Publié 24 mars 2022
dans Agnès Varda
Traitement de choc.
4.5 Edgar et Mylène vont s’installer sur l’île de Noirmoutier, car Edgar, écrivain, compte écrire un bouquin. Sur la route ils ont un accident de voiture. Dès lors, Deneuve sera muette et Piccoli balafré en plein milieu du front. Elle restera enfermée à faire la popote et bientôt à attendre un bébé pendant que lui se balade en solitaire en observant la vie des autochtones, de façon à trouver de la matière pour son récit de SF basé sur les étranges habitants de l’île. C’est alors que le film devient cinglé. D’ailleurs, si l’on s’en tient à ce qu’en disait Varda : « C’est un jeu de passe-passe entre les aventures réelles et les aventures écrites ». Piccoli se met à parler aux chevaux et aux lapins. Les habitants ont des comportements soudains très bizarres, causés par de mystérieux cercles métalliques, renforcés par des filtres roses, rouges, violets – il faut signaler que Les créatures est un film en noir et blanc, très loin des couleurs éclatantes de son précédent film, son chef d’œuvre Le bonheur. On comprend que les habitants de l’île sont alors des pions sur un jeu électronique, géré par un voisin démiurge qui manipule chacun en lançant les dés. Une partie d’échecs à laquelle est bientôt convié Edgar – qui s’appelle Edgar Piccoli dans le film. Un peu comme si Varda avait voulu faire du Bergman, mixé Le septième sceau avec À travers le miroir, mais qu’elle avait fumé un peu trop de weed. Il y a des damiers partout dans le décor, sur des objets, sur les personnages. Une heure et demie chelou. Qui ressemble un peu à du Varda quand même (Celle de La pointe courte, notamment) mais qui vire à du sous-Resnais ou à du Jessua avant l’heure et sous LSD. Ça reste une curiosité mais j’y suis globalement hermétique.
Publié 18 novembre 2021
dans Agnès Varda
Deux femmes.
8.5 Film ample, elliptique, en mouvement permanent, dont le récit s’articule sur une quinzaine d’années, à Amsterdam, Paris, Hyères et en Iran, avec trois voix off, L’une chante, l’autre pas est un vrai document de son époque. Un grand film militant, féminin, politique, sur le droit des femmes, le combat pour l’avortement et l’émancipation du joug patriarcal. C’est un grand film hybride : à la fois musical et dépressif, optimiste et lucide. C’est la rencontre de deux femmes en lutte. Il y a celle qui chante, Pomme (Valérie Mairesse, magnifique), étudiante bohème et engagée. Celle qui ne chante pas c’est Suzanne (Thérèse Liotard, bouleversante), mère de deux enfants et enceinte d’un troisième non désiré, qu’elle ne veut pas garder. Tout les oppose mais elles vont rester en contact, aussi de façon épistolaire pendant les années où elles ne se verront pas. C’est somptueux.
Publié 22 juillet 2019
dans Agnès Varda
Entre les murals.
6.0 On sait que les murs ont des oreilles, mais Varda préfère utiliser leur façon de s’exprimer. Le titre l’annonce de façon ludique dans un joli jeu de mots : Il sera question de mur, de murs et de murmure. Ou plutôt du murmure des Murals, puisque c’est ainsi qu’on appelle ces peintures murales de la ville de Los Angeles. Ce murmure c’est évidemment celui des opprimés, qui se murmure d’ailleurs moins qu’il se crie, se scande. Il raconte, c’est sa priorité, rien n’est jamais gratuit sur ces murals. Qu’on revendique son amour pour une femme ou qu’on crache sur la violence de la guerre, ces fresques sont le témoin, parfois éphémère – En cela on rejoint aussi le travail de JR, qui sera aux côtés de Varda pour Visages Villages – du monde. Comme à son habitude, Varda commente beaucoup, parfois tout à fait inutilement, mais toujours avec poésie, malice et suffisamment de délicatesse pour ne pas se tirer la couverture. Et si la plupart des scènes sont des plans de ces murals, Varda n’oublie pas de donner directement la parole aux artistes, aux habitants des quartiers. Donc comme toujours chez elle, ça fourmille, c’est épatant et passionnant.
Publié 3 mai 2019
dans Agnès Varda
Les quatre-vingt balais.
7.0 C’est par ce film – découvert en salle à l’époque de sa sortie – que j’avais fait connaissance avec le cinéma d’Agnès Varda. Fallait bien commencer quelque part. Mais ça n’avait pas grand sens puisque Les plages d’Agnès est un retour kaléidoscopique sur l’ensemble de son œuvre. Pourtant ça m’avait beaucoup plu. J’aimais son énergie, son ton, son égocentrisme attachant, son côté bricolé, sa manière de sauter d’une anecdote à l’autre, sa façon de danser avec le passé. J’en gardais un excellent souvenir et je suis ravi de l’avoir revu, là dans la foulée de la causerie Varda par Agnès, tant il représente son miroir déformé. Déformé par le temps.
On y parle du mouvement des femmes et de L’une chante, l’autre pas. De son passage aux Etats-Unis (Pour suivre Demy qui y tournait Model shop) et donc de son film sur les Black panthers. De son installation sur les patates et bien entendu de son film Les glaneurs et la glaneuse. De son désir de revenir à la fiction (Sans toit ni loi) et de s’imposer le travelling comme elle s’était jadis imposé le temps réel dans Cléo de 5 à 7. D’évoquer Jacques, son Sida et faire Jacquot de Nantes qui sortira pile au moment de sa mort. De son état de veuve en évoquant ces Quelques veuves de Noirmoutier. De sa rue, avec Daguerréotypes. C’est un film qui se souvient. Tant qu’il est encore temps. « Je me souviens pendant que je vis » dit Varda, un moment donné.
Si le plus émouvant c’est de constater combien c’est un film qui parle de Jacques Demy, qui se souvient de lui, en permanence, c’est très étrange de le revoir aujourd’hui après le départ de Varda. Demy et Varda ne sont plus. C’est ce lourd sentiment qui s’impose brutalement, lors du générique final. L’impression que la dernière page d’un livre magnifique, riche, aventureux, moderne et bouleversant, se ferme, avant les deux beaux épilogues que seront Visages, villages et Varda par Agnès.
Publié 3 mai 2019
dans Agnès Varda
« J’ai quatre-vingt-dix ans et je m’en fiche »
6.0 « Je disparais dans le flou, je vous quitte » resteront comme les derniers mots sur pellicule de la grande Agnès Varda. Varda par Agnès, énième film-portrait, a ceci de troublant qu’il revisite tellement toute son œuvre, de long en large, de courts en longs, qu’il est impossible de ne pas le percevoir comme un film-testament. Evidemment, on pouvait déjà en dire autant il y a onze ans avec Les plages d’Agnès, qui passait aussi en revue, dans un désordre joyeux, son parcours, mais il y avait encore un désir intact de créer, de continuer, qui semble s’être éteint ici. Varda répète qu’elle a quatre-vingt-dix ans, qu’elle a mal partout. Il s’agit donc d’une causerie, plutôt de deux causeries montées dans un film, sorte de leçon de cinéma entrecoupée d’images de ses propres films. Ça pourrait être un syndrome La mort en fuite s’il n’y avait cette approche légère et ludique, ainsi que ce concert d’anecdotes qui vise justement moins la leçon magistrale que le touchant dernier autoportrait. Certes on peut se dire que Varda radote et refait ses Plages, d’autant que de nombreuses anecdotes sont mentionnées de la même manière, montées pareilles, mais l’esprit, lui, a changé, ce n’est plus le film d’une femme voguant assurément vers ses quatre-vingt printemps mais la causerie d’adieu d’une sereine nonagénaire. Et ça se sent en permanence, c’est évidemment très émouvant.
Publié 13 juin 2018
dans Agnès Varda et JR
Glaneurs de portraits.
6.5 Très agréablement surpris car je le sentais vraiment pas. J’imaginais bien un truc dans la lignée du raté Les habitants de Raymond Depardon. Déjà y avait cette curieuse association d’artistes qui n’augurait rien de bon, sinon un concert d’autocongratulations mutuelles, et puis y avait Mathieu Chedid à la BO. Bref ça faisait peur. Et en fait on retrouve bien l’univers de Varda, quelque part entre Les plages d’Agnès et Les glaneurs et la glaneuse. Il y a des trucs pas géniaux mais aussi des séquences fortes, dans l’approche du monde, le regard qu’on y pose et ce qu’on veut lui offrir même de manière éphémère comme ici lorsque la photo géante est montrée puis engloutie par la marée. C’est un film qui parle beaucoup de la mort, de la crainte de tout voir disparaître. Et puis y a un amour du cinéma en permanence, dans un dialogue, une image, tout particulièrement envers Godard que Varda admire comme jamais elle n’en avait parlé dans ses films. Bref, beaucoup aimé.
Publié 26 juin 2016
dans Agnès Varda
Glanons, grappillons.
7.5 C’est moins l’occasion pour Varda de faire un docu stricto sensu sur les conditions et l’histoire du glanage, comme pour offrir une version filmée d’un tableau de Millet ou de Breton, que d’expérimenter une fois de plus les possibilités du matériau filmique, glaner de l’image, en somme. Saisir de sa main qui filme son autre main qui glane, répète t-elle régulièrement. Autrement dit, mettre en scène la finalité de son idée, de ses convictions. Et en profiter pour raconter son vieillissement, prendre son corps à témoin (ses mains, ses cheveux) à la fois le reflet de ces patates qui verdissent et celui de cette seconde vie qu’elle lui offre, autant que ces pommes de terre au rebus, ces figues oubliées, ces produits de supermarché jetés, ces huîtres que la marée a fait jaillir des parcs, ces objets abandonnés sur les trottoirs. L’un d’eux attirera d’ailleurs son attention, une vieille horloge sans aiguilles, où le temps dit-elle, ne s’écoule pas. Les glaneurs et la glaneuse est aussi l’occasion de donner la parole aux gens, réprouvés que l’on ne voit nulle part sinon chez Depardon ou Varda, glaneurs par besoin, glaneurs par plaisir. C’est aussi une façon d’interroger les possibilités du glanage, les restrictions législatives, de constater les cheminements des patates, des champs aux usines avant le rejet des grosses dans les terrains vagues. D’aller observer les glaneurs d’huîtres à Noirmoutier, qui doivent se tenir à une distance minimum des parcs, ramasser une certaine quantité ; De voir ceux qui s’entichent des fins de marché parisiens, comme cet homme qui ne vit que de ça depuis dix ans, cet autre qui écume marchés et poubelles le jour et donne des cours d’alphabétisation le soir. De leur donner la parole ; Du temps de pellicule. Le film est d’ailleurs construit comme on grappille, il ne suit pas de schéma, s’abandonne ici, s’aventure là-bas, insère de la fantaisie (la main de Varda qui attrape des camions, filme des patates en forme de cœur) et cite à foison les nombreuses œuvres de peintres de glaneurs, sans jamais tirer vers le cérémonial. Le film était diffusé dans le cadre d’une exposition d’art contemporain « L’abbaye fleurie » de Régis Perray, initialement prévue en plein air mais retranchée pour cause de temps menaçant, dans la grange de l’abbaye de Maubuisson. Faisait frisquet mais c’était très beau.
Publié 12 janvier 2011
dans Agnès Varda
Merveille d’appendice.
7.0 Catherine Deneuve dit quelque chose d’important dans le film : que c’est une fête, comme l’était le film en 1966, qu’il faut le revivre ainsi et tenter de ne pas se laisser gagner par la mélancolie, mais que plus que tout autre chose il s’agit d’un film sur la mémoire, le souvenir d’un film vieux de 25 ans. Elle a bien résumé le travail d’Agnès Varda. On pourrait même ajouter un intérêt supplémentaire, celui de s’intéresser et de produire les images du travail de Jacques Demy, qui s’était totalement investit dans ce projet, mais aussi le plaisir de faire la rencontre au présent d’acteurs, figurants ou techniciens, pas forcément ceux que l’on se souvient en repensant ni même en revoyant Les demoiselles de Rochefort. C’est donc, avant tout, une ode à Rochefort et à l’influence des Demoiselles de Demy sur Rochefort. C’est à la fois un making off un peu spécial puisqu’il est cinématographique (dans le sens où il intègre parfaitement la filmographie d’Agnès Varda), mais aussi un reportage ou la parole est donnée. On y découvre le travail sur certaines séquences, notamment des discussions entre le cinéaste et Gene Kelly, ou encore des répétitions avec Deneuve et Dorléac. Et puis à côté de cela, entre de nombreuses images de Rochefort aujourd’hui (le plaisir de Varda est, nous dira t-elle, de filmer les habitants, ce qu’elle préfère) quelques personnages qui se souviennent, des quatre motards de la place Colbert aux deux enfants qui effectuent de brefs pas de danse avec Gene Kelly. Et puis aussi quelques mots de Jacques Perrin, Michel Piccoli voire même Agnès Varda elle-même. L’ambiance est à la fête même si celle-ci est entrecoupée de moments mélancoliques et forts, lorsque sont évoquées les inaugurations de noms de place ou d’avenue, Jacques Demy ou Françoise Dorléac. C’était cela dont parlait Catherine Deneuve. Parce que sa sœur a disparu dans un accident de voiture peu après le tournage du film et que Jacques Demy est décédé tout récemment. Il fallait l’évoquer, Varda le fait avec la manière, en s’intéressant davantage aux images qu’ils nous laissent d’eux. Et puis il y a encore d’autres instants fabuleux comme cette scène entièrement filmée, où Demy enfile un pull-over, dans un rythme qui n’appartient qu’à lui, dit Agnès Varda. S’intéresser à ces petits riens qui nourrissent la mémoire de chacun, s’intéresser aux détails de la vie. N’était-ce déjà pas le principe et sujet même des Demoiselles de Rochefort, toujours finement écrit et passionnant ? La proposition d’Agnès Varda fait un peu fouillis, mais c’est un fouillis qui me plait, j’aime chaque seconde de son film, même quand elle reprend certaines séquences du film de son mari. Il y a une sensation très intense, mais ce n’est pas une mauvaise émotion, c’est vraiment pour la mémoire, pour agrémenter le chef d’œuvre de Jacques Demy pas tant pour le compléter mais plutôt pour donner immédiatement envie de s’y replonger. Et c’est magnifique.
Publié 3 février 2010
dans Agnès Varda
L’empire de la passion.
6.5 Agnès Varda n’aura eu de cesse d’intégrer dans sa filmographie récente des films hommage à l’homme/cinéaste Jacques Demy, son mari à la ville. Les demoiselles ont eu 25 ans revient sur Rochefort, les lieux de tournages, évoque les décès des uns, les réussites des autres. Film entièrement dépendant du chef d’œuvre de Jacques Demy qui est aussi un très bel essai sur la force implacable du temps. Plus tard L’univers de Jacques Demy pour en savoir plus sur cet énergumène fou de cinéma et de chansons poétiques. Et très récemment, Les plages d’Agnès, film expérimental qui travaille sur les reflets de l’image en parallèle à la mémoire, qui rend hommage à la nouvelle vague d’une manière générale, à Jacques Demy donc aussi. Jacquot de Nantes est le premier de tous ces films. Le réalisateur français vient de mourir, sa femme décide de lutter contre l’oubli et commence ce film qui retracera l’enfance de Jacques Demy et racontera les origines de sa passion pour le cinéma.
Trois jeunes acteurs joueront le futur réalisateur. Trois jeunes acteurs d’âges différents en fait. Pour autant, et c’est une grande qualité, le film n’est pas du tout construit en trois étapes de vie, de développement culturel. Les seuls changements brutaux qui interviendront seront les métamorphoses physiques que Demy subira, pour montrer qu’il grandit. Les grandes étapes sont évidentes mais elles se confondent avec le reste pour retracer une enfance complète. Il en ressortira plus principalement la période de guerre. La première rencontre amoureuse. La première initiation au métier de cinéaste. Des seuils importants dans la vie de cet homme. Agnès Varda nous procure quelque chose de très intense par moment. Elle fait des inserts de films de son mari dans son propre film biographique. Ainsi chaque fois qu’une situation rappelle un film de Demy, elle cale une scène de ce film durant quelques secondes. Par exemple, il est question de manifestations dans les rues de Nantes, une séquence d’Une chambre en ville s’intercale. Si l’on y voit le garage où Demy a grandit, on y verra juste après une scène des Parapluies de Cherbourg. Si au premier abord on peut trouver le procédé redondant et facile, il s’avère très efficace ensuite et plus discret. Et c’est finalement très touchant car l’on se rend compte combien le cinéaste a puisé dans sa mémoire, dans ses souvenirs – dans le vécu donc, le vrai – pour étayer ses propres films.
Jacquot de Nantes parle de cinéma, systématiquement, car parle d’un jeune homme qui passait sa vie dans les salles obscures, qui dénichait tous les films et faisait ensuite les programmes ciné de ses potes. D’un gamin qui très tôt, et par le plus grand des hasards, s’est intéressé au métier de cinéaste, en se procurant une petite caméra, visionnant maintes fois le même film (un court de Charlot) avant d’effacer la bande et d’en faire ses propres images, dessinées au feutre sur la bande. Le cinéma tient là une place considérable. Tout comme la guerre qui l’aura beaucoup marqué. Surtout la fois où il a vu une femme morte devant ses yeux. La ville de Nantes bien entendu. Ce sabotier chez qui il est resté un long moment aussi (il fera d’ailleurs un court métrage, adulte, qu’il appellera le Sabotier du val de Loire). Il y a une volonté inoxydable chez ce bonhomme, qui travaillait plus dans son grenier (à faire ses petits films) qu’à l’usine (boulot que son père recommandait) et aimait tellement ce qu’il faisait qu’il aurait été difficile d’imaginer ne pas le voir reconnu aujourd’hui comme un grand cinéastes.
Publié 14 février 2009
dans Agnès Varda
Au gré des vents.
6.5 Un beau portrait de femme. Celui d’une jeune érante, qui comme le dit Agnès Varda en guise d’intro, a sans doute marqué davantage les gens qui l’ont croisé récemment que ceux qu’elle a connu toute petite. La rencontre avec cette femme « experte en platane » est le moment le plus fort du film. Ou comment une fille sans le sou s’en sort provisoirement grâce à une bonté venue d’ailleurs, et comment cette rencontre va t-elle faire grandir cette femme, dont l’acte de bonté soudain lui permit de se surprendre elle-même. D’autres rencontres sont très belles aussi. Celle avec Hassoun par exemple. Globalement ce qui marque c’est ce choix de faux documentaire, on nage en pleine fiction c’est évident, mais Varda filme tellement de choses, et pas forcément des choses utiles au récit, et ça c’est formidable.