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Hunger – Steve McQueen – 2008

Steve McQueen Project - 'Hunger'Polyphonie de l’enfer.

   10.0   1981. Cinq ans que le gouvernement britannique a retiré le statut de prisonnier politique aux militants indépendantistes de l’IRA enfermés donc sous le joug carcéral. Ils sont maintenant reconnus criminels de droit commun. Pour s’opposer à cette décision, les prisonniers entament le « Blanket And No-Watch Protest » qui consiste en un refus d’hygiène et un refus de porter l’uniforme carcéral commun. Ils laissent leurs restes de bouffe dans un coin de leur pièce exigu qu’ils partagent à deux, ils repeignent les murs de leurs excréments, ils se débarrassent de leur pisse par-dessous la porte… leur unique moyen de s’opposer à cette loi. De cela découlent des altercations très violentes où il faut les emmener aux douches, mais à l’aide d’une matraque. Le film de Steve McQueen met parfaitement en ‘lumière’ ces lieux pourris de crasse, cette violence avec souvent une crudité telle qu’elle en devient insoutenable, au point de se demander si le cinéaste n’a pas véritablement fait souffrir ses acteurs (coups de matraques, marques rouges qui apparaissent peu à peu, tout cela en un seul plan-séquence, j’avoue que c’est douteux!). Peut-être le cachet performance rentre t-il en compte ici, mais je préfère ne pas m’attarder là-dessus, le film ayant beaucoup d’autres atouts pour les masquer par ce sentiment. Le film est une formidable passation de rôle puisqu’il commence par nous montrer le quotidien d’un surveillant de la prison avant de passer du temps avec deux hommes dans leur cellule pour terminer sur la tragique histoire de Bobby Sands. Destruction de la linéarité et des conventions de récit. C’est assez bluffant. Trois parties. Ou deux parties séparées par une (longue) transition de vingt minutes entre Bobby Sands et le père Dominic Moran – le premier expliquant au second son désir de ne plus manger jusqu’à mourir – sans nul doute la scène que je préfère. Hunger est une symphonie en quelques sortes. Une partition. En trois mouvements. Le trois c’est le chiffre du film. Trois personnages : Le surveillant, Gillen/Gerry, Bobby Sands. Trois parties : La solitude,des uns et des autres, la violence insoutenable, la découverte des lieux, les premières rencontre familiales, les discours lointain de Tchatcher ; Le dialogue entre Bobby Sands et le père Moran ; La décrépitude volontaire de Bobby. Mais revenons sur cette immense scène de dialogue : Ce qui est formidable c’est la découpe de ce dialogue. Un peu au rythme des cigarettes fumées d’ailleurs. Au début c’est la causette, le prêtre semble même se confesser. Les questions, les réponses, explosent à tout va, du tac au tac. Ensuite c’est ce pourquoi Bobby invite le père Moran. Cette grève de la faim qui semble inéluctable. Puis, dernière clope, souvenir d’enfance. Encore plus passionnant, ce sont les remarques, le ressenti du prêtre à l’égard de Bobby Sands, de son acte. Il semble à première vue moqueur, il n’y croit pas (la première grève avait foirée de toute façon). Puis il est moralisateur. Il se sert de dieu. Si dieu ne te puni pas pour ton suicide, il le fera pour ta bêtise. Dernière partie du dialogue. Qui devient un monologue : Bobby raconte l’histoire du poulain. Le prêtre ne parle plus, il ne le peut pas. Leur contradiction a des racines trop lointaines, jamais il n’arrivera à le convaincre. Bobby est un résistant, il ne restera pas les bras croisés. Le prêtre c’est l’incarnation du renoncement. Il se sert de l’argument pense à ta vie avant tout. Un peu comme une majorité d’entre nous. Hunger est d’une efficacité redoutable, tranchant comme la lame d’un rasoir, qui joue à merveille avec le son (certaines scènes sont là encore musicales : Le nettoyage de la pisse, le karscher sur la merde, bien entendu le bruit des matraques…etc.). La violence des coups de matraques répondant à la finesse des flocons de neige. L’odeur de la merde à celle de la campagne à la fin du film. Un film admirable. Très immersif, organique, on en sentirait presque cette merde murale, et surtout c’est un grand coup de poing dans la tronche de la Tchatcher, que cette grève de la fin a tout de même dû secouer…

Jeanne Dielman 23, Quai du commerce, 1080 Bruxelles – Chantal Akerman – 1976

01.-jeanne-dielman-23-quai-du-commerce-1080-bruxelles-chantal-akermanDeux ou trois choses que je sais d’elle.

   10.0   Une mère et son fils habitent un appartement de la capitale belge. Lui va chaque jour au lycée. Elle reste à la maison et vit de baby-sitting et de prostitution. En outre, le mari n’est plus, depuis six ans. Leur journée est programmée comme une horloge : Jeanne réveille Sylvain le matin avant de lui servir le petit déjeuner ; elle fait la vaisselle une fois que celui-ci est parti ; elle allume le poste radio chaque soir lorsque son fils lit et qu’elle tricote ; chaque fois qu’elle quitte une pièce elle se doit d’éteindre la lumière avant d’en allumer celle de la pièce dans laquelle est entre.

     Le film commence à l’heure où Jeanne prépare le dîner (son fils arrivera plus tard) en attendant son client hebdomadaire (il dira « à la semaine prochaine »). 1h30 plus tard, le film aura fait une boucle : 24 heures. Jeanne prépare à nouveau le dîner, on sonne à la porte, elle ouvre, débarrasse le client de ses frusques superflues et l’emmène dans sa chambre.

     Le choix de démarrer le film à cet instant n’est pas le fruit du hasard. C’est après la venue de cette autre personne qu’il semble se produire un premier dérèglement dans la routine de Jeanne. Sans doute que l’homme a davantage pris son temps par rapport aux autres, par rapport à ses habitudes, qu’importe, une chose est sure, quelque chose a perturbé la jeune femme. Ses pommes de terre sont trop cuites. Il ne lui en reste plus assez pour le repas, il faut qu’elle descende en acheter. Effet boule de neige, ce petit contretemps aura des répercussions sur le quotidien et la personnalité de Jeanne. Et l’on sait maintenant à quel point elle est attachée à sa routine. Le nombre de détails de ce dérèglement est absolument passionnant. Jeanne fera tomber une brosse, incident mineur, mais peu coutumier. Ou bien Sylvain lui fera remarquer qu’elle est décoiffée, la jeune femme n’ayant pas eu le temps de s’occuper de ses cheveux, perturbée par le changement du temps.

     Le dérèglement à son paroxysme le lendemain matin lorsque le réveil de Jeanne sonne une heure plus tôt. C’est dès lors sans nul doute le véritable déclencheur d’une prise de conscience d’une aliénation refoulée qui conduira Jeanne à l’implosion, l’apogée se trouvant évidemment dans cette chambre de prostitution, la boucle est bouclée, dans la plus cruelle des libérations morales. La précision chirurgicale des plans, tous fixes. La réflexion sur la répétition, sur le temps. Les ellipses narratives mesurées. Une Delphine Seyrig incroyable. Un travail sonore hors norme. Des cadrages d’une justesse insolente. Chantal Akerman réussit tout ce qu’elle entreprend. Fascine durant près de quatre heures. C’est tout simplement l’un des plus beaux et douloureux films que je connaisse. C’est absolument sidérant. Chef-d’œuvre absolu !

Les Harmonies Werckmeister (Werckmeister Harmoniak) – Béla Tarr – 2003

Les Harmonies Werckmeister (Werckmeister Harmoniak) - Béla Tarr - 2003 dans * 100 01.lesharmonieswerckmeister-300x190 Land of the dead.

   10.0   Voici l’une de mes plus importantes découvertes cinématographiques. De celles vers lesquelles je ne cesse de me référer. De celles qui sont devenues des modèles de perfection. Méconnaissable durant le générique final, à l’époque, il m’a fallu une bonne nuit pour le digérer, et facilement quelques jours pour en écrire quelques lignes.

     C’est simple, la première séquence du film est probablement l’une de mes préférés, tout type de cinéma confondu. Oui, rien que ça. Un plan-séquence d’une dizaine de minutes, en mouvement, qui filme diverses personnes dans un bar, choisis pour une expérience cosmologique schématique organisée par Valuska, personnage central du film, fasciné par la Création, son miracle. Cette première scène est à l’image de la suite du film : magnifique, avec son noir et blanc crépusculaire, son rythme hypnotique, sa musique divine. Puis se dessine une histoire presque irréelle, d’errance nocturne, de découvertes, un voyage hors du temps, dans un quartier voué au chaos total, qui pourtant à travers un récit des plus pessimistes laisse entrevoir quelques rayons lumineux.

     J’ai vraiment garder la sensation de film unique. Une œuvre d’art sans précédent, un objet cinématographique fascinant, beau à en pleurer, qui déballe sans sourciller une succession de tableaux, poétiques, tout en musicalité. L’emploi du plan-séquence n’est évidemment pas anodin dans la réussite de l’entreprise tant il fait figure emblématique du récit. Le plan devient l’unique unité de temps. On plane sans réellement se poser de questions, on vit l’instant comme Valuska, et on se dit qu’il n’y a probablement aucun équivalent cinématographique.

     Fin du film, La grand-place, en plein brouillard, La Baleine dépouillée de sa protection, Le Chaos a pris place, à moins que ce ne soit le contraire, et l’apparition lumineuse au travers de cet épais brouillard, qui annonce le début d’autre chose. Béla Tarr ne dit rien, il nous demande d’observer, de se laisser happer, dans ce qui se révèle être un film très exigeant, pour spectateur averti, mais qui quoiqu’il arrive a déjà sa place dans le panthéon de la Création cinématographique.

      J’hésitais à le mentionner, allez je me lance : Je suis resté sur « les fesses » quelques minutes après la fin du générique, j’ai beaucoup, beaucoup pleuré, prenant conscience petit à petit de l’ampleur de cette œuvre, qui à l’instar d’Inland Empire de David Lynch, nous fait basculer dans une ère nouvelle. Rarement, pour ne pas dire jamais vu un truc pareil, aussi fou. Une sorte d’état de grâce !

J’ai écrit ceci, en le revoyant quatre ans plus tard :

     Ce qui est incroyable c’est le chaos général qu’a su rendre Béla Tarr. On sent que c’est un village sur le point de mourir. Et puis à travers tout ça on suit un quotidien, celui de Janos Valuska, simple postier, qui s’extasie très facilement devant le mystère de la création et son infinie puissance. Lorsqu’un cirque débarque avec une immense baleine, Janos ne verra pas l’envers du décor. Il a cette naïveté, cette poésie incroyable. Toute cette vérité violente et cruelle lui éclatera petit à petit à la figure. Il devient témoin, et nous avec lui, d’un soulèvement populaire, dans une Hongrie dévastée, presque chimérique. Il y a une scène extrêmement violente dans un hôpital où le cinéaste glisse délicatement dans chaque pièce, nous montre ce qui s’y passe. Cette violence sourde (pas de cris) cessera soudainement, à la vue d’un vieux monsieur, nu, debout dans une baignoire. Les manifestants rentrent chez eux. Lorsque l’armée prendra les choses en main, que le jeune homme fuit de peur qu’on s’en prenne à lui. « Je n’ai rien fait » dira t-il. Cette violence ne s’estompera pas. Ellipse. Il est dans un hôpital psychiatrique, il chantonne, encore plus naïf qu’auparavant. Sur la grand place, oncle Gyuri avait promis qu’il irait voir la baleine le lendemain. Tout a changé. Tout est mort. La baleine est entièrement découverte. Les dalles de la place sont à moitié explosées. C’est un climat de mort qui règne. Comme après une guerre.

     Béla Tarr ne demande pas de comprendre. Sa caméra se déplace délicatement dans ce village, via les yeux de ce personnage. Le temps c’est le plan. Le plan n’est jamais fixe chez Béla Tarr. Il y a un espace et il gère cet espace. Il est rare de ne pas voir dans une scène ce qui se passe aussi derrière nous, quelquefois seulement, lors de plans uniquement latéraux. Une scène, à ce titre, est à couper le souffle : Janos Valuska marche, le pas déterminé, face caméra. Il rejoint son oncle. Nous suivons la conversation. Il dit qu’il va jeter un œil sur la grand place. Son oncle lui demande d’être prudent. Il s’engage. La caméra effectue un demi-tour afin de le suivre, et dévoile dans un plan global, des attroupements de personnes, des feux qui envahissent la ville. Jamais je ne me suis autant senti investit dans une séquence de film. Et jamais je n’avais autant fait corps avec un personnage dans un film.

Le Septième Continent (Der Siebente Kontinent) – Michael Haneke – 1993

Le Septième Continent (Der Siebente Kontinent) - Michael Haneke - 1993 dans * 100 der-siebente-kontinent09979318-35-19

De l’évaporation.

   10.0   C’est l’histoire d’une aliénation familiale, d’une autodestruction sociale dans sa forme la plus individualiste, la plus égoïste qui soit. Le Septième Continent, premier long métrage de Michaël Haneke, suit le destin tragique d’une famille bourgeoise à travers trois étapes – trois ans – de leur vie : Le combat pour appartenir à la société, pour en accepter ses règles, son fonctionnement ; La réussite professionnelle, qui n’exclut pas la solitude ; La destruction de soi et de ce qui gravite autour de soi.

     Pour le spectateur, l’évolution du récit se présente de deux manières : c’est d’une part l’observation d’un quotidien, les gestes et regards des personnages, leurs mouvements et interactions sur les objets, leurs habitudes, leur recherche permanente d’une vie sans passion qui suit malgré tout le chemin tout tracé des conventions morales. Ou d’autre part ce sont les lettres de la famille envoyées, elles aussi en trois étapes, aux parents de Georg, le mari, afin de les rassurer, de leur raconter brièvement leur fade quotidien.

     La mise en scène clinique accentue cet état d’emprisonnement, cet isolement familial. La tension s’accroît au fil du récit pour accoucher sur un climat d’horreur, sans pathos, déluge d’hémoglobine ou jubilation, simplement en montrant des corps, voués à l’abandon. Le Septième Continent (le couple dira l’Australie à leur entourage) se fait de plus en plus proche. Le matérialisme de la vie poussé à son paroxysme est en train de s’éteindre. Pas de trace d’un éventuel et éphémère passage sur Terre. Et ce brin de lucidité suicidaire dans ce carcan monstrueux des conventions quotidiennes est d’autant plus cruel que lorsque l’on regarde les rouages de la société moderne on se dit que dans un élan de triste lucidité il pourrait très bien s’emparer de nous.

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silencio


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