trains vers les camps. En réalité on débarque en Amérique. La première image de l’extérieur c’est cette statue de la liberté. Mais elle est à l’envers. Sans doute une manière de prendre le rêve américain pour ce qu’il est, une illusion. La métaphore est claire et appuyée mais elle fait contrepoint avec l’inconnu absolu dans lequel on est d’abord immergé. Toujours est-il que l’on débarque aux côtés de Lazlo Toth, cet ancien élève de l’école Bauhaus, qu’on ne lâchera plus. Et si le film est empreint de l’horreur de la Shoah (le film ne s’ouvre et se ferme pas par hasard sur le visage de la fille) à l’image de cette introduction, on n’en verra pas une image. C’est dire si déjà, Corbet ne joue pas la carte sensationnaliste.

     Et plus tard, au mitan du film il y a cet entracte. Que certains jugent prétentieux, que de mon côté je trouve tout à fait dans la mouvance humble du film. Ce n’est pas tant pour faire à la manière de ces grandes fresques d’époque que pour nous inviter à souffler, nous éviter le bloc qu’un Damien Chazelle (avec Babylon, autre œuvre somme) n’hésitait lui, pas à nous imposer. Durant cet entracte, accompagné par une partition de Blumberg & Tillbury, l’écran est orné d’une photo de famille et accompagné d’un décompte de quinze minutes. C’est aussi une place de choix dans la narration : Il intervient juste avant l’arrivée de la femme et de la fille de Lazlo Toth en Amérique.

     Il y aura bien un avant et un après cet entracte. Le film est plus dissonant dès lors, plus tâtonnant, plus problématique aussi : il y a des suppléments de scénario (le viol suggéré, le viol frontal, le règlement de compte de la Toth) qui n’étaient peut-être pas utiles, qui appuient ce qu’on avait déjà compris, ce rapport de domination que le récit avait minutieusement et plus discrètement construit. Et paradoxalement c’est sans doute la partie que j’ai préféré : les mines de Carrera, l’édification du centre, la scène de repas chez les Toth, l’évaporation de Van Buren. Le film aurait pu durer encore et encore, j’étais dedans, en lévitation. Bref je ne sais pas si c’est immense ou monumental mais puissant et vertigineux, ça oui.

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