De l’autre côté.
6.0 Ce fut une expérience éprouvante au moins durant la première heure, insupportable première partie (le film en contient trois) : j’ai failli me tirer à plusieurs reprises. J’avais l’impression de voir un film qui souffle le chaud et le froid en permanence, qui se la joue ici Godard et là Sorrentino, si j’ose dire. L’enfer.
Or l’heure suivante a presque racheté la précédente tant j’ai enfin ressenti le projet de Nadav Lapid. Un projet impossible, de raconter Gaza et le 7 octobre, sans le filmer. Tant la fiction ne pourra jamais être aussi terrifiante que la réalité.
C’est l’histoire d’un pianiste raté improvisé clown, qui avec sa compagne danseuse, amuse les riches (la scène d’ouverture est incroyable) et qui sera embauché pour composer le nouvel hymne national à la gloire du peuple israélien et pour l’éradication de la Palestine.
Il faut déjà dire combien ce personnage m’insupporte. Je n’ai pas du tout envie de passer deux heures et demie avec lui. Avec la petite crise existentielle, morale et artistique de quelqu’un qui a toujours choisi la soumission, le oui aux puissants et au fascisme. J’ai encore moins envie de suivre ce couple, avec leur bébé. Ce spectre de l’intime au milieu d’un génocide en cours m’exaspère.
L’idée c’est de filmer cette prostitution artistique au sein de l’obscénité absolue des ultra-riches. Et c’est filmé à l’obscénité aussi : trois plombes et autant de plans sur des léchages d’oreilles ou de bottes, couilles ou anus de milliardaires, à se fister des morceaux de viande dans le gosier. Jusqu’à cette scène à Gaza : il y a un plan à faire. Pas quinze. Pas avec notre type en amorce qui crie cet hymne génocidaire. Il y a une outrance dans son cinéma, sans doute pour se mettre au diapason d’Israël, certes, mais qui me semble systématiquement annuler sa puissance d’évocation.
Malgré tout, c’est un film courageux, à la fois un film sur les événements du 7 octobre et sur l’absurde vengeance génocidaire entreprise ensuite par le gouvernement Netanyahou et de cet âme collective anti palestinienne symbolisée ici par une (vraie) vidéo de propagande génocidaire chantée par des gamins.
Il y a une idée par plan. Un peu comme lorsque le visage de ce riche entrepreneur se transforme en écran de télévision. Comme ces notifications de bombardements qu’on vient intégrer uniquement par la bande son. Comme cette scène dans l’imprimerie où Y fait lire l’hymne (pour l’extermination de Gaza) à la femme noire qui y travaille. Elle lit dans sa tête puis le regarde et dit « Amen ». Il y a des scènes très fortes dans Oui. Inutile d’évoquer ce plan séquence en voiture, arrimé aux soubresauts de la route, sur le monologue de cette femme, qui liste quantités de drames du 7 octobre.
La deuxième partie, intitulée « le chemin » se déroule sur la route entre Tel-Aviv et Gaza et s’étire sur 55 minutes soit le temps exact qui sépare le trajet en voiture entre Tel-Aviv et Gaza. Il s’agit d’une retrouvaille. L’intime est encore là mais il prend une forme nettement plus frontale et ambiguë. Oui m’a alors passionné. Aussi en tant que film sur la force du hors-champ.
Mieux, il reste, nous habite, un peu à la manière de Synonymes (le précédent film de Nadav Lapid) auquel j’avais longtemps repensé après la séance sans toutefois l’aimer entièrement. Difficile de pas y voir la radicalité du geste, les fulgurances visuelles et sonores, la tentative de nous happer dans son magma et son chaos.
Mais je reste dubitatif sur le projet. Ça reste quand même très problématique de faire une fiction israélienne à l’intérieur d’un déni ou d’un mal-être israélien. Impossible donc de savoir si j’apprécie le film (j’admire son courage, je crois) ou si je le déteste (tant je crois qu’il est une impasse artistique et morale).
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