Polyphonie de l’enfer.
10.0 1981. Cinq ans que le gouvernement britannique a retiré le statut de prisonnier politique aux militants indépendantistes de l’IRA enfermés donc sous le joug carcéral. Ils sont maintenant reconnus criminels de droit commun. Pour s’opposer à cette décision, les prisonniers entament le « Blanket And No-Watch Protest » qui consiste en un refus d’hygiène et un refus de porter l’uniforme carcéral commun. Ils laissent leurs restes de bouffe dans un coin de leur pièce exigu qu’ils partagent à deux, ils repeignent les murs de leurs excréments, ils se débarrassent de leur pisse par-dessous la porte… leur unique moyen de s’opposer à cette loi. De cela découlent des altercations très violentes où il faut les emmener aux douches, mais à l’aide d’une matraque. Le film de Steve McQueen met parfaitement en ‘lumière’ ces lieux pourris de crasse, cette violence avec souvent une crudité telle qu’elle en devient insoutenable, au point de se demander si le cinéaste n’a pas véritablement fait souffrir ses acteurs (coups de matraques, marques rouges qui apparaissent peu à peu, tout cela en un seul plan-séquence, j’avoue que c’est douteux!). Peut-être le cachet performance rentre t-il en compte ici, mais je préfère ne pas m’attarder là-dessus, le film ayant beaucoup d’autres atouts pour les masquer par ce sentiment. Le film est une formidable passation de rôle puisqu’il commence par nous montrer le quotidien d’un surveillant de la prison avant de passer du temps avec deux hommes dans leur cellule pour terminer sur la tragique histoire de Bobby Sands. Destruction de la linéarité et des conventions de récit. C’est assez bluffant. Trois parties. Ou deux parties séparées par une (longue) transition de vingt minutes entre Bobby Sands et le père Dominic Moran – le premier expliquant au second son désir de ne plus manger jusqu’à mourir – sans nul doute la scène que je préfère. Hunger est une symphonie en quelques sortes. Une partition. En trois mouvements. Le trois c’est le chiffre du film. Trois personnages : Le surveillant, Gillen/Gerry, Bobby Sands. Trois parties : La solitude,des uns et des autres, la violence insoutenable, la découverte des lieux, les premières rencontre familiales, les discours lointain de Tchatcher ; Le dialogue entre Bobby Sands et le père Moran ; La décrépitude volontaire de Bobby. Mais revenons sur cette immense scène de dialogue : Ce qui est formidable c’est la découpe de ce dialogue. Un peu au rythme des cigarettes fumées d’ailleurs. Au début c’est la causette, le prêtre semble même se confesser. Les questions, les réponses, explosent à tout va, du tac au tac. Ensuite c’est ce pourquoi Bobby invite le père Moran. Cette grève de la faim qui semble inéluctable. Puis, dernière clope, souvenir d’enfance. Encore plus passionnant, ce sont les remarques, le ressenti du prêtre à l’égard de Bobby Sands, de son acte. Il semble à première vue moqueur, il n’y croit pas (la première grève avait foirée de toute façon). Puis il est moralisateur. Il se sert de dieu. Si dieu ne te puni pas pour ton suicide, il le fera pour ta bêtise. Dernière partie du dialogue. Qui devient un monologue : Bobby raconte l’histoire du poulain. Le prêtre ne parle plus, il ne le peut pas. Leur contradiction a des racines trop lointaines, jamais il n’arrivera à le convaincre. Bobby est un résistant, il ne restera pas les bras croisés. Le prêtre c’est l’incarnation du renoncement. Il se sert de l’argument pense à ta vie avant tout. Un peu comme une majorité d’entre nous. Hunger est d’une efficacité redoutable, tranchant comme la lame d’un rasoir, qui joue à merveille avec le son (certaines scènes sont là encore musicales : Le nettoyage de la pisse, le karscher sur la merde, bien entendu le bruit des matraques…etc.). La violence des coups de matraques répondant à la finesse des flocons de neige. L’odeur de la merde à celle de la campagne à la fin du film. Un film admirable. Très immersif, organique, on en sentirait presque cette merde murale, et surtout c’est un grand coup de poing dans la tronche de la Tchatcher, que cette grève de la fin a tout de même dû secouer…