Archives pour la catégorie Aleksandr Sokurov

Elégie de la traversée (Elegyia dorogi) – Aleksandr Sokurov – 2001

48Nostalgie de la lumière.

   8.0   Sokurov raconte ce voyage nocturne à la première personne, entre la Russie et l’Europe, entre St Pétersbourg et Rotterdam, tente de nouer quelques liants entre ces deux pôles, quelque attraction, les compare, les rapproche, s’y perd dans leurs méandres, s’abandonne dans leur énergie. C’est un mélange de rêve et de souvenir, de méditation et de mémoire. Plastiquement, le film est dément. L’image flotte, ondule comme si elle était soumise à une source de chaleur menaçante. Ouatée comme un rêve. Je me demande si ce n’est pas l’objet le plus expérimental du cinéaste russe, dans son approche formelle autant que dans sa mise en abyme. C’est à la fois très simple (des mots chuchotés sur des images triturées) et vertigineux. Disons que l’on peut apprécier cela de différentes manières. En tant que poème imagé ou en tant que voyage dystopique ; Ou comme une douce caresse des formes et des matières ; Ou simplement c’est une réflexion sur le mouvement, le mouvement dans l’art. Les forces invisibles, la disparition. Des routes, des forêts, la mer, la lune, des frontières. Ici un arbre sans feuillage affrontant l’hiver avec ses fruits jaunes. Là ce très beau passage sur la route qui rappelle, différemment, le travail sur les lumières de Tati dans Playtime. Il y a aussi cette drôle de rencontre, avec un homme de passage. Un personnage au hasard, symbole étrange du tumulte des Hommes, entre la force créatrice et la haine. C’est dans la peinture que Sokurov finit par se mouvoir et se réfugier, entre Bruegel et Van Gogh, La tour de Babel et Allée des peupliers puis dans Place Sainte-Marie de Peter Saenredam. Une collision entre le réel et sa représentation. Collision rêvée, collision temporelle. C’est un voyage tour à tour enivrant, envoutant, inquiétant, extatique, accompagné d’un arrangement électronique de Mochkov reprenant des fragments d’œuvres de Chopin, Mahler ou Tchaïkovski. On navigue dans le sublime. Je me rends compte que j’aime le Sokurov du déplacement sans fin, sans issue, en lévitation, à l’image de cet homme marchant en attendant la mort de sa mère (Mère et fils) ou de cette traversée sensuelle de l’Ermitage (L’arche russe). Dès qu’il se fige ou s’enlise, j’ai tendance à vite perdre pied.

Faust – Aleksandr Sokurov – 2012

Mostra-de-Venise-2011-Sokourov-repart-avec-le-Lion-d-Or_image_article_paysage_newA l’origine.

   6.0   Ci et là, j’entrevois le Faust que j’aurais adoré voir. Je pense à l’ouverture, aux vingt dernières minutes ou à quelques séquences éparses où nombreuses idées viennent s’inscrire dans le voyage non pas comme des morceaux de bravoure mais comme des notes qui me paraissent plus judicieuses que le reste. Toutes les scènes d’eau en font partie : bains de femmes, rivière apaisante, lac à l’ondée magique et geyser divin. Cette attention exaltante avec laquelle Sokurov s’attarde sur ces éléments me sidèrent, cette manière de filmer leur puissance en douceur. Un peu comme lorsqu’il tient le plan sur le visage de Marguerite, qu’une lumière aveuglante vient blanchir les traits jusqu’à l’immaculer. Ce plan final de Faust courant au travers des pierres pour rejoindre cette montagne cristalline est aussi un très grand moment.

     Dans le site Independancia, une analyse du film dit : « C’est aussi un mouvement d’épuration qui s’avance sur cette boucle. Les premiers quarts d’heures fourmillent de personnages et de paroles. L’image et les sons encombrent les sens. Pas à pas, le film se purge à mesure que le héros se damne. Le spectateur avance main dans la main avec Faust, du fourmillement vers l’image purifiée ». Cette sensation d’encombrement m’a rarement quitté, je n’ai donc pas vraiment reçu cette évolution formelle. Le problème ne réside aucunement dans ce voyage ni dans l’agencement séquentiel, quant au récit je le trouve passionnant d’un bout à l’autre, si tant est cela dit qu’il soit un peu moins bavard. Les bonnes idées en accueillent des mauvaises : Ce fourmillement de personnages entraîne une saturation sonore, de même qu’une saturation par le cadre (la première moitié du film se déroule dans des lieux extrêmement fermés entre pièces exigus et couloirs, caves et tunnels) qui n’excuse à mon sens jamais le parti pris d’interrompre le plan rapidement, de façon systématique. Au début, il n’y a pas un plan qui ne dure plus de trois secondes. C’est à dire que cette frénésie (ou ce fourmillement) est avant tout provoqué par cette découpe au montage. Alors, tout y passe : Anamorphose, oblique, distorsions. Bande sonore chargée, douloureuse. Formellement je trouve cela affreusement démonstratif, tout en admettant que le film est par ailleurs très cohérent dans sa mise en scène puisqu’il fait intervenir un monde de viscères, glauque, presque puant à l’image. Comme symbole ultime cette séquence de l’homoncule tombé se dépêtrant parmi les bouts de verres cassés. Sokurov filme les corps, leur morbidité, ce qu’ils ont de répugnant, jusqu’à certaines grimaces dans des gros plans de mauvais goût. Etat de putréfaction atteint dès le premier plan qui démarre dans les nuages pour s’achever dans les entrailles d’un cadavre. Là, ça me plait car on accélère pas le découpage pour créer la saturation.

     N’est pas Tarkovski qui veut. C’est un film plein qui veut prendre l’apparence d’un film trop plein et y parvient par le montage. Pourtant, la caméra de Sokurov est en mouvement, sans cesse. Elle se glisse par là, saisit un visage, des pieds, suit en passant au travers, s’envole mais jamais elle ne prend l’option de faire durer son mouvement et choisit de le remplacer par un autre mouvement. Et pourtant, je me sens plutôt bien dans ce film. C’est étrange parce que j’y reste totalement extérieur mais je regarde cela avec un oeil mi-déçu, mi-fasciné. J’ai trouvé le voyage long mais j’ai beaucoup aimé certaines escales, je m’y sentais bien, je découvrais un monde. Mais le Sokurov que j’aime, celui de Mère et fils, je ne l’ai pas retrouvé. Reste que je ne suis pas un grand connaisseur de l’oeuvre de Goethe et que le film dans son propos et ce voyage central de Faust aux côtés de Méphistophélès m’a fasciné sur bien des aspects. Ce n’est peut-être pas le résultat que j’espérais mais sa richesse et sa démesure sont loin de me laisser indifférent. La tétralogie du pouvoir (entamée avec Moloch (Hitler), Taurus (Lénine) puis Le soleil (Hirohito) prend donc fin avec ce quatrième volet, sorte de préquel : Faust ou les origines du mal. Ne serait-ce que pour cette ambition là, il faut aller se faire son avis en salle.

L’arche russe (Русский ковчег) – Aleksandr Sokurov – 2003

18L’éternité au musée.

   8.0   L’âme d’un homme se retrouve propulsée dans le château de l’Ermitage à St Pétersbourg, sans explication aucune il se met à virevolter au gré des pièces à travers l’Histoire russe. D’époques en époques, guidé par sa curiosité et celle d’un autre homme dont il fait la rencontre, lui aussi happé dans une trouée temporelle, le personnage/caméra subjective qui regroupe à la fois le cinéaste, le spectateur et le témoin du temps – ou la fusion des deux premiers – voyage en esprit, observant à la fois l’apogée d’un monde, ses modifications et son extinction.

     L’idée est aussi originale et géniale que saugrenue d’autant qu’elle est traitée de manière très légère, selon une auto-dérision qui permet au film de s’affranchir à la fois du poids de l’éventuelle pédagogie de commande – ce qu’il n’ait à aucun moment par ailleurs – et de cette fierté patriotique, cet amour de l’art russe. On sait Sokurov attaché à ses racines mais cet attachement ne trahit aucunement une visée politique aux tendances propagandistes au sens où Eisenstein le faisait, lui aussi par l’intermédiaire du cinéma, il y a presque un siècle. C’est l’amour de l’âme russe. De la terre russe.

     Le film a une particularité importante : il est construit selon un unique plan-séquence. L’idée est de rester du point de vue de cet homme, avec cette voix qui parfois murmure quelques mots, entre la première et la dernière seconde d’un film qui compte 96 minutes. Malgré cette imposante restriction formelle (aucun montage, inéluctablement) les trouvailles sont nombreuses. Sa garantie première c’est son mouvement. C’est un film en perpétuel mouvement, qui virevolte je le disais précédemment, un film qui rejoint le passé mais pas une temporalité en particulier, c’est trois siècles de l’histoire russe.

     Un lieu puis un autre, toujours au sein de l’Ermitage, entre les grands chefs-d’oeuvre picturaux, les sculptures, les visiteurs d’aujourd’hui ou les personnages des tableaux vivants d’antan. C’est aussi cela L’arche russe, ce pari fou : faire revivre les tableaux, faire revivre le passé. C’est la vocation première du cinéma de faire revivre les fantômes. Cette caméra subjective se meut alors au travers de ces reconstitutions comme la cérémonie de rencontre entre le Shah de Perse et le tsar Nicholas 1er, une représentation de théâtre pour Catherine II et croise aussi Pierre Le Grand ou Alexandre Pouchkine, s’immisce dans un dîner de famille ou plus discrètement une discussion entre trois conservateurs du musée qui se félicitent de leur place qu’ils tiennent dans ce relais de l’histoire de l’art ou encore cette irruption dans une pièce délabrée où un homme s’occupe de la restauration d’objets d’art abîmés, poussières de la seconde guerre.

     C’est un magnifique voyage, hors du temps et d’autant plus suspendu dans une salle de cinéma. La descente d’escaliers finale ou la scène du bal, pour ne citer qu’elles, sont deux séquences absolument impossibles et remarquables.

Alexandra (Aleksandra) – Aleksandr Sokurov – 2007

Alexandra (Aleksandra) - Aleksandr Sokurov - 2007 dans Aleksandr Sokurov 18785456

Je veux du silence.   

   5.0   Bresson disait « Sois sûr d’avoir épuisé tout ce qui se communique par l’immobilité et le silence ». Alexandra n’est jamais immobile, il est en mouvement en permanence et il ne résonne non pas comme l’errance d’une vieille femme dans le camp de guerre de son petit-fils mais comme la mise en scène de cette errance. C’est une mise en scène visible. Un parcours prédéterminé, c’est l’impression qu’il m’a laissé. De plus il est agrémenté d’un déluge de mots, parfois inutiles voire faux, souvent maladroits et généralement sous une voix off assez mal post-synchronisée. L’idée du film de mémoire m’intéresse d’autant qu’il est probablement autobiographique, donc ce décalage image/parole aussi, mais il ne ressort rien de judicieux de ce qui apparaît comme une contrainte, pire une impression de bâclé plutôt qu’un parti pris. Je repense à Hamaca Paraguaya, sorti un an avant le film de Sokurov, cette parole était là-aussi très présente, très souvent désynchronisée de l’image, mais qui à l’instar de chez Godard tentait de créer comme une double source d’information. J’aime cette sensation de choix, cette distance étrange qui pousse à revoir chacun de ces films et y découvrir chaque fois de nouvelles émotions. Je ne vois aucun intérêt à l’existence de cette distance dans Alexandra. Rien n’est immobile, rien n’est silence. Alors que tout s’y prête. Une fois de plus donc, après la déception relative qu’était Le soleil, je reste piteusement sur la touche face au récent cinéma de Sokurov. Puisque j’y pense maintenant, Alexandra m’est apparu en écho à Je veux voir (titre qui conviendrait tout aussi bien au film de Sokurov) le film de Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige, sorti lui un an plus tard. Et je me suis rappelé combien c’était un film magnifique et combien cette alchimie de l’errance et des mots en faisait un film bouleversant.

Dolce – Aleksandr Sokurov – 2000

63La parole condamnée.   

   4.0   Dolce est moins un film de mise en scène que de narration pure. Il s’ouvre comme on ouvre un roman photo, d’ailleurs les images se succèdent et les pages se tournent, rien ne les différencie. Mais la majorité du film saisit en gros plan le visage d’une femme dont on a d’autre choix que d’accepter ses dires, à ce stade il s’agirait même plutôt d’une complainte. C’est un peu le problème de Dolce que les autres films de Sokurov n’ont pas, c’est un film qui bavarde mais qui n’enrobe pas ce bavardage. C’est une narration non accompagnée. Ce n’est pas vraiment du cinéma en somme. Reste qu’il y a une maîtrise indéniable dans le récit, mais qu’il ne s’agit essentiellement que d’écriture. Rien ne vit vraiment là-dedans.

Une vie humble (Smirennaya zhizn) – Aleksandr Sokurov – 1997

51Coma.     

   6.5   Le titre ne ment pas, c’est bien une vie humble que film Sokurov, pour du cinéma qui l’est tout autant. Petit village dans les montagnes japonaises, dans une vieille maison isolée où le cinéaste, tel un conteur, filme une dame âgée, solitaire, la découvrant en train de coudre des kimonos, cuisiner, manger, se coiffer et pour finir réciter une prière à la solitude. De temps en temps, la voix off, qui est celle du réalisateur, vient annoter quelques sentiments, les siens durant ce voyage et la découverte de cette culture traditionnelle. Accompagnée comme c’est toujours le cas chez le cinéaste russe par des images sublimes, poétiques, naturelles, constamment en mouvement, qu’il s’agisse de s’attarder sur le crépitement d’un feu, un vent violent ou lointain ou sur les déplacements des corps humains, cette œuvre, qu’il faut regarder dans un état proche du coma, distille une atmosphère des plus agréable à défaut d’être bouleversante.

Elégie orientale (Vostochnaja elegija) – Aleksandr Sokurov – 1996

Elégie orientale (Vostochnaja elegija) - Aleksandr Sokurov - 1996 dans Aleksandr Sokurov fscje-300x225Dans la brume.

   7.0   Le film défile derrière une épaisse brume, comme s’il s’agissait de lointains souvenirs ou d’un rêve qu’il est difficile de se rappeler. Le narrateur tente de raccrocher ses mots à ce qu’il voit, ce qu’il rêve, ce qu’il se souvient, d’abord d’après la géographie, évoquant son errance dans les lieux, son entrée silencieuse et en apesanteur dans cette nouvelle culture, puis en se penchant sur les témoignages de différentes personnes, sur des évènements du passé, réels ou mythologiques. Enorme travail sur l’image et l’ambiance sonore, tentant de reproduire un état proche de la méditation.

Mère et fils (Mat’i syn) – Aleksandr Sokurov – 1998

mere-et-fils-01Le secret du temps.

   9.0   C’est en cinéaste peintre qu’Aleksandr Sokurov a crée ce chef d’œuvre qu’est Mère et fils, Mat’i syn dans sa langue originale. L’un des plus grands esthètes de notre temps, qui est aussi un cinéaste qui aime transcender le cadre, les conventions du cinéma réalise ici, et à l’instar de L’arche russe – un plan séquence unique d’une heure et demi – quelques années plus tard, un film sans équivalent. Mère et fils puise ses références du côté des grands peintres impressionnistes tout en se situant parfois proche de cinéastes majeurs comme Tarkovski, peut-être même Bergman.

     C’est la matière même de l’image que l’on travaille ici, ce qui rend chaque plan très pictural, avec ses nombreuses lignes de fuite, son incurvation. Sokurov travaille l’image mais aussi le mouvement et le son. Une locomotive qui traversera l’écran laissant dégager ses volutes de fumée. Elle est bruyante. Et elle disparaît derrière la colline. La fumée s’évapore. Le bruit continue seul. Il y a comme ça un respect des choses et du temps que l’on voit trop rarement. C’est comme une peinture en mouvement. On apprivoise tout ce qui nous est proposé. La présence du tonnerre aussi comme une menace permanente. Ces chemins à n’en plus finir tout droit sorti d’Offret. Un moment donné l’on voit un champ de blé que le vent secoue violemment. Le plan dure un temps. Le bruit couvre tout. On a l’impression de voir un océan de blé. C’est magnifique.

     Epure narrative magnifique puisqu’il s’agit de montrer les dernières heures de la vie d’une femme, gravement malade, accompagnée de son fils, qui veille à son chevet. Elle a le choix de dormir mais elle préfère sortir. Longue balade dans une campagne isolée, où une mère dans les bras de son fils ne font plus qu’un avec la nature. C’est un film d’une force incroyable, quasiment en temps réel, probablement l’un des films les plus purs qui m’ait été donné de voir. L’amour qui traverse la nature en attendant la mort. C’est beau, limpide et cruel. Et c’est très étrange cette impression d’avoir visionné un film à part, incroyablement moderne, qui tendrait vers le cinéma que j’admire exactement, tout en redistribuant en plus de nouvelles cartes pour le cinéma à venir. Mère et fils serait pour moi une forme d’absolu cinématographique.


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silencio


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