9.0 La première saison nous avait laissé sur de fines promesses et une bonne dose de frustration : Quelques lourdeurs (une voix off beaucoup trop omniprésente, des personnages fonctionnels et des scènes de formations ou d’interrogatoires un brin mécaniques et illustratives) empêchaient d’y voir ce qu’elle était pourtant déjà : Une mosaïque folle du quotidien des services des renseignements extérieurs français entre création de légende, clandestins envoyés sur le terrain, salle de crise, infiltrations et suspicions diverses autour des éventuels agents doubles.
En filigrane de ce premier jet il y avait l’interrogatoire de Guillaume Debailly aka Paul Lefèvre aka Malotru (Mathieu Kassovitz) par la CIA, qui clôturait la saison et sera une donnée importante de celle à venir. Les dix épisodes de ce nouvel opus sont guidés par une lettre écrite par Malotru à sa fille avant son départ vers Raqqa pour une mission kamikaze. En plus de faire se chevaucher intrigues et personnages, histoires intimes et infiltrations, la série crée un vertige supplémentaire dans la gestion de sa voix off, accentuant la précarité identitaire de ses agents, veilleurs ou clandés.
Si les intrigues précédentes (Autour de Cyclone, qui est revenu et Nadia El Mansour retenue prisonnière en Syrie, notamment) laissent quelques traces, Le bureau des légendes se concentre sur deux nouvelles sorties : Le départ de Marina Loiseau aka Phénomène (Sara Giraudeau) pour l’Iran où elle incarne une sismologue devant approcher le réseau nucléaire par l’intermédiaire du fils d’un haut dignitaire (De très loin ce que cette saison offrira de plus intense et éprouvant. Et bouleversant tant la relation entre Marina & Shaipur pourraient être l’autre versant de l’amour impossible vécu par Paul & Nadia) ; Et la neutralisation d’un djihadiste français, qui décapite les otages, qui a tout pour devenir un bourreau de Daesh (La séquence de double infiltration vécu par Raymond Sisteron avec la sœur de la cible, épisode 5 je crois, est un sommet de la saison).
C’est rappeler combien Le bureau des légendes, contrairement aux habituelles séries françaises (à l’exception d’Engrenages) se cale énormément avec l’actualité et n’hésite pas à investir le terrain, à allonger certaines séquences, à créer du rythme avec de faux temps-morts (Nadia en Picardie, Malotru et sa fille), à créer le suspense avec de l’attente ou d’infimes évolutions de scénario (Le texto de Shaipur sur les indications nucléaires, le micro d’Henri Duflot), faire apparaître de nouveaux personnages (le journaliste allemand, incarné par Magne-Håvard Brekke, qu’on avait déjà adoré chez Mia Hansen-Love) et surtout faire naître de longues plages de tension, comme on en voit peu à la télévision – Soyons précis : Comme on en avait jamais vu ailleurs. Le fait que Rochant soit seul showrunner de cette entreprise y joue énormément : L’unité d’ensemble est le gros point fort.
Et la série s’est construit son monde et sa propre zone d’exigence : Si chaque personnage de la DGSE se dore d’un surnom d’insulte du Capitaine Haddock, l’astuce si elle peut faire sourire, ne se vautre jamais dans le ridicule car tout est comme le reste : tient à merveille sa ligne de conduite, efficace et complexe. Ainsi, il en va de même des différents lieux que la série s’en va fouler : On y parle la langue locale, on y embrasse les coutumes. Et chaque séquence, aussi elliptique puisse-t-elle être offre un équilibre subtil dans chacun de ses récits en étoile.
Concernant la fin du dernier épisode, aucun reproche à faire, de mon côté. Je trouve l’issue explosive nettement plus forte et mystérieuse que ne pouvait l’être celle de la fin de saison 5 d’Engrenages (qui elle était vraiment ratée) par exemple. Là on ne sait pas tout. C’est comme si plus tôt, on avait vu Marina sortir du camion sans l’interaction qui précède, on aurait trouvé ça peu crédible. Ou si l’on avait revu Shaipur avant sa probable dernière entrevue avec Marina. Je trouve que la série joue beaucoup là-dessus : Sur ce que l’on donne à voir ou non.
Bref, on sait combien les suites sont dangereuses, combien elles peuvent briser l’ambiance originale et/ou tenter d’en faire trop, s’éparpiller et perdre en caractère. Et c’est une saison hallucinante pour ma part. Aussi bien dans la mission de Phénomène que sur celle autour du djihadiste. Tout est complexe, dense mais hyper fluide (cette fluidité qui manquait un peu à Baron Noir). Certains épisodes étaient pas loin de me faire défaillir tant ils sont tendus, éprouvants et menacent de tout faire écrouler d’un claquement de doigts.