Au cœur des ténèbres.
Ça s’est joué à pas grand-chose. J’ai réécouté Chelsea Girl l’autre jour, ça m’arrive régulièrement – Très honnêtement, je pense pouvoir dire qu’il fait partie de mes disques préférés, quoiqu’en ait pensé Nico plus tard, regrettant notamment la présence de la flûte. J’ai tout de suite pensé que si je devais extraire un morceau de cet album absolument divin, ça se jouerait entre It was a pleasure then (qui déraille et annonce un peu sans le savoir les futurs expérimentations de la chanteuse) et The Fairest of the saisons, soit les sublimissimes quatre minutes qui ouvrent l’album, belles à en pleurer. Evidemment que tout l’album est de cet acabit mais l’ouverture ça reste l’ouverture, le métronome, le guide, c’est fondamental.
J’ai alors réalisé que si j’aimais aussi beaucoup mais pour des raisons bien différentes Desertshore, l’album qui suivit son passage chez les Velvet Underground, album qui témoigne de sa rencontre avec Philippe Garrel, de sa vie de maman, c’est aussi parce que, là aussi, son ouverture est déchirante. Janitor of Lunacy. Chair de poule obligatoire quand t’entend les premières notes d’harmonium puis la voix sépulcrale de Nico. Je me souviens avoir entendu pour la première fois ce morceau dans L’eau froide, d’Assayas. Il avait éclipsé tous les autres, de Dylan, Joplin, Cohen.
J’en profite pour dire que bon nombre de morceaux de cette liste de 100 proviennent du cinéma, puisqu’il m’aura permis de découvrir tout un tas de belles choses, aura parfois orienté mais envies mélomanes. Dans Desertshore, il y a d’ailleurs John Cale qui est aux arrangements et y joue de plusieurs instruments. Impossible pour moi, ne serait-ce que sur les premières notes de Piano d’Afraid de ne pas songer au chef d’œuvre de Garrel, Le vent de la nuit. Tout se rejoint.
J’ai donc réécouté Desertshore, dans la foulée de Chelsea Girl. C’est un album incroyable, mais plus difficile à apprivoiser – quoique moins difficile que The Marble Index, à mon avis. Le folk du premier, et ses fins arrangements de cordes et de flutes, a disparu. On peut tomber en larmes en l’écoutant comme on peut passer complètement au travers, tout dépend du moment, de l’humeur, c’est un peu comme avec le White light, white heat des Velvet underground. Plus avant-gardiste, Desertshore est une plongée sous harmonium dans la détresse d’une femme, d’une mère, d’une junkie. Un album d’errance dans le désert des ténèbres, d’une tristesse sans nom.
Et j’aime énormément The Falconer, morceau plus classique, qui semble faire le pont entre Chelsea Girl et Desertshore, rien d’étonnant puisqu’il s’adresse directement à Andy Warhol. J’aime la cassure éphémère en son centre, le piano qui surplombe l’harmonium, qui semble apporter de la douceur dans les jours sombres, qui finissent par revenir en fin de morceau. Quand j’écoute When, morceau éponyme du chef d’œuvre de Vincent Gallo, je pense systématiquement à The Falconer, tant ils semblent tous deux être le miroir inversé de l’autre.
Sitôt qu’on en saisit l’ampleur dramatique, c’est le plus beau disque du monde, qui en plus m’évoque certaines merveilles de Dead Can Dance ou Coil à venir. Je pense beaucoup à Desertshore en écoutant Horse Rotorvator, notamment grâce à Babylero (qui évoque la comptine Le petit chevalier) mais aussi sur Abscheid et Mütterlein. Les deux morceaux utilisés dans La cicatrice intérieure, de Garrel, le film tout en haut de la liste des films que je rêve de voir. Et pour revenir à The Falconer, parait-il qu’on peut l’entendre dans un autre film de Philippe Garrel, Le lit de la vierge. Autre film que je rêve de découvrir.
En écoute ici :
https://www.youtube.com/watch?v=7QZu8FrzgpU