L’amour sous la violence.
8.0 La sortie du deuxième volume de l’histoire de la mariée vengeresse s’accompagnait d’une imposante attente, celle de la double promesse qui irriguait le final de Kill Bill, volume1 : Si enfin on voyait Bill, du moins entendait-on sa voix, cette entrée dans le champ n’arrivait pas seule puisque c’est un secret en forme de confidence (C’est le seul moment du film où on n’est plus aux côtés de Beatrix Kiddo) que Bill et à fortiori Tarantino font au spectateur.
Alors qu’on la pensait, comme tous ceux présents à la cérémonie, évaporée dans le massacre de la chapelle de Two Pines, on nous apprend que la fille de la mariée est bien vivante. De quoi alimenter deux horizons majeurs pour cette suite, l’un que l’on partage avec Beatrix depuis le tout début, à savoir tuer Bill, le titre ne ment pas, c’est bien vers lui que le récit, aussi chamboulé soit-il, converge ; l’autre qu’elle ne soupçonne pas elle-même, ce qui permet d’une part de la rendre plus fragile, d’autre part d’avoir une avance sur elle, elle qui était si rapide et si imprévisible sitôt enrôlée par le grand Pai Mei, dont on verra aussi ici les entrainements douloureux mais salvateurs.
Pourtant, le film s’ouvre sur la chapelle, justement. Comme dans le premier volet, sauf qu’ici il ne s’agit plus de montrer le massacre mais de suivre la discussion que Bill et Beatrix entretiennent juste avant ce qui aurait dû être une cérémonie de mariage, juste avant que Bill soit rejoint par les autres membres des Vipères assassines. Beatrix annonce qu’elle abandonne son rôle de tueuse à gages et Bill reste en retrait, silencieux, désenchanté, amoureux déçu, aussi, probablement. La séquence est en noir et blanc là aussi, pourtant c’est Sergio Leone que l’on convoque clairement d’emblée, dans la façon de faire entrer les personnages dans le cadre, la découpe des plans, la durée de la scène, la place du son : On se souvient qu’il y avait déjà de cela dans l’affrontement avec Oren Ishii.
Mais là où Tarantino se confondait en virtuosité, fétichisme et grandiloquence dans le premier volume, il répond par la simplicité désenchantée dans le second. Par exemple, le massacre de la chapelle passe en hors champ après un long travelling arrière comme dans Frenzy, d’Hitchcock. S’il reprend l’exiguïté de celui qui l’opposait à Vernita Green, le grand combat dans la caravane entre Beatrix et Elle Driver est plus sec, plus frontal. Dans ce volet on n’accompagne plus les « boss » de bastons avec quatre-vingt-huit cinglés mais d’un simple mamba noir. Quant à l’affrontement final tant attendu : Il n’est que diatribe (Magnifique David Carradine) et sa violence en point d’orgue est brève, tranchante mais sans effusions de sang.
Pour comprendre la froide détermination de la mariée, il fallait intégrer l’imposant flashback de sa transformation sous forme de rite initiatique. Quoi de mieux pour Tarantino, qui s’est toujours octroyé le plaisir d’une narration éclatée – Rappelons d’ailleurs qu’il y avait déjà, dans le premier volume, un flashback en manga, concernant le trauma du personnage d’Oren Ishii – d’intégrer ce retour en arrière dans un moment du présent où sa survie semble plus que compromise ? En effet, surprise par Budd, soudain plus stratège et lucide que le ton désabusé qu’il affichait jusqu’alors (« Cette fille a le droit de se venger. Et nous méritons de mourir ») la mariée se voit enterrée dans un cercueil de bois après s’être fait flingué à bout portant au fusil contenant des cartouches de gros sel.
Plutôt que de rejouer ou de continuer l’action du premier opus, Kill Bill, volume 2 sera son complément le plus inattendu. Cinq nouveaux chapitres, certes, mais il ne s’agit plus de viser le cinéma d’arts martiaux mais le western spaghetti. On n’écoute plus Meiko Kaji mais Ennio Morricone. L’amour, éclatant, passionnel, contrarié, remplace la violence cathartique. Seul l’affrontement sauvage entre Uma Thurman et Daryl Hannah rappelle qu’on est bien dans la suite d’un double programme ouvert par Kill Bill, volume 1.
Mais le décalage ne s’opère pas uniquement dans la forme puisque l’idée c’est aussi de rendre le personnage incarné par Uma Thurman plus humaine (il faut en faire une mère) donc la plonger dans un dédale de souffrance (Pai Mei d’abord, Bud ensuite) tout en perçant les mystères de sa puissance. Si l’ultime monologue du film, signé Bill, convoque l’ambivalence du super-héros ce n’est pas anodin : La super-héroïne ici accouche d’une maman sur le point de rencontrer sa propre fille.