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This is us – Saison 1 – NBC – 2016

04. This is us - Saison 1 - NBC - 2016Big Three and daddy.

   9.0   C’est une déflagration. Vraiment. Dix-huit épisodes d’une puissance inouïe.

     Rares sont les fois où j’aime instantanément chacun des personnages d’une série, c’est le cas ici. Rares sont les fois où je ris et chiale autant ; où je me sens investi, émotionnellement, pour l’un, pour l’autre, pour tous. La construction, l’écriture, l’interprétation, tout m’a semblé brillant de A à Z.

     L’épisode pilot est déjà somptueux. Il nous invite dans le quotidien de plusieurs personnages : Un couple sur le point d’avoir des triplés ; un acteur de sitcom en pleine remise en question professionnelle ; une femme obèse qui se bat contre son propre corps ; un père de famille sur le point de retrouver son père biologique.

     La série s’ouvre sur une journée en particulier, celle de l’anniversaire de quatre d’entre eux. Moi qui aime ne rien voir venir, j’étais servi. En effet, on comprend à la fin des quarante-deux premières minutes, quand les enfants du couple sont nés, qu’ils sont ceux qu’on a suivis en parallèle trente-cinq années plus tard. Jack a trente-cinq ans le jour où ses enfants naissent. Kate, Randall & Kevin fêtent leurs trente-cinq ans le jour où la série a choisi de commencer à les suivre. Première d’une longue série de déflagrations dont This is us sera coutumière. D’autant que l’issue de ce pilot nous réserve une autre surprise de taille, déchirante.

     La série ne faisait que commercer que c’était déjà gagné pour moi. Ou trop beau pour être vrai : Heureusement non, les dix-sept salves suivantes conservent cette puissance. La série tire cette force de ses nombreux enchevêtrements casse-gueule. Au sein d’un même épisode elle ne cesse de voguer d’un personnage à l’autre, d’une temporalité à l’autre, entre la légèreté et le drame, le tout entre New York et Los Angeles, avec une limpidité exaltante, en soignant chacune de ses transitions.

     L’écriture y est minutieuse. Le découpage quasi miraculeux. Et plus ça avance plus elle s’ouvre : Si nous suivons le couple Rebecca/Jack avant l’arrivée de leurs marmots, nous plongerons aussi un peu plus en amont. Et bien entendu dans la temporalité suivante, quand les enfants ont une dizaine d’années, mais aussi quand ils en ont quinze. C’est vertigineux. Et triste et beau à chialer.

Et afin de parachever de me séduire, on y entend :

-          « Death with dignity », de Sufjan Stevens
-          « Blues run the game », de Jackson C. Frank
-          « Northern sky », de Nick Drake
-          « The Wind », de Cat Stevens
-          « Kola », de Damien Jurado

Du caviar. Jusqu’au bout.

     Comment se relever d’une entame pareille ? Je veux dire… Est-ce qu’il ne vaut pas mieux s’en tenir là ? C’est un tel miracle, fragile et fulgurant : Difficile d’imaginer mieux. D’autant que pour le coup, à mon humble avis, cette saison se suffit à elle-même. Elle contient déjà tout et laisse au récit des zones mystérieuses qui me plait beaucoup. Mais j’ai quand même envie de poursuivre.

     Et puis je tiens à voir ce qu’ils vont faire du destin du père ou plutôt comment ils vont l’associer aux trois enfants. Car ce n’est pas ce qu’il y a de plus réussi, je crois, ce suspense autour de sa mort. Ce moment où l’on sent que la série pense série, suspense, cliffhanger, saisons à venir etc. ça m’a peu gêné mais je comprends que ça puisse gêner, c’est hyper casse-gueule. Je garde l’impression qu’il s’agit de nous dévoiler les choses à mesure que les personnages, les enfants, l’acceptent. Si c’est le cas – C’est pouquoi j’ai hâte de poursuivre – je trouve cela très beau.

The Handmaid’s Tale – Saison 1 – Hulu – 2017

11. The Handmaid's Tale - Saison 1 - Hulu - 2017« Nolite Te Salopardes Exterminorum »

   7.5   Difficile de raconter le pitch de The handmaid’s tale en deux mots mais en gros, on est dans un futur pas si lointain dans lequel la plupart des femmes et des hommes sont devenus stériles. On va y suivre principalement June, mère de famille devenue servante car enlevée par ceux qu’on appelle « Les fils de Jacob » une secte qui à la faveur d’un coup d’Etat, a instauré de nouvelles règles pour le moins drastiques et totalitaires : Les hommes possèdent quand les femmes sont séparées en trois grands catégories. Il y a les épouses qui sont les femmes des dirigeants (ceux qu’on appelle les commandants), les marthas qui sont chargés d’entretenir les maisons et les servantes uniquement dédiées à la reproduction. En cas de non-respect de ces règles élémentaires et d’autres plus complexes, c’est l’aiguillon pour bovins, l’excision, la déportation dans des « colonies » voire la pendaison – ce dernier châtiment étant à priori exclusivement réservé aux rebelles, aux prêtres catholiques et aux homosexuels.

     Si la série va s’ouvrir sur l’enlèvement de June (magnifique Elisabeth Moss, ce rôle de « rebelle en construction » lui va à merveille), sans qu’elle ne sache ni ce qu’il advient à son mari ni ce que va devenir son petit garçon, on ne va cesser de vadrouiller dans la temporalité, aussi bien au moyen de nombreux flash-back que via des épisodes centrés sur l’histoire de certains personnages, épisodes ou morceaux d’épisodes racontant par exemple la vie de June & Luke, l’amitié entre June & Moira, dans la vie d’avant puis lorsqu’elles se retrouvent en robe pourpre, la formation des servantes, la vie de Serena (l’épouse du commandant) aux débuts du mouvement, celle de Nick (le chauffeur du commandant). Sans oublier la situation présente de June et ses « collègues » servantes et cette volonté grandissante de s’échapper. C’est un peu foutraque au début puis on s’y fait. Sans doute parce que le fond est bien plus fort que la forme, dans The handmaid’s tale.

     En effet, j’ai beau avoir les plus grandes réserves concernant la réalisation tape à l’œil et l’outrance formelle globale, son interprétation hyper affectée, sa lumière jaune trop prononcée, ses effets de ralentis à n’en plus finir, son utilisation musicale systématique, il y a dans The handmaid’s tale une puissance telle, qui certes relève beaucoup de l’écriture, donc du bouquin, il n’empêche qu’elle se déploie au fil des épisodes avec une efficacité magistrale, rappelant ce que réussit Game of thrones de son côté et dans son genre. Deux séries qui n’ont rien en commun sinon que leur monde, c’est notre monde, le temps d’une heure, le temps d’une saison. Difficile en effet de penser à autre chose. Dystopie hallucinante que celle du récit de The handmaid’s tale qui repose sur une idée apocalyptique assez proche de celle du film Les fils de l’homme, mais de façon archi-déployée, dans un futur à la fois pas si éloigné de notre terrifiant présent (l’Amérique de Trump, notamment) que de nos dérives esclavagistes, concentrationnaires, génocidaires.

     Difficile avec une telle force dans le récit d’exprimer des griefs et pourtant, comment ne pas y voir de la lourdeur ? Ne serait-ce que d’un point de vue musical : Chaque épisode se ferme donc sur une chanson, histoire de bien parfaire la lourdeur formelle. L’avantage c’est que la plupart des morceaux sont judicieusement utilisés et parfois ce sont des morceaux magnifiques, discrets : Ainsi « Nothing’s Gonna Hurt You Baby » de Cigarette after sex, vient clore de façon déchirante un bel épisode 7 centré sur Luke. Ainsi l’épisode suivant se ferme sur « White rabbit », de Jefferson Airplane. Ainsi « Wrap Your Arms Around Me » de The Knife ferme l’épisode 9. Il m’en faut peu. Car il y a aussi des trucs sur-utilisés et passe-partout comme You don’t own me, de Lesley Gore, Don’t you, de Simple Minds, Feeling good, de Nina Simone. Que des supers morceaux, hein, évidemment. C’est un peu à l’image de ces giclées de bassons et nappes de violons signées Adam Taylor qui balaient chaque mini climax ou scène capitale, c’est ni forcément utile ni très subtil, mais ça remue, perturbe, accentue la violence sourde de ce monde.

     Si The Leftovers m’avait donné envie de me pencher sur Les disparus de Mapleton, le livre de Tom Perrotta dont la série est l’adaptation, je crois avoir eu plus envie encore de revoir, revivre ce récit au travers de la série, véritable déflagration quand le livre était, lui, juste excellent. The handmaid’s tale c’est un peu le contraire : Je ressens moins le besoin de me jeter illico sur la saison 2 (mais je vais le faire quand même, après Better Call Saul S4 et Le bureau des légendes S4) que de lire La servante écarlate, de Margaret Artwood, écrit en 1985 dont la série est l’adaptation. Au vu de la richesse de cette Amérique alternative offerte à l’écran, ça doit être un livre absolument dément, ce n’est pas possible autrement.

Better Call Saul – Saison 3 – AMC – 2017

16. Better Call Saul - Saison 3 - AMC - 2017« It’s all good, man! »

   8.5   Gould & Gilligan sont en passe de faire coup double avec ce nouveau bébé, qu’on appelle communément « spin-off de Breaking Bad » puisqu’il utilise Albuquerque, les terres de Breaking bad, mais aussi nombreux de ses personnages, donc évoque sans cesse la série référente. Avec la faculté d’avoir créé un autre univers au sein du même univers. Je me répète, j’avais déjà dû en parler l’an dernier ou il y a deux ans, mais c’est dingue comme Better Call Saul a amplement dépassé ce qu’elle promettait. D’autant que cette fois, avec un bagage aussi imposant que BB, Gould & Gilligan ont gommé chaque faiblesse ou facilité pour d’emblée trouver la bonne mesure : ces trois saisons se valent peu ou prou. C’est même hallucinant de voir un show aussi constant dans l’excellence sur trois saisons, sur trente épisodes. D’offrir une écriture aussi retorse que limpide, une mise en scène aussi raffinée.

     Il s’y passe d’ailleurs « moins de choses » en terme de rebondissements, comme si leurs créateurs ne cherchaient plus du tout à séduire, c’est-à-dire que Better Call Saul observe l’évolution de chacun de ses personnages de façon encore plus imperceptible que dans Breaking Bad. C’est tellement infime qu’on pourrait réduire la relation entre Chuck et Jimmy à ceci : La première saison saisit la fragilité de leur connexion et les éloigne l’un de l’autre, dans la suivante leur relation est noyée sous la trahison et dans la troisième c’est VRAIMENT mort. On pourrait faire de même avec Mike. Avec Kim aussi, bien que son personnage (au même titre que Nacho) soit plus déstabilisant pour nous puisqu’il n’existe pas dans Breaking Bad. J’ai donc passé une bonne partie de cette saison à trembler pour elle, je n’en dis pas plus. Du côté de Mike il s’est passé un peu plus de choses : Tout d’abord, il y a cette merveille d’épisode où il prend un type en filature et le suit jusqu’à… Los Pollos Hermanos. Frissons inside. La première apparition de Gus Fring fait un drôle de truc, plus encore que la première apparition de Salamanca l’année dernière. On va pas épiloguer sur les clins d’œil à BB, quoiqu’il en soit je trouve que Better Call Saul les disperse merveilleusement sans jamais fonder un épisode dessus, sans jamais s’en servir pour relancer une quelconque dynamique. Elle s’en affranchit sans l’oublier. C’est très beau.

     La grande force de Better Call Saul c’est avant tout la complexité de ses personnages et l’interprétation parfaite qui en découle. Il faudrait parfois revoir un épisode ou une situation pour bien comprendre ce qu’on a vu, ce que le personnage a manigancé, toute la perversité parfois maquillée en bienveillance. A ce petit jeu, Better Call Saul est une série hyper respectueuse de son spectateur, il n’y a pour ainsi dire aucune facilité, aucun trou d’air. Des symboles, certes (durant les deux derniers épisodes, notamment) mais ils ne sont jamais vulgairement placardés. Des rebondissements, aussi, mais toujours minutieusement disséminés. Les personnages, d’abord, le territoire ensuite. Le dernier bimestriel de La septième obsession s’intéresse particulièrement à « Comment filmer un territoire ? » Il me semble que Gould & Gilligan y ont répondu d’une manière tout à fait singulière, aussi bien avec BB que maintenant avec BCS.

     Cette fois, les deux mondes, on le sent, ne sont plus très loin de fusionner. Lors de l’épisode 2, Mike met le restaurant de Gus sous surveillance et embauche Jimmy pour observer à l’intérieur si un éventuel échange intervient. C’est la seule fois de la saison que Mike et Jimmy se croiseront. C’est dire la méticulosité de l’écriture, la subtilité de ses virages, la patience qu’elle requiert. C’est donc archi-lent si l’on espère vite un crossover, pourtant c’est tellement brillant, tellement puissant de ne rien précipiter : Chez Gould & Gilligan on ne devient pas bad guy comme ça. C’est un labyrinthe de situations, de quiproquos et de drames pour y parvenir. C’était le cas avec Walter White. C’est le cas aussi avec Jimmy McGill. L’avocat, aussi véreux soit-il, est toujours là – Même s’il tend à disparaître si l’on en croit ce final du 3.10 où il grille complètement sa clientèle de retraités. Mais c’est un éclair d’humanité qui le grille, un reste de bon fond, c’est très bizarre : On pense qu’il devient Saul Goodman et il plante un nouveau décor. Sans cesse. Ça pourrait durer dix saisons comme ça qu’on ne s’en lasserait pas.

GROS SPOILER POUR FINIR :

     Avec la probable mort de son frère, Jimmy a-t-il définitivement perdu cette étincelle McGill qui irriguait encore son cœur ? Ils ont beau s’être déchiré toute leur vie, Chuck représente beaucoup pour Jimmy. Et qu’en est-il de Kim ? Proche de lui, elle semble canaliser ses impulsions. Mais qu’en sera-t-il quand elle ne sera plus là non plus ? Quelle fin de saison incroyable au fait : Si j’ai cru qu’on allait perdre et Kim et Nacho, Better Call Saul semble en finir avec Chuck d’un côté et conduire Salamanca sur sa chaise de l’autre. Qu’importe le temps qui s’écoule entre BCS et BB, je n’en reviens pas que Gus Fring ait pris à ce point son temps pour tuer Hector. Et qu’il n’y parviendra pas, d’ailleurs.

Le bureau des légendes – Saison 3 – Canal + – 2017

15. Le bureau des légendes - Saison 3 - Canal + - 2017La DGSE dans tous ses états.

   9.0   Durant la mini trêve Twin peaks et juste après ma miraculeuse pause récréative Master of None, j’ai dévoré l’incroyable troisième saison du Bureau des légendes. Je ne pensais pas Rochant capable de faire aussi fort que la saison précédente mais il a peut-être fait mieux. J’étais physiquement mal à de nombreuses reprises et fasciné par chaque parcelle de ce foisonnant récit, chaque personnage, chaque situation, chaque dialogue. Mes occupations ne me le permettaient pas mais j’aurais très facilement pu enchaîner ces dix heures en une salve. Bon, je serai sans doute mort à l’heure qu’il est tant ça attaque constamment le palpitant. Mais il y a beaucoup de frustration dès que surgit le générique à chaque fin d’épisode – Sans que la série ne force sur les cliffhangers pourtant.

     La première saison était parasitée par une légère rigidité dans ses enchaînements et un trop plein didactique provoqué par la prépondérance de la voix off. La deuxième l’utilisait encore mais était parvenu à trouver le juste équilibre, notamment en exploitant davantage sa géographie multiple et le brio de ses montages parallèles. Cette fois, la voix off n’est plus. Ne reste qu’une maîtrise totale, aussi bien dans les huis clos du renseignement que sur le terrain, en Iran, en Syrie, à Bruxelles, à Bakou. Des séquences qui s’étirent considérablement, une tension qui s’installe, grandit en permanence. Et une gestion plus fine encore de ses intrigues centrales et des moments plus triviaux – des gestes, des regards, des dialogues intimes qui contrastent avec l’apparente froideur de cet univers de l’espionnage.

     Nous avions abandonné Malotru en très mauvaise posture l’an dernier. Son amour pour Nadia avait fait de lui un agent double pour le compte de la CIA ce qui l’avait catapulté comme traître à la DGSE, mais cette insubordination avait été levé afin qu’il dirige une cellule de crise qui le fit tomber aux mains de Daesh au cours d’une mission de neutralisation d’un djihadiste français. Cette nouvelle saison s’ouvre sur l’organisation autour de son sauvetage : Si la DGSE souhaite utiliser les contacts syriens de Nadia El-Mansour, la CIA, elle, n’est pas hyper enthousiaste à l’idée de voir revenir l’agent à l’origine du scandale que sa trahison jouera inéluctablement dans le monde du renseignement.

     Un peu plus tard dans la saison, des suites de l’assassinat d’un indic en Syrie, Duflot, alors à quelques semaines de la retraite, se porte volontaire pour une mission de terrain à haut risque, consistant à rencontrer un officier supérieur de Daesh, en lui proposant son exfiltration contre la libération de Malotru. J’aimerais évoquer d’autres situations, mais mieux vaut les découvrir par soi-même, c’était simplement  pour souligner qu’il est assez inédit de ressentir d’une série à ce point son actualité, l’impression qu’elle traite intelligemment les enjeux géopolitiques, qu’elle se penche avec une telle acuité sur le quotidien des réseaux de renseignements français, qu’elle exploite avec rigueur et maturité toute la complexité d’un univers aussi codé.

     Ce qui est très réussi c’est de voir chaque situation, aussi extraordinaires soient-elles, gérée par des agents hyper lucides mais humains avant tout, des hommes et des femmes qui peuvent à tout moment se griller, à tout moment d’effondrer malgré leur professionnalisme. Ici Malotru prisonnier de Daesh endure un interminable calvaire, d’autant qu’il est lâché par une partie de la direction qui ne prend pas le risque de griller ses affaires en cours pour un agent quel qu’il soit. Il est au bord du précipice à chacun de ses apparitions. Là Phénomène, à peine remise de son traumatisme iranien et de son aventure aux côtés de Shaipur, sujette à des crises de panique répétées, est engagée dans une double infiltration risquée aux côtés d’un agent du FSB qui se fait passer pour un agent de la DGSE et lui commande de jouer à nouveau les sismologues embarqués en Azerbaïdjan. Voir Marina Loiseau (Formidable Sara Giraudeau, vraiment) avancer aussi méticuleusement que fébrilement, avec le risque permanent d’être démasqué, est le point névralgique de cette saison remarquable. Il suffit d’une clé USB ou d’un détecteur de mensonges pour nous faire chanceler brutalement.

     Et pourtant, on s’y sent bien. On va même jusqu’à rire, parfois. L’humour était toujours sous-jacent mais elle fait partie intégrante de cette troisième saison, qui se paie le luxe de renouveler quelque peu son casting en s’attribuant par exemple les services d’Artus, qui restera cela dit très sérieux malgré une saillie – son apparition – dont on jurerait qu’elle soit tirée de l’un de ses sketchs. Il n’est pas le seul à nous faire rire, Duflot (Daroussin) aussi, on le sait, ce curieux directeur aux cravates excentriques ou encore Sylvain, le génial informaticien qui peut tout dénicher, adepte d’un humour pince-sans-rire réjouissant. Cette saison fait d’ailleurs la part belle aux personnages secondaires, aussi bien les désormais bien ancrés dans le récit (Sisteron, Céline, Prune, La mule…) que les nouveaux arrivés (Jonas, Esrin, Snoopy, Cochise) tous fouillés à la perfection. Grande, très grande saison pour une dores et déjà immense série.

Master of None – Saison 2 – Netflix – 2017

14. Master of None - Saison 2 - Netflix - 2017Fior di latte.

   8.5   Aziz Ansari transforme l’essai. Après une première saison attachante, généreuse, fine, pleine de promesses, Master of None va plus loin dans ce deuxième jet, tente plus de choses au niveau formel, développe son matériau de base (Le quotidien d’un jeune trentenaire d’origine indienne : Sa famille, son boulot, ses amis, ses flirts) avec une finesse d’écriture, une élégance dans sa mise en scène (On va parfois jusqu’à rejouer des situations de grands films italiens) et sa construction, qui peut parfois rappeler les circonvolutions de Louie (Qui nous manque tellement) cette autre merveille new-yorkaise, écrite et jouée par Louis CK.

     Cette saison s’ouvre à Modène, en Italie. Dev y bosse provisoirement (Pour l’été) dans un resto de pâtes, avant de repartir pour Manhattan. Il y fait notamment la connaissance de Francesca, sa collègue serveuse, maquée, et dans un premier épisode, intégralement en noir et blanc, Master of None rejoue Le voleur de bicyclette version Le voleur de smartphone, alors que Dev avait fait la rencontre d’une fille qu’il ne reverra probablement jamais – Le smartphone est une idée forte d’entrée, d’une part car elle brise l’hommage poussiéreux, d’autre part car elle injecte cette modernité (Sans forcer les portes) pour se fondre dans un ensemble qui joue constamment de son statut de série actuelle.

     C’est l’occasion aussi de placer cette saison sous une respiration très italienne – Bien qu’hormis les deux premiers épisodes, la série se déroule intégralement à New York. Deux trucs cette année donnent envie de prendre l’air italien : Master of None S2 et Ti Amo, le dernier Phoenix. Et la série en joue dans chacun de ses épisodes, aussi bien du point de vue de sa mise en scène, des clins d’œil divers, des dialogues (On y parle aussi beaucoup italien) et surtout, surtout de la présence d’un pur rayon de soleil : Alessandra Mastonardi. Francesca, donc, inutile de te faire un dessin. Après la belle Noël Wells (Rachel) l’an passé (mais qui refait une apparition brève dans l’ultime épisode de cette année) on peut dire qu’Aziz Ansari ne se prive pas.

     C’est une saison très éclectique mais cohérente. Outre la virée modènienne, on retiendra en outre un épisode d’une heure, se déroulant en partie au Storm King Art Center, pouvant mettre à l’amende n’importe quelle comédie romantique. Plus tôt, il y a un épisode sur la religion, qui rappelle un autre de l’an dernier et donne l’occasion pour Aziz Ansari, accompagné de ses parents (qui jouent leur propre rôle) de montrer le fossé qui les sépare, puisque contrairement à eux, qui sont musulmans pratiquants, Dev ne pratique pas. Mais il n’ira pas jusqu’à manger du porc devant eux, quoique. Et c’est toute l’intelligence d’un épisode, très court par ailleurs (20 minutes ici, une heure là : La durée est un élément témoin de la liberté de cette série. La plupart des épisodes sont réalisés par les créateurs et Ansari se charge du plus imposant et romantique) qui interroge le dialogue père/fils, la tolérance, l’amour qui réside entre eux malgré leurs divergences idéologiques.

     Au rayon des surprises, un épisode entier, intitulé New York, I love you s’amuse à filmer uniquement des figurants, comme des héros éphémères, dans une forme chorale, très élégante, où un couple/trio de personnage (C’est Dev, Denise & Arnold qui ouvrent l’épisode puis s’effacent soudainement) nous envoie vers un autre et ainsi de suite, avec un pic osé sur une discussion entre sourds-muets, discussion offerte comme si nous en faisions partie : Sans aucun son. Fantaisie comme une autre, qui pourrait ne pas fonctionner ou moins bien fonctionner, mais c’est fou ce que Master of None réussit tout ce qu’elle tente cette année.

     Mais c’est un peu plus tôt que la saison m’aura offerte une première grosse baffe. The dinner party. Un épisode durant lequel Dev reçoit Francesca, de passage à New York. La dernière scène, sur la banquette arrière d’un taxi, en un seul plan accompagné de Say Hello, Wave Goodbye de Soft Cell, m’a arraché les larmes et prouve, si tant est qu’on ne l’avait pas déjà remarqué l’an passé, qu’Aziz Ansari est un grand mélancolique. Sommet de la saison, pour moi. Je ne l’ai pas vu venir. J’ai revu plusieurs fois la scène. Et j’ai beaucoup réécouté Say Hello, Wave goodbye durant quelques jours.

     Un autre épisode, entier évidemment, fait le parti de développer le personnage de Denise, la meilleure amie de Dev, souvent réduite à de brèves apparitions à ses côtés. On y raconte la découverte de son homosexualité, son éloignement qu’il provoque avec sa mère et la confiance qu’elle engrange à mesure des années, puisque l’épisode cumule les repas de Thanksgiving et uniquement les repas de Thanksgiving (accompagné de Dev) entre 1995 et 2017. Autre sommet de la saison, qui raconte une fois de plus énormément du terrain familial, avec une douceur inouïe et une drôlerie magnifique (Aussi bien le running gag de Dev parlant TRES fort à la grand-mère que son échange prodigieux, une année, avec le plan cul de Denise et la répétition de son pseudo impossible (Un truc comme NipplesAndToes23) qu’elle égrène sur les forums de rencontre).

     La réussite de cette saison tient aussi à la présence de géniaux personnages secondaires : Forcément Denise (Lena Waithe) mais aussi Arnold (Le toujours génial et indispensable Eric Wareheim) ainsi que Jeff (aka le chef/collègue chelou de Dev aka l’impeccable Bobby Cannavale) et bien entendu, cœur avec les mains : Francesca. Sublime Alessandra Mastronardi. Je ne sais pas si elle est tombée pile au moment où j’en avais besoin mais c’est une saison parfaite à mes yeux.

The Leftovers – Saison 3 – HBO – 2017

26-the-leftovers_w710_h473_2xToday’s special.

   9.0   Après avoir concentré la majorité de son récit dans la petite ville de Mapleton (Saison 1) puis dans celle de Jarden devenue Miracle, terre de pèlerinages (Saison 2) The Leftovers effectue un énième virage et se délocalise en Australie. Cette série est indiscernable jusque dans ses grandes lignes.

     On se souvient aussi de cette étrange introduction, l’an passé, qui nous plongeait en pleine préhistoire. Cet ultime opus – Car oui, The Leftovers c’est fini – s’ouvre au XIXe siècle. Ce pourrait être un geste un peu lourd et gratuit mais c’est un pont, comme un autre. Et une manière de rappeler que le temps dans The Leftovers est un peu détraqué. Surprise/Etrangeté parmi d’autres tant cette saison sera coutumière du fait, ne nous dépaysant pas trop de ce qu’elle avait insufflé durant ses vingt premiers épisodes.

     Aussi bien du point de vue de sa construction que dans le mouvement de ses principaux personnages, la série continue de creuser son propre sillon. Une fois encore, c’est sur une imposante ellipse (Trois ans) que s’ouvrent les hostilités : Le monde va accueillir une nouvelle ère – On se souvient de la pesante première bougie du Sudden Departure, qui brisait le peu d’équilibre régnant sur la planète, à laquelle on avait ôté brutalement cent millions d’êtres humains – puisqu’il s’agit bientôt du septième anniversaire depuis le ravissement.

     Sept ans, ce n’est rien pour personne, forcément, mais ça l’est encore moins pris sous le joug religieux puisque sept ans c’est un peu comme les sept jours avant le déluge dans la Genèse. Matt aura une fois encore une place prépondérante au sein du récit. Beaucoup s’attendent/espèrent/redoutent l’apocalypse qui scelleraient donc les retrouvailles entre les disparus et les leftovers.

     Mais entre-temps, pendant que les guilty remnants furent pulvérisés dans une mystérieuse attaque nucléaire commanditée par l’armée, Kevin est érigé en demi-dieu. Ses allées et retours dans « l’autre monde » ont forgé sa réputation messianique : On lui a même écrit un livre évangélique en son nom – la premier épisode s’intitule d’ailleurs sobrement The book of Kevin. S’il a continué à exercer son métier de policier, certains pensent qu’il est la clé du déluge à venir, qu’il est le seul capable d’éradiquer l’apocalypse. Pouvoir qu’il ne s’attribue pas, bien au contraire : On le découvre en début de saison, en pleine thérapie masochiste, tentant quotidiennement de s’étouffer sous un sac plastique.

     Quant à Nora, le cœur de la série à n’en pas douter, c’est elle qui va ouvrir la voie / la brèche de cette ultime opus, guidée dans un premier temps par un ancien acteur, seul survivant de sa sitcom : Il lui fait part de l’existence d’une organisation secrète, détenant une machine capable de renvoyer un leftover dans le monde des 2%, afin de retrouver ses proches – On sait que Nora est un cas spécial puisque ses enfants et son mari se sont envolés sans elle ce jour-là. C’est en Australie que ça va se jouer.

     Un voyage que Nora effectuera accompagnée de Kevin, qui trouvera lui aussi sa voie, loin de ses « fidèles », d’abord en croisant Evie, censée avoir disparu dans l’attentat envers les guilty remnants, puis en suivant les traces de son père, reclus dans le bush australiens. Kevin Garvey Sr. (Campé par le devenu trop rare Scott Glenn) aura même un épisode rien qu’à lui, où il s’en va sauver le monde du jugement dernier dans une sorte de chemin de croix qui se mue en quête miraculeuse – Dans un trip formel proche des expérimentations de Nicolas Roeg pour Walkabout – au sein duquel il fera la rencontre de Grace, qui aurait perdu ses cinq enfants ce 15 d’octobre – suivant le fuseau horaire australien. Fin d’épisode bouleversant, avec ce monologue terrible qui entrera bientôt en écho avec celui de Nora, lors du series final.

     Il suffit de prendre ces deux séquences tentaculaires pour comprendre le cheminement de cette ultime saison : Si la solitude et l’injustice sont toujours présents, c’est bien la croyance qui sera au centre du récit. La croyance en une réalité, qu’elle soit issue ou non d’un mensonge. Grace était persuadé que ses enfants avaient été enlevés avec leur père. La souffrance qu’un tel bouleversement imposait s’estompait dès l’instant qu’elle imaginait sa famille dans un autre monde. La terrible vérité lui parviendra des années plus tard. C’est cette terrible vérité que Nora pourrait avoir caché à Kevin dans leur dernière entrevue. Dans cette sublime entrevue de remariage. Qu’elle lui dise ou non la vérité (A-t-elle été de l’autre côté avant d’en revenir ?) importe moins que la foi qu’on lui accorde. Kevin bien entendu mais nous aussi, spectateur, évidemment. Tout The Leftovers se résume là-dessus. Comme c’était le cas de Lost il y a presque dix ans. Faire le pari d’y croire. Si cette saison joue la question du mensonge, cet ultime épisode est un véritable acte de foi mutuel.

     Nora a-t-elle voyagé dans la capsule ou crié STOP – comme ça semble être le cas – avant que le liquide l’engloutisse ? Quid du sac plastique de Kevin : La peur le paralyse-t-il au point de le retirer avant de ne plus respirer ou ressuscite-t-il systématiquement ? Et allons plus loin dans les hypothèses : Et si Laurie aussi était immortelle ? Après tout, son bébé s’est évaporé alors qu’il se trouvait dans son corps. A-t-elle vraiment plongé pour mourir lors de ce septième anniversaire ? Toujours est-il qu’elle est vivante, vingt-cinq années plus tard, devenue la psy clandestine de Nora. Les réponses sont floues mais on peut les décoder.

     La plus belle réplique de la série c’est probablement Nora qui nous l’offre durant ce dernier épisode : « They were all smiling. They were happy. And I understood that here in this place, they were the lucky ones. In a world full of orphans, they still had each other » Extrait d’un monologue absolument déchirant. Huit minutes qui te prennent aux tripes. Sans aucune greffe d’images pour l’alourdir ou lever des ambiguïtés. Il y a Nora / Carrie Coon et Kevin / Justin Theroux. C’est tout. Une vérité qui n’est pas forcément La vérité. Et il suffit d’y croire.

     La série se permet de se diversifier sans se fourvoyer, presque sans jamais s’éparpiller. Un centric magnifique sur le père de Kevin ici, un étrange périple en montage parallèle sur un paquebot là (Peut-être le léger point faible de la saison à mes yeux) ou un nouveau voyage dans l’autre monde, et même un épisode très musical, centré sur Nora & Kevin, qui parvient à répéter Take on me ad nauseam jusqu’à en faire une chanson vertigineuse. Et puis finir ainsi, dans un élan intimiste, sans prendre le temps de « dire au revoir » aux autres personnages comme le veut la coutume dans le paysage sériel.

     Si cette saison m’a semblé moins sidérante que la précédente c’est probablement parce que la précédente était douée d’un pouvoir de sidération beaucoup trop élevé. Quand bien même, il suffit de voir The Most Powerful Man in the World soit l’épisode 7 de cette saison 3 pour le rattacher à celui de la saison 2 qui s’intitulait International Assassin, pour constater que sa puissance s’est un peu réduite, pour constater aussi qu’on ne peut pas voyager dans l’autre monde deux fois et surprendre deux fois. Peut-être que cet épisode et le précédent freinent la dynamique en ce sens qu’ils existent pour catapulter Matt puis Kevin Sr face à l’échec de leurs certitudes. Néanmoins, l’épisode est là, il fonctionne, il offre l’un des plus beaux plans de la série (Le tout dernier) et surtout, il prépare le choc tellurique qu’on va encaisser dans le suivant, dans l’épisode final.

     Alors, que reste-t-il après le visionnage de ces vingt-huit épisodes ? Beaucoup d’interrogations, c’est une évidence. Mais l’impression, surtout, d’avoir vu l’une des séries les plus importantes, intelligentes, passionnantes, déchirantes de ces dernières années. Il reste le souvenir d’éprouvants périples, de bouleversantes plongées. Et des visages. Des regards qu’on n’est pas prêt d’oublier.

Girls – Saison 6 – HBO – 2017

09. Girls - Saison 6 - HBO - 2017Goodbye tour.

   8.5   J’en rêvais tellement de voir Girls s’en aller ainsi, via une saison exemplaire – Sa meilleure, haut la main – sur une désagrégation de son groupe (Les vestiges d’amitiés disparues fourmillent mais certaines persistent à y trouver encore un sens, jusque dans cette magnifique dernière apparition à quatre dans une salle de bain étriquée) et une grossesse solitaire. Dix épisodes parfaits, où certaines boucles se ferment et d’autres pas, rappelant qu’Hannah, Marnie, Jessa et Soshanna ont toutes vécues, à leur manière, des grisailles et des éclaircies, des brises et des bourrasques. L’une d’elle pouvait parfois être oubliée (par l’écriture) au détriment d’une autre, mais elles auront existé, nous aurons touché et/ou agacé, quoiqu’il arrive, au sein du groupe ainsi que dans leur propre bulle.

     Hannah n’aura jamais été autant au centre du récit que durant cette ultime saison. Logique étant donné que Girls est le bébé de Lena Dunham, qu’elle lui faisait ses adieux et que les maigres relations qui restaient du groupe ne pouvaient permettre de leur offrir à chacune un temps d’image similaire – à moins de pondre quatre parties par épisode, façon The Affair. C’est Hannah qui est partout. Seule souvent ou accompagnée ici d’un jeune surfeur de Montauk (Riz Ahmed, de The Night Of, dans un très beau premier épisode), là de son colocataire Elijah (Il faudrait presque faire une série uniquement sur cet acteur / ce personnage) ou d’Adam dans de brèves retrouvailles, assez bouleversantes d’ailleurs. Dès cet instant, la fin de la série semblait toute tracée, mais au moyen de ses ellipses dont elle est coutumière, Girls va choisir autre chose.

     Si Girls n’a cessé de scander qu’elle était la voix de la génération Y, elle aura aussi parfois brossé le portrait d’un couple de quinqua en pleine mutation jusque dans leur rupture et son aveu à lui d’homosexualité. Certes souvent de façon détachée, mais toujours là en filigrane. Et si la série s’ouvrait, il y a cinq ans, sur une dispute entre Hannah et ses parents qui décidaient de lui couper les vivres, elle se ferme aujourd’hui sur l’acceptation douloureuse d’être mère, d’aimer et d’être aimé de ce tout petit être qu’est son enfant. On se retrouve donc avec un épilogue en deux parties, une double sortie. Une fin attendue, groupée, scellant définitivement l’amitié de nos quatre Girls de Brooklyn. Et une autre, plus confidentielle, construite sur une assez imposante ellipse, qui semble moins fermer un chapitre qu’ouvrir un autre livre. Ça me plait bien.

     Un mot sur les corps, car c’est une série un peu plus crue que les autres, de ce point de vue-là. Lena Dunham n’aura cessé de se mettre à poil, dans les situations les plus inconfortables (Positions échevelées avec Adam Driver, partie de ping-pong…) mais sa mise à nu n’aura jamais été aussi poussée que durant cet ultime épisode, dans lequel, symboliquement, elle rappelle constamment qu’elle a tout donner pour Girls / qu’elle s’est littéralement mise à poil : On la voit sortir de son bain, donner son sein, tirer son lait, donner son futal à une gamine nue dans la rue, parler de son anus et son vagin, pester contre ses mamelons. Donc si ce dernier chapitre semble statuer sur une banale entrée dans l’âge adulte, une sortie un peu trop parfaite, tout ce qui s’y déroule – aussi bien dans ce qu’il est abordé que dans son étonnante construction – reste du pur Girls.

The Night Of – Saison 1 – HBO – 2016

nightof_turturro_sandalsThe call of the wild.

   9.0   Bien qu’il convienne d’en savoir le moins possible au moment de se lancer dans The Night Of, nouveau produit HBO et mini-série de huit épisodes, on peut tout de même avancer qu’elle reprend la trame de la série britannique Criminal Justice, qu’elle est créée par Richard Price (L’un des cerveaux de The Wire) et Steven Zaillian (Scénariste entre autre de The girl with the dragon tattoo, Gangs of NY, Le stratège ; Il réalise ici six des huit épisodes) et qu’elle devait marquer le grand retour de James Gandolfini sur le petit écran, dix ans après Les Soprano – Il devait camper le rôle de John Stone, l’avocat de Nasir Khan, finalement tenu par John Turturro.

     Bref, il fallait bien commencer quelque part. Il y aura plein d’autres trucs à dire autour de la série et j’y viendrai progressivement. Car le reste, il vaut mieux le découvrir par soi-même tant sa richesse d’écriture, son brio narratif, sa maitrise formelle, le développement de ses personnages (et une interprétation au diapason, vraiment, tous !), la fluidité de ses enchainements et rebondissements, son ample peinture du système judiciaire, l’ambiguïté et l’absurdité qui la meublent, la gestion de cette tension permanente qui s’immisce dans un commissariat, une prison, une cour de tribunal, le lieu d’un crime, une voiture, en font un modèle de série télévisée, une merveille absolue, quelque part entre la première saison de True Detective et Show me a Hero – Ces trois séries n’ont pas grand-chose en commun sinon qu’elles représentent ce que j’ai vu de plus parfait au niveau « anthologie » ces dernières années. Ou disons que l’une est au système juridico-carcéral ce que les autres sont au polar ou au récit politique. Ainsi, je ne vois pas comment il sera possible d’égaler The Night Of cette année.

     Tout commence à Jackson Heights, une nuit sans doute comme une autre pour Nasir Khan, jeune étudiant d’origine pakistanaise, vivant chez ses parents, sur le point de rejoindre des amis à une soirée tenue sur Manhattan. Il emprunte alors et sans lui dire (Probablement l’a-t-il déjà fait) le taxi de son père et s’enfonce dans une nuit sans fin, se perd, oublie de retirer son signal lumineux, prend une demoiselle qui semble y trouver refuge, l’accompagne sur les bords de l’Hudson River puis chez elle où ils se droguent et font l’amour. Une nuit finalement pas comme les autres, où une banale soirée étudiante se transforme en virée de rêve. Mais aussi malheureusement, en cauchemar macabre.

     The Night Of c’est le récit et les conséquences de cette nuit où tout bascule. Pour Nasir Khan. Pour Andrea. Et bientôt pour tous ceux qui vont graviter autour du crime : Un avocat opportuniste, mais plus humain qu’opportuniste ; Un inspecteur, vieux briscard méticuleux, proche de la quille ; L’avocate de l’accusation, rigide et glaçante (Tous trois sont les meilleures idées de The Night Of, ils sont, chacun dans leur registre, interprètes autant que personnages, absolument mémorables). Mais aussi la famille de Nasir (Qui doit autant faire face à leurs propres doutes et peurs qu’aux diverses attaques racistes dont ils font l’objet, ainsi qu’à la surmédiatisation de l’enquête) et les témoins (On retrouve un certain J.D.Williams aka Bodie dans The Wire), un compagnon de cellule (Michael K.Williams aka Omar dans The Wire, encore) et un duo de flics en patrouille ce fameux soir. Et même un chat, dont l’apparition un peu fantomatique rappelle Ulysse dans Inside Llewyn Davis. Et même Glenn Fleshler (Là il m’a fallu faire une recherche) aka le Serial killer de True Detective, qui campe ici… le juge d’assises. Tous ne vont pas être aussi fouillés les uns que les autres, mais leur présence parfois, suffit à nourrir le récit et lui offrir une amplitude que seul un format série peut se permettre d’embrasser.

     L’idée première de The Night Of est de nous convier dans cet engrenage policier, juridique et carcéral au même titre que son héros, arraché à sa bulle de réalité. Aboutir d’abord à une scène de crime puis à une arrestation (Episode pilot) avant de nous écraser comme lui par les rouages qui suivent : l’incarcération, l’attente, le procès. Il n’y aurait que cet angle-là si la série avait choisi de rester dans la lignée du premier épisode. Ce sera loin d’être le cas. Et c’est John Stone qui fait office de transition. Cet avocat qui écume les commissariats et se trouve là au bon moment quand Nasir est mis derrière les barreaux. John Stone pour Nasir et Dennis Box contre, mais avec la douce méticulosité du flic qui ne laisse rien passer. Flic qu’on attend de voir exploser, comme tout flic borderline dans les fictions, mais qui gardera cette sérénité, plus flippante encore que s’il avait laissé échapper sa colère.

     Ce qui est fascinant dans The Night Of, c’est sa façon de créer, construire, reconstruire et densifier un fait, une nuit, un parcours. Je crois n’avoir jamais vu cette minutie-là auparavant, à ce point de maitrise narrative, cette aisance dans la volonté de raconter et dans sa précision de documentation. A combien de reprises il s’agira pour les personnages de fouiller, une maison ou des dossiers, voir des vidéos, repasser des bandes, faire des plans de parcours, écrire des plaidoiries, apprendre à passer de la drogue, soigner un eczéma, s’occuper d’un chat, revoir des vidéos, encore et encore, de façon à ce qu’elles nous emmènent ailleurs – La magie qui pointe lorsqu’enfin, Box prend l’initiative de suivre les déplacements de la victime et non plus de Nasir.

     Forcément, format aidant, la multiplication de points de vue confère au show une dimension vertigineuse. Car si l’on est clairement avec Nasir dans le tout premier épisode (Qui aurait pu dévorer le reste, mais fort heureusement non) quasi de bout en bout, les suivants mélangent les points de vue de ceux qui vivent autour de lui, dont l’avocat, le flic et la procureur, tentant chacun de refaire cette nuit, d’y trouver d’autres preuves accablantes ou a contrario d’embrayer sur d’autres pistes, de rebondir de l’une vers l’autre. Si la série finira par s’offrir, de nombreux mystères demeureront. Tout le premier épisode insérait ici et là des images de vidéo surveillance comme si déjà il nous demandait d’accepter la divergence des points de vue à venir.

     John Stone est un personnage passionnant, dores et déjà l’un des plus beaux toutes séries TV confondues. Prolongement par analogie de l’affaire Khan, il subira lui aussi des hauts et des bas, des moments d’euphories et de violents revers, multipliant les rendez-vous médicaux (Il est continuellement gêné par des démangeaisons produites par un eczéma aux pieds, l’obligeant à porter des sandales même durant ses plaidoiries) généralistes et dermato, avant de rencontrer le remède miracle à Chinatown puis l’inévitable rechute. Les pieds sont touchés, mais aussi bientôt son visage et tout son corps – Autant que l’affaire Khan touche la famille et bientôt la communauté pakistanaise toute entière. Et ce n’est pas la relation qu’il entretient avec le chat de la victime qui va arranger les choses, réveillant ses allergies. Quoique. Et c’est toute la beauté de cette apparition dans sa triste vie, non sans hauts et bas là-aussi (John emmène d’abord le chat à la fourrière, le récupère, l’y redépose, le place chez lui en quarantaine afin d’éviter tout contact) mais qui va révéler toute la complexité et la sensibilité (En ce sens, The Night Of est aussi une grand série humaniste) d’un personnage bouleversant, opportuniste par survie mais de nature profondément bienveillante. S’il va changer la vie de Nasir, ce dernier changera aussi la sienne.

     Voilà. Je le répète, mieux vaut ne rien savoir de la série avant de s’y lancer – Mais si tu es arrivé jusque-là c’est soit que tu as vu les épisodes soit que tu m’as pas écouté. Mieux vaut se prendre le pilot dans la gueule comme je l’ai pris dans la gueule. Car c’est bien le meilleur pilot sériel vu depuis très, très longtemps en ce qui me concerne. The Night Of aurait logiquement pu souffrir de ce parti pris, souffrir d’avoir tout donné d’emblée. Tout était dans le titre d’ailleurs. Et pourtant, c’est bien grâce aux sept épisodes suivants, tous géniaux (Quasi sans aucune faiblesse) que cette fameuse « nuit où » prend toute son ampleur tragique et bouleversante.

Stranger Things – Saison 1 – Netflix – 2016

15128938_10154162217732106_65614552398095762_oL’esprit d’équipe.

   8.0   C’est typiquement le genre de projet excitant autant qu’il rend sceptique. A dire vrai je la sentais moyen cette affaire. J’aurais entendu de tout à son égard, un enthousiasme absolu et des déceptions pures et simples. J’ai donc fait confiance à mon instinct, attendu le moment propice sans me jeter dans la gueule du loup. J’ai bien fait. Toutes mes premières réticences se sont vite envolées. Tous mes doutes (du premier épisode) se sont transformés en jubilation. Cette peur de la compilation de gimmicks et citations pour flatter le chaland en quête de l’hommage ultime a trouvé son écho hypnotique : le plaisir de la reconquête 80’s, assumée.

     Il faut pourtant un certain temps à Stranger things pour se trouver une véritable identité. Trop obsédée par ses références qu’elle assène dans chacun de ses plans, elle en oublie ce qui faisait la marque de ces nombreuses productions Amblin et dérivés : Nous faire croire en ses personnages avant tout, accepter leur aventure comme si c’était la nôtre, puis naturellement nous faire entrer dans son univers ordinaire chamboulé brutalement par l’extraordinaire.

     Le temps d’un épisode pilot aussi agaçant que prometteur, un garçon disparaît et une étrange fillette apparait. L’agacement provient de cette réactivation forcée, non pas des codes du film fantastique familial mais de cette obsession à lui rendre hommage partout, via des affiches de films (Evil Dead, Jaws, The Thing) ou quelques séquences, situations, personnages identiques à celle de nos films chouchou : Mike chauffant le thermomètre sous sa lampe comme Eliott le faisait dans E.T. ; L’édenté Dustin, projection geek du gros Choco des Goonies ; Les BMX, les talkies-walkies. La panoplie complète. La promesse vient d’une idée forte : Ce voile de l’ombre, mystérieux, qui crée une passerelle avec le réel via une présence monstrueuse d’abord hors champ.

     La série va véritablement décoller dans l’épisode suivant avec l’arrivée d’Eleven, merveilleuse Milly Bobby Brown (L’actrice et Le personnage du show, indiscutablement) qui va agrémenter l’univers et lui offrir un visage et un pouvoir de fascination. Dès lors, moi aussi j’allais être upside down, progressivement. Il faudra tout de même passer outre le jeu cocaïné de Winona Ryder (Très gênant au début puis on s’y fait), le dessin grossier des ados et le manque de substance dans l’écriture des dialogues. Pourtant oui, on les oublie ces défauts, on les accepte, surtout parce que le rythme lui, ne faiblit jamais et le double monde prend des tournures horrifiques (C’est parfois hyper flippant pour un produit à la Amblin) et tragiques (notamment grâce au shérif, l’autre personnage fort). Et puis il y a Jonathan Buyers, le grand frère du garçon disparu, amoureux d’une fille amoureuse d’un beau gosse, que la quête commune (lui son frère, elle sa meilleure amie, qui disparaît à son tour au cours du deuxième épisode) va rapprocher. Ce côté revanche du looser me plait bien. Et c’est finalement ce qu’on va retenir de cette aventure : Tous ensemble contre le monstre, qui à l’instar d’E.T. se révèle surtout être une secte scientifique. Ce qui occasionne de nombreux bouleversements chez les personnages : les petits (Plongés dans un Donjons et Dragons géant à ciel ouvert), les moyens (Les clans finissent par disparaître) comme les grands (l’équipée sauvage du shérif et de la mère Buyers) évoluent en fonction de leur croyance en cet extraordinaire envoûtant et terrifiant. Comme le spectateur, en somme.

     Au final, aussi décalque soit-elle, la série ne vise jamais le sensationnel ni ne tombe dans la démonstration de force. Le monde de l’ombre en est l’exemple parfait tant il est dépeint comme espace abstrait, dont on n’explique d’ailleurs jamais le véritable fonctionnement, ni même le pourquoi de sa texture cotonneuse. Et puis niveau réalisation, c’est vraiment très beau. On sent qu’il y a du boulot, dans les intérieurs notamment, mais aussi la forêt, l’autre monde. On ressent beaucoup les influences d’Alien (dans l’autre monde) et Rencontres du 3e type (dans les maisons) mais elles sont parfaitement digérées.

     A l’heure où l’on est abreuvé de suites / reboots / remakes de nos madeleines (Faits : Halloween, Poltergeist, The Thing. A venir : Gremlins, Les Goonies) il est plutôt agréable de voir un produit de réactivation avec sa personnalité, comme avaient pu l’être pour le meilleur Super 8 au cinéma il y a cinq ans et pour le pire Midnight special cette année. Bref, je comprends tous les griefs, je les partage même à certains instants, mais j’ai marché. Comme un dingue. Je ne sais pas trop à partir de quel moment je ne pouvais plus m’en passer. Je pourrais m’y replonger illico volontiers.

Irresponsable – Saison 1 – OCS – 2016

irresponsable-serie-francaise-ocsRetour gagnant.

   8.0   En voyant récemment Le Nouveau, de Rudi Rosenberg, je me disais qu’il représentait bien et de façon assez singulière et pertinente ce que c’est que d’avoir 14 ans. Et en allant voir La loi de la jungle, d’Antonin Peretjatko, j’avais l’impression que pour la première fois on nous disait de but en blanc, que dans la société d’aujourd’hui, la majorité des stagiaires ont 35 ans. Irresponsable arrive dans cette veine là à relier ce double ancrage moderne. Il est donc possible d’avoir 30 ans, d’être père sans le savoir et d’avoir un CV à néant. C’est lorsqu’il postule comme pion dans son ancien lycée que Julien va croiser son amour de jeunesse et fumer un joint avec un élève dont il apprendra bientôt qu’il est son fils. C’est un pitch aussi génialement impossible que le scénario sera hautement probable, au sens où l’on finit par croire, au-delà du geste comique, à cette folle histoire, sans doute parce que les créateurs y croient dur comme fer aussi.

     Le premier épisode est très intelligent car il installe toute l’intrigue sans qu’on ait une impression de surcharge. Les suivants se positionnent dans sa roue ; Il y a une puissance dramatique en sourdine tant les premiers épisodes semblent relativement inconséquents (à l’image de celui de la « fugue » nettement en-dessous du lot) mais le crescendo émotionnel va s’installer progressivement et finir de l’emporter par ko.

     L’épisode du diner marque la rupture. Jacques n’apparait pourtant pas dans cet épisode mais il est partout car c’est ici que la comédie de remariage explose et prendra son envol sublime lors des trois derniers. En effet, comment s’attendre à celui qui s’offre derrière, celui de l’anniversaire de Jacques, avec un marivaudage de grande classe lui permettant d’être à la fois au milieu de ses parents que de ses grands-parents respectifs ? Comment parvenir à créer cette union magnifique autant qu’insolite dans cette cuisine, autour d’un texto et d’une cigarette ? La cuisine confirme d’ailleurs aussi l’alchimie délicate mère/fils qui règne entre Julien et sa mère, ce même si leur relation peut parfois sembler houleuse ou s’aventurer dans le dialogue de sourds. Et que penser alors de ce plan panoramique dans la rue où la perfection de la reconstruction est désamorcée par cet humour bien caractéristique « Putain tu pues des cheveux. Je t’aime mais tu pues des cheveux » ?

     C’est une série aussi très drôle, qui trouve de vraies trouvailles comiques où les petits détails importants sont légion et finissent d’emporter l’adhésion, comme la bière posée sur le lit qu’on finit forcément par renverser ; La portière de voiture qui reste fermée car « J’ai ouvert quand t’as ouvert » ; Le « Best grand’ma » sur le tablier ; La petite cabane dans les bois ; La capote ; Les couleurs des manteaux ; Et puis le générique est très beau, ça m’a plu de l’entendre et de le regarder dix fois.

     Et tous les personnages, j’ai bien dit tous (même Adrien, si si) m’ont plu et surtout les femmes. La mère dégage un truc qui me plait beaucoup, un truc de mère dépassée et de grand-mère décomplexée (Ce qui est assez étonnant étant donné les évènements) que je trouve assez réjouissant. Elle n’est jamais un faire-valoir, mais un vrai personnage, comme pouvait l’être la mère d’Hervé dans Les beaux gosses. Et Emma est géniale. Elle est belle, elle a quinze ans, elle a donc tout pour être la pétasse écervelée du lycée – Celle qu’on nous offre régulièrement dans les fictions stéréotypées – mais c’est en fait la plus lucide, intelligente, ouverte. Et puis il y a Marie. Ah, Marie. Je suis amoureux.

     C’est bien simple, j’ai adoré. C’est une vraie bouffée d’oxygène, aussi bien dans le paysage de la série française que dans le format série tout court, à ranger sans forcer aux côtés de Love, la dernière production Apatow. Et je suis ravi de revoir Sèvres ou proche Sèvres (Chaville en l’occurrence) à l’écran depuis le sublimissime Memory Lane, de Mikhaël Hers. Belle et mystérieuse à la fois, solaire/automnal d’un côté ou lumineuse/hivernale de l’autre, il y a dans ces deux approches formels des lieux quelque chose qui me touche beaucoup. On a l’impression qu’on n’avait jamais filmé ces lieux comme ça. Qu’on ne les avait jamais vus sur un écran avant. Bref, la saison 2016/2017 commence de fort belle manière. Vivement la suite !


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