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L’emploi du temps – Laurent Cantet – 2001

Aurelien-Recoing-in-Time--001Time out.

   10.0   C’est bien simple, je considère ce film comme absolument parfait. Il y a une telle gravité dans cette errance, ce mensonge sans fin, et beaucoup d’empathie pour le personnage. A l’image de son premier plan, L’emploi du temps est un film en voiture. Pas un road-movie classique avec point A et point B mais un long chemin circulaire qui n’appelle que cassure. C’est sans issue. Cette sensation parcourait déjà Ressources humaines, son précédent long-métrage, mais il y avait un espoir, bien cadenassé, qu’il fallait se donner la peine d’aller chercher, mais il existait bel et bien.

     Toutes les portes sont bouclées dans L’emploi du temps. Pourtant l’on respire, même davantage que dans ses autres films. Le cadre permet cette respiration. Pas de société vue de l’intérieur, ni de salle de classe quotidienne, ici on est dehors, on voyage, on gesticule géographiquement, on trace des lignes et des cercles, on y voit la neige. Cantet filme la solitude. Les dérives de la société de compétition sur les familles. Le mensonge comme unique possibilité de survie provisoire. L’engagement illégal illusoire puis réel comme unique porte de sortie.

     Un père de famille, cadre dans une entreprise dans laquelle il travaille depuis onze ans, se retrouve du jour au lendemain sans travail. Refusant d’accepter cette situation et la confrontation avec sa famille, il s’invente un nouveau boulot complètement fictif en Suisse. D’allers-retours en allers-retours il se rend vite compte qu’il va avoir besoin d’argent. Il s’invente alors un marché boursier dans un pays de l’Est et trouve une clientèle qui balance leurs chèques. Cet homme s’enferme progressivement dans une spirale qu’il ne contrôlera bientôt plus du tout. C’est la seconde fois que Cantet filme le bouleversement intime, familial de cette manière là. Tendu comme un polar. J’en suis ressorti complètement anéanti. Le dernier plan est l’un des trucs les plus violents – alors qu’il ne s’y passe que dialogue – qu’il m’ait été donné de voir. 

Shoah – Claude Lanzmann – 1985

Shoah - Claude Lanzmann - 1985 dans * 100 shoah_2

Toute la mémoire du monde.   

     10.0   Claude Lanzmann est à la recherche de faits, il veut connaître la vérité, les points de vue, lutter contre l’oubli. Les personnages de son film seront les acteurs ou les spectateurs de cette tragédie, vieille à l’instant du tournage, d’une trentaine d’années. Un homme qui a travaillé dans les camps et fait partie des survivants. Puis d’autres hommes, d’autres femmes, dans d’autres camps. Lanzmann n’a pas de limites. Même si Treblinka semble être celui sur lequel il se penche le plus dans ce premier temps, les autres camps sont évoqués, sans cesse. Il y aura l’interview d’un ancien SS innocenté à son procès. Puis des spectateurs qui ont contribués ou non. Ce conducteur de train, qui se souvient avoir pénétré Treblinka dans sa locomotive deux à trois par semaines pendant un an et demi, avec de la vodka pour acheter son silence. Ces paysans qui voyaient les wagons bondés passer sous leurs yeux et continuaient de travailler leurs terres soient en baissant la tête soient en montrant un geste de la mort, tentant de prévenir les passagers.

     Lanzmann ne cherche pas à faire de reconstitution imagée. Nous devons nous l’imaginer cette reconstitution, grâce aux paroles de ces personnages et grâce aux images des lieux dont il ne reste que nature. C’est avec une extrême délicatesse, une grande pudeur que ses images nous traversent. Elles ne sont pas là, à l’écran, mais bien là dans ce que l’on voit, ce que l’on imagine. Rien de banal, rien de superflu, le cinéaste, aidé très souvent de son assistante pour la traduction, demande des précisions, veut entrer dans les moindres détails et capter cette douleur, cette monstruosité. Projection temporelle douloureuse par le lieu. Dans une séquence Claude Lanzmann veut savoir à quel instant il est à l’extérieur d’un camp, à quel instant il y entre. Il y entre, il y sort, comme ça plusieurs fois. C’est sa façon à lui de capter la vérité d’un lieu.

     Lanzmann n’est pas le journaliste qui chercherait la superficialité d’un souvenir. Il cherche la vérité en profondeur. A certains instants son ton peut monter car il n’est pas satisfait, il ne considère pas sa requête réalisée. Il revient sur des mots, sur des gestes, n’hésitant pas à plonger dans la mémoire de ses vis à vis même si ça leur fait du mal. Le sentimentalisme n’existe pas dans le Shoah de Lanzmann, il s’en débarrasse à chaque fois. Ce sont les faits qui l’intéressent, rien d’autres. Je crois que c’est ce qui m’a le plus frappé ici. Cette impression d’être face à une œuvre immense, qui saisirait exactement ce qu’il fallait saisir de cette tragédie du 20e siècle.

     Si la première partie était davantage centrée sur les voyages au camp, la seconde évoque directement les camps, la solution finale puis l’absence. Petit village de Grabow qui a subi lui aussi une rafle de juifs en direction de Sobibor. Le cinéaste questionne les habitants à propos du départ des juifs, des changements qu’il occasionne, des camions à gaz, des fosses, de cette solution finale intervenue en 1942. On y longera des routes, entièrement silencieuses désormais, en reproduisant les trajets en camions du lieu de rafle jusqu’aux fosses. Nous entrerons dans un four crématoire à l’abandon. Les Polonais interrogés parleront de leurs relations difficiles avec les juifs à l’époque. Quelques hommes diront que les femmes juives, extrêmement jolies, leur manquent. Une polonaise avouera le bonheur de sa nouvelle vie tout en ne se prononçant pas sur la shoah. Je ne préfère rien penser, dira t-elle, mais ma vie est meilleure maintenant qu’avant la guerre. Pensez-vous que c’est le départ des juifs ou le socialisme qui en est la cause, lui demandera Claude Lanzmann. D’une même manière un couple est interviewé, un couple avec une belle maison, qui autrefois appartenait aux juifs. Je ne sais pas s’il y a de la haine dans ces villages là mais il y a comme un mal aise. On n’ose en parler car il n’y a pas plus grande tragédie que la Shoah, mais l’on sent un village plein d’amertume et de honte aussi quelque part.

     C’est avec ce survivant avec lequel le film a commencé, Simon Srebnik, le garçon chanteur, que cette première époque va se clôturer. On y verra une sortie d’église dans le village de Grabow. On parlera de cette église, de sa traversée du temps, du lien qu’elle entretenait avec les juifs du village à l’époque. Un homme évoquera la pensée d’un ami à lui, considérant cette tragédie comme la vengeance du christ, presque 2000 ans plus tard. Mais je ne suis pas de cet avis, dira t-il. Plus qu’un chercheur du moindre détail, Claude Lanzmann recherche le sentiment de la majorité. Que pensent les gens qui ont contribués, selon leur volonté ou non, à cette tragédie ? Et que pensent ceux qui au fin fond de leur campagne, de leurs villages, ont été témoin de l’événement, de façon lointaine ou non, sans réaction ? Dans cette partie il y a un mot qui frappe plus que les autres. Je crois que c’est une femme interrogée qui le dit à plusieurs reprises. Espoir. Lanzmann se demande comment l’on peut se laisser emporter vers la mort sans broncher, et quels sont les facteurs qui le permettent. Espoir. Certains tenteront des choses, des évasions, en vain, tous fusillés sur-le-champ. Espoir. Celui finalement de se dire que ne rien faire est l’unique porte de sortie. Il en aura fallu des morts avant de l’entrevoir cette lumière de sortie.

     Il y a dans cette partie trois interventions majeures : Un nazi du terrain, dans un prolongement de la partie précédente. Un nazi seulement bureaucrate. Et un coiffeur.

     Franz Suchomel raconte son quotidien lorsqu’il avait pour mission d’emmener hommes et femmes au pas de course dans les chambres à gaz. Il explique aussi que les hommes étaient, du moins dans ce camp, toujours exécutés les premiers, donc les femmes attendaient, en entendant les cris de leurs maris. Lorsque les nazis allaient chercher ces femmes, elles avaient évacué, il y avait des excréments partout. Car, dit-il, quand on sait qu’on va mourir, on a peur et on évacue, par-devant ou par derrière, c’est ainsi. Il parle aussi du déblaiement des cadavres post gazage. Qu’ils tombaient comme un bloc de pierre. Nombreux s’étaient dirigés vers la porte, qui restait l’unique espoir de sortie. Etant donné que les gaz attaquaient par-dessous, certains grimpaient sur les autres pour chercher en hauteur l’oxygène qu’ils ne trouvaient plus au sol. On trouvait, dit l’homme, des enfants avec des cranes déchiquetés à l’ouverture des chambres, devenues silencieuses. C’est en porte-parole de faits que cet homme intervient. Lanzmann ne le juge jamais, c’est tout à son honneur.

     Il y a donc aussi cet homme qui n’était que simple bureaucrate. Franz Schalling travaillait sur les horaires des trains alors qu’il n’en n’avait jamais vu un seul. On apprendra qu’entre Cracovie, lieu de rafle et Auschwitz il y avait près de vingt heures de trajet alors que les conditions dans les trains étaient irrespirables. Cet homme nous apprendra qu’il n’avait pas idée de ce à quoi ils étaient destinés tous ces voyages que lui-même organisait. De simples camps de concentration, pensait-il. Il n’était, lui aussi, comme beaucoup d’autres, qu’un pion. Mais un pion qui a participé comme acteur à cette tragédie.

     Tout comme ce malheureux coiffeur, que l’on est venu chercher dans son village. Que l’on a emmené à Treblinka afin qu’il fasse les coiffures des femmes juste avant leur entrée dans les chambres à gaz. D’une part cela contribuait à leur donner un peu d’attention pour qu’elles ne se doutent de rien – alors qu’elle savait pour la plupart ce qui les attendait, dit-il – et d’autre part les cheveux étaient envoyés en Allemagne. Qu’avez-vous ressenti dans ces moments, lui demande Lanzmann. Que peut-on ressentir, demande t-il ? On ne ressent pas, on en ressentait plus. Puis il raconte qu’il voyait de temps à autres des gens qu’il connaissait de son village. Des gens qui le reconnaissaient. Là l’homme s’arrête de parler, terrassé par l’émotion. Il faudra bien attendre deux bonnes minutes pour que le cinéaste lui demande de poursuivre, qu’il en a le devoir, qu’il lui demande de lui pardonner mais qu’il est dans l’obligation de le faire. C’est probablement l’instant du film qui m’a le plus bouleversé. Le besoin de le dire, de tout dire. Ce n’est pas de la curiosité. Ce n’est pas pour faire beau, ni même pour foutre tout ça dans un manuel d’histoire. Ce sont les mots de la vérité. Les mots qui permettront de ne jamais oublier.

     « Je comprends Mr Lanzmann. Je vais le faire. C’est un témoignage pour l’histoire ».Les mots de Jan Karski, résistant polonais, résument à eux seuls le pourquoi de l’existence d’une telle œuvre. Avant de se lancer, l’homme aura pleuré, il aura hésité avant de parler puis il aura surmonté cela. Pour l’histoire. Comme c’était le cas pour Abraham Bomba, ce coiffeur, Filip Müller et tant d’autres. Il n’est pas simple d’évoquer des faits et des souvenirs de sa mémoire, pourtant c’est bien ce qu’il y a de plus vivant, de plus éternel pour se rappeler. Au début de Sobibor, 14 octobre, 16 heures – Que Lanzmann a tourné en même temps qu’il tournait Shoah, mais qu’il ne voulait intégrer dans l’œuvre car il pensait que cette histoire de révolte, unique dans un camp d’extermination, devait voir le jour dans un autre film qui parlerait uniquement de cet événement – le cinéaste explique que musées et commémorations en tout genre participent autant à l’oubli qu’à la mémoire, qu’écouter une réalité dans la bouche de quelqu’un qui l’a vécu est beaucoup plus marquant, plus persistant. Apparemment il a vu juste.

     Et puis il y a cette interview avec le docteur Frank Grassler, à l’époque commissaire dans un ghetto de Minsk. Le dialogue est quelque peu houleux entre lui et le cinéaste. Il y a comme deux volontés différentes. Celle de dédramatiser, ou plutôt d’éviter la question chez le docteur. Et celle de chercher les aveux d’un tueur, même indirectement chez le cinéaste. Il s’agissait d’un ghetto où s’entassaient les corps par centaines. L’autogestion a bien fonctionné. Autogestion vers la mort. On tuait deux milles juifs par jour. Oui mais il y’en avait beaucoup aussi. C’est un dialogue de sourds. En fait je pense que Lanzmann veut simplement qu’il n’oublie pas. Surtout lui, il n’en a pas le droit.

     Shoah est un film d’une clarté hallucinante. Chaque parole a sa respiration. On y prend le temps d’écouter. On y prend le temps de regarder. Lorsqu’un intervenant se tait un moment, on attend qu’il reprenne. Il capte un instant clé de l’histoire comme aucun film n’avait su le faire. Un documentaire hors norme contre l’oubli.

     Il faut voir Shoah mais aussi les trois films qui le suivent et sont tout aussi importants comme des compléments à l’œuvre.

     Un vivant qui passe, entretien unique avec Maurice Rossel, ancien officier de l’armée suisse, qui avait été envoyé pendant la guerre à Berlin comme délégué du comité international de la Croix rouge. Ici on cherche à comprendre le sentiment d’un homme aveuglé, complice de l’asservissement. Lanzmann ne lui fait pas de cadeau. D’abord discret il n’hésite pas ensuite à le bousculer. Ce n’est pas le plus simple à regarder. Il n’y a que très peu d’images de l’extérieur, seulement cet entretien face caméra. On étouffe sans doute un peu. Pourtant c’est édifiant.

     Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures, entretien unique avec Yehuda Lerner, ancien déporté qui a participé à la seule révolte réussie d’un camp d’extermination nazi. Ce film est très particulier car il raconte vraiment un fait précis. Son avant et son après. Le récit de cet homme est passionnant. C’est comme assister à la naissance d’une violence en réponse à une autre violence. A un massacre comme unique solution pour éviter un autre massacre. Lors de son évasion l’homme termine en disant qu’il courrait à travers un bois, que ses jambes ont lâchés, qu’il s’est écroulé de fatigue et s’est endormi. Lanzmann choisi de lui-même – il n’intervient que rarement durant ses trois ‘petits’ films, précisons-le – d’arrêter son film à cet instant.

     L’affaire Karski, représente la partie de l’intervention de Jan Karski, résistant polonais, et sa rencontre avec le président Roosevelt. Séquence n’appartenant pas à l’ensemble Shoah – trop lourd pensait Lanzmann – que le cinéaste se devait de sortir en un docu unique en réponse à la polémique autour de l’ouvrage de Haenel. Cet écrivain qui selon Lanzmann falsifie l’histoire en proposant un récit fictionnel pour agrémenter les propos du résistant. C’est en laissant parler cet homme, durant un peu moins d’une heure sur notre écran, que Lanzmann lui répond. Il avait besoin d’entendre la vérité. De faire entendre la vérité. Lanzmann avait prévenu : « la vérité sortira de la bouche même de Karski, le 17 mars 2010, lorsque sera diffusée, sur Arte, une séquence tournée fin 1978, non montrée dans Shoah et où Karski raconte, avec sa voix à lui, son entrevue avec Roosevelt ».

A bout de course (Running on empty) – Sidney Lumet – 1988

A bout de course (Running on empty) - Sidney Lumet - 1988 dans * 100

Cavale sans issue.     

   10.0   Pendant la période cinématographique la plus creuse, et probablement même la pire année de cinéma en terme qualitatif, il sortait tout de même une pépite. Miracle d’un grand cinéaste américain qui n’en était pas à son coup d’essai mais qui selon moi inaugurait une force émotionnelle si puissante, étant resté cantonné jusqu’ici à un cinéma politique, froid et carré.

    Running on empty (sublime titre original) s’ouvre sur la fuite d’un jeune homme. Il ne fuit pas son foyer, non, il fuit les autorités. Et pas pour une broutille d’ado (ce que l’on peut imaginer au départ), mais parce que ses parents (et donc lui et son petit frère par extension) sont en cavale depuis longtemps. Depuis vingt ans. Danny et Harry sont en cavale depuis toujours, ils sont nés en cavale.

     A l’origine, fin des années 60, le couple faisait partie d’un mouvement révolutionnaire contre la guerre du Vietnam, des étudiants activistes qui allaient jusqu’à faire sauter  des usines de napalm. Un jour, un accident tragique a lieu, un père de famille, alors simple gardien du bâtiment, est tué. A première vue Running on empty est un film politique. En tout cas au départ il s’exhibe comme tel. Pour exemple, cette scène où un ami d’antan vient leur rendre visite, ami qui lui s’insurge toujours contre le système et qui vient buter sur un couple qui se dit rangé. Ils sont loin d’avoir viré de bord, ils n’ont juste plus le goût du risque (la cavale suffit). Et puis il y a les enfants maintenant.

     En réalité ils se sont adaptés aux conventions de petite vie américaine, à cette idée de famille et travail, cette vie qu’ils condamnaient jadis, alors qu’aujourd’hui ils subissent les conséquences de leur idéalisme antérieur. Et le gros de l’histoire dramatique se situe ici : quand les enfants sont petits la famille s’en sort avec simplement leurs portraits dans les journaux. Ils fuient et refont leur vie ailleurs, ça ne pose pas de problème ou presque pas. Mais aujourd’hui – et le film situe cette fuite perpétuelle à cet instant ci – c’est que les enfants, plus particulièrement Danny, ont grandi. Ce gamin a maintenant 17 ans, il fait son chemin en un sens. Il va à l’école comme tout le monde (toujours dans cette idée de copier la vie américaine dite normale) afin de ne pas être différencier et aussi d’apprendre. Il y a cette histoire d’amour avec cette fille (magnifique Martha Plympton, que l’on a croisé avant dans Les goonies, et qui montre davantage l’étendue de son talent chez Lumet). Et il y a le piano. Le piano est un vecteur important ici. C’est ce qui lie Danny à l’extérieur, au danger donc. Par le père de son amie et par l’école, pour laquelle il semble avoir un talent suffisant pour en faire carrière. Le pianiste prodige est face à un choix cruel.

     Il y a une telle force dans cette construction de récit nous permettant un attachement à chacun, tout en saisissant peu à peu l’inéluctabilité des faits proposés. Comme si d’entrée nous savions que cette union qui semble soudée avait définitivement perdu son équilibre et s’éteignait à petit feu. Et pourtant il ne semble pas vraiment y avoir d’éclatement au sein du foyer. Arthur Pope crie parfois sur ses enfants, mais parce qu’il est très méfiant, qu’il ne veut perdre personne, et qu’il connaît le danger de la vie dans laquelle ils se sont embarqués. Il y a deux séquences importantes à ce propos. Celle où Christine annonce à son mari que son fils va entrer à Julliard (école de musique réputée), et un affrontement est en train d’éclore. Il y a ce non catégorique du père. Et le You’re a big shit du fiston à son père. On n’en vient pas aux mains, mais on n’en est pas loin. Et en contrepartie il y a cette séquence d’anniversaire. C’est la scène du film à mon sens. On se croirait rendu chez Cassavetes tant c’est vrai, beau, plein de vie et qu’en même temps il y a comme un mal aise. De façon rétrospective, comme si ce climat de liesse n’était plus près de se reproduire. C’est à partir de là que les larmes ont fait leur apparition en ce qui me concerne.

     A bout de course gagne absolument sur tous les points. C’est un beau film politique. Un beau film sur les rapports familiaux, des différentes générations, des différentes idées. La séquence de retrouvailles/séparations entre un père et sa fille que tout oppose est belle à pleurer. C’est aussi l’un des plus beaux films que j’ai vu sur le passage à l’âge adulte. Je me suis donc demandé si A bout de course n’était pas aussi un formidable film sur le temps. Seule véritable cause d’une destruction familiale.

Les Parapluies de Cherbourg – Jacques Demy – 1964

les-parapluies-de-cherbourgCritique de la séparation.

   10.0   En fin de compte très peu de cinéastes français, durant les années 60, évoquaient la guerre d’Algérie dans leurs films (si, Godard, Rozier bien entendu). Frontalement ou non d’ailleurs. C’est bien entendu la toile de fond de celui de Demy, même si le véritable thème abordé est l’absence, la dégénérescence du couple par le temps.

     Geneviève et Guy sont jeunes mais ils s’aiment et rien ne semble pourvoir se mettre en travers de leur amour. Elle travaille au magasin de sa mère ‘les parapluies de Cherbourg’. Il travaille comme garagiste pas si loin. Le soir ils se retrouvent, feignent les sorties théâtres et se baladent le long des quais cherbourgeois pour vivre leur passion, imaginer la vie à deux, s’en aller. Finalement, vient le temps où tout déraille. De son côté il est appelé pour deux ans de régiment. Tandis que la mère de la jeune femme lui fait savoir que les comptes sont au plus mal, et le jour où elle va pour vendre une bague qui lui est cher, elle fait la rencontre d’un type très riche, tombé sous le charme de Geneviève qui serait sans doute une parfaite porte de sortie à toute cette galère financière.

     Le départ, l’absence, le retour. Trois titres de parties funestes, qui apparaissent tels des coups de massue. Et cette dernière séquence où le décor est planté : Décembre 1963, on sait dès lors que cinq ans sont passés. Il neige, annonciateur d’une fin brumeuse, délicate, sensible. Une station service, celle que Geneviève et Guy avaient pour dessein dans leurs discussions amoureuses sans fin. Chacun est marié, chacun a son enfant. Elle lui demandera s’il veut voir Françoise, sa fille tout de même. Il refusera. Rien ne sera plus échangé. Elle repartira. Il restera là, sous la neige et accueillera sa petite famille. Dans le premier plan du film on apercevait six parapluies, quatre grands, deux petits. Un début de film qui annonce l’une des fins les plus fortes, tristes du cinéma, sans pour autant qu’elle soit funeste. Juste que le couple qui faisait un ne fera plus jamais que deux.

     Il y a quelque chose au départ qui pourra en gêner certains, quelque chose comme un détachement. Entre la légèreté du traitement, et la gravité de la situation. Tout est chanté. La vie semble même être chantée après. Comme si le parlé était dépourvu de tout rythme, de toute poésie, de toute vérité. Chaque musique est un thème. On semble y percevoir celui de la tristesse ou de la fatalité, celui de l’amour, celui de la colère. Selon moi c’est une grande force. Car c’est lui aussi qui guide nos émotions, mais je suis intimement persuadé que l’on peut ne pas être touché par les parapluies de Cherbourg. Et c’est très certainement d’une grande prétention, mais je pense aussi sincèrement qu’il est impossible de recevoir une émotion aussi pleine si l’on n’a pas vécu l’absence, d’une manière générale. Si l’on n’a pas vécu l’absence sous n’importe quelle forme. Si l’on n’a pas ressenti cette impression de crever d’amour. Jacques Demy disait : Les Parapluies de Cherbourg est un film contre la guerre, contre l’absence, contre tout ce que l’on déteste et qui brise un bonheur… Oui, les Parapluies de Cherbourg est un film sur l’absence, mais aussi sur le cruel pouvoir du temps, qui efface, qui invite à l’oubli.

     C’est simple, je suis sorti complètement terrassé, anéanti et aussi bouleversé. Jamais je n’avais eu autant le cafard après un film, longtemps après le film. Mais c’est une trace indélébile qui restera, une trace optimiste même. D’une part parce qu’il me fait prendre davantage conscience de la valeur du présent, d’autre part parce qu’il m’invite à aimer, à aimer davantage, à profiter de cet amour. Le cafard oui. Mais l’espoir aussi… Je le voyais pour la seconde fois. Ce fut comme une redécouverte. Et c’est devenu ‘notre film’ avec ma très chère, tant il a éveillé en nous des sentiments intenses.

Blow Up – Michelangelo Antonioni – 1967

Blow Up - Michelangelo Antonioni - 1967 dans * 100 blowup460

Ready-made.     

   10.0   Blow Up est un film cinématographique, voire photographique par excellence, sans doute la plus belle déclaration d’amour que l’on puisse faire au métier, puisqu’il évoque les (mes)aventures d’un photographe, son regard à travers les clichés qu’il a shooté sur un homicide dans un parc. Qu’est-ce que l’on voit ? Qu’est-ce que l’on ne voit pas ? Et comment doit-on interpréter ces choses, réalités que l’on a vu ou pas ?

     Blow Up semble nous aventurer sur le terrain glissant de l’illusion, de l’interprétation du regard, sur la problématique de vivre sans voir… A ce titre le film s’ouvre sur ce qui ressemble à une fête, ou une manifestation interprétée par des pantomimes. Et ces derniers font la boucle à savoir qu’ils improvisent une partie de tennis imaginaire où tout leur semble vrai, à tel point que les autres, devenus spectateurs, de même que notre personnage principal, vivent le moment comme s’il existait réellement, matériellement.

     Que vient de faire le cinéaste italien pendant plus d’une heure et demie ? Tout simplement de jouer avec son personnage, avec son spectateur, devenu lui aussi personnage. Puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de nous faire vivre, découvrir en même temps que le personnage cette histoire presque rocambolesque, l’histoire d’une simple prise de photos d’un couple dans un parc anglais qui dérive vite en meurtre… Et tout cela à travers ces photos prises justement. Le personnage n’a rien vu de la scène, c’est seulement en rentrant chez lui qu’il découvrira la face cachée de cette journée d’apparence anodine.

     Et Antonioni fait ça à sa manière, plein de finesse, pleine de finesse, avec un sens du cadre hors du commun, non sans en oublier ce qu’il approfondira dans Zabriskie Point à savoir la mise en abyme d’une jeunesse paumée, d’une société malade qui trouve refuge dans des activités libertines, décadentes (sexe, drogue, marginalisme en tout sens (la pantomimie)). En ce sens, Blow Up comme tout ce que fait Antonioni est une œuvre excessivement moderne. Antonioni est selon moi le plus grand des modernes.

     Brian De Palma en reprendra la trame dans son film Blow Out en délivrant cela dit quelque chose d’entièrement différent, plus noir, dramatiquement plus chargé, axé sur le son et non l’image, mais tout aussi bien réussi dans son genre.

Zabriskie Point – Michelangelo Antonioni – 1970

Zabriskie Point - Michelangelo Antonioni - 1970 dans * 100 zab460

L’an 01.    

   10.0   Zabriskie Point est un carrefour, sorte d’aiguillage où deux êtres apparemment dépassés par toute réalité, vont se rencontrer, vivre dans l’intensité quelque chose qui dépasse toute banale relation : la jouissance physique, imaginative, hors du temps, effrénée, décuplée, rêvée. Deux êtres humains, deux vies, que rien si ce n’est le plus pur des hasards, tel un écho au mystère de la création, ne pouvait faire se chevaucher.

     Comme souvent chez le cinéaste italien, et ici encore davantage, les personnages ne sont pas véritablement identifiables, comme s’ils étaient les cobayes d’une expérience intime, salvatrice, universelle. Le seul nom qui nous est offert c’est Karl Marx lorsque la police interroge le personnage principal et lui de répondre de son identité sous humour. Elle c’est Dania comme ça aurait pu être Anna le personnage féminin disparue dans l’Avventura, ou la jeune femme errante dans Profession : reporter.

     D’abord centré politiquement en pleine révolution étudiante, Zabriskie Point se veut ensuite plus expérimental, road-movie abstrait, fuite sans but suivant cet homme que les théories gonflent ; lui c’est l’action qu’il cherche. En répondant à une AG en début de film il dira « moi aussi je suis prêt à mourir. Mais pas d’ennui ! »

     Cette escale désertique en pleine vallée de la mort est le point d’orgue du film. Il apparaît alors comme le cadre de la libération sexuelle poussée à son paroxysme, lieu d’orgie planante où vibrent les corps dans le sable et le vent. Auparavant, nos deux tourtereaux se rencontrent dans une scène façon La Mort aux trousses, pas banale, présentant l’avion sous trois angles différents lorsqu’il survole cette voiture ! Puis il y a cette fameuse scène finale, dopée par Pink Floyd, une scène de destruction de ce qui chaque jour nous détruit encore un peu plus.

Lumière Silencieuse (Stellet Licht) – Carlos Reygadas – 2007

Lumière Silencieuse (Stellet Licht) - Carlos Reygadas - 2007 dans * 100 01-lumieresilencieuse-300x194Je vous salue Marie.

     10.0   La nuit. Les constellations. Le chant des oiseaux. Le ciel noir étoilé laisse peu à peu place à l’aube progressive, de fins rayons de soleil, puis très puissants vont envahir arbres et vallées, et laisser apparaîte un village de campagne. Il fait jour. Tout le film est à l’image de ce plan, à savoir le levé du jour en temps réel, il se révèle patient, et effectue une approche très sensuelle, naturelle d’une communauté mennonite du Mexique.

     Carlos Reygadas filme au ras du sol ou à hauteur d’homme, un peu à la manière d’un Malick, se faufilant dans les hautes herbes, dans une coulée d’eau de source, l’objectif toujours frappé par ce soleil éclatant. Jamais fixe, la caméra avance, zigzague, à tel point qu’elle en devient presqu’objet de documentaire, et nous propose de planer, de s’embarquer dans ce voyage aérien.

     Johan semble très contrarié. Après la prière du matin, les enfants s’en vont, probablement à l’école, sa femme s’en va aussi, il s’effondre en pleurs. En réalité Johan a le coeur tiraillé. Deux femmes l’occupent. Et pourtant ici tout se dit, cette famille comme la mise en scène du cinéaste sont d’une incroyable honnêteté. On ne saurait détecter le malheur. Pourtant Johan doit choisir. La mère de ses enfants ou cette  femme de fantasme.

     Il faut évidemment entrer corps et âmes dans le nouveau film de Reygadas, autrement son caractère hypnotique, envoûtant peut lasser. La nature a rarement été aussi bien sonorisée. Les plans s’étirent, encore et encore pour en atteindre le fruit de la contemplation extatique parfaite. C’est sompteux. C’est sidérant de beauté. Peut-être n’avais-je pas vu cela depuis Tarkovski.

     Evidemment on pense aussi beaucoup à Bergman et Dreyer. Le tic-tac des pendules dans Cris et Chuchotements. Et surtout cette magie dans la séquence finale qui est ouvertement liée à celle de Ordet. Pour moi c’est l’un des cinq plus beaux films de ces dix dernières années, si ce n’est le plus beau. Carlos Reygadas aura au moins prouvé, ici, qu’il était le digne successeur des plus grands, alors qu’il continue à nous envoûter ainsi…

Aguirre, la colère de dieu (Aguirre, der Zorn Gottes) – Werner Herzog – 1975

Aguirre, la colère de dieu (Aguirre, der Zorn Gottes) - Werner Herzog - 1975 dans * 100 41542683Le gouffre aux chimères.  

   10.0   Premier plan : les montagnes verdoyantes, une vallée mystérieuse, des conquistadors espagnols qui arpentent le chemin abrupt, suivis de leurs esclaves indiens, sous une brume étouffante. Le premier plan d’Aguirre, accompagné d’une musique ambiante très envoûtante est absolument magnifique.

     Si l’on s’en tient seulement à ce film (je ne connais pas les autres films du cinéastes allemand pour le moment) Herzog c’est un peu la rencontre de Malick (mode mineur) et de Kusturica à son meilleur. Le premier pour ce qui est de faire du naturalisme poétique contemplatif, il y a une importance évidente des éléments, l’eau et la terre, la nature, bref tous les sons naturels. Le deuxième pour son esprit décalé, justement dosé. Certaines scènes sont assez surprenantes parce que les personnages sont très excentriques. Evidemment Aguirre, l’aventurier qui a toujours l’air constipé, par ses mimiques, sa gestuelle. Cet homme qui finit de compter après avoir été décapité. L’autre qui reçoit une flèche en plein genou et imagine que c’est un rêve. C’est assez particulier puisque ce n’est pas accordé avec le reste du film. Et personnellement je me suis mit à penser que c’était une qualité. On pourrait même y voir du Coppola aussi qui peu de temps plus tard fera lui aussi son film en majorité sur un fleuve…

     Et le personnage central est fascinant. Cette épopée est d’abord dirigée par un certain Ursua. L’issue devenant catastrophique (indiens cachés dans les feuillages, décuplement des morts, perte des radeaux…) il décide qu’il faut revenir sur leurs pas. Aguirre, le second, ordonne de l’abattre. Ursua s’en sortira, et Aguirre nommera son ami comme chef de l’expédition. Tout se passera en fonction de ce personnage dictatorial, lui voudra atteindre son but, construire une nouvelle Espagne à l’Eldorado. Le dernier plan du film voyant Aguirre seul sur son radeau, croyant faire Un avec les dieux, après avoir croisé une barque esseulée dans un arbre (que le fleuve n’a pu débarquer), est absolument fabuleux, sorte d’analogie du désir de puissance, de pouvoir, d’aliénation.

Elephant – Gus Van Sant – 2003

elephant-gus-van-santDrame en sourdine.

   10.0   Sur un plan entièrement personnel, Elephant fut une très grande découverte cinématographique. Ce fut pour moi la découverte d’un genre, d’une mise en scène, d’un cinéma qui jusque là m’était encore inconnu. Elephant a changé ma vie. Du moins a-t-il changé ma perception cinématographique. C’est à partir de Van Sant que je me suis passionné pour d’autres grands qui imposent un style pouvant s’en rapprocher : Béla Tarr, Chantal Akerman, Alan Clarke, pour ne citer qu’eux.

     Elephant c’est quelques heures dans un lycée, les cours, les rencontres, les discussions, les repas au réfectoire, les longues marches quotidiennes. Une journée banale, la semble t-il répétition des jours précédents, et pourtant cette fois un drame approche. La singularité avec laquelle le film (archi court : 1h20) parvient à instaurer un climat des plus doux et angoissants est ahurissante. Dans un état de tension, d’étouffement, où les plans mobiles s’étirent, s’attardant très souvent sur le dos des personnages, en les accompagnant sur la Sonate au clair de lune de Beethoven, Gus Van Sant impose un style en marge – qui lui vaut de décrocher moult prix dont la convoitée palme d’or à Cannes.

     La réussite de ce petit bijou réside principalement dans l’agencement de ces longues séquences, qui s’entrechoquent toutes entre elles, provoquant un lien de causalité particulièrement sidérant. Une sidération d’une simplicité désarmante. Ce que Béla Tarr promet dans Satantango (la superbe scène de la jeune fille prostrée à la fenêtre du resto bar), son admirateur le reprend dans ici en le malaxant à l’infini : Montrer une scène sous plusieurs angles, que l’on soit cette jeune étudiante solitaire et exclue, ce photographe errant ou un autre. Le climat de tension s’accentue car ce que l’on voit d’un côté nous ne le voyons pas de l’autre et découvrons petit à petit certains signes provoquant le glissement jusqu’à la catastrophe.

     La légère brise matinale qui semble accueillir chacun entre les murs de ce lycée en début de film accouche dans un carnage final, une violence sourde, complètement déréalisée, sans emphase, et surtout dans une prise de distance rendant l’émotion de glace. L’alliance parfaite entre image et sons parvenant à éviter toute forme de pose. L’alchimie totale. L’état de grâce. Presque flippant tant ça paraissait improbable d’y parvenir de cette manière là. Faisant référence au massacre de Columbine, le succès de Elephant est d’autant plus important qu’il permet à Gus Van Sant de sortir un film des placards qu’il avait réalisé en 2002, un film qu’il n’avait pas sorti sur les écrans, un film qui aurait puni le cinématographe de l’un de ses plus beaux bijoux : Gerry !

Hunger – Steve McQueen – 2008

Steve McQueen Project - 'Hunger'Polyphonie de l’enfer.

   10.0   1981. Cinq ans que le gouvernement britannique a retiré le statut de prisonnier politique aux militants indépendantistes de l’IRA enfermés donc sous le joug carcéral. Ils sont maintenant reconnus criminels de droit commun. Pour s’opposer à cette décision, les prisonniers entament le « Blanket And No-Watch Protest » qui consiste en un refus d’hygiène et un refus de porter l’uniforme carcéral commun. Ils laissent leurs restes de bouffe dans un coin de leur pièce exigu qu’ils partagent à deux, ils repeignent les murs de leurs excréments, ils se débarrassent de leur pisse par-dessous la porte… leur unique moyen de s’opposer à cette loi. De cela découlent des altercations très violentes où il faut les emmener aux douches, mais à l’aide d’une matraque. Le film de Steve McQueen met parfaitement en ‘lumière’ ces lieux pourris de crasse, cette violence avec souvent une crudité telle qu’elle en devient insoutenable, au point de se demander si le cinéaste n’a pas véritablement fait souffrir ses acteurs (coups de matraques, marques rouges qui apparaissent peu à peu, tout cela en un seul plan-séquence, j’avoue que c’est douteux!). Peut-être le cachet performance rentre t-il en compte ici, mais je préfère ne pas m’attarder là-dessus, le film ayant beaucoup d’autres atouts pour les masquer par ce sentiment. Le film est une formidable passation de rôle puisqu’il commence par nous montrer le quotidien d’un surveillant de la prison avant de passer du temps avec deux hommes dans leur cellule pour terminer sur la tragique histoire de Bobby Sands. Destruction de la linéarité et des conventions de récit. C’est assez bluffant. Trois parties. Ou deux parties séparées par une (longue) transition de vingt minutes entre Bobby Sands et le père Dominic Moran – le premier expliquant au second son désir de ne plus manger jusqu’à mourir – sans nul doute la scène que je préfère. Hunger est une symphonie en quelques sortes. Une partition. En trois mouvements. Le trois c’est le chiffre du film. Trois personnages : Le surveillant, Gillen/Gerry, Bobby Sands. Trois parties : La solitude,des uns et des autres, la violence insoutenable, la découverte des lieux, les premières rencontre familiales, les discours lointain de Tchatcher ; Le dialogue entre Bobby Sands et le père Moran ; La décrépitude volontaire de Bobby. Mais revenons sur cette immense scène de dialogue : Ce qui est formidable c’est la découpe de ce dialogue. Un peu au rythme des cigarettes fumées d’ailleurs. Au début c’est la causette, le prêtre semble même se confesser. Les questions, les réponses, explosent à tout va, du tac au tac. Ensuite c’est ce pourquoi Bobby invite le père Moran. Cette grève de la faim qui semble inéluctable. Puis, dernière clope, souvenir d’enfance. Encore plus passionnant, ce sont les remarques, le ressenti du prêtre à l’égard de Bobby Sands, de son acte. Il semble à première vue moqueur, il n’y croit pas (la première grève avait foirée de toute façon). Puis il est moralisateur. Il se sert de dieu. Si dieu ne te puni pas pour ton suicide, il le fera pour ta bêtise. Dernière partie du dialogue. Qui devient un monologue : Bobby raconte l’histoire du poulain. Le prêtre ne parle plus, il ne le peut pas. Leur contradiction a des racines trop lointaines, jamais il n’arrivera à le convaincre. Bobby est un résistant, il ne restera pas les bras croisés. Le prêtre c’est l’incarnation du renoncement. Il se sert de l’argument pense à ta vie avant tout. Un peu comme une majorité d’entre nous. Hunger est d’une efficacité redoutable, tranchant comme la lame d’un rasoir, qui joue à merveille avec le son (certaines scènes sont là encore musicales : Le nettoyage de la pisse, le karscher sur la merde, bien entendu le bruit des matraques…etc.). La violence des coups de matraques répondant à la finesse des flocons de neige. L’odeur de la merde à celle de la campagne à la fin du film. Un film admirable. Très immersif, organique, on en sentirait presque cette merde murale, et surtout c’est un grand coup de poing dans la tronche de la Tchatcher, que cette grève de la fin a tout de même dû secouer…

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