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Sub – Julien Loustau – 2008

subloustau1Still life.

   8.5   C’est l’histoire d’un double voyage. Horizontal et vertical, photographique et sonore, documentaire et fictionnel, lisible et invisible. Une voix, neutre comme chez Duras, raconte l’exploration inédite et imaginaire d’un lac sous-glaciaire de l’Antarctique à Vostok. Ce n’est plus Aurelia Steiner qui nous guide dans sa mémoire mais une sonde robotique qui s’en va scruter les couches de glace pour se perdre dans l’immensité souterraine, inconnue, mystique. En surface, ce n’est plus la Seine que l’on traverse, mais un autre cours d’eau mystérieux, le fleuve du Yangtze. Les premières percées sont pourtant énigmatiques, l’oeil aussi doit s’adapter, élucider les lueurs, accepter leur mouvement. L’image capte d’abord des fragments lumineux, des tâches abstraites ; Puis bientôt des halos définis, entre lumières de délimitation des côtes et orages lointains, collines rocheuses, silhouettes d’immeubles et déplacements de chalutiers. C’est un enchevêtrement de matières aqueuses et métalliques, de vibrations et d’interférences, un forage face à une traversée. Deux récits distincts qui s’apprêtent à se rencontrer, faire corps, briser la glace géométrique (la différence d’axe) et géographique qui les sépare. Dans Hotel Monterey, Akerman grimpait les étages et captait le vide, Loustau, lui, trace une courbe en quête de son centre d’inertie, qui apparaîtra le temps d’un final en rupture, somptueux, émouvant, concret. Le carottier, évoqué au conditionnel dans un premier tempo de présentation, s’empare du récit, devient personnage moteur et progresse dans les abysses de par son énergie thermique à travers une glace qui après son passage se reforme. Puis il cesse de creuser, il a atteint l’inconnu, l’infini, cette terre folle, ce lac sous la glace, identique à ceux observés sur un satellite de Jupiter, un lac sans température (un autre écosystème ?) peut-être peuplé de créatures hydrothermales. Le travelling en surface s’est lui aussi arrêté. Il a cogné contre les parois du barrage (contre le pacifique) des Trois Gorges, qui a englouti des villages, dont Loustau s’approprie sa propre représentation, respiration, démesure. Evocations de déplacements de population matérialisés ici par de lointains échos de rires, de chansons, de bruit de foule (Sub est un objet sonore hors norme) fondus bientôt dans un bleu crépusculaire habités par des monstres marins insoupçonnés. C’est une exploration sidérante de l’infini pouvoir cinématographique offrant une résonance poétique aux disjonctions expérimentales godardiennes, autant qu’il peut se jouer des genres, entre docu scientifique, descente de fleuve, conquête sous-marine et film de science-fiction. C’est un très beau film, limpide et exigeant, entièrement dévoué à la stimulation sensorielle et imaginaire.

The mist – Frank Darabont – 2008

18897689.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxxThe host of seraphim.    

     8.5   A l’origine c’est une nouvelle de Stephen King. Et ce n’est pas la première fois que le cinéaste adapte le romancier, rappelons-nous La ligne verte. Un film éreintant, pompeux, ridicule qui fait l’apologie christique et ne remet jamais en cause la question de la peine de mort. Bref l’horreur. Ce n’est donc pas sans inquiétudes que j’allais me pencher sur cette nouvelle adaptation qui toutefois avait un cachet Carpenterien (The fog) qui m’interpellait.

     Je ne connais pas la nouvelle mais il paraît que le film lui est très fidèle, surtout au début. Peu importe. On est aux Etats-Unis, une tempête a éclaté dans la nuit, a ravagé des habitations, fait tomber de nombreux arbres. Cette petite famille bourgeoise qui ont vu un tronc traverser leur atelier peinture, un autre anéantir leur hangar n’a en plus pas de superbes relations avec leur voisin d’à côté, à qui le dernier arbre appartient. Par un concours de circonstance et beaucoup de calme, ils vont se retrouver lui, son fils et son voisin – sa Mercedes ayant été écrasé – embarqués pour aller au supermarché. Supermarché qu’ils ne quitteront pas de sitôt. Une épaisse brume encercle le magasin. Un homme en sort ensanglanté criant qu’un de ses amis a été littéralement emporté. Point de départ plus que passionnant de ce film qui n’a commencé que depuis cinq minutes.

     La suite est un huis clos total. On écoute les uns, on remballe les autres. On prend son mal en patience ou alors on quitte précipitamment l’endroit. Un premier accident a lieu – celui qui anéantira le minium de confiance qui était installée – où par un excès de bravoure inconsciente, un jeune garçon est dévoré, emporté par des tentacules. Un groupe a vu ce qu’il s’était passé. Un autre n’en croira rien. Tentacules ! They’re crazy! Certains décident alors d’agir par eux-mêmes, de sortir dans la brume. L’idée tourne mal. Au moins ça a le mérite de mettre tout le monde d’accord. Et The Mist va fonctionner comme cela tout le temps. Ce n’est pas tant l’extérieur qui s’avère être inquiétant c’est le magasin lui-même, la communauté qui y est enfermée, les choix proposés, les choix refusés. Trois soldats qui ne sont pas très nets. Des suicides. Une fervente religieuse qui se dit être le messager de dieu et comprendre que le temps de l’apocalypse est venu. L’arrivée d’une arme à feu.

     Ce sont tous ces évènements qui vont amener cette communauté à s’autodétruire, à imploser, alors qu’ils ont tout pour tenir un maximum de temps ensemble. On se retrouve vite dans un cas où l’homme n’est plus qu’un primitif. Il devient irréfléchi, uniquement instinctif. Et très violent. Alors même si l’on a le droit à quelques grosses ficelles comme cette conversion prématurée de cet homme qui est tomber nez à nez avec des araignées géantes, on est en droit se demander si ça ne sonne pas juste quand même. Si l’on observe bien, une grande partie du groupe n’a plus aucun repère et pire a perdu toute forme d’espoir. Le choix simple de se retourner vers cette personne qui semble être la seule à gérer la situation, bien que ce soit sur une thématique religieuse, est somme toute très logique. On se rattache à un espoir illusoire, quel qu’il soit.

     La violence qui irrigue nombreuses séquences du film est déjà désarmante mais n’est rien à côté de ce que l’on vit dans la dernière partie du film. Rarement je n’avais vu un film aussi sévère. Un film qui anéantit tout acte d’héroïsme. Un film sans porte de sortie. La fin dans la brume est un truc insupportable avant de devenir carrément horrible. Pas de punition (la femme cheveux courts qui ne peut rester car ses enfants sont seuls l’illustre à merveille) . Pas d’intervention divine (c’est un problème scientifique qui est en cause). Simplement aucun espoir. Ou s’il en est un, malheureusement tardif.

Cloverfield – Matt Reeves – 2008

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Le filmeur.    

   8.5   Archives du gouvernement : Cassette retrouvée dans ce que l’on appelait autrefois Central Park. Le décor est planté. Cette phrase introductrice fait office de début de film. Tout ce que l’on verra donc ensuite correspond à ce qui a été filmé avant ou pendant la possible catastrophe annoncée par la disparition du parc New-Yorkais.

     Nous débarquons dans un gratte-ciel de New York, plongé dans une intimité de couple puisque ce garçon filme sa copine au réveil. A de nombreuses reprises il y a des coupes sur la bande vidéo. On fait connaissance avec un type que l’on apprendra être le frère de celui qui filmait dans la première scène et d’autres amis. Ils lui organisent une soirée pour son départ au Japon. Cette première partie qui regroupe une connaissance rapide des personnages puis cette fameuse soirée où chacun doit dire un mot face caméra au concerné n’est pas le point fort du film, néanmoins elle sert d’installation au récit. Elle permet d’accentuer son réalisme et son caractère inattendu.

     Au moment où l’on ne s’y attend plus il y a un fort mouvement, comme un séisme, un bruit sourd et le courant saute. Le périple cauchemardesque de Cloverfield commence ici. Le film ne nous lâchera plus. Sur le toit de l’immeuble dans un premier temps où nous sommes pas loin de prendre des blocs de bétons en feu sur la tronche. Dans les rues de la ville. Sur le pont de Brooklyn. Dans les souterrains du métro. Pour se terminer évidemment à central park. On pourrait très facilement dessiner, géographiquement j’entends, le parcours de notre petit groupe dont l’éclaireur – le futur japonais – n’a qu’une idée en tête : Retrouver Beth, la copine de la première scène, dans cet appartement à l’autre bout de la ville. Les fantômes du World Trade Center ne cessent de rôder dans Cloverfield. Dans la vision de tours qui s’écroulent. De cendres qui recouvrent le paysage. De cette tour penché sur sa jumelle, dans laquelle se trouve Beth. Haut la main la séquence du film. Où l’on sentirait presque l’air du 57e étage nous absorber autant que les personnages. Et puis c’est la hauteur qui donne la profondeur. Inutile de préciser qu’à cet instant on en prend plein les yeux.

     Même si l’on peut douter des capacités d’autonomie des batteries du caméscope, de sa résistance incroyable, du choix de continuer de filmer des personnages quoi qu’il arrive on ne peut remettre en cause le travail de reconstitution et le côté culotté de ne montrer pas grand chose, de présenter une caméra qui tremble. Les effets spéciaux sont bien là mais pour une fois on ne les voit presque pas. C’est le son qui fait le reste. Il y a une scène incroyable lorsque toute une armée bombarde leur assiégeant en avançant sur une avenue équipés de tanks, mitrailleuses et bazookas. Le personnage filme ça de derrière (voir en dessous) une voiture. En somme il est exactement à l’endroit où l’on ne voudrait pas être. Un peu entre tout.  Ensuite il continue de filmer ses amis qui se sont réfugiés sur le trottoir d’en face, pendant que l’on voit les pieds des soldats passer devant l’écran, que l’on entend les bombardements hors-champs, les cris du monstre.

     Revenons un peu sur le travail effectué pour donner la nette impression de cassette retrouvée, façon projet Blair Witch en fin de compte : Un film au format très court déjà. 1h10 lors de l’apparition du générique final. Choix judicieux tant le film est éprouvant. Le choix d’un début de film hasardeux, dans cette chambre, un mois plus tôt, sans aucun rapport (si ce n’est de voir Lui et Beth ensemble) avec la suite de l’histoire. Une fin de film nette, comme un cut violent, témoignant d’une fin de cassette. Pas de véritable début. Pas non plus de fin. La fin correspond à la dislocation par bombardement de la ville américaine. Il restera quelques secondes à la fin, où l’on verra notre couple dans une grande roue. Probablement la suite de la première scène du film. Une vidéo du temps de paix comme dirait Chris Marker dans La Jetée. Il y a d’ailleurs de nombreuses apparitions de ce couple dans le film. Lorsque le caméraman tente de rembobiner la cassette pour y déceler la présence à laquelle ils viennent d’assister – ceci nous ne le voyons pas évidemment puisqu’il ne se trouve pas sur la bande – il doit avancer un peu loin en la recalant ce qui a pour effet de nous montrer le film précédent puisque sur cette partie rien n’a été enregistré par-dessus. C’est à mon sens une des grandes réussites de ce film, de ne pas avoir laissé passer cela, d’avoir toujours pensé en tant que caméraman amateur. Mais caméraman amateur qui filmerait avant tout, quoi qu’il arrive !

Le bannissement (Izgnanie) – Andreï Zviaguintsev – 2008

Le bannissement (Izgnanie) - Andreï Zviaguintsev - 2008 dans * 2008 : Top 10 h_4_ill_911775_cannes-bannissement

Cris et chuchotements.    

     9.0   Cette voiture qui roule sans finir à travers cette ville industrielle de Russie ; ce couple et leurs deux enfants qui s’installent dans une campagne déserte et magnifique ; ces longues promenades familiales dans les champs… Tout est infinie beauté, chaque plan maîtrisé et l’on devine millimétrés, une ambiance pesante accentuée par un cadrage ras du sol et une musique lourde. Puis survient l’instant dramatique de l’histoire : l’aveu d’adultère de la femme, portant un bébé en son ventre, n’appartenant pas au mari. Dorénavant, le film accroît son climat, lourd et silencieux, à l’image du couple brisé. Le crime ou le pardon, l’instinct ou la raison, tant d’interrogations soulevés par le protagoniste brisé. Et comme paradoxalement et étrangement, le temps semble jouer contre lui, alors que jusqu’ici aucune notion temporelle ne nous était offerte. Le récit est incroyablement bien construit, d’une force singulière, intime, qui nous bouleverse. Et à l’instant où le film semble fragile par sa longueur, la linéarité est bouleversée, et on nous fait partager d’autres sentiments concernant le passé. Je suis sorti du cinéma retourné, anéanti. En un mot : Bouleversant!

Two Lovers – James Gray – 2008

Two Lovers - James Gray - 2008 dans * 2008 : Top 10 2lovers432Nuits blanches.    

   9.0   Quelle mouche a piqué James Gray ? A peine avions-nous digéré son sublime We Own the night que le cinéaste prodige présentait un autre film sur les écrans ! Entre son premier bijou Little Odessa et donc son dernier il s’est écoulé treize ans ! Mais qu’il continue, si tous ces films sont du niveau de Two Lovers, qu’il en fasse tous les ans, ça me va très bien.

     Ses trois premiers films s’inscrivaient dans le registre du polar et de la tragédie familiale. Surpris étions-nous quand on a appris que Two Lovers était un drame romantique. Et pourtant au sorti de la séance on sait évidemment que c’est un James Gray que l’on a regardé. Ses obsessions de la famille sont bien présentes, et ce questionnement sur l’amour (que We Own the night survolait tout de même) occupe ici une place des plus importantes.

     Leonard est un quarantenaire atypique et bipolaire. Il habite chez ses parents. Non pas qu’il soit un éternel adolescent qui n’a jamais quitté le foyer, mais plutôt qu’il travaille dans la boutique de ses vieux qui l’hébergent donc, depuis une aventure amoureuse traumatisante, en attendant qu’il trouve celle qui l’aime un jour ou l’autre. D’un côté il y a Sandra, la fille d’amis de ses parents, qui semble pour eux la partenaire idéale. De l’autre, Michelle, une fille complexe, amourachée d’un homme marié qui peine à quitter sa femme, pour qui il éprouve bien entendu des sentiments plus intenses (enfin c’est ce qu’il croit).

      C’est une grande histoire de passion. La passion d’un homme pour deux femmes. Complètement différentes, opposées. Un homme au passé douloureux (liaison interrompue, tentative de suicide) qui semble dans une impasse avant que ces deux femmes viennent occuper son cœur.

     James Gray redonne tout simplement ses lettres de noblesse au mélodrame. A la tragicomédie romantique. Il réalise son L’Aurore moderne. Un film très intimiste, où chacun s’y retrouvera, puisqu’il ne délaisse personne. Enfin personne. Sandra reste le personnage le moins travaillé, même si c’est tout en retenue : Elle c’est la sécurité, elle semble posée, et c’est sans doute cela qui perturbe Léonard, cherchant une relation plus adolescente qu’il trouvera ainsi en Michelle. Léonard c’est l’adulte et l’adolescent. Celui qui a besoin d’aventures mais aussi de sécurité. Les seconds rôles, eux, tiennent une place importante, majeure presque pour certains comme le mari indécis de Michelle ou le père de Leonard, prolongement intéressant du père adoptif dans We Own the night, déjà c’était Moni Moshonov et Joaquin Phoenix, ce qui rend la relation d’autant plus touchante.

     Le plus beau dans tout ça c’est la mise en scène et le rendu de cette mise en scène. La simplicité, la beauté arrive à poings nommés en réponse au film de Clint Eastwood, boursouflé et surchargé au possible. A de nombreuses reprises certains plans et séquences sont somptueux, on pense entre autres à cette dispute entre Michelle et Leonard sur le toit de l’immeuble avec en arrière plan un New York froid, rendu sublime ; ou encore cette relation téléphonique intime à travers les fenêtres d’un immeuble modeste de la ville, clin d’œil hitchcockien ; ou encore la séquence sur la plage ; le tout dernier plan… Tellement de choses se passent, par les images, les regards… James Gray nous offre tout simplement l’un des plus beaux films de l’année.

     Maintenant j’aimerai touché quelques mots sur la fin de ce film, qui permet de multiples interprétations :

     Je pense la percevoir comme ouverte, dans le sens optimiste pour son personnage. La relation que Léonard entretient avec Michelle n’est que passionnelle à mon sens, mais pas si réfléchie que ça. Elle semble occuper son coeur durant le film, d’accord, mais l’on sent qu’au fond c’est elle qui l’empêche de vivre, c’est elle par exemple qui l’empêche de démarrer une relation « stable » avec Sandra, sans cesse lorsque Léonard est avec Sandra, Michelle est là aussi, au téléphone. Michelle c’est l’aventure, la fantaisie selon Léonard, une opposition au cercle familial protecteur en somme. Sandra c’est sans doute trop simple, trop à sa portée, surtout lorsque le type en question souffre de bipolarité. Mais en fin de compte, laquelle aime t-il le plus ? Je pense ce retournement de situation complètement sincère. Michelle est partie. Elle ne lui permet pas de se rabattre sur Sandra. Non, elle lui ouvre les yeux sur Sandra. La plage, le gant, la bague, tout ça c’est finalement Sandra. La plage, l’eau, Léonard revient la vie. Au début du film comme à la fin.

     Disons que ce personnage que Léonard place sur un piédestal, la blonde sulfureuse, m’apparait de plus en plus comme le spectre de la femme idéale qui le ferait grandir notre bon Léonard, une Sandra un peu moins casanière en somme. Mais honnêtement et quasiment de bout en bout je le sens plus proche de Sandra que de personne d’autre, Michelle n’existe que dans sa tête, du moins que dans ses fantasmes. Bien entendu il y a un compromis à la fin mais ce n’est pas un compromis malheureux à mon sens, c’est le compromis d’un homme qui a grandit, tout simplement, qui se rend compte que s’épanouir avec une personne qui vous aime aussi est peut-être la plus belle chose qui puisse arrivé.

    A ce titre cette fin est absolument magnifique, et le regard de la mère l’un des plus beaux qui soient. J’étais en larme…

Hunger – Steve McQueen – 2008

Steve McQueen Project - 'Hunger'Polyphonie de l’enfer.

   10.0   1981. Cinq ans que le gouvernement britannique a retiré le statut de prisonnier politique aux militants indépendantistes de l’IRA enfermés donc sous le joug carcéral. Ils sont maintenant reconnus criminels de droit commun. Pour s’opposer à cette décision, les prisonniers entament le « Blanket And No-Watch Protest » qui consiste en un refus d’hygiène et un refus de porter l’uniforme carcéral commun. Ils laissent leurs restes de bouffe dans un coin de leur pièce exigu qu’ils partagent à deux, ils repeignent les murs de leurs excréments, ils se débarrassent de leur pisse par-dessous la porte… leur unique moyen de s’opposer à cette loi. De cela découlent des altercations très violentes où il faut les emmener aux douches, mais à l’aide d’une matraque. Le film de Steve McQueen met parfaitement en ‘lumière’ ces lieux pourris de crasse, cette violence avec souvent une crudité telle qu’elle en devient insoutenable, au point de se demander si le cinéaste n’a pas véritablement fait souffrir ses acteurs (coups de matraques, marques rouges qui apparaissent peu à peu, tout cela en un seul plan-séquence, j’avoue que c’est douteux!). Peut-être le cachet performance rentre t-il en compte ici, mais je préfère ne pas m’attarder là-dessus, le film ayant beaucoup d’autres atouts pour les masquer par ce sentiment. Le film est une formidable passation de rôle puisqu’il commence par nous montrer le quotidien d’un surveillant de la prison avant de passer du temps avec deux hommes dans leur cellule pour terminer sur la tragique histoire de Bobby Sands. Destruction de la linéarité et des conventions de récit. C’est assez bluffant. Trois parties. Ou deux parties séparées par une (longue) transition de vingt minutes entre Bobby Sands et le père Dominic Moran – le premier expliquant au second son désir de ne plus manger jusqu’à mourir – sans nul doute la scène que je préfère. Hunger est une symphonie en quelques sortes. Une partition. En trois mouvements. Le trois c’est le chiffre du film. Trois personnages : Le surveillant, Gillen/Gerry, Bobby Sands. Trois parties : La solitude,des uns et des autres, la violence insoutenable, la découverte des lieux, les premières rencontre familiales, les discours lointain de Tchatcher ; Le dialogue entre Bobby Sands et le père Moran ; La décrépitude volontaire de Bobby. Mais revenons sur cette immense scène de dialogue : Ce qui est formidable c’est la découpe de ce dialogue. Un peu au rythme des cigarettes fumées d’ailleurs. Au début c’est la causette, le prêtre semble même se confesser. Les questions, les réponses, explosent à tout va, du tac au tac. Ensuite c’est ce pourquoi Bobby invite le père Moran. Cette grève de la faim qui semble inéluctable. Puis, dernière clope, souvenir d’enfance. Encore plus passionnant, ce sont les remarques, le ressenti du prêtre à l’égard de Bobby Sands, de son acte. Il semble à première vue moqueur, il n’y croit pas (la première grève avait foirée de toute façon). Puis il est moralisateur. Il se sert de dieu. Si dieu ne te puni pas pour ton suicide, il le fera pour ta bêtise. Dernière partie du dialogue. Qui devient un monologue : Bobby raconte l’histoire du poulain. Le prêtre ne parle plus, il ne le peut pas. Leur contradiction a des racines trop lointaines, jamais il n’arrivera à le convaincre. Bobby est un résistant, il ne restera pas les bras croisés. Le prêtre c’est l’incarnation du renoncement. Il se sert de l’argument pense à ta vie avant tout. Un peu comme une majorité d’entre nous. Hunger est d’une efficacité redoutable, tranchant comme la lame d’un rasoir, qui joue à merveille avec le son (certaines scènes sont là encore musicales : Le nettoyage de la pisse, le karscher sur la merde, bien entendu le bruit des matraques…etc.). La violence des coups de matraques répondant à la finesse des flocons de neige. L’odeur de la merde à celle de la campagne à la fin du film. Un film admirable. Très immersif, organique, on en sentirait presque cette merde murale, et surtout c’est un grand coup de poing dans la tronche de la Tchatcher, que cette grève de la fin a tout de même dû secouer…

La Vie Moderne – Raymond Depardon – 2008

La Vie Moderne - Raymond Depardon - 2008 dans * 2008 : Top 10 18404314Les oubliés.

   8.5   La voix de Raymond Depardon nous guide dans ce paysage de campagne que nous sillonnons afin d’en savoir davantage sur le mode de vie, l’état d’esprit des autochtones, de ces agriculteurs condamnés à la solitude éternelle dans ces quatre coins de la France.

     Ces gens de la terre qui apparaissent aussi forts que fragiles, conscients du devenir désastreux de leur métier, de leur passion plutôt puisque comme le dit cet agriculteur « On ne dit pas que l’on aime ce métier, on dit que l’on est passionné. »

     C’est donc un constat très dur, mélancolique d’une culture sans avenir. Puisqu’il n’y a pas de relais. Entre crise de générations, problèmes financiers, problèmes divers liés aux troupeaux, à la terre, aux mauvaises retraites, c’est un peuple touché économiquement mais que la politique a laissé tomber. Réflexion aussi sur la mort, la succession, le désir de faire autre chose, les projets inaboutis… Quant aux personnages, Marcel, Raymond et consorts, même si l’on ne comprend pas toujours ce qu’ils disent, leur regard, leur tristesse, leur joie sont très touchantes et on prend plaisir d’être Depardon le temps d’un film car toutes ces questions nous aurions aussi aimés les poser. On approche tout cela en musique, sous le requiem de Fauré ou tout simplement avec la voix du cinéaste, des paysages magnifiquement filmés ; c’est un vrai caviar pour nos yeux ébahis de spectateur.

     C’est un film sensible, bouleversant par sa simplicité, son honnêteté, et qui évite toute mièvrerie et misérabilisme qui nuiraient à l’œuvre. Un documentaire photographique, parce que les images sont sublimes, les cadrages très travaillés, qui aurait sans doute gagné (je parle pour moi là !) à être vu après les deux premiers, ce qui doit renforcer l’émotion, car les documentaires précédents sont partiellement évoqués. La fin est une des plus belle de l’année : poétique, grave et lumineuse.

     Donc, cette année, après avoir vu les laissés pour compte de la rue dans un quartier du Queen’s dans Chop Shop, les laissés pour compte gitans de Marseille dans Khamsa, voici les laissés pour compte de la campagne oubliée.

De la guerre – Bertrand Bonello – 2008

De la guerre - Bertrand Bonello - 2008 dans * 2008 : Top 10 h_4_ill_1046445_delaguerre-bisDe l’extase.

   9.0   Étrange sensation au sortir du film de Bertrand Bonello, dont c’était son premier que je découvrais. Quelque peu sonné surtout. Comme si je venais de vivre deux heures de méditation, deux heures d’images m’embarquant totalement dans des confins personnels que j’ignorais encore. L’autre sentiment singulier concerne l’histoire du film même. Parce qu’étonnamment je ne pense pas en avoir saisi tous les horizons, mais il m’a suffisamment parlé pour que je puisse en éloigner cette interrogation.

     De La Guerre s’ouvre sur une citation de Dylan : « Si je n’étais pas Bob Dylan je penserais moi aussi que Bob Dylan a réponse à tout ! » et ne fait que l’illustrer deux heures durant. Bertrand – l’alter ego du réalisateur ça ne fait aucun doute – va vivre une expérience brève mais intense le temps d’une nuit dans un premier temps. Enfermé par maladresse dans un cercueil, alors qu’il venait simplement faire des repérages pour son prochain film, il va découvrir une aspiration inconnue de lui-même : il va atteindre le sublime, l’extase. Et grâce à Charles, prophète tombé du ciel (génial et regretté Guillaume Depardieu) il va vivre l’expérience de sa vie, la plus fascinante, dans un lieu isolé, loin de tout, sorte d’îlot s’apparentant à une secte, où chacun s’y trouvant est en quête de ce plaisir, de cette liberté que Bertrand convoite tant. Il fera face à son esprit, et à lui seulement.

     De La Guerre est un voyage exaltant, surprenant, drôle et unique. Une œuvre fabuleuse (même si je comprendrais qu’on la trouve hermétique) qui évoque les doutes existentiels, entre beauté céleste et ténèbres infinies. Un œuvre diablement moderne qui parle de choses intelligentes et graves en toute légèreté. Une œuvre citationnelle, devant laquelle on pense à Last Days, Tropical Malady, The Beach et bien évidemment Apocalypse Now. Une œuvre qui oscille entre rêverie poétique et ridicule de situations, qui s’approprie les deux, et touche au sublime. L’état second dans lequel il m’a plongé ne s’est toujours pas atténué ; il est donc difficile de pondre ces lignes.

Rome plutôt que vous (Roma wa la n’touma) – Tariq Teguia – 2008

Rome plutôt que vous (Roma wa la n'touma) - Tariq Teguia - 2008 dans * 2008 : Top 10 1235127172Immagine2De l’autre côté. 

   9.0   Deux jeunes algériens (en couple, ou pas) en quête d’autre chose, sillonnent les routes à la recherche d’un certain Bosco qui pourrait être celui qui les délivrerait de ce carcan tenace qu’est l’identité individuel.

     Les partis pris de mise en scène sont parfois inexplicable mais ne nous empêchent pas de saisir l’essentiel et d’admirer le travail accompli. Certaines séquences sont magnifiques. Comme ce long travelling à hauteur d’homme (de la jeune femme tout particulièrement) dans une rue d’Alger en début de film. Ces longues scènes subjectives (donc le regard des personnages) évoquant le songe permanent. Cette scène terrassante, étouffante d’angoisse de l’arrivée des « flics » dans le bar (un calvaire pour nous autant que pour les protagonistes !). Ces plans sur la plage d’une beauté défiant toute concurrence. Cette scène de festivité, où se dégage une réelle sensation de liberté, un instant trop bref comme le peut être une fête dans notre quotidien : scène finalement joyeuse qui nous ôte toute dépression. Les plans s’étirent, et finalement c’est aussi ce qui arrive aux personnages : ils tournent en rond, sont dans une phase de transition, presque sans identités, comme des êtres hors du temps, qui n’ont d’importance qu’aux yeux du spectateur.

     Ajoutez à tout cela des images, des sons en adéquation idéale avec le récit, car c’est probablement avec Le Bannissement de Zviaguinstev, ce que j’aurais vu de plus beau en images et sonorités cette année. Et on obtient un film d’une richesse évidente, où chaque plan n’est pas anodin, un film il est vrai très exigeant, mais dont le sujet est à la fois grave et d’actualité. Un journal évoquait Costa, Zhang-Ke quant aux influences. On pourrait tout aussi bien ajouter Cassavetes et Antonioni, et surtout reconnaître un talent évident, en la personne de Tariq Teguia, qui devient légitimement un cinéaste à suivre de près.

Dernier Maquis – Rabah Ameur-Zaïmeche – 2008

Dernier Maquis - Rabah Ameur-Zaïmeche - 2008 dans * 2008 : Top 10 tn_img-6-300x171Utopie orange vert pourpre.   

   8.5   Ce film apparaît comme l’évolution adéquate dans la petite mais déjà imposante filmographie de Rabah Ameur-Zaïmeche. Car même s’il retrouve « l’espace clos » de son premier film, à savoir qu’ici les immeubles aux étages infinis ont été remplacés par un lieu de travail recouvert de palettes rouges, le grain de l’image est lui plus proche de son précédent film, dans cette démarche plus lente, plus lyrique d’aborder l’espace. Mais quelque chose a cependant bien changé. Son cinéma gagne un grade de plus, prend davantage aux tripes et se veut plus profond, peut-être plus écrit. Comme le dit RAZ lui-même, c’est un film sur la religion et le prolétariat, un film sur l’islam et le travail, voir l’islam au travail.

     Très loin des clichés habituels, le cinéaste s’improvise ici personnage patron d’un chantier (« s’improvise » car d’origine ce rôle n’était pas pour lui mais pour un acteur connu qui s’est désisté deux jours avant le début du tournage) qui décide d’ouvrir une mosquée, de façon à réunir ses employés, mais ce sera lui qui en désignera l’imam et poussera les non musulmans à se convertir.

     Parabole du chef d’entreprise, RAZ pousse la réflexion encore plus loin, ou du moins nourri une certaine ambiguïté qui n’aurait de cesse d’occuper le film en son entier, en présentant un personnage parfois antipathiques, parfois attachant, de même que des mécanos compréhensibles mais pas non plus irréprochables dans leur démarche auprès des ouvriers, et des ouvriers alors précarisés loin d’être exempts de lâcheté. D’autant que certaines séquences à l’appui (celle du ragondin par exemple) sont très déstabilisantes puisque le cinéaste parvient à changer notre perception, notre jugement sur ces personnages en une fraction de seconde. Et évidemment cet épisode est chargé de symboles politiques.

     Et quand RAZ décide d’employer le hors champ concernant son personnage (sur la barque, à la mosquée) il réussit quelque chose d’inouï, presque d’inespéré. Le patron est là et en même temps ne l’est pas. C’est très fort. De la même manière il y a une absence totale de femmes (une question qui occupa de la place à tort pendant le débat) car je cite le cinéaste « Faire apparaître une femme dans le récit aurait été nuisible car on aurait embrayé sur un autre film, et la seule femme qui aurait pu être ici ç’aurait été le personnage de Mao, mais je tenais trop à ce rôle après coup ! »

     Vous l’aurez compris, Dernier Maquis est selon moi bien meilleur que les deux autres. Quoique 1h30 durant j’aurais parlé de très bon film et non de grand film, avant qu’apparaisse ce dernier plan symboliquement chargé, et ce générique final sous cette musique originale hallucinante, rythmée par le bruit des palettes, grandiose d’un type dont j’ai oublié le nom, mais qui est un génie!


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silencio


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