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Avatar – James Cameron – 2009

14. Avatar - James Cameron - 2009« Je te vois ».

   8.5   Si j’ai maintes fois pu revenir sur de nombreux films de James Cameron (jusqu’à un visionnage annuel, pour certains) ce n’était que la troisième fois que je voyais Avatar. La première date du 20 décembre 2009 (j’ai encore le ticket) dans une salle bondée, qui sentait beaucoup trop le popcorn ce qui n’avait pourtant pas entaché le plaisir procuré par le film ni notamment sa 3D – seule fois où j’y avais ressenti une vraie force, une vraie utilité. Le film m’avait plu, impressionné sans toutefois m’emporter aussi loin émotionnellement que d’autres films de Cameron. Mais c’est une séance gravée dans ma mémoire, indéniablement. Une séance magnifique. Si agréable qu’elle m’empêchât longtemps d’y replonger, chez moi, dans mon canapé. Jusqu’à ce jour d’octobre 2019 – il y a seulement trois ans, en somme – où je l’ai revu pour le faire découvrir au fiston, alors âgé de sept ans et demi, qui avait halluciné, au point de le revoir le lendemain. Plaisir imparable.

     Si je le revois aujourd’hui, c’est évidemment afin de préparer le visionnage de l’épisode suivant : Bien sûr je préfèrerais que Cameron fasse autre chose, me surprenne avec un autre univers, mais je me suis fait une raison depuis longtemps, Avatar (et ses suites) c’est le film de sa (fin de) vie. Toute sa filmographie converge vers l’univers Avatar. Quoiqu’il en soit j’ai revu le premier et quel bonheur, une fois de plus. Quel plaisir de divertissement, d’images, de sons, de fluidité narrative. Les défauts (un certain penchant pour la punchline beauf, une certaine naïveté par instants, quelques lourdeurs dans ses enchainements) je les vois toujours, ce sont les mêmes que dans les précédents films de Cameron, mais ils se dissipent considérablement au fil des visionnages, et ne restent que la magie, le vertige visuel et l’intense bonheur d’assister au blockbuster total de l’ère moderne. Et la fascination qu’il génère : Son efficacité narrative, sa démesure visuelle, sa puissance rythmique, son aura visionnaire et l’anomalie (au box-office) qu’il représente : Il n’appartient à aucun monde crée, aucune saga. Et pourtant il attire, émeut, fédère.

     En 2154, une conquête spatiale est engagée afin de trouver un minerai permettant de sauver la planète. Sur Terre – plutôt dans le vaisseau, puisque sur Terre nous n’irons pas – Jake Sully, ex-marine, évolue dans un fauteuil roulant, privé de ses jambes. On apprend bientôt le pourquoi de sa présence ici : il est réduit à n’être que le frère de celui, récemment décédé, qui devait partir faire cette mission sur la planète Pandora. Il fait les frais de moqueries diverses au départ, c’est l’incapable de la bande, puisqu’en plus d’être invalide il ne connaît absolument rien des tenants et aboutissants de la mission. Contrairement à son acolyte qui l’accompagne, c’est la toute première fois qu’il enfile le costume bleu na’vi. Cette plongée dans un autre monde est pour lui comme un nouveau départ. Un lieu où il sera vide (il le dira d’ailleurs plus tard à Neytiri et gagnera sa confiance) de toute éducation humaine, malvenue dans le monde des autochtones. Un lieu où il pourra bien entendu courir, s’épanouir et où il découvrira un nouveau dialecte.

      Cameron effectue un va-et-vient aussi lourd que passionnant, entre les deux mondes que tout oppose mais qui servent d’écrin de mort et renaissance à Jake : le vaisseau humain, robotisé, mécanique, métallique, habité par des êtres avides d’un côté ; la vie dans la communauté des na’vi de la forêt sur Pandora, planète idyllique, colorée, d’une grande portée spirituelle. Si Jake se réveille dans une sorte de cercueil téléporteur (magnifique plan qui imiterait une incinération et rappelle dans le même élan la mort de son frère) où il retrouve ses jambes paralysées, c’est aussi pour que le spectateur l’éprouve autant que lui. Comme il ressentait très intimement la faille spatio-temporelle dans Titanic à l’écoute de l’histoire de Rose. Le spectateur rêve lui aussi d’être sur Pandora, de voler sur ces petits dragons, de parler à Neytiri, de marcher sur une nature bioluminescente. Ce film est une porte d’entrée au rêve. Cameron le dit, il a fait ce film pour l’ado qui sommeille en lui, car il y a quelque chose de très naïf, très utopique dans cette démarche salutaire, et pourtant comme à son habitude, ses niveaux de lecture sont tentaculaires, son regard est riche, critique, très sombre aussi : Il est rare d’assister à un tel frisson de tristesse dans un film de cet acabit, que lors de la chute monstrueuse de l’arbre-mère.

     Pourtant, si Avatar nous plonge dans un monde, il ne cesse de parler du nôtre. De l’humain, de sa bêtise, son appétit pour la destruction, de son intransigeance, son égoïsme, sa volonté de survivre quoi qu’il en coûte. Du pouvoir de la technologie qu’il a créée. De sa substitution à cette technologie. Chez Cameron, la machine (l’avatar, le vaisseau, le bateau, le robot…) est systématiquement un moyen d’en revenir à l’Homme. Mais hors exceptions – ils sont peu mais formeront une escouade résistante – l’être humain dans Avatar n’a rien d’humain : il est fonction, T-800, machine à tuer, machine à détruire, machine en mission.

     On apprend très vite le pourquoi de cette opération : Une énergie importante à la survie de l’humanité se trouve sur Pandora. Jake Sully est envoyé pour approcher la communauté na’vi et négocier leur déménagement, les ressources convoitées se trouvant juste en dessous de leur pied. Tel un John Smith envoyé sur une terre lointaine, Jake qui revit peu à peu dans ce nouveau monde n’a pas le cœur à la mission. Et ce pour plusieurs raisons : Il a retrouvé ses jambes et bientôt il croisera Neytiri, sa Pocahontas. Mais Jake n’est pas le bon petit soldat : il n’est que substitution de celui qui devait être envoyé au préalable, avec lequel il partage l’ADN qui permit de créer l’avatar qu’il arborera.

     Le cœur extatique du film se vit pleinement au diapason de Jake, à travers son regard : tout y est lumineux, détaché, fabuleux. On fait corps avec Jake Sully afin, comme lui, de découvrir ce monde puis de tomber amoureux de Neytiri. Dans Titanic, on se souvient qu’avant de voir le bateau heurter l’iceberg, on lévitait aux côtés de Rose et Jack, la soirée irlandaise, la cavale tel deux ados, entre les coursives, la salle des machines, jusqu’à la scène d’amour en point culminant : On lévite tellement qu’on oublie d’être venu voir le récit du naufrage d’un célèbre paquebot. On retrouve ce schéma narratif dans Avatar, soit avant que les marines ne prennent la situation en main : Ces longues scènes hors du temps avec le choix de l’ikran, l’acceptation dans la communauté, la communion de Jake avec Neytiri. Exactement la même trame. On n’est pas chez Cameron pour rien.

     Par ailleurs, l’union de Jake et Neytiti s’effectue dans un écrin magnifique, un carrefour luminescent, divin. C’est un lieu de prière où les na’vi implorent l’Eywa, sorte de mère-nature. Leur déesse, donc. Formidable pied de nez à notre civilisation qui ne peut se mettre en accord sur rien, même pas sur un dieu commun. Chez les na’vi, alors qu’il semble y avoir différentes communautés (il suffit de voir l’organisation résistante de la fin du film) le dieu reste unique. C’est l’utopie crée par James Cameron : Un monde qui s’en remettrait à un seul dieu et qui n’interviendrait que pour l’exact équitabilité naturelle ainsi que pour la communion spirituelle des êtres (« je te vois » devient le mantra de tout un chacun). Un monde dans lequel, forcément, on aimerait vivre. Cohabiter.

     La cohabitation demeure l’enjeu essentiel d’Avatar. D’un cinéma loin d’être novateur et d’un support lui totalement nouveau. Du réel et du virtuel. De l’homme et d’une entité extra-terrestre. De l’homme et de la femme : Cette dernière a toujours une place majeure chez Cameron. Elle est désignée comme porteuse du futur chef de la résistance dans Terminator et donc située en ligne de mire principale. Elle est celle qui permettra à l’être humain de s’en tirer dans l’espace dans Aliens. Dans Abyss c’est évident, l’un ne va pas sans l’autre. Dans True Lies Jamie Lee Curtis a une place importante dans le récit alors qu’elle ne fait à priori guère parti du processus de départ jamesbondien. Titanic est moins l’histoire d’un naufrage que le souvenir d’une femme ayant survécu à ce naufrage.

     L’histoire d’amour est aussi l’un de ces prétextes de rêve de cohabitation, réunion, rassemblement. Rose & Jack étaient les objets qui permettaient la réunion de classes. L’union de Neytiri & Jake, tous deux bien entendu là-aussi très différents au préalable, participe à la résistance afin de préserver les richesses de cette différence. Il ne s’agit pas seulement d’un bateau qui coule, ni d’un combat homme vs machine ni d’une guerre de planètes, il faut qu’il y ait résistance intime, que l’infiniment petit se loge dans l’infiniment grand. Chez Cameron, que ce soit dans Titanic, Terminator ou Avatar, l’histoire d’amour sonne l’accouchement d’une force clairvoyante au sein du chaos.

     S’il s’agit de compréhension de l’autre, inévitablement il fallait qu’Avatar commence par un mensonge. Jake rencontre Neytiri pour sa mission, un peu comme Johnny rencontrait Tyler dans le Point break de Kathryn Bigelow – Les ponts entre les œuvres de Cameron & Bigelow sont évidemment nombreux. Ils s’amourachent l’un de l’autre mais Jake est coincé et continue de lui mentir. S’il semble s’aventurer sur les terres de la fiction écologique d’un Danse avec les loups (Kevin Costner) on pense beaucoup au Nouveau Monde, de Malick. Bien entendu le fait d’apprendre un nouveau dialecte, de s’immerger totalement dans une culture n’est pas étranger au mythe de Pocahontas que Malick adaptait déjà à sa manière. C’était presque décevant de voir les na’vis avoir cette facilité à comprendre l’anglais. J’aurais tellement aimé que nos deux tourtereaux passent du temps à communiquer dans le silence ou au moyen d’un nouveau langage.

     Cameron doit évidemment se plier aux contingences des blockbusters, mais il condense toute la dimension spirituelle du film en trois mots qui accompagnent les personnages en permanence : Je te vois. I see you. Crédo entonné par Neytiri qui semble signifier : « Je t’aime. Je te sens. Je peux observer l’intérieur de ton âme ». Un « Je te vois » qui renvoie au « Tu sautes, je saute » dans Titanic. La fin d’Avatar se fera sans les mots. Ce qui se joue à l’écran on l’attend depuis le début du film. C’est la confrontation entre deux mondes. L’acceptation de la cohabitation entre le réel et le virtuel. Pourtant la force de ce contact, ce baiser est tel que l’on est chaviré. Comme on pouvait l’être lors du baiser de résurrection dans Abyss.

Hadewijch – Bruno Dumont – 2009

08. Hadewijch - Bruno Dumont - 2009Acte de foi.

     10.0   Le film m’était apparu déjà puissant il y a près de dix ans, incroyablement moderne mais n’ayant pas une vue globale sur l’œuvre de Bruno Dumont, je n’en soupçonnais pas la grandeur ni son pouvoir de fascination. J’ai pensé à ce film chaque jour ou presque tout au long de ces huit années. Le revoir fut l’une de mes plus grandes émotions devant un écran depuis longtemps, comme si je retrouvais un ami d’enfance perdu de vue, avec qui nous avions beaucoup partagé mais qu’on avait laissé tomber dans l’oubli. Comme si ce film avait toujours fait partie de moi sans que je ne m’en rende compte – Le fait d’avoir fait sa connaissance en même temps que je me forgeais une cinéphilie n’y est pas étranger. Je l’avais gardé en moi, quelque part, il n’attendait plus qu’à ressurgir. Si je considère aujourd’hui qu’Hadewijch est le plus beau film de Bruno Dumont (et l’un de mes films préférés) ça m’avait un peu (j’avais déjà beaucoup aimé) échappé il y a huit ans, mais c’est un film immense, puissant en permanence et d’une beauté hallucinante. J’ai fini en miettes. Ça m’avait beaucoup plu il y a huit ans, ça m’a cette fois terrassé.

     C’est une véritable révélation. Et je suis ravi puisque c’est le sujet du film. C’est sans doute le plus agnostique des films de Bruno Dumont. Celui où il questionne la foi, dans ce qu’elle a de plus instinctive et primaire. Céline ne parvient pas à trouver la foi dans le couvent. Et si c’était devant ce jeune groupe de musique punk ou cette troupe d’église qu’elle allait la trouver ? En fait, elle ne parvient pas à concevoir que son seul souhait serait de faire l’amour au Christ. Au détour d’un plan, au début, elle semble dévoré par le monde, incarné dans un immense chantier, des grues, un monte-charge. Le réel le plus brute s’immisce dans la mystique. Le film est en légère surexposition en permanence, guetté parfois par de brutaux halos lumineux, ça pourrait être trop appuyé, c’est au contraire d’une discrétion absolue, d’une élégance divine, comme pour entrer en adéquation avec Céline, qui cherche un signe, une lumière nouvelle. On pourrait voir dans cette initiation un certain systématisme théorique, un manque d’incarnation. En fin de compte, ce traitement détaché est important, il permet une identification en deux temps, assez originale.

     Hadewijch c’est la quête du visible dans l’invisible. De cette foi (quelles que soient les religions, les croyances) qui a pour dessein l’abnégation en une divinité suprême, qui guide les évènements, impose les choix. Céline (à la ville) est très chrétienne. Elle sort du couvent dont elle a été plus ou moins renvoyée, pour ce qu’elle s’infligeait (l’abstinence, notamment) ne ressentant pas tout l’amour de dieu qu’elle espérait recevoir. On sent comme une rupture avec les précédents films de Dumont, qui montraient des êtres paumés qui grandissaient passivement via les événements qui leurs étaient imposés. Céline est motrice, recherche un état bien précis. Elle s’abandonne à dieu, complètement – sublime séquence où on la voit s’agenouiller sous la pluie, en haut d’une colline, devant une grille renfermant une statue du christ – mais recherche cette communion parfaite, qu’elle ne ressent pas, tout simplement parce qu’elle n’est pour le moment pas en mesure de comprendre ce qu’elle ressent. De comprendre qu’elle a besoin non pas d’une âme invisible mais d’un corps bien réel.

     Ce corps matérialisé c’est peut-être en Yassine que Céline le trouvera. Ou bien n’intervient-il pas trop tôt dans son cheminement accéléré vers la nature humaine ? Yassine apprendra à la connaître, il l’emmènera à un concert mondain (où il tentera d’abuser gentiment d’elle, il s’en excusera), ils feront une escapade avec une moto qu’il a volée, ils iront boire un verre au café du coin, mais surtout il lui présentera son grand frère. Cette rencontre sera charnière dans l’évolution religieuse de Céline, dans l’aboutissement de son amour pour dieu. Jusqu’ici elle disait être amoureuse du christ, avec beaucoup de gêne, de timidité, comme si une partie d’elle ne se faisait pas confiance. Nassir va sinon lui éclairer l’esprit, apporter une réflexion qui va l’amener à douter, d’elle-même, de ses sentiments qu’elle croyait inébranlables, de la volonté de dieu même. Un homme qui lui dit que dieu est invisible, qu’il est partout, qu’il n’est pas fait de chair, elle ne le supporte pas. « Bah non il est pas là ! Il est pas là, Yassine » s’acharne-t-elle, un moment donné, incapable d’offrir l’existence à l’invisible. Cet invisible qu’elle ne supporte plus.

     Le dieu de Nassir le convoque aux actes terroristes, lui demande de répondre à la violence par la violence. C’est cette nouveauté qui interpelle, perturbe, fascine Céline. Elle qui était la « caricature » de la passivité, se rend compte en côtoyant le monde qu’elle pourrait s’en remettre à dieu activement. Dumont ne cautionne pas cela, il montre simplement ce qui se joue dans la tête de cette jeune femme qui on le rappelle est en plein doute existentiel. Mais il y a aussi et surtout ce besoin du visible constamment, cette envie évidente de chair, d’un corps, qu’elle croit rechercher en dieu, en le christ, alors qu’il se trouve devant elle, continuellement, et bien visible. Mais cela il faudra une scène finale absolument incroyable, la plus belle de tout ce qu’a pu faire Dumont je pense : Au moment où elle avait choisi de se donner la mort, quelqu’un l’en sauve in-extremis. Dieu ? Alors dans un corps bien humain, celui d’un ouvrier qui participait à la réfection du couvent, que Dumont montrait de temps à autres depuis le début (son travail, son entrée en prison, sa sortie). Maintenant, Hadewijch, disons plutôt Céline, peut croire. Et peut s’offrir amoureusement, et physiquement. A un corps d’homme.

     La force de la mise en scène est comme souvent chez ce cinéaste intimement liée au récit. Cette grandeur qui saisit des corps perdus dans une nature proéminente. Ces cadrages très serrés sur les visages de ces mêmes corps pour saisir leurs émotions profondes. Magnifique séquence de trouble entre Céline et Yassine – Mais il y en a quelques unes – dans la cuisine de ce dernier. Elle lui prend les mains, ressent un désir très fort pour son ami. Et lui embarrassé (car respectueux de ces choix de virginité) de lui demander ce qu’elle est en train de faire, de lui dire qu’elle un peu bizarre. Le problème ici est qu’aucun des deux ne sait concrètement ce qui lui prend. Pour une fois c’est pulsionnel ce qui se passe en elle, mais elle ne sait pas ce que c’est. Dumont sait se faire radical dans le plan et la symbolique du plan. Les relations entre Céline et ses parents sont définies en deux/trois séquences, c’est suffisant. Ce cheminement elliptique qui voit Céline participer à un acte terroriste est montré rapidement. Car Dumont préfère s’attarder sur le statisme de son personnage, sur ce qu’elle ressent plus que sur ce qu’elle vit. Sur cette marche finale par exemple, non loin de l’endroit où elle a grandit, qui n’est autre que la mort d’Hadewijch pour la naissance de Céline.

     Hadewijch, surtout, est le film le plus doux de Bruno Dumont. Certes, s’y joue violence et austérité, mais sur un mode lumineux. Lui fallait-il quitter sa lande natale (Hadewijch est tourné en Belgique, à Paris, à Beyrouth) et le vent de ses dunes (Le monastère se trouve comme écrasé dans un fond de plaine, encerclé par la forêt) pour y débusquer les agencements plus directs, les ellipses plus franches ? Dumont va donc filmer Paris. Et ainsi ouvrir son cinéma vers des cimes qu’on ne lui soupçonnait pas : La finesse de ce récit d’initiation trouve écho dans la douceur de la mise en scène. Tout ce qui se joue entre Céline et Yassine sont les plus belles scènes que Dumont ait jamais tournées. On trouvait déjà ça dans La vie de Jésus mais sous des contours nettement plus écrasants.

     Julie Sokolowski est extraordinaire. On sait combien Dumont sait dénicher des perles rares, à peine promises au cinéma. Mais là, contrairement à Flandres ou plus tôt, à La vie de Jésus, le film repose entièrement sur elle, son visage, sa voix, ses contradictions, sa complexité, sa manière d’habiter le film, de déambuler dans le plan, de faire vibrer chaque strate du récit. Une illuminée qui illumine tout le film. Dumont avait pourtant rencontré Julie Sokolowski dans un bar à la sortie de Flandres. Non croyante, le rôle ne l’intéressait pas. Et pourtant, elle campe Céline avec une intensité qu’il eut été impossible de dénicher ailleurs. Disons plutôt que ça aurait modifié toute la face du film. Si la jeune actrice n’est pas branchée religion, Dumont lui offre de s’inspirer de sa propre déception amoureuse. Et c’est tout le sujet du film : L’amour de jeunesse retracée à l’aune de la quête spirituelle.

Wendy & Lucy – Kelly Reichardt – 2009

wendy_and_lucy07Voyage interrompu.

   8.5   C’est un road-movie pas comme les autres, puisque géostationnaire. Ce qui ne l’empêche pas d’être toujours en mouvement, de traverser des rues, des routes, des forêts, des voies ferrées ; D’entrer dans une épicerie, un garage, un commissariat, une fourrière, des toilettes de station-service. De croiser du monde. Wendy et son chien Lucy échouent dans un bled paumé de l’Oregon. Au départ, c’est une étape parmi d’autres, jusqu’en Alaska. Dormir puis repartir. Quand le film s’ouvre, on sait que le voyage ne s’est pas lancé d’hier. Les visages, les fringues, la voiture, une façon de marcher, d’errer, de se débrouiller. On apprendra plus tard que Wendy vient d’Indiana. Autant dire qu’elle a déjà traversé à minima six Etats.

     Le carrefour que va constituer cet apparent lieu d’escale, autant sur le plan physique qu’initiatique ressemble fortement à celui dans lequel s’engage alors Kelly Reichardt, la réalisatrice, qui après les effluves d’errance forestière de deux amis paumés dans Old Joy, et avant le western étique que sera La dernière piste, choisit de mettre en scène ses propres doutes, son goût pour les espaces, les silences, son amour du plan fixe et des discrets travellings. C’est un cinéma qui se rapproche de celui de Gus Van Sant, versant Paranoid park et des frères Dardenne, versant Rosetta. Mais sans l’érotisation du premier ni la charge sociale du second. Enfin disons qu’il y a les deux mais de façon beaucoup plus simple et aléatoire.

     Le voyage statique de Wendy est rythmé par des rencontres, parfois douloureuses comme ce jeune employé de supermarché zélé, qui fait le nécessaire pour que la voleuse serve d’exemple et se fasse arrêter la contraignant à laisser Lucy seule, attachée dehors ; Ou comme ce vieux clochard, qui vient perturber son sommeil en lui crachant sa haine du monde, s’autoproclamant serial killer. Dans ce dédale de solitude, forcément guidé par l’inconnu donc la peur, Wendy rencontre un vieil homme, qui est gardien d’un parking privé vide. C’est lui qui lui demandera d’enlever sa voiture mais c’est aussi lui qui la guidera dans ses nombreux travers (Faire réparer son tacot, récupérer son chien…) n’hésitant pas à lui prêter son téléphone ni à lui proposer un peu d’argent. Et moins distinctement, Wendy croisera la route d’autres laissés pour compte (Routards post-hippies et Sdf recycleurs de canettes) et de simples guichetiers.

     Un film avec un chien c’est toujours un peu dangereux, alors si en plus le personnage le perd ça peut carrément devenir grossier. Ce qui est beau dans le film de Kelly Reichardt c’est que Lucy n’a pas vraiment le temps de devenir Lucy à l’écran puisque Wendy est très vite à sa recherche. C’est un vrai personnage pourtant puisque tout le récit tourne autour d’elle, mais c’est un personnage absent, entre les mailles d’une ville, dont on va traverser chaque parcelle, de simples terrains vagues jusqu’à un quartier résidentiel, qui ressemble enfin à l’Oregon du cinéma qu’on connait. Probablement un moyen accueillant pour accepter ce que ce petit bout de jardin entouré de grillages va nous dire.

     Si le film est si ténu, narrativement parlant, il n’en délivre pas moins une puissante évocation de la solitude, entre abandon trouble et rêves secrets d’ailleurs. Le film se déroule à Portland, terreau du cinéaste Todd Haynes, qui a produit les deux premiers longs de Kelly Reichardt. Et le film vient saisir quelque chose d’étrangement doux de cet étonnant paysage, une douceur brute, inquiétante et bienveillante à la fois. Et du haut de ses soixante-dix-sept minutes, procure cette paradoxale sensation d’angoisse mélodieuse. Et s’avère, grâce en partie à la présence d’une extraordinaire Michelle Williams, infiniment bouleversant.

The wrestler – Darren Aronofsky – 2009

the-wrestlerPassion.

   8.5   Janvier 2014 : Encore un film que je revoyais. Je ne l’avais cependant pas revu depuis sa sortie, je me souviens que j’y étais allé deux fois. La claque avait été forte puisque j’y allais sans conviction étant donné que ce n’était pas un cinéaste que je portais dans mon cœur. Confirmation que c’est un très beau film, sur un rescapé vieillissant en pleine crucifixion. Aronofsky trouve le ton juste alors que tout cela pourrait être gros et empesé. J’aime tout. Toutes les entrevues avec cette strip-teaseuse dans une situation similaire à celle de Randy, la retrouvaille avec l’enfant déçue, les scènes de boulot comme autant de montée sur le ring sans le souffle de l’adrénaline.

     Février 2009 : The wrestler parle du come-back post déclin, il se situe donc à deux niveaux puisqu’il évoque celui de Randy the Ram, catcheur mondialement connu, et celui de Mickey Rourke lui-même. Mais pas seulement. Il y a comme une gravité, un sentiment d’effroi qui traverse chaque minute du film, cette odeur de mort qui ne fait qu’attiser les regrets et installer les inquiétudes. Cela se traduit par une échéance, un combat d’anniversaire que tout le milieu attend, mais aussi par un accident grave qui n’engendre que deux possibilités extrêmes : vivre avec ceux que l’on aime ou ce que l’on aime.

     Dès les premiers instants du film on sent d’emblée cette opposition. Elle est liée au temps. Un générique rock’n’roll montrant des images (mortes) d’un combat de catch commenté tel un direct. On a l’impression de vivre ce combat puis pas du tout. Plan fixe en longue focale où l’on découvre ce même Randy, vingt ans plus tard, assis au fond d’une pièce, de dos, se préparant à un nouveau combat. C’est l’effervescence face au silence. Le corps mort de l’image qui prend vie grâce à une voix face au corps en vie que ce silence a rendu mort. Ce n’est que les premières minutes, donc Randy, et forcément Mickey Rourke auront le temps de reprendre vie par la suite, mais le ton est donné. Ce ne sera ni un film sur le catch, ni un film sur un éventuel retour. C’est un film qui parlera de passion. D’amour de ce qui nous le rend.

     Il y a une épure dans le film d’Aronofsky que je trouve passionnante. Car c’est aussi un film sur la solitude. Être passionné c’est aussi savoir être seul non ? J’aime cette faculté de parler d’un type dont la vie est rythmée par le catch. C’est un homme qui n’a probablement pas la patience d’attendre de recevoir l’amour qu’il donne. Le catch lui rend instantanément, sur le ring. Il prend plaisir à mettre des coups et en prendre, envoyer dans les cordes et finir sur son coup du bélier fétiche aussi parce qu’il y a la foule autour de lui, cette effervescence, ce bruit, cette vie en continu. Dans la vie il se posera un problème, par exemple lorsqu’il tentera de revoir sa fille post accident. Il va se heurter face au mur. Résister comme il sait si bien faire, puis rendra les armes. C’est ce choix qui sera difficile à la toute fin du film. Vivre avec ceux que l’on aime mais qui ne le rendent pas, là où l’on vivra tout en se compromettant. Ou vivre pour ce que l’on aime et qui le rend bien, là où l’on aura la tête haute mais où l’on mourra.

     Randy n’est pas un homme qui fait des compromis. C’est quelqu’un de patient (le face-à-face avec sa fille, son calme au travail…) mais avec trop de fierté pour se tenir rangé. Il est prêt à tout laisser tomber pour Pam (Cassidy, sa strip-teaseuse habituelle dont il semble amouraché) ou sa fille parce que c’est un amour qu’il recherche ou peut-être tout simplement parce qu’il ne le connaît pas, c’est un homme seul, éternellement seul. Puis dès que quelque chose perturbe son avancé (l’oubli du rendez-vous avec sa fille, le holà de Pam qui ne préfère pas s’engager, un homme qui le reconnaît au supermarché) il s’effondre. D’où le yo-yo par la suite où Randy annule ses combats les uns après les autres avant de revenir sur ses décisions. Je dis qu’il s’effondre par ce que quelque part c’est triste, il choisit de mourir. Puis il y a ces dernières minutes, qui montre un homme serein, pour une fois loin de ses envies pulsionnelles. Il dira qu’il se sent mourir à l’extérieur. Il dira qu’il se sentira en vie sur le ring. Et même si c’est au prix fort qu’on le paye, le choix lui paraît si simple désormais.

     Un mot sur le travail du cinéaste, que je trouve absolument prodigieux, tout particulièrement dans les reconstitutions d’ambiance. Une caméra qui ne fait que suivre ses personnages, se met à leur niveau, comme dans un jeu vidéo. Un réalisme presque documentaire dans les vestiaires, dans cette façon de filmer des discussions. Un tempo impressionnant dans toutes les scènes sur le ring. La reconstitution du catch, l’envers de son décor. Ce (faux)sport violent mais calculé. Parfois même extrêmement violent, comme le combat avec l’agrafeur. Aronofsky m’a donné l’impression d’être moi aussi au milieu de cette foule. Et à côté de ça il a su se faire très tendre lorsque l’on sort du catch. Par moment il se laisse aller à quelques grossièretés (gros plan surprenant sur le pontage, larmes superflues) mais on lui pardonne sans problème tant c’est infime comparé à la beauté du reste. Et à d’autres moments il adopte un parti pris intéressant en optant pour le parallèle passion/profession. J’ai adoré voir Randy marcher dans les couloirs de ce supermarché comme il marcherait dans les couloirs d’une salle de catch, attendre au rideau transparent comme il attendrait derrière le rideau noir, entrer et entendre les cris se substituer au silence.

     Aronofsky nous offre deux derniers regards magnifiques à la toute fin du film. Pam qui voit Randy monter sur le ring, recevoir son premier coup, le regarde une dernière fois et le laisse. Elle ne le regarde pas comme quelqu’un qui le jugerait, pas comme quelqu’un qui condamnerait ce choix suicidaire mais comme quelqu’un de triste qui comprend qu’elle ne pourra jamais lui offrir mieux que ce qu’il a autour de lui à cet instant. Et celui de Randy qui jette un œil furtif où se trouvait Pam, juste avant d’effectuer son dernier saut. Un regard plein de peur mais un regard certain, qui en ne croisant pas le sien prendra davantage confiance. Probablement ce qui pouvait lui arriver de meilleur.

Fish Tank – Andrea Arnold – 2009

1535021_10151912722847106_303153206_nLife’s a bitch.

     9.0   Dans la première scène du film, Mia est déjà essoufflée. Elle vient de s’arrêter de danser mais elle aurait tout aussi bien pu avoir couru, pour échapper à quelqu’un comme ce sera souvent le cas ou s’être égosillée sur sa mère, sur sa sœur. Avec Mia c’est toujours à double tranchant. Dans la scène suivante, elle s’en va alpaguer une camarade en criant son nom en bas de son immeuble (après avoir laissé moult messages sur son répondeur) avant d’insulter le père d’icelle qui la reçoit d’une volée de bois vert. Plus tard c’est un coup de boule à une autre dans un groupe de danseuses, frétillant leurs nénés devant quelques mâles tout excités, ce qui est de bon ton d’agacer prodigieusement la demoiselle solitaire. Encore plus tard, elle échappe à une agression (elle y laisse son baladeur) dans un camp de gitans où elle souhaitait y délivrer un magnifique cheval blanc, seul, enchainé à une pierre. On est dans une banlieue Londonienne déshéritée, L’Essex, rempli d’immeubles monochromes, d’espaces goudronnés inhabités.

     Andrea Arnold s’est assagie. Dans Dog, court métrage proposant une trame identique à celle reproduite ici (banlieue difficile, conflit familial, errance extérieure), elle s’intéressait à une rencontre similaire, avec un garçon tout aussi paumé. Tous deux y baisaient froidement sur un canapé dans un terrain vague avant que le garçon ne massacre de colère, un chien qui lui avait gobé sa boulette de shit. Il fallait que ça gicle, que ça choque. Fish Tank propose une relation plus secrète, mystérieuse, la cinéaste préférant ne pas trop en dévoiler car n’appartenant pas pleinement au noyau de son récit, mais l’esquissant suffisamment pour s’en servir en tant que rebond salvateur final. La subtilité de cette relation c’est aussi qu’elle naît d’abord de l’impossible, d’une agression subie transformée en bienveillance mutuelle.

     Le film tire principalement sa singularité de la multitude d’ambiguïté qui le nourrit, à commencer par le personnage de Connor (Michael Fassbender) amant de Joanne, la mère, d’un infini tact avec la jeune Mia, joueur avec Kyle, la plus jeune. Il représente presque le papa de substitution parfait. Mais Mia ne le voit pas vraiment comme un papa, elle en tombe amoureuse au point de piétiner les plates-bandes de sa mère (la pêche à la carpe). L’attirance pourrait demeurer unilatérale mais l’amant finit par succomber à son charme, qu’elle argumente d’une danse sur son morceau préféré, California dreamin’ entendu un peu plus tôt dans la voiture. Ils font l’amour furtivement pendant que la mère cuve, sans doute parce que Connor est lui aussi suffisamment éméché pour se laisser aller à ses pulsions (aucun désir pervers là-dedans) sans se soucier d’une quelconque morale. Et Mia en tombe forcément encore plus amoureuse. Mais l’ambiguïté aura éclos avant cela à plusieurs reprises, surtout au détour de deux portés sublimes. Le premier lorsqu’il l’emmène se coucher alors qu’elle feint de s’être endormie. Le second après la pêche en binôme. Deux brèves séquences dans un effet de ralenti accentuant la bulle idyllique dans laquelle se trouve la jeune femme, puisque le film n’aura de cesse d’apprivoiser son regard et uniquement son regard. On pourrait aussi évoquer la danse sur le parking ou le pansement et d’autres situations qui les conduisent à l’irréparable.

     La boule de rage Mia se fait toujours taquine mais plus tendre au contact de Connor, avant de découvrir sa vie de famille et de kidnapper dans son élan de colère Keira, sa propre fille, après avoir pissé au beau milieu de son salon. La séquence avec la petite fille déguisée en princesse, sur les bords de la Tamise est un sommet d’angoisse convoquant inexorablement les grands instants de L’enfant, des frères Dardenne. Mais ça va encore plus loin. Mia veut faire disparaître Keira, l’ange forcément irremplaçable de Connor, avant de se rendre compte, sans doute, qu’elle n’est que son propre miroir, d’enfant dans la tourmente. Fish tank signifie littéralement Aquarium. L’Essex pourrait donc être l’aquarium de Mia, de Keira, duquel on s’extirpe via une rivière, un fleuve, bientôt un autre littoral.

     Le titre d’une chanson de Nas, utilisé dans la sublime séquence d’adieu (« C’est un disque à toi, je crois ? » demande la mère à sa fille, en se trémoussant voluptueusement, en sanglotant) est plutôt représentative de l’ambiance du film, de la violence qui la traverse quotidiennement, éternellement, de cette fausse nonchalance qui l’habite (les larmes de la mère dans cette même scène sont peut-être ce que l’on verra de plus touchant et lumineux dans le film) et de méchanceté gratuite poussée en guise de contrepartie à une tendresse qu’il ne faut surtout pas montrer. L’image de la famille harmonieuse et aimante dont chacune d’elles rêve secrètement, entrecroisé dans ce déchirement de la séparation. Pour se dire je t’aime, les deux sœurs disent qu’elles se haïssent. Il faut y détecter le ton dans l’insulte, celui qui veut dire exactement le contraire de ce qu’il semble dire, à l’image de ce geste, cette étreinte magnifique, incontrôlée, qui n’avait jusqu’ici pas dû se produire souvent.

     L’intelligence de la fin est d’avoir contré la supposée binarité initiatique qui surplombe le cas Mia pendant tout le film, réduit en apparence à un départ en pension ou à la réussite d’un concours de danse. Pas de concours, finalement, étant donné qu’elle s’en échappe en constatant la supercherie, un peu ahurie devant des minettes toutes ressemblantes, très nouvelle star. Ce choix brutal brise définitivement le lien qui l’unissait symboliquement avec Connor puisque c’était de lui dont venait l’idée. Et pas même de pension. Le film se ferme sur son départ donc on croit que c’est sa nouvelle destination. Mais le film s’illumine une dernière fois sur ce parking, laissant Mia filer accompagnée du jeune gitan qui l’emmène au Pays de Galles. Une fin lumineuse pour Mia mais d’une tristesse infinie pour Kyle, qui accompagne son départ et qui n’aura bientôt plus sa grande sœur à embêter, sur qui crier, en qui se confier, avec qui s’étreindre.

Montparnasse – Mikhaël Hers – 2009

Montparnasse - Mikhaël Hers - 2009 dans * 2009 : Top 10 25.-Montparnasse-Mikhaël-Hers-2009-300x168Nocturnorama.

   8.5   Ce troisième moyen métrage est révélateur des aspirations du cinéma de Mikhaël Hers et sa découpe pour la première fois volontairement chapitrale ne fait que renforcer l’idée générale qui règne au sein de ses films, à savoir d’avancer avec le passé, de saisir le moindre fait du présent, une rencontre ou une simple discussion, de saisir des instants charnières qui n’en ont pas l’air, afin de libérer son esprit, non pas d’effacer marques et blessures (pas de réponses, pas de pages qui se tournent définitivement), mais de les utiliser pour repartir autrement. Montparnasse pourrait être un film choral pourtant il se constitue de trois petites histoires qui n’ont en commun que leur lieu et l’heure de la journée, le film étant entièrement nocturne. Ce sont Les rendez-vous de Paris Rohmériens à la sauce Hersienne. Les personnages intervenants dans une histoire n’apparaissent pas dans les deux autres. Malgré tout, ils ont tout en commun. Sandrine pourrait être Aude, autrement, ou Leïla, un autre jour.

     Le film s’ouvre sur Montparnasse et ne cessera d’y revenir de temps à autres, spécialité du cinéma de Mikhaël Hers que de mettre en lumière, en plan fixe, les lieux de ses propres films en insérant ci et là, en quasi suspension, le mouvement de la ville, ses lumières, son horizon, la beauté de son paysage, architectural ou naturel. De cette manière, la ville est elle aussi un personnage autour des personnages centraux interagissant dans chaque histoire. Cela peut-être la femme de l’étage du dessus que l’on entend crier ou encore croiser un vieil ami lors d’une balade ou alors une inconnue qui demande une cigarette. On parle régulièrement des lieux aussi, impressions diverses du présent ou remémoration de souvenirs, Roissy au loin et ces aléas d’avion incessants, une salle de cinéma à Denfert-Rochereau ou bien la simple évocation d’une ville du sud dans laquelle on a passé quelques temps. Et évidemment, le choix du plan-séquence, que Mikhaël Hers utilise beaucoup, renforce la qualité de ces films quant à l’espace utilisé.

     Dans le premier segment, Sandrine s’apprête à accompagner sa soeur au cinéma, mais elles lui préféreront une longue marche dans laquelle s’engagera une discussion qui se terminera dans l’appartement de la seconde. Le personnage joué par Sandrine ressemble beaucoup à celui de Raphaël dans Memory Lane, en plus retenu, sur la brèche mais encore loin, peut-être, de cette saturation terrifiante. Discussion sur la peur de ne pas être à la hauteur, d’avoir cette impression de faire fuir, de ne pas vivre sa vie comme on l’espérait. On ne le dira jamais assez mais la qualité première chez Hers c’est l’écriture et sa manière de la mettre en scène, tant il trouve un équilibre surprenant. Ce segment s’achève sur une séquence aussi hypnotique que déchirante, en musique comme souvent chez le cinéaste. La grande soeur (encore que là-dessus rien n’est précisé) se met à danser, Sandrine la regarde, elle sourit, elle l’admire, l’envie, on ne sait plus trop, puis finalement elle danse à ses côtés et Hers n’hésite pas à étirer cette séquence afin d’accentuer cet état d’hypnose avant de terminer sur le même plan que précédemment de Sandrine, assise, observant sa soeur, donc on ne saura pas si oui ou non elle a réussi à la rejoindre, franchit ce cap de la timidité, fait ce pas en avant qu’elle redoute, permis à ce corps de se libérer entièrement ou si elle rêvait simplement de cette symbiose des corps en mouvement.

     Dans le suivant, ce qui s’apparente d’abord à un dîner entre un père et son fils, se révèle l’échange improbable du croisement occasionnels des uns en mémoire de quelqu’un. Aude. C’est le nom de ce court. On ne verra pas d’Aude. On en parlera beaucoup, parfois au présent, parfois à l’imparfait, ne serait-ce que cette simple idée c’est bouleversant. Un objet devient le vecteur d’un sentiment fort, ce genre de vecteur où il faut se retenir pour ne pas craquer. Un appareil photo, dans lequel s’y trouve l’impression de ces souvenirs, trop importants pour les oublier, trop éprouvant pour en parler. La discussion évoque Aude, parcimonieusement, mais surtout elle se centre sur les destins de chacun, extrapole pour éviter le sujet premier de ce dîner qui n’a rien de banal. Cette partie se termine sur un plan de retrouvaille entre le garçon et Aurélie, la soeur de la fille dont on ne fait que parler et un père qui s’en va de son côté, mais déjà cet ultime plan a quelque chose de plus réconfortant que celui de la première partie.

     Le cinéma est aussi une affaire de sens, de choix du sens, donc de montage. L’inversion des courts dans le moyen métrage aurait sans doute eu un autre impact, plus grave, trop mélancolique, moins lumineux. Mikhaël Hers prend l’option d’achever Montparnasse sur une rencontre, d’une simplicité étonnante. Une rencontre dans un bar, où la jeune femme écoute la musique du garçon, avant que cela ne se poursuive dehors, lors d’une marche sans fin (Les personnages choisissent systématiquement de marcher dans les films de Mikhaël Hers tout en ayant souvent pris d’abord l’option d’aller boire un verre, se poser ou aller au cinéma) puis dans l’appartement de la jeune femme. Regarder Paris, scruter l’horizon et échanger des banalités qui n’ont finalement plus rien de banales. Lorsque le jeune homme demande à la jeune femme s’il peut l’embrasser et que le film s’en va se fermer sur ce baiser, on se dit que ce voyage, bien que souvent éprouvant, gagne en luminosité. Cet équilibre là me fascine énormément dans ce cinéma là. Dans le cinéma d’aujourd’hui, mais à un degré moindre tout de même, seuls deux cinéastes ont réussi à rendre compte de ce double état, il s’agit de Guillaume Brac et de Sophie Letourneur. Mais Hers a quelque chose de plus : cette magie de l’épure saisissante alliée à des dialogues renversants.

35 rhums – Claire Denis – 2009

19039993I guess I’m floating.

   9.0   Le cinéma de Claire Denis abrite beaucoup plus qu’il ne montre. D’un iceberg, elle masque la partie immergée. Elle a cette faculté à faire que l’on débarque dans une histoire, le tournant d’une histoire, pas non plus édifiante mais qui a le mérite d’exacerber émotions et sensations. Et ceci, c’est le cinéma de Claire Denis. Probablement celui qui se rapproche le plus de Us go home, son meilleur film. Des adolescents grandissent le temps d’une soirée, un père et sa fille vivent leurs derniers instants vraiment ensemble sous le même toit avant que la seconde ne prenne son envol d’indépendance. Une page se tourne. La forme est un poil différente ici : la réduction en une journée semble avoir glissée vers une retranscription plus elliptique selon une temporalité moins aisément situable. C’est le quotidien d’un père et de sa fille. Un pot en honneur d’un collègue retraité. Une soirée concert qui prend une autre tournure. Un voyage en Allemagne sur la tombe d’une mère défunte. Les préparatifs d’un mariage. Et bien d’autres moments encore. Sinon celui de la fatalité, ce cinéma là recherche l’instant définitif. Aux trois regards fuyants dans des directions opposés dans le dernier plan de Us go home qui semblent vouloir dire qu’une simple nuit comme une vie vient de passer, 35 rhums apparaît plus chargé, l’idée apparaissant sous différentes formes, au moyen de plusieurs destins. La retraite apaise un homme autant qu’elle masque une inquiétude, un manque, elle devient errance et solitude, s’engouffrant dans un vide existentiel suicidaire. Un jeune homme peine à quitter le foyer probablement familial, tout du moins un appartement hérité, où les souvenirs s’entassent autant que les bibelots et la poussière. Grégoire Colin dans le rôle du garçon c’est tout le cinéma de Claire Denis qui ressurgit, fait apparaître les fêlures par la simple présence d’un visage que l’on a tant pu croiser. Une fille en fac qui vit seule avec son père est elle aussi sur le point de partir. Et une femme attend éternellement. Les édifices du scénario n’ont rien de foncièrement sensationnel c’est ce qui me plait dans ce cinéma. Un cadavre sur une voie ferrée, la visite à une femme/mère au cimetière, l’imminence d’un mariage, tout cela pourrait être lourd ailleurs mais ce n’est jamais appuyé ici, à peine esquissé qu’il peut planer quelques doutes, mais ça n’a pas d’importance, ce sont les interactions qui sont importantes. Ce n’est pas le but du voyage en Allemagne qui devient central (nous ne verrons qu’un plan unique de quelques secondes d’une gerbe déposée) mais le voyage lui-même, la rencontre, la présence d’une tante, d’une cousine, le dialogue en allemand et la promiscuité chaque jour plus forte entre un père et sa fille. Tout est affaire d’instant, où la sensation naît de la durée de cet instant. La plus belle séquence du film c’est le concert manqué. On peut même se dire, avec un peu de recul (car une fois encore rien ne sera textuellement explicite) que cette soirée est peut-être celle qui voit Joséphine choisir Noé, le voisin amoureux plutôt que Ruben, l’ami de la fac. Une voiture qui fait un caprice et un concert annulé, la soirée se termine dans un bar fermé qui va rouvrir. Les corps sont guidés par la singularité du moment, un mouvement nouveau, un peu de musique les entraîne et une chorégraphie, comme seule Claire Denis sait le faire, se met en place. Une danse puis une autre, dans la durée, où les regards et les gestes ont la charge d’une ivresse chaleureuse, d’une tendresse généreuse. Le film s’ouvrait sur le plan à l’avant d’un train, en mouvement, à l’orée du crépuscule. Ce n’est pourtant pas un film crépusculaire mais celui d’une attente liée à une inquiétude des lendemains. Les rails prennent la moitié du plan et sont déjà des personnages, ils suivent une ligne droite, se chevauchent, tournent, se dédoublent, prennent une autre direction. Ils sont déjà ce mystère. Le mystère c’est la réussite de ce 35 rhums. Film simple et limpide qui masque tout mais ne cache rien. C’était ma deuxième fois. La deuxième rencontre avec un film de Claire Denis est au moins aussi importante que la première, elle permet une autre lecture, plus axée sur l’histoire que sur son ambiance, donc d’y voir un autre film. C’est magnifique. Je m’y sens comme chez moi.

Le roi de l’évasion – Alain Guiraudie – 2009

le-roi-de-l-evasion_207931_16465Sexe fou.  

   9.0   Voilà le film de l’année 2009 qui met la pêche ! Une petite merveille incroyablement déjantée, que je mettrai bien aux côtés d’un autre film sorti cette même année, Les derniers jours du monde des frères Larrieu. Deux films fantastiques, drôles et surprenant. Deux films aux dialogues aussi improbables que leurs personnages. Et une bande-son qui vient d’ailleurs.

     Armand vend du matériel agricole dans une petite campagne du sud, il aime la vie et les hommes bien mûrs. Mais il ne ressent pas une pleine satisfaction et se pose de grandes questions sur sa marginalité. Curly (Hafzia Herzi dans un rôle surprenant) est une fille de seize ans. Lorsque Armand la sauvera d’une situation bien délicate, Curly va tomber amoureuse de lui. C’est d’abord une pulsion sexuelle puis c’est davantage. Bientôt ils se retrouveront tous deux dans une cavale assez géniale avec le sexe comme fil rouge.

     Mais il y a un flic un peu collant. Le genre de flic qui peut vous surprendre en pleine masturbation dans la nature face à un lac, en pleine fellation de votre patron. Le genre de flic qui est partout même quand il n’est pas là (la scène du bracelet électronique, tordante). Il est très calme et nous gratifie à la fin d’un ‘je suis sur une autre piste’ qui prend une tournure désopilante par la suite. L’acteur dans la peau de ce flic est fantastique. Pour moi c’est une découverte. N’importe quel acteur l’aurait mal interprété. Sa personnalité est tellement singulière, presque sereine, hypnotique, qu’un jeu caricatural aurait probablement tout détruit, l’aurait rendu détestable.

     Il y a une autre trouvaille qui vaut son pesant de cacahuètes : La Dourougne. Sorte de pomme de terre revigorante qui en plus de rendre super dynamique a des vertus aphrodisiaques d’enfer. C’est un élément majeur dans le film. Elle semble d’abord exister pour satisfaire les petites envies homosexuelles dans la forêt puis sera utilisée par notre petit couple pour fuir – entre deux plaisirs – la police qui commence à avoir des doutes quant à leur performance d’endurance. L’envie de bouger, l’envie de baiser ! Fantastique ! Et il faut voir Herzi et Berthillot courir entre les arbres, c’est à mourir de rire.

     Une scène, à la toute fin du film, concourt pour les plus beaux moments cinématographiques de l’année : Un petit vieux, pas le queutard du début bien sur, évoque sa vie sexuelle, son conventionnalisme et sa redondance « et le plus con dans tout ça c’est qu’il m’a fallu attendre soixante-dix ans pour comprendre ça… » donc ses regrets. C’est une scène somptueuse, filmée avec beaucoup de pudeur, avec une sorte de symbiose lorsque les corps nus se tournent, avec une infinie tendresse lorsqu’ils se touchent. Guiraudie, comme Reygadas avant lui, rend beau, du moins charmant, des corps que l’on trouverait laids, des corps tout du moins éloignés des canons de beauté et cette séquence en est l’illustration parfaite. Il éclate même cette barrière de la sexualité unilatérale. Deux corps nus similaires – de même sexe – ensemble ou le sexe hétéro plus traditionnel, sonnent de la même manière, se répondent, se font écho.

     Il y a quelque chose de fort dans le cinéma de Guiraudie c’est sa façon de se jouer des codes, des tendances, des conventions du dialogue. Il prend plaisir à tout contourner mais sans cynisme, à rendre sérieux une discussion surréaliste. N’oublions pas que 80% des hommes du film sont gays ! Il y a un dialogue que j’aime beaucoup qui se déroule sur une aire de drague homo. Armand fait part de ses doutes à son ami « Si hommes et femmes s’entendent, qu’ils font des gosses, que c’est comme cela depuis la nuit des temps, c’est que ça doit pas être si mal.«  Il faut voir le ton de Berthillot et le regard de son ami. Cette sensation d’un truc universellement incompris, au moins dans le cinéma de Guiraudie, et pourtant si évident. J’adore l’idée même de se poser la question. Berthillot m’a beaucoup rappelé Pharaon dans L’humanité de Bruno Dumont. Même sensibilité un peu gauche, même timidité. Personnage extraordinaire.

     Le roi de l’évasion est donc un film fou, où l’on ne sait plus si l’on rêve, si tout est réel (à l’image du cauchemar de Armand) doté d’une ambiance western plutôt étrange, un film très nature, qui bouge sans cesse à l’image de sa dourougne, gadget cinématographique comestible de l’année.

Kinatay – Brillante Mendoza – 2009

Kinatay - Brillante Mendoza - 2009 dans * 2009 : Top 10 kinatay-3-300x200

Voyage au bout de l’enfer    

   9.0   Mendoza est l’un des grands cinéastes jeunes à suivre. John John et Serbis le prouvait, Kinatay le confirme. Ce dernier est son film le plus intense, le plus suffocant. C’est une expérience cinématographique hallucinante qui diffère quelque peu de ses précédents films et tant mieux. Dans les premières minutes on se croirait à nouveau dans John John. Même effervescence de la ville. Puis, lorsque la nuit va tomber c’est un nouveau visage que nous montre Mendoza. Un cinéma du temps réel ça on le savait déjà, un cinéma de l’horreur version torture réaliste, surtout un cinéma expérimental déjouant les sons de l’extérieur par des sons artificiels stridents, angoissants, rappelant certains films d’horreur, dont il est en train de s’approprier les codes, de les utiliser à sa manière.

Un jeune homme d’une vingtaine d’année, qui prend des cours de criminologie (ironie du sort, premier clin d’œil à un possible film de genre) afin de devenir policier, vit avec sa petite amie, avec qui il va se marier en début de film (nouveau clin d’œil via la suite de l’histoire au genre Horreur avec un événement important renforçant le paroxysme de l’histoire donc sa non-crédibilité) et son bébé de sept mois. Pour y survivre il fait des petits boulots nocturnes illégaux, principalement liés à la drogue. Balades dans Manille, mariage express à la mairie, passage devant un attroupement de journalistes et passants attendant le suicide d’un citoyen. Caméra à l’épaule, lieux très bruyants, Mendoza fait du Mendoza et déjà c’est assez magnifique.

Puis il y a une scission, une cassure très nette dans ce quotidien tracé. Un boulot plus important qui rapportera un max de fric. Peping est alors embarqué dans une bagnole avec d’autres types. Un long voyage en quasi-temps réel, se jouant entièrement dans le silence, avec seulement les bruits de la ville, les klaxons, les cris, et comme seule lumière les phares des voitures, les lampadaires sur les trottoirs. L’objet de ce voyage c’est une fille, appelée Madonna, qui n’a pas réglé ses dettes de dope. L’enlèvement est très violent, Peping ne peut pas broncher, il est déjà l’impuissant. La deuxième partie du voyage est d’une intensité rarement atteinte. En plus des bruits initiaux, ceux de la jeune femme, qui s’égosille pour rien derrière un amas de scotch, pleure à grands sanglots, ceux artificiels qui renforcent cet enfermement, la peur qui se joue sous nos yeux, nous qui découvrons tout en même temps que Peping. Nous sommes Peping finalement.

La dernière partie du film n’est pas racontable. Elle se vit. On bascule dans l’horreur suprême, le tout filmé de façon très pudique (en tout cas pour un film d’horreur). Filmé du point de vue de Peping. Nous voyons ce qu’il voit. Il ne peut agir et devient complice du drame. Aucune complaisance là-dedans, nombreuses sont les séquences insupportables que Mendoza se garde de nous passer. Ou seulement en hors champs. Seuls les sons seront présents. Peut-être est-ce pire ? Quoi qu’il en soit, ce voyage au bout de la nuit, où le levé du jour apparaît comme un coup de massue, un retour au réel (la circulation), aux besoins quotidiens (un morceau de bœuf ?), à la vie intime (une femme et son enfant) est le truc le plus malaisant vu cette année. Sans oublier cette incapacité de Peping à prendre un autre taxi à la toute fin du film. Cette impuissance (symbolique) qui le conduira à reprendre le même. La réalité de sa nuit cauchemardesque a rejoint la réalité de son quotidien. J’étais content d’en sortir. Et pourtant je rêve d’y retourner, tant c’est une expérience hors du commun.

Adventureland – Greg Mottola – 2009

Adventureland - Greg Mottola - 2009 dans * 2009 : Top 10 adventureland

Satellite of love.    

   9.0   Greg Mottola, protégé de Judd Apatow à la base est passé indépendant, dans le sens où il réalise donc sans son aide Adventureland, dans lequel on retrouve une équipe qui nous est quelque peu familière, comme Jesse Eisenberg, Kristen Wiig, Martin Starr ou encore Bill Hader, croisé deux ans plus tôt dans Supergrave produit par Apatow, déjà réalisé par Mottola.

     Adventureland est un parc d’attractions, ou plutôt une petite fête foraine qui a investit les lieux pour l’été. On y engage que des jeunes, qui n’auront guère le choix de se placer aux jeux ou aux manèges, ne pourront ni faire de cadeaux aux potes ni s’offrir une glace, et n’auront pour ainsi dire qu’une vulgaire pause pipi, où comme elle rare il vaut mieux faire la grosse commission, dira Joel (Martin Starr, le shooté de En cloque mode d’emploi). James fera partie de cette troupe. Lui  qui se voyait déjà en Europe avec ses amis pour juillet/août, mais qui mal aidé par des parents qui traversent une légère crise financière – prétexte pour le faire tafer ? Pour ne pas qu’il s’en aille ? – se voit contraint de bosser tout l’été pour financer sa rentrée à New York. Et ce sera donc Adventureland, le seul endroit où l’on accepte un type en pleines études littéraires.

     Un environnement que l’on imagine sans tricherie, où l’on découvre un chapeau collé dans le jeu des chapeaux, un panier ovale dans les tirs de baskets. Lieu que l’on pense sûr, où les forains eux-même n’iraient pas mettre le pied dans les manèges doutant de leur sécurité. Pourtant, ok le travail n’est pas spécialement passionnant – entre passer sa journée à commenter avec entrain imposé une course de chevaux colorés en plastique ou appuyer sur des boutons pour faire démarrer/arrêter un manège, pas sûr en effet que ce soit réellement palpitant -, ok il faut savoir se heurter parfois à une clientèle récalcitrante – qui voudrait, moyennant violence s’il le faut, le gros panda que les forains sont interdits d’offrir – mais il y a néanmoins un truc pour lequel on s’attache : Les collègues, dans la même merde que soi, on se fait des amis, voir plus. Cette phase de découverte du parc est probablement le moment le plus drôle du film. Ensuite il cherche beaucoup plus loin.

     C’est vrai chez Apatow et consorts, il est très souvent question de cul. Concrètement (En cloque mode d’emploi, Sans Sarah rien ne va…) ou dans le dialogue (Supergrave, 40 ans toujours puceau…) occasionnant pour les premiers une dimension conjugale intéressante et cocasse, et pour les seconds l’emploi d’un dialecte fait de grossièretés par des jeunes qui n’en demeurent pas moins attachants, par leurs maladresses et leurs émotions certes souterraines, mais fortes. Adventureland n’appartient à aucune de ces catégories, si je puis dire. C’est un film d’amour et de sexe. Le premier amour, la première fois, les amours déchus, les amours croisés. Mottola ne généralise pas. Car ce qu’il fait à merveille ici c’est de construire son histoire autour de cette kyrielle de personnages, finalement assez réduites (une dizaine seulement que l’on va bien connaître) avec lesquels, et pour chacun d’eux, il est possible de s’identifier au moins un peu. C’était Fassbinder qui disait, à propos de Douglas Sirk, qu’il était selon lui « l’unique cinéaste à aimer tant ses personnages pendant que de nombreux autres, moi compris, ne faisons que les mépriser ». Incroyable mais lorsque l’on sort d’un Sirk – je prends l’exemple de Mirage de la vie, celui qui m’a marqué au fer -  le cinéaste allemand a raison, on se rend compte que l’on aime tout le monde, qu’il n’y a pas ci et là de réels méchants, et ses films sont intenses aussi pour ça. Récemment je n’ai ressenti ça que devant deux films : Two lovers de James Gray, et donc Adventureland de Greg Mottola.

     Le fait de construire un récit à la manière d’un polar (quel amour s’en sortira ? Quelles vérités, quels mensonges éclateront ? Qui va payer l’erreur, la trahison d’un autre ? A quel niveau les différences se situent t-elle ? …) provoque généralement une identification à l’un, une répugnance à l’autre. Pas dans ces trois films. Pas dans Adventureland. Le film dans lequel il pourrait y avoir les pires connards de la terre et des salopes impossibles, et où finalement derrière chaque comportement, bon ou non, il y a un costume bien humain. L’exemple à citer c’est Connell, ou Lisa-Marie, mais prenons Connell : Le mécano du parc, play boy de ses dames qui drague en se faisant passer pour l’ancien batteur de Lou Reed, alors qu’il se trompe de titre pour Satellite of love, Connell qui avec ça entretient, alors qu’il est marié,  une relation purement sexuelle avec Em, dont James est tombé amoureux. Rien ne semble rattraper ce pauvre DomJuan. Et pourtant c’est un homme qui devient attachant peu à peu, car il se révèle une sorte de grand frère auprès de James, le conseille plus que l’enfonce dans son désir amoureux pour la jeune femme.

     Il y a un côté très intime là-dedans, qui sonne vrai, que l’on ne voit jamais au cinéma : ce garçon qui est gêné par une gaule persistante et qui décide de rester dans la piscine au moment où la jeune fille lui demande de la suivre, cet instant où il embrasse Lisa-Marie après le resto alors qu’elle lâche un « hum, fondue… », lorsqu’il dévoile ses (non) expériences sexuelles à Em et qu’elle sourit, mais pas d’un sourire moqueur. C’est ça que j’aime ici, ça me parle vachement, l’impression de l’avoir ressenti comme l’ayant déjà vécu. Et il faut croire que Mottola a vécu ce qu’il filme. Cette date déjà, 1987, qui semble le rapprocher de sa propre jeunesse. Et cette évocation permanente du chanteur des Velvet Underground qui est partout : Sur les murs, les tee shirts, dans les discussions, à l’écoute dans la voiture. Je voulais justement parler de Pale Blue Eyes, morceau employé comme love theme du film. Une scène quasi muette où les regards se perdent et se croisent. On se croirait l’espace d’un instant tout droit sortis de la Swedish Love Story de Roy Anderson.

     Bref, c’est selon moi un grand film romantique. Avec des acteurs superbes, Kristen Stewart devant, littéralement magnifique, qui en plus est doté d’une mise en scène sobre et belle. Au verso du dvd on a droit à une perle : le film est présenté comme déjanté et hilarant. A se demander si les distributeurs ont vu le film. Cela dit, ils n’ont pas totalement tort. Le film est aussi très drôle. Il y a ce personnage très Superbad qui s’exprime à coups de « chat-bite violents » et aussi certaines séquences avec Bill Hader par exemple, avec le client violent ou le commentaire de course, qui sont des trucs énormes dignes des plus grands moments de Supergrave. Mais en mieux, car mieux dosé. Qu’importe, en ce qui me concerne, ce fut un super moment. Drôle mais surtout bouleversant.


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