Publié 25 février 2024
dans Agnès Varda
« L’inconnue célèbre »
5.0 « C’est pas grave si on perd le fil ? » Demande Birkin. « J’aime les labyrinthes » répond Varda. Ce jeu, cher à la cinéaste, se traduit bien souvent dans l’image autant que dans les mots. Un moment donné, elle dit passer du coq à l’âne, un travelling passera donc d’un coq à un âne. Il y a des idées en permanence. Néanmoins, le film se perd dans ses aléas variés. Il est bien plus beau, à mon avis, dans le dialogue qui se joue entre Birkin et Varda, occasionnant un double portrait qui se nourrissent l’un l’autre. Il est moins intéressant quand il s’agit de cumuler les petits sketchs de films / personnages que Birkin ne jouera jamais, d’un simili Laurel & Hardy à un récit d’aventure dans le désert, en passant par une dispute conjugale avec Léotard dans une galerie d’art à un rôle de Jeanne d’Arc. Mineur donc, pas grave tant j’apprécie tous les ponts que fait Varda, cette façon si ludique et vivifiante de faire dialoguer sa filmo de films en films.
Publié 24 février 2024
dans Agnès Varda
« T’as de beaux restes, tu sais ? »
6.0 Comme à son habitude, les mots chez Varda sont beaux et cinglants : « on ne pouvait pas avoir l’air plus minable qu’il était et je l’ai trouvé magnifique ».
Mary Jane est une mère célibataire d’une quarantaine d’années. Un jour, elle tombe sous le charme de Julien, un camarade de classe de sa fille de quatorze ans. Le garçon est fou d’un jeu sur une borne d’arcade, Kung-fu master, dans lequel il incarne un karatéka combattant des ennemis de niveau en niveau afin de délivrer une femme prisonnière. Mary Jane aussi voudra bientôt jouer.
L’analogie clignote mais sans lourdeur. Borne d’arcade ou pas le jeu sera la thématique dominante : il y a aussi cette jolie scène de plage où Julien explique les règles de Donjons et Dragons à Mary Jane. Il y a toute cette dynamique inversée qui voit la femme en plein apprentissage. Et c’est finalement moins l’histoire d’une femme qui tombe amoureuse d’un adolescent que la quête nostalgique de sa jeunesse perdue. C’est très beau. Et le film navigue entre légèreté et gravité, avec l’angoisse du SIDA partout, en filigrane.
Ce qui est très étrange et touchant aussi, c’est son aspect film de familles. Demy et Gainsbourg réunis. Puisque Jane Birkin y tourne avec ses deux filles, Charlotte Gainsbourg et Lou Doillon. Et Varda y fait jouer son fils, Mathieu Demy. Beau film.
Publié 26 septembre 2023
dans Agnès Varda
Les feuilles mortes.
6.0 Après avoir réalisé La pointe courte, superbe premier long métrage, Agnès Varda s’attaque à son premier court : Une commande de l’office national du tourisme dans lequel la réalisatrice présente l’histoire des châteaux de la Loire dans l’ordre chronologique de leur construction. Ce sera pourtant moins académique et touristique que déjà très ludique et poétique. Le titre nous y prépare d’emblée en empruntant celui d’un poème d’Arthur Rimbaud. Mais ce n’est pas que ça. Varda y insère aussi des éléments inattendus, des commentaires de jardiniers sur les arbres notamment, et des apparitions de mannequins, aussi accompagné d’extraits de poèmes célèbres, le tout alors qu’on visite Langeais, Loches, Amboise, Chambord, Chenonceau. Or il s’agit moins de retracer la vie et désirs des châtelains, que de former de brefs portraits de jardiniers, tailleurs de pierre, peintres ou familles de gardiens. Ce n’est plus un docu pédagogique mais une fantaisie toute personnelle, une sorte de lettre oubliée dans les feuilles mortes : le film s’ouvre sur ces feuilles mortes, comme s’il préparait déjà au Bonheur (1962) ou à Les glaneurs et la glaneuse (2000).
Publié 24 mars 2022
dans Agnès Varda
Traitement de choc.
4.5 Edgar et Mylène vont s’installer sur l’île de Noirmoutier, car Edgar, écrivain, compte écrire un bouquin. Sur la route ils ont un accident de voiture. Dès lors, Deneuve sera muette et Piccoli balafré en plein milieu du front. Elle restera enfermée à faire la popote et bientôt à attendre un bébé pendant que lui se balade en solitaire en observant la vie des autochtones, de façon à trouver de la matière pour son récit de SF basé sur les étranges habitants de l’île. C’est alors que le film devient cinglé. D’ailleurs, si l’on s’en tient à ce qu’en disait Varda : « C’est un jeu de passe-passe entre les aventures réelles et les aventures écrites ». Piccoli se met à parler aux chevaux et aux lapins. Les habitants ont des comportements soudains très bizarres, causés par de mystérieux cercles métalliques, renforcés par des filtres roses, rouges, violets – il faut signaler que Les créatures est un film en noir et blanc, très loin des couleurs éclatantes de son précédent film, son chef d’œuvre Le bonheur. On comprend que les habitants de l’île sont alors des pions sur un jeu électronique, géré par un voisin démiurge qui manipule chacun en lançant les dés. Une partie d’échecs à laquelle est bientôt convié Edgar – qui s’appelle Edgar Piccoli dans le film. Un peu comme si Varda avait voulu faire du Bergman, mixé Le septième sceau avec À travers le miroir, mais qu’elle avait fumé un peu trop de weed. Il y a des damiers partout dans le décor, sur des objets, sur les personnages. Une heure et demie chelou. Qui ressemble un peu à du Varda quand même (Celle de La pointe courte, notamment) mais qui vire à du sous-Resnais ou à du Jessua avant l’heure et sous LSD. Ça reste une curiosité mais j’y suis globalement hermétique.
Publié 18 novembre 2021
dans Agnès Varda
Deux femmes.
8.5 Film ample, elliptique, en mouvement permanent, dont le récit s’articule sur une quinzaine d’années, à Amsterdam, Paris, Hyères et en Iran, avec trois voix off, L’une chante, l’autre pas est un vrai document de son époque. Un grand film militant, féminin, politique, sur le droit des femmes, le combat pour l’avortement et l’émancipation du joug patriarcal. C’est un grand film hybride : à la fois musical et dépressif, optimiste et lucide. C’est la rencontre de deux femmes en lutte. Il y a celle qui chante, Pomme (Valérie Mairesse, magnifique), étudiante bohème et engagée. Celle qui ne chante pas c’est Suzanne (Thérèse Liotard, bouleversante), mère de deux enfants et enceinte d’un troisième non désiré, qu’elle ne veut pas garder. Tout les oppose mais elles vont rester en contact, aussi de façon épistolaire pendant les années où elles ne se verront pas. C’est somptueux.
Publié 22 juillet 2019
dans Agnès Varda
Entre les murals.
6.0 On sait que les murs ont des oreilles, mais Varda préfère utiliser leur façon de s’exprimer. Le titre l’annonce de façon ludique dans un joli jeu de mots : Il sera question de mur, de murs et de murmure. Ou plutôt du murmure des Murals, puisque c’est ainsi qu’on appelle ces peintures murales de la ville de Los Angeles. Ce murmure c’est évidemment celui des opprimés, qui se murmure d’ailleurs moins qu’il se crie, se scande. Il raconte, c’est sa priorité, rien n’est jamais gratuit sur ces murals. Qu’on revendique son amour pour une femme ou qu’on crache sur la violence de la guerre, ces fresques sont le témoin, parfois éphémère – En cela on rejoint aussi le travail de JR, qui sera aux côtés de Varda pour Visages Villages – du monde. Comme à son habitude, Varda commente beaucoup, parfois tout à fait inutilement, mais toujours avec poésie, malice et suffisamment de délicatesse pour ne pas se tirer la couverture. Et si la plupart des scènes sont des plans de ces murals, Varda n’oublie pas de donner directement la parole aux artistes, aux habitants des quartiers. Donc comme toujours chez elle, ça fourmille, c’est épatant et passionnant.
Publié 3 mai 2019
dans Agnès Varda
Les quatre-vingt balais.
7.0 C’est par ce film – découvert en salle à l’époque de sa sortie – que j’avais fait connaissance avec le cinéma d’Agnès Varda. Fallait bien commencer quelque part. Mais ça n’avait pas grand sens puisque Les plages d’Agnès est un retour kaléidoscopique sur l’ensemble de son œuvre. Pourtant ça m’avait beaucoup plu. J’aimais son énergie, son ton, son égocentrisme attachant, son côté bricolé, sa manière de sauter d’une anecdote à l’autre, sa façon de danser avec le passé. J’en gardais un excellent souvenir et je suis ravi de l’avoir revu, là dans la foulée de la causerie Varda par Agnès, tant il représente son miroir déformé. Déformé par le temps.
On y parle du mouvement des femmes et de L’une chante, l’autre pas. De son passage aux Etats-Unis (Pour suivre Demy qui y tournait Model shop) et donc de son film sur les Black panthers. De son installation sur les patates et bien entendu de son film Les glaneurs et la glaneuse. De son désir de revenir à la fiction (Sans toit ni loi) et de s’imposer le travelling comme elle s’était jadis imposé le temps réel dans Cléo de 5 à 7. D’évoquer Jacques, son Sida et faire Jacquot de Nantes qui sortira pile au moment de sa mort. De son état de veuve en évoquant ces Quelques veuves de Noirmoutier. De sa rue, avec Daguerréotypes. C’est un film qui se souvient. Tant qu’il est encore temps. « Je me souviens pendant que je vis » dit Varda, un moment donné.
Si le plus émouvant c’est de constater combien c’est un film qui parle de Jacques Demy, qui se souvient de lui, en permanence, c’est très étrange de le revoir aujourd’hui après le départ de Varda. Demy et Varda ne sont plus. C’est ce lourd sentiment qui s’impose brutalement, lors du générique final. L’impression que la dernière page d’un livre magnifique, riche, aventureux, moderne et bouleversant, se ferme, avant les deux beaux épilogues que seront Visages, villages et Varda par Agnès.
Publié 3 mai 2019
dans Agnès Varda
« J’ai quatre-vingt-dix ans et je m’en fiche »
6.0 « Je disparais dans le flou, je vous quitte » resteront comme les derniers mots sur pellicule de la grande Agnès Varda. Varda par Agnès, énième film-portrait, a ceci de troublant qu’il revisite tellement toute son œuvre, de long en large, de courts en longs, qu’il est impossible de ne pas le percevoir comme un film-testament. Evidemment, on pouvait déjà en dire autant il y a onze ans avec Les plages d’Agnès, qui passait aussi en revue, dans un désordre joyeux, son parcours, mais il y avait encore un désir intact de créer, de continuer, qui semble s’être éteint ici. Varda répète qu’elle a quatre-vingt-dix ans, qu’elle a mal partout. Il s’agit donc d’une causerie, plutôt de deux causeries montées dans un film, sorte de leçon de cinéma entrecoupée d’images de ses propres films. Ça pourrait être un syndrome La mort en fuite s’il n’y avait cette approche légère et ludique, ainsi que ce concert d’anecdotes qui vise justement moins la leçon magistrale que le touchant dernier autoportrait. Certes on peut se dire que Varda radote et refait ses Plages, d’autant que de nombreuses anecdotes sont mentionnées de la même manière, montées pareilles, mais l’esprit, lui, a changé, ce n’est plus le film d’une femme voguant assurément vers ses quatre-vingt printemps mais la causerie d’adieu d’une sereine nonagénaire. Et ça se sent en permanence, c’est évidemment très émouvant.
Publié 13 juin 2018
dans Agnès Varda et JR
Glaneurs de portraits.
6.5 Très agréablement surpris car je le sentais vraiment pas. J’imaginais bien un truc dans la lignée du raté Les habitants de Raymond Depardon. Déjà y avait cette curieuse association d’artistes qui n’augurait rien de bon, sinon un concert d’autocongratulations mutuelles, et puis y avait Mathieu Chedid à la BO. Bref ça faisait peur. Et en fait on retrouve bien l’univers de Varda, quelque part entre Les plages d’Agnès et Les glaneurs et la glaneuse. Il y a des trucs pas géniaux mais aussi des séquences fortes, dans l’approche du monde, le regard qu’on y pose et ce qu’on veut lui offrir même de manière éphémère comme ici lorsque la photo géante est montrée puis engloutie par la marée. C’est un film qui parle beaucoup de la mort, de la crainte de tout voir disparaître. Et puis y a un amour du cinéma en permanence, dans un dialogue, une image, tout particulièrement envers Godard que Varda admire comme jamais elle n’en avait parlé dans ses films. Bref, beaucoup aimé.
Publié 26 juin 2016
dans Agnès Varda
Glanons, grappillons.
8.0 C’est moins l’occasion pour Varda de faire un docu stricto sensu sur les conditions et l’histoire du glanage, comme pour offrir une version filmée d’un tableau de Millet ou de Breton, que d’expérimenter une fois de plus les possibilités du matériau filmique, glaner de l’image, en somme. Saisir de sa main qui filme son autre main qui glane, répète t-elle régulièrement. Autrement dit, mettre en scène la finalité de son idée, de ses convictions. Et en profiter pour raconter son vieillissement, prendre son corps à témoin (ses mains, ses cheveux) à la fois le reflet de ces patates qui verdissent et celui de cette seconde vie qu’elle lui offre, autant que ces pommes de terre au rebus, ces figues oubliées, ces produits de supermarché jetés, ces huîtres que la marée a fait jaillir des parcs, ces objets abandonnés sur les trottoirs. L’un d’eux attirera d’ailleurs son attention, une vieille horloge sans aiguilles, où le temps dit-elle, ne s’écoule pas. Les glaneurs et la glaneuse est aussi l’occasion de donner la parole aux gens, réprouvés que l’on ne voit nulle part sinon chez Depardon ou Varda, glaneurs par besoin, glaneurs par plaisir. C’est aussi une façon d’interroger les possibilités du glanage, les restrictions législatives, de constater les cheminements des patates, des champs aux usines avant le rejet des grosses dans les terrains vagues. D’aller observer les glaneurs d’huîtres à Noirmoutier, qui doivent se tenir à une distance minimum des parcs, ramasser une certaine quantité ; De voir ceux qui s’entichent des fins de marché parisiens, comme cet homme qui ne vit que de ça depuis dix ans, cet autre qui écume marchés et poubelles le jour et donne des cours d’alphabétisation le soir. De leur donner la parole ; Du temps de pellicule. Le film est d’ailleurs construit comme on grappille, il ne suit pas de schéma, s’abandonne ici, s’aventure là-bas, insère de la fantaisie (la main de Varda qui attrape des camions, filme des patates en forme de cœur) et cite à foison les nombreuses œuvres de peintres de glaneurs, sans jamais tirer vers le cérémonial. Le film était diffusé dans le cadre d’une exposition d’art contemporain « L’abbaye fleurie » de Régis Perray, initialement prévue en plein air mais retranchée pour cause de temps menaçant, dans la grange de l’abbaye de Maubuisson. Faisait frisquet mais c’était très beau.