L’homme à la valise.
8.5 C’est l’histoire mystérieuse d’un homme qui en recherche un autre, disparu. « I’m looking for someone » ne cesse de répéter Jean-Hugues Anglade durant les nombreuses rencontres qui jalonnent son voyage en Inde, à Bombay, Madras, Goa. Qui cherche-t-il et pourquoi ? Le film ne va pas forcément y répondre, du moins pas selon les conventions scénaristiques ni une construction attendue. Il s’appelle Rossignol, il est français, il recherche un certain Xavier, qui lui est portugais. Il écrit des lettres mais les froissent aussitôt, pour une certaine Isabel, avant qu’il ne raye et la remplace par une certaine Magda. A mesure qu’il est happé par son itinéraire, il semble parfois retrouver une familiarité dans les lieux qu’il traverse mais il dit pourtant qu’il vient ici pour la première fois. Une nuit, il aura une discussion étrange avec le cardiologue d’un hôpital vétuste et surpeuplé. Une autre nuit, une voyante au visage difforme lui dira que son âme est ailleurs. Il parlera des étoiles éteintes avec une adolescente sur une plage. Chaque jour il séjourne dans un hôtel différent, des palaces comme des taudis. Il découvre bientôt que l’homme dont il est à la recherche pourrait avoir changé de nom, qu’il s’appellerait dorénavant Nightingale. On a par instants la sensation qu’il y a un personnage mais qu’il pourrait ne pas y en avoir, l’impression qu’il y a une quête mais qu’elle peut s’évaporer à tout moment, que le film n’est qu’une succession de rencontres pour capter le maelstrom indien, que l’écriture est si ténue qu’elle peut se dissoudre pour laisser place à l’imprévu, au film en train de s’écrire, que le spectateur et l’acteur (Et Anglade le joue très bien, sans doute car il est au-delà du jeu, vraiment perdu) sont eux-mêmes ballottés dans cet immensité foisonnante, sans repères, qui permet au film de s’extirper d’une banale quête initiatique avec réponses à la clé. Nocturne indien est un voyage total. Le vertige prend vraiment essor après que la jeune indienne, Vimla Sar, ait rapporté les mots que Xavier lui avait laissé, offerts ici en off dans une succession de plans vides (L’avant d’une barque, les grottes d’Eléphanta, une statue indienne…) que Rossignol va bientôt traverser, exactement de la même manière : Les plans sont identiques, seule sa présence change. Il faut d’ailleurs noter que le film est entrecoupé de chapitres qui sont chaque fois les noms et adresses des lieux que le personnage traverse. Vertigineux, partout, le film l’est jusque dans cette cinglante ultime réplique. Et accompagné par l’un des non moins vertigineux morceaux des plus doux, mélancolique, somnambulique et bouleversant de l’histoire de la musique classique : Le quintette à cordes en Ut de Franz Schubert. C’est un film envoutant, dans lequel on prend un plaisir fou à se perdre, probablement parce qu’il utilise à merveille l’Inde, comme un dédale sublime et terrifiant, sature les couleurs intérieurs (Le rouge chez le professeur de théosophie, le bleu dans le train) et s’ouvre à la lumière grâce à toutes ces rencontres jarmuschiennes (Beaucoup pensé à Permanent Vacation) qui ornent ce récit de quête identitaire d’un occidental se transformant en initiation cauchemardesque, insomniaque que la dernière séquence (et son final en point d’interrogation) viendra accentuer dans un jeu aussi pertinent (On perd le spectateur autant que l’acteur et le personnage, qui pourtant retrouve sa langue natale alors qu’il a parlé anglais et écrit portugais pendant tout le film) que déstabilisant. Evidemment ça ne ressemble pas vraiment à ce que Corneau (De ce que j’ai vu : Série noire, Police Python, La menace) avait l’habitude de faire (Même si l’on retrouve une atmosphère proche du polar) ce qui rend l’objet (adapté d’un roman d’Antonio Tabucchi, que du coup je rêve de lire) à ce point passionnant et précieux. C’est Duras qui croise Lynch et Antonioni, c’est donc absolument essentiel.