La mort en direct.
7.5 C’était probablement le Boisset qui me faisait le plus de l’œil, depuis très longtemps. Une sorte de film-fantasmé pour lequel j’étais toujours passé au travers.
C’est un film d’anticipation qui se déroule dans une ville européenne indéterminée (tourné entre Paris et Belgrade, cela crée un mélange franco-yougoslave des plus étonnants) à une époque tout aussi indéterminée.
S’y déroule un jeu télévisé très populaire aux règles simples : il permet à son participant d’empocher un million de dollars s’il parvient à échapper à ses cinq poursuivants qui ont pour mission de le tuer durant ce temps imparti.
Le film s’ouvre sur le dernier épisode diffusé en direct par l’émission phare devant lequel un type est traqué et se fait abattre froidement dans la baie, à coup de rames et de chaînes. Nous n’avons pas encore le contrechamp de ce spectacle et avons momentanément l’impression d’assister à une séquence d’action lambda au préalable – avec des gens qui applaudissent ici et là, créant d’emblée une anomalie – avant qu’elle ne dérive vers le pur lynchage. Quelque chose cloche.
Le type (le héros du programme ?) est mort. Comme les précédents, apprendra-t-on plus tard. On apprendra aussi que les traqueurs sont des gens volontaires, un casting savamment embauché sur leur envie, leur besoin, d’en découdre jusqu’à ce que mort du traqué s’ensuive. Une sorte de défouloir exceptionnellement autorisé leur permettant d’évacuer leur colère quotidienne, assouvir leurs pulsions criminelles refoulées.
Le film navigue de l’émission aux coulisses, les producteurs implacables et cyniques (discutant part de marché) supplantant un présentateur charmeur et exubérant, tous plus ignobles les uns que les autres (Cremer & Piccoli, du pain béni), manipulateurs et populistes, jusque dans leur fausse ambiguïté : le personnage incarné par Marie-France Pisier, absolument mémorable. Ajoutez à cela des publicités ciblées et œuvres humanitaires pour se donner bonne conscience afin de parfaire un tableau immonde de télévision poubelle.
Le média télévisuel fait alors office de toute puissance ultraviolente au diapason d’une société qui peut enfin libérer son désespoir et sa colère : les pauvres ont un moyen de s’en sortir, les riches (et pauvres jaloux) un moyen de leur faire payer cet opportunisme.
Gérard Lanvin incarne l’un de ces personnages traqués, chômeur désespéré persuadé que ses aptitudes lui permettront d’empocher le pactole. Mais le jeu est évidemment truqué : on retarde l’échéance en créant de faux personnages de bons samaritains afin de faire durer le spectacle et les producteurs peuvent sur un coup de fil faire en sorte que le héros s’en sorte ou pas.
Boisset aura toujours été un cinéaste de la satire, livrant pamphlets sur pamphlets de notre société contemporaine, capitaliste et totalitaire. Le prix du danger est probablement l’un de ses plus incisifs brûlots politiques. Pas le plus subtil, évidemment mais d’une efficacité redoutable, quelque part dans la roue du Rollerball, de Norman Jewison et de Squid game avec quarante ans d’avance.
Il paraît que Dewaere devait incarner le rôle tenu par Lanvin. Lanvin est bon, hein, le rôle lui va à merveille, mais bordel j’aurais adoré voir ce que pouvait donner Dewaere là-dedans.
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