Archives pour la catégorie Abbas Kiarostami

24 frames – Abbas Kiarostami – 2017

01. 24 frames - Abbas Kiarostami - 2017Infinité d’images autour d’une image.

   6.0   Ce dernier film de Kiarostami est né d’une idée toute simple autant qu’elle est éminemment cinématographique : Puisque « Le cinéma c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde » pouvait-on entendre dans Le petit soldat, de Godard, le cinéaste iranien se demande ce qu’il advient de vingt-quatre images en deux heures, sitôt qu’on y ajoute ce qu’on imagine avoir eu lieu avant ou après ces images capturées. Hormis la toute première « frame » qui donne vie à Chasseurs dans la neige – le tableau de Bruegel qui au cinéma inspira déjà Tarkovski pour Zerkalo ou Lars Von Trier qui le faisait se consumer dans Melancholia – les vingt-trois suivantes s’attèlent à faire se mouvoir vingt-trois photos prises par Kiarostami lui-même.

     Idée aussi géniale sur le papier – d’autant qu’elle semble répondre à trois autres de ses films, plus conceptuels et expérimentaux : Shirin, Five et Ten – qu’elle s’avère in fine assez peu stimulante. Je m’explique. Kiarostami, pour moi, c’est avant tout le reste : Où est la maison de mon ami ? Soit l’un de mes films préférés. Mais j’aime aussi beaucoup Close-up, Le goût de la cerise ou Copie conforme. En fait, le problème, mon problème, c’est que je n’ai vu aucun de ses films « expérimentaux ». En somme, 24 frames m’apparait davantage comme un objet d’art ultra-conceptuel, une sorte de caprice de vieux sage, je le replace difficilement dans la filmographie du cinéaste iranien, voilà pourquoi, très probablement, il me touche moins. Sans doute ai-je tort et y reviendrai après les découvertes ultérieures de Five ou Ten. Mais en l’état, je ne retrouve pas tellement (mon) Kiarostami là-dedans.

     C’est un joli film, certes, parfois ludique – enfin surtout pour mon chat, qui ne quittait plus l’écran des yeux – puisque chaque apparition, chaque mouvement aussi discrets soient-ils parfois, violents plus rarement, ouvrent sur une infinité de possibles, de petites choses à observer plutôt que d’autres, au choix du spectateur, béat ou attentif. Mais il manque peut-être une histoire pour tisser ces morceaux entre eux. Chaque frame entre idéalement dans un tout puisqu’on y retrouve souvent la neige, les oiseaux, les arbres, la mer et une présence humaine, parfois discrète (la vitre d’un véhicule, un rideau) parfois brutale (un coup de feu, le vrombissement d’un moteur) parfois imposante (une chanson, un grillage). Mais ça manque d’une résonnance forte, d’une émotion qui fera sortir le film de son confort. C’est le son qui jaillit dans 24 frames. C’est le son qui stimule, c’est déjà ça.

     J’en viens à un constat un peu amer, en somme : N’est pas Benning qui veut. D’une part, c’est sa marque de fabrique, à Benning, ce type de plans fixes, difficile de lui reprocher d’être conceptuel et capricieux puisqu’il semble ne pouvoir utiliser le cinéma que de cette manière-là. Chez Kiarostami la question se pose. Et elle se pose tellement qu’il s’en passe des choses dans ses plans, contrairement à ceux de Benning qui gardent leur pouvoir de quotidienneté, de normalité, de continuité. Dans 24 frames, on peut voir les cimes de deux peupliers sur le point d’être tronçonner. On les verra disparaitre, on les entendra tomber. Chez Benning, si le plan change lors du passage d’un train, du souffle du vent ou de la traversée d’un nuage, ce changement est poétique, jamais politique, disons. L’immobilité n’est jamais statique chez lui aussi et débouche toujours sur des surprises, des sursauts, des pas-de-côté mais jamais de façon aussi franche.

     Lignes, motifs, apparitions se répondraient donc trop ostensiblement ? Je pense que ma principale gêne vient de là. A moins qu’il ne s’agisse d’un problème lié à l’image. Kiarostami ne ment pas sur son dispositif, d’emblée il joue du numérique pour faire bouger la toile de Bruegel, voir la fumée sortir des cheminées, de la neige tomber, des oiseaux voler, des vaches traverser le plans. Il faut accepter le faux, l’ajout, le collage numérique pour accepter de naviguer dans 24 frames. Ces trucages brisent-ils tant l’élan poétique ? Pour moi, oui. Je préfère quand Sokurov travaille directement sur pellicule dans Mère et fils, en déformant les contours et les angles. Là ça m’évoque plus les caprices de Vincent Dieutre ou Kirill Serebrennikov quand ils gribouillent des pigeons ou des coloriages sur les plans de Jaurès ou Leto. Ça me sort du film plus qu’autre chose, moi. Toutefois, 24 frames a ceci de particulier et émouvant, a ceci pour lui en somme, qu’il est un film posthume. Il y a bien quelque chose d’un artiste attendant la mort là-dedans, dans ces images mortes qu’il faut animer à tout prix.

Like someone in love – Abbas Kiarostami – 2012

Like someone in love - Abbas Kiarostami - 2012 dans Abbas Kiarostami 24.-like-someone-in-love-abbas-kiarostami-2012-300x200

Le voile des illusions.

   5.5   Le film est un peu écrasé par ses deux magnifiques premières séquences, l’une se situant dans un bar entre anonymat et brouhaha, l’autre dans un taxi entre écoutes de messages téléphoniques et vibrations citadines tokyoïtes. Like someone in love peut se voir comme un second angle aux mystères identitaires de Copie conforme. Un autre angle ludique qui permet aussi des envolées émotionnelles enfouies. Le jeu essentiellement théorique de Copie conforme où deux inconnus qui se rencontrent se retrouvaient le temps d’une séquence pirouette un couple en perdition, n’est ici que coïncidences, rencontres et actes manquées. En grand metteur en scène qui n’a plus grand chose à se prouver sinon l’élargissement de son terrain de jeu, Abbas Kiarostami crée une situation qui glisse naturellement vers une autre, en choisissant la durée séquentielle et une situation basique qui d’une part ne se livre que partiellement, progressivement et qui s’engouffre vers des cimes inconnues. C’est la grande qualité du film, de sans cesse être dans la surprise. En y réfléchissant, je me dis que si Woody Allen n’avait pas mal vieilli c’est sans doute ce qu’il ferait aujourd’hui, il ferait Like someone in love. C’est aussi pourquoi je pense que c’est un Kiarostami mineur, à savoir que ce film là a la gravité des meilleurs Allen mais qu’il ne s’ouvre pas au point de se transcender comme les anciens Kiarostami. J’aime beaucoup chaque séquence du film mais une fois mise en place, une fois la surprise enclenchée, je trouve le dispositif peu incarné, trop conscient de son potentiel mise en scénique et le huis clos de ce quiproquo ne rend pas grâce au film, il manque un mouvement, une trajectoire. Le cinéma de Hong Sang-soo me manquait. Je suis donc partagé entre une impression de sur fabrication de l’ensemble et le bonheur de me perdre à nouveau dans ces méandres identitaires avec cette jeune femme qui voudrait voir sa grand-mère et se retrouve accompagnée d’un vieil homme pour une passe avant que la rencontre entre son petit ami et ce vieil homme ne lui offre un grand-père de substitution à cette grand-mère qu’elle a manquée. C’est un film extrêmement épuré du point de vue de ce quiproquo, comparé à celui de Copie conforme dans la mesure où celui-ci relève davantage d’une mésentente Rohmérienne que d’un processus théorique. Néanmoins, Like someone in love a la belle idée de faire perdurer ces nouvelles identités, de nous faire douter de leur facticité par de nombreuses évocations et rencontres, entre une peinture ressemblante et une voisine non timorée. C’est un songe. Un songe un peu désespéré. Où il est finalement plus facile d’échanger sous des identités nouvelles (les deux personnages acceptent tous deux d’être grand-père et petite fille l’un ou l’une de l’autre) que de faire exister une relation sous des identités réelles – L’amoureuse oubliée, le garçon trompé, la grand-mère délaissée au bord d’une fontaine. Le film a sensiblement les mêmes défauts que l’on pouvait trouver dans Copie conforme, cette manière d’un peu trop appuyer, de tout tourner autour du scénario. Dans Copie conforme j’aimais l’idée d’un film en deux morceaux car ces deux morceaux me passionnaient tellement que d’une part j’en venais à douter du morceau original et du morceau joué et d’autre part j’oubliais la pirouette scénaristique. Là, je n’ai pas ça, j’ai autre chose, de beau mais de jamais vraiment passionnant non plus.

Où est la maison de mon ami ? (Khaneh-ye doost kojast?) – Abbas Kiarostami – 1990

Où Est La Maison De Mon AmiDevoirs du soir.  

   10.0   Le réalisme du film ne se situe par forcément dans le déroulement de l’histoire, sorte de calvaire initiatique salutaire d’un enfant en école primaire, mais dans l’unité de lieu offert systématiquement par le cinéaste iranien. Une salle de classe ouvre et clôt le film. Entre ces deux séquences, un après-midi et une soirée en compagnie de Ahmad. L’extérieur de sa maison, puis ses va-et-vient incessants entre son village et celui vers lequel il doit trouver son ami afin de lui rapporter son cahier de devoirs, qu’il a embarqué par mégarde. C’est que Mohamad Reza, Ahmad et leurs camarades ont un professeur à cheval sur la discipline. S’ils doivent rester silencieux pendant toute la durée du cours, ils doivent aussi avoir fait leurs devoirs de la veille, que le professeur vérifie chaque jour en y apposant une note, mais surtout ils doivent faire ce devoir dans leur cahier, pas sur une feuille volante. Ce matin-là, Mohamad a dû une nouvelle fois rendre ce devoir sur une feuille puisqu’un élève lui avait embarqué son cahier. Aucune excuse ne lui est accordée, son devoir est déchiré – c’est déjà la troisième fois, lui répète le professeur – et Mohamad s’effondre en larmes, sous les yeux compatissant de son voisin de table Ahmad. Tout est déjà vécu à hauteur d’enfant, leur incompréhension, leur tristesse. L’adulte restera durant tout le film comme celui qui ne comprend ni ne cherche à comprendre l’enfant, d’une manière générale. Cette première séquence, qui rappelle quelque peu une scène de La maison des bois de Maurice Pialat, est très touchante, justement car l’on sait, en tant que spectateur que tous ont quelque part raison, Kiarostami ne fait pas non plus de ce professeur un monstre. Il est sévère mais semble juste. Ne pas stigmatiser le rôle de l’adulte, qui intervient malgré tout comme le grand méchant, puisqu’il fait pleurer le pauvre Mohamad, Kiarostami l’a très bien réussi. Mais ce qu’il réussit de mieux c’est l’impact qu’à cet événement et la menace qui s’ensuit – le renvoi de l’école à la prochaine erreur de l’élève – sur les comportements de ces élèves. Car un enfant prend ce genre de considérations au premier degré, et on n’imagine pas le cauchemar intérieur qu’a dû vivre Mohamad jusqu’au lendemain…

     La suite du film est entièrement centrée sur le petit Ahmad. On le voit rentrer chez lui, s’apprêter à faire ses devoirs avant que sa mère ne lui demande tout un tas de tâches quotidiennes l’empêchant de travailler. Quand il sort enfin les affaires de son sac, pressé par son ami qui lui montre clairement qu’il peut aller jouer parce qu’il a fini ses devoirs – ce que la mère d’Ahmad ne manquera pas de lui faire remarquer – le garçon découvre qu’il a embarqué, en plus de son propre cahier, celui de son voisin de classe, à savoir le petit Mohamad Reza, qui souffre de cet ultimatum lancé par le professeur quelques heures plus tôt. Ahmad est complètement perdu, il ne sait comment faire. D’autant que lorsqu’il en parle à sa mère, elle est d’abord indifférente avant de lui faire comprendre que l’endroit où habite son camarade, est beaucoup trop loin, que le mieux c’est de lui rendre son cahier demain. En attendant, il ferait mieux d’aller chercher une baguette. Ce n’est pas encore cette fois-ci que Ahmad fera ses devoirs donc. Mais dans l’obligation d’aller acheter du pain, il va saisir l’occasion d’aller à Poshteh, emmenant le cahier de son camarade sous son aile. Et le voilà en train de courir de toutes ses forces, quittant son village Koker, sous les yeux de son grand-père dubitatif, sillonnant un chemin désert en forme de Z, des champs, une forêt, puis le voilà arrivé dans un village mais on lui dit que Poshteh est un poil plus loin. Puis à Poshteh on lui dit alors que le village comporte plusieurs quartiers. Ahmad court toujours, demande son chemin, questionne les habitants sur l’éventuelle connaissance d’un Mohamad Reza Nematsadeh. En vain.

     Kiarostami multiplie alors les péripéties tout en conservant son unité de lieu. Koker ou Poshteh. On sent que Ahmad tourne en rond. Mais il progresse. Il sait alors que la maison de son camarade a une porte bleue et se trouve juste à côté d’une fontaine. Mais il n’y est pas. Un cousin lui dit alors qu’il est peut-être à Koker. Ahmad refait le chemin en sens inverse. En vain, une nouvelle fois. A Koker, en pleine discussion avec son grand-père qui lui fait la morale, Ahmad surprend une conversation à côté et croit entendre que l’homme sur sa mule s’appelle Nematsadeh. Quand il part pour Posheth, Ahmad décide de le suivre. Troisième fois qu’il traverse ce chemin en Z, ces champs, ces forêts. Mais arrivé à Poshteh, Ahmad découvre qu’il y a sans doute plusieurs Nematsadeh. Désespéré, il ère dans les ruelles, chemins, la nuit commence à tomber. C’est une rencontre avec un vieil homme qui aurait pu tout changer, mais c’est cette fois-ci la peur, la nuit poussent le jeune Ahmad à renter au gallot chez lui, effectuer rapidement ses devoirs avant d’aller se coucher.

     Kiarostami choisit de nous cacher deux éléments importants dans son récit. Le premier au tout début du film. On apprend en même temps que le personnage qu’il a malencontreusement pris le cahier de son camarade. La seconde à la fin. On découvre en même temps que Mohamad, le lendemain donc, ses devoirs accomplis par son camarade la veille. La fin de ce film est bouleversante. Il y a toute une angoisse qui se crée lorsque l’on est à nouveau dans ce lieu dans lequel nous avions souffert autant que le personnage. Mais Ahmad n’est pas là. On se dit qu’il peut-être honteux, qu’il est lâche. Le professeur passe entre les rangs. Mohamad est inquiet, prêt à éclater une nouvelle fois en sanglots. Puis Ahmad arrive. Ce n’est pas un messie. C’est un camarade qui aura tout essayer. Dont les cernes peuvent trahir une soirée surréaliste. Il sort les deux cahiers de son sac. Il a fait les devoirs de son camarade. Le professeur passe et assigne un ‘très bien mon garçon’ sur le cahier de Mohamad. Il n’y avait pas besoin d’un plan supplémentaire. Il n’y en aura pas. C’est magnifique. Et nous aussi, on peut souffler !

Close up (Nema-ye Nazdik) – Abbas Kiarostami – 1991

Close up (Nema-ye Nazdik) - Abbas Kiarostami - 1991 dans Abbas Kiarostami

Le passager.

   8.0   Dans son court métrage Le jour de la première de Close up, Nanni Moretti dit du film de Kiarostami qu’il est un film sur le pouvoir du cinéma. On pourrait même dire que c’est un film de cinéphile paradoxalement pour non cinéphile. Ce n’est pas le plus mystérieux des films du cinéaste iranien, ce n’est pas non plus son plus beau en terme de mise en scène, d’image, de profondeur de champ, de gestion des silences. C’est au contraire un film qui parle énormément, et qui tentant de reproduire l’authenticité d’un fait fonctionne selon des plans de documentaires, pas forcément hyper travaillés formellement. C’est pourquoi j’ai eu un mal fou à entrer dans le film, sans doute une bonne demi-heure a t-il fallu pour que je me passionne pour l’histoire atypique de cet homme.

     Ali Sabzian va se faire passer pour le cinéaste Mohsen Makhmalbaf auprès d’une famille, un peu par hasard, parce qu’on l’a pris pour lui et qu’il n’a pas nier d’emblée, mais aussi parce qu’il est entré dans un rôle, qu’il a joué ce personnage jusqu’à évoquer sa volonté de tourner un film avec les enfants de cette famille. C’est évidemment très malhonnête, il le reconnaîtra lors du procès, que Kiarostami reconstruit à merveille, mais ça n’avait pas pour but de l’être, ni d’être un escroc, encore moins un cambrioleur, ce qu’on l’a accusé, après qu’il ait fait des repérages dans toutes les pièces, parce que dit-il, un cinéaste se doit de faire cela avant de tourner dans les pièces d’une maison. Je précise qu’il s’agit d’une histoire vraie, et Kiarostami semble la raconter sans ornements, au sens où Bresson l’entendait quand il réalisa Un condamné à mort s’est échappé.

     Le film est doté d’une découpe étonnante : Il commence en voiture par l’arrestation hors-champ de ce faux Makhmalbaf. Il nous montre ensuite par instants sa rencontre avec la famille, entrecoupée de scènes de procès. Puis il se termine sur l’arrestation vécue du côté de cet homme. Il y a comme un jeu de miroir, qui ferait appel à une certaine idée de la connaissance ou non d’un sujet. En effet, les premières séquences, malgré le fait qu’elles soient intéressantes du point de vue de l’intrigue simple (On s’apprête à arrêter un homme qui occupe l’identité d’une célébrité, c’est vrai que c’est étonnant, mais il n’y a aucune proximité avec la personne) ne sont donc pas forcément passionnantes, d’où mon léger rejet dans un premier temps. C’est en déconstruisant son récit que l’effet de miroir fonctionne puisqu’il nous permet de voir en Ali Sabzian sa véritable identité, ses motivations, son amour pour l’art. Close Up devient de plus en plus fort au fil des minutes avant de déboucher sur une scène finale absolument miraculeuse, où Sabzian rencontre le vrai Makhmalbaf. C’est comme si l’on était repassé du côté flic/journaliste (le micro, le son intempestif sur la moto, le plan lointain devant la maison) mais que nous n’éprouvions plus du tout ce que l’on éprouvait en tout début de film. Sabzian n’a jamais rien fait de mal, il a utilisé une identité pour revendiquer son amour du cinéma et le transmettre (voir la citation de Tolstoï) et c’est bien entendu tout à son honneur, et c’est ce que le vrai Makhmalbaf semble vouloir lui dire dans ce final magnifique.

Copie conforme – Abbas Kiarostami – 2010

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Voyage en Italie.    

   7.5   Au tout début du film, un écrivain vient parler de son livre Copia conforma, qui illustre sa théorie selon laquelle une belle copie vaut mieux qu’un original. Séquence éreintante, du bla bla intellectuel et théorique dans lequel je ne suis jamais entré. Finalement à tort car je trouve qu’avec le recul c’est une entrée en matière parfaite. Une femme dans le public écoute ses dires tout en flashant sur le bonhomme, arriviste grisonnant se la jouant cool (le téléphone portable) pour dénaturer l’enjeu barbant de sa situation. Elle souhaite le revoir. Elle va le revoir. Séquences d’errances où la conversation prend une place dominante. Il est d’abord question de son livre, de digressions autour du thème de l’original et de sa copie. Puis il y aura l’histoire autour de ce tableau, qui selon elle illustre à merveille ce que cherche à dire cet homme, qui ne comprend pas pourquoi on présente l’œuvre comme une copie avant de parler d’art. Peu à peu, davantage de banalités, même si le cinéaste s’évertue à exploiter grossièrement ou subtilement, c’est selon, les aléas de son exercice de style. On aura droit à une superbe scène dans une voiture. A une longue marche face aux personnages dans des plans très cinéma italien néo-réaliste. Puis, dans une scène centrale absolument magnifique, il y aura un glissement. Une histoire qu’il lui raconte d’une femme qu’il observait de sa fenêtre, ne marchant pas en même temps que son fils qui la suivait une cinquantaine de mètres derrière. Elle avouera alors qu’elle n’était pas très bien à cette époque là. J’écarquille les yeux, je suis perdu. Tellement pris par les soubresauts de cette passionnante rencontre, de cette agréable promenade, j’en avais oublié que Kiarostami poursuivait son exercice de style. Séparer le vrai du faux, la copie de l’original, pas toujours si simple. Au même titre que ce tableau qui jouissait de la réputation d’œuvre d’art unique et originale, découverte il y a peu comme la copie réalisée par un faussaire. Cet homme et cette femme ont maintenant l’air de se connaître. Les choix de mise en scène ne sont pas très heureux à cet instant : l’abus du champ/contrechamp où chacun parle à son tour face caméra décrédibilise le jeu d’acteur donc la valeur des personnages, de leur conversation, dans laquelle j’étais plongé entièrement depuis leur rencontre. Mais finalement c’est un procédé légitime, le cinéaste poursuivant sa quête théorique. Ils se connaissent, et bientôt, parce que la serveuse du bar dans lequel ils sont les prend pour maris et femmes, le jeu se poursuit. Ils sont maintenant en couple. La marche toscane reprend à travers les ruelles, jusque sur cette fameuse place où se trouve le David de Donatello. Quelques rencontres, avec des jeunes mariés, avec un couple un peu plus âgé, puis un simple regard sur un couple beaucoup plus âgé encore. Lequel est une copie, lequel est un original ? Moi-même je ne savais plus quoi penser. Avais-je vu une rencontre avant tout, ou bien la simulation d’une rencontre ? Ai-je vu un vrai couple sur le déclin qui se souvient, qui se détruit, ou simplement des personnages qui se prennent pour un couple ? Il y a le problème de la langue aussi. Elle parle anglais, italien et français. Il ne parle que les deux premières langues. Elle parle à son fils en français. Après la pirouette scénaristique, il se met lui aussi à parler français. Chez Kiarostami la langue n’est pas une barrière comme chez Godard (Le mépris) elle agrémente la richesse des dialogues, elle entre dans cette volonté théorique. Si bien que l’on ne sait plus, un moment donné, avec laquelle des langues ils sont le plus à l’aise, quelle est la langue originelle de l’un et de l’autre. Où est l’original, une fois de plus ? Il y a une séquence que j’aime beaucoup, qui m’a un peu rappelé Rohmer, c’est la rencontre avec le couple qui vient en Italie pour la cinquième fois, disent-ils. Après que cette femme lui ait exposé son avis enthousiaste à propos de la statue, ce qu’elle représente pour elle avec ce visage féminin sur cette épaule masculine, cette sérénité, cette confiance qui s’installe, son mari prend notre homme à part en lui disant que la seule chose que sa femme cherche c’est une main sur son épaule, et tout ira alors beaucoup mieux, comme Brialy devait poser la sienne sur le genou de la jeune Claire. Notre homme, pour trouver cette sérénité tant convoitée doit apparemment effectuer ce simple geste. Copie du David  de Donatello ? Si ce mouvement ne donne pas grand chose c’est l’intention qui me plait ici, c’est la rencontre avec ce couple principalement. D’ailleurs, la première fois qu’on les voit, ils sont face à face, la caméra s’aligne derrière avec leurs corps. Ils ont l’air de se disputer. Quelques secondes suffiront, ils reprendront leur marche et l’on s’apercevra que l’homme était simplement au téléphone, avec son fils je crois. Le fils toujours. La copie ? Il y a dans chaque situation, dans chaque plan une symbolique sur le thème du vrai et du faux. C’est un jeu, presque un jeu de piste, je trouve cela passionnant. Parfois c’est un peu trop appuyé comme la présence quasi permanente de miroirs dans les plans. Et donc, dans ce qui se révèle être une conversation sans fin, sans objectif particulier, une relation complètement factice, c’est au contraire pour moi un bonheur de chaque instant. Car derrière toute cette machinerie ultra théorique et bien il y a de la vie. Je vois d’abord le fruit d’une belle rencontre. Je vois ensuite l’errance d’un couple qui se délie. Je ne me souviens pas de cette manipulation ultime. C’est en cela que je trouve le film magnifique.


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