Still life.
8.5 C’est l’histoire d’un double voyage. Horizontal et vertical, photographique et sonore, documentaire et fictionnel, lisible et invisible. Une voix, neutre comme chez Duras, raconte l’exploration inédite et imaginaire d’un lac sous-glaciaire de l’Antarctique à Vostok. Ce n’est plus Aurelia Steiner qui nous guide dans sa mémoire mais une sonde robotique qui s’en va scruter les couches de glace pour se perdre dans l’immensité souterraine, inconnue, mystique. En surface, ce n’est plus la Seine que l’on traverse, mais un autre cours d’eau mystérieux, le fleuve du Yangtze. Les premières percées sont pourtant énigmatiques, l’oeil aussi doit s’adapter, élucider les lueurs, accepter leur mouvement. L’image capte d’abord des fragments lumineux, des tâches abstraites ; Puis bientôt des halos définis, entre lumières de délimitation des côtes et orages lointains, collines rocheuses, silhouettes d’immeubles et déplacements de chalutiers. C’est un enchevêtrement de matières aqueuses et métalliques, de vibrations et d’interférences, un forage face à une traversée. Deux récits distincts qui s’apprêtent à se rencontrer, faire corps, briser la glace géométrique (la différence d’axe) et géographique qui les sépare. Dans Hotel Monterey, Akerman grimpait les étages et captait le vide, Loustau, lui, trace une courbe en quête de son centre d’inertie, qui apparaîtra le temps d’un final en rupture, somptueux, émouvant, concret. Le carottier, évoqué au conditionnel dans un premier tempo de présentation, s’empare du récit, devient personnage moteur et progresse dans les abysses de par son énergie thermique à travers une glace qui après son passage se reforme. Puis il cesse de creuser, il a atteint l’inconnu, l’infini, cette terre folle, ce lac sous la glace, identique à ceux observés sur un satellite de Jupiter, un lac sans température (un autre écosystème ?) peut-être peuplé de créatures hydrothermales. Le travelling en surface s’est lui aussi arrêté. Il a cogné contre les parois du barrage (contre le pacifique) des Trois Gorges, qui a englouti des villages, dont Loustau s’approprie sa propre représentation, respiration, démesure. Evocations de déplacements de population matérialisés ici par de lointains échos de rires, de chansons, de bruit de foule (Sub est un objet sonore hors norme) fondus bientôt dans un bleu crépusculaire habités par des monstres marins insoupçonnés. C’est une exploration sidérante de l’infini pouvoir cinématographique offrant une résonance poétique aux disjonctions expérimentales godardiennes, autant qu’il peut se jouer des genres, entre docu scientifique, descente de fleuve, conquête sous-marine et film de science-fiction. C’est un très beau film, limpide et exigeant, entièrement dévoué à la stimulation sensorielle et imaginaire.