Archives pour la catégorie Alfred Hitchcock

Correspondant 17 (Foreign correspondent) – Alfred Hitchcock – 1940

07. Correspondant 17 - Foreign correspondent - Alfred Hitchcock - 1940De l’eau au moulin.

   6.0   Comme souvent chez Hitchcock, une scène en particulier cristallise notre regard sur le film en entier : Ici il s’agit évidemment de celle du moulin. Pour le coup, elle l’écrase un peu, quand bien même d’autres moments ne soient pas en reste à l’image du meurtre place d’Amsterdam, de « l’accident » sur le toit du Westminster ou du crash d’avion final. Mais jamais avec un tel soin de mise en scène (gestion de l’espace, de la durée, des sons, du visuel intérieur époustouflant) qui n’est pas sans préparer les climax de La mort aux trousses ou Vertigo. Thriller d’espionnage qui navigue entre course poursuite et humour noir, en mêlant complot nazi et personnage embringué dans un récit qui le dépasse, Correspondant 17 (titre français inexplicable) n’est que le deuxième film américain du Hitch, après le nettement plus marquant Rebecca, mais il contient en germe la force de nombreux de ses films à venir.

Une femme disparaît (The Lady Vanishes) – Alfred Hitchcock – 1938

30. Une femme disparaît - The Lady Vanishes - Alfred Hitchcock - 1938Disappearance on the train.

   6.5   C’est l’un des tous derniers films britanniques d’Hitchcock avant son exil américain et il contient le germe de ses plus grandes réussites. La majeure partie de l’intrigue se déroule à bord d’un train mais avant cela, le film aura pris soin de présenter sa kyrielle de personnages au sein d’un petit village d’Europe centrale. C’est du pur théâtre de boulevard, mélangeant la comédie burlesque notamment avec les deux clients anglais impatients d’assister à leur match de cricket et la présence d’un maître d’hôtel extravagant, mais aussi la screwball comedy au moyen d’une rencontre entre deux opposés (Le couple Margaret Lockwood / Michael Redgrave pourrait être cousin du couple Katharine Hepburn / Cary Grant de L’impossible Monsieur Bébé, sorti la même année) qui vont bientôt faire équipe ensemble pour tenter de percer le mystère d’une disparition. Introduction un peu longue, un peu dispensable, mais pas inintéressante dans le processus qui vise à intégrer tout ce petit monde.

     Une scène pivot – Et une chute de pot de fleurs prétexte – va faire changer d’aiguillage au film qui va échanger ses ressorts comiques avec un climat d’étrangeté paranoïaque assez stimulant. Comme Vincent Lindon sera, soixante années plus tard, face à un entourage qui ne remarque pas qu’il s’est coupé la moustache qu’il arbore depuis toujours, Iris, qui se réveille d’une simple sieste cherche son amie, Miss Froy, que personne ne semble avoir vu, ni dans son compartiment, ni dans le wagon-bar. Si certains mentent, pour protéger un adultère ou pour ne pas rater le cricket, d’autres sont nettement plus suspects. Les discours contradictoires s’amoncellent. A ce petit jeu, soyons honnêtes, le film n’est pas tellement surprenant, on comprend rapidement chacun de ses ressorts. C’est alors que réapparaît Gilbert, l’homme rencontré à l’hôtel la veille au soir. Il était imbu et ingrat, il sera le nouveau compagnon de route d’Iris, le seul qui malgré de premiers doutes, envisage de la croire. C’est de cette alliance improvisée que le film titre tous ses meilleurs moments car le duo fonctionne merveilleusement bien.

     La dernière partie du film, qui outre de changer une nouvelle fois de genre, en basculant entièrement dans le film d’espionnage et le siège du train en pleine forêt montagneuse, est nettement plus faible, la faute à un étirement de son dispositif et à un refus de la brutalité, de la noirceur. Le film reste dans le registre comique et donc au moment de chaque coup de feu (et il y en a un paquet) chacun y va de son petit mot, sa petite vanne, c’est épuisant. Qu’importe, ce n’est pas ce que l’on retient. C’est la complicité entre Iris & Gilbert qui donne toute sa raison d’être au film. En un sens, Une femme disparait prépare La mort aux trousses et ce duo, celui que formeront Cary Grant / Eva Marie-Saint.

Le faux coupable (The Wrong Man) – Alfred Hitchcock – 1957

05. Le faux coupable - The Wrong Man - Alfred Hitchcock - 1957L’injustice était presque parfaite.

   9.0   Très surpris par la tonalité du film, tant c’est sans doute le plus « bressonien » des films d’Hitchcock dans son découpage, ses cadrages, d’une extrême rigueur formelle, et l’utilisation d’un matériau réaliste (Le film va jusqu’à s’ouvrir sur une apparition du maître qui précise que contrairement à ses autres films, tout ce qui est raconté ici est vrai) qu’il parvient à ériger en manifeste documentaire. Il faut dire que c’est un beau portrait du New York des années 50, déjà. On voit beaucoup la ville. En plus de saisir les moindres gestes.

     Le faux coupable semble se construire contre l’Age d’Or hollywoodien, contre le cinéma hitchcockien habituel et tente de s’aventurer formellement vers quelque chose de plus européen. Le matériau réaliste permet à Hitchcock d’en accentuer sa précision documentaire, d’en faire une approche clinique. De facto si le suspense est savamment orchestré, le film en perd un peu de sa force onirique, de l’inventivité de chaque instant si chère au talent hitchcockien. Toute la partie centrale, lorsque Fonda est relâché sous caution et part en quête d’un alibi, est sans doute trop mécanique, trop maitrisée, au premier abord, dans sa succession de saynètes hyper découpées et assemblées pour faire glisser le film vers une surprise ou un imprévu dignes des plus belles réussites du maître. C’est en tout cas ce que l’on croit.

      Le faux coupable serait peu sans Henry Fonda et Vera Miles, tous deux étincelants. Lui tant il parvient à jouer cet homme ordinaire à qui il arrive quelque chose d’injuste et extraordinaire, avec une transparence folle, prestation à laquelle on pourrait rapprocher récemment celle de Riz Ahmed, dans la série HBO, The Night Of, qui raconte elle aussi une énorme injustice. Henry Fonda n’est plus Henry Fonda, mais bien le personnage qu’il incarne. Et ce sera pareil chez Lumet la même année, dans Douze hommes en colère. C’est dire le génie de cet acteur. Quant à elle c’est autre chose. La complexité de ce personnage qui glisse vers la folie est très difficile à incarner, cette femme qui doute de l’innocence de son mari au point d’en transférer la culpabilité sur ses frêles épaules. La subtilité de son jeu dépasse très largement ce qu’on peut attendre d’une performance d’actrice issue des studios.

    Il y a au passage toute une dimension christique qui accompagne le film, dans la mesure où c’est lorsque le personnage s’en va prier (il ne cesse de transporter un chapelet durant tout le film) qu’on découvre en surimpression au détour d’un plan dont seul Hitchcock a le secret, le visage du vrai coupable qui sera bientôt arrêté. On croit tenir une issue facile et un happy end bâclé si l’injustice réparée n’avait pas laissé ce profond sentiment de tristesse en accablant la pauvre femme. Cette fin est d’une tristesse sans nom. Sans doute car c’est la plus réaliste possible. Ce même si Hitchcock offre un épilogue plus heureux, en apparence, puisqu’il est seulement écrit et ce ne sont que des silhouettes qu’on perçoit dans l’arrière-plan. Rien de rassurant là-dedans.

     Si le transfert d’identité et de culpabilité obsède Hitchcock, il ne l’avait jamais traité sous cet angle si sérieux inhérent au véritable fait divers. S’il n’apparait pas dans le film (Hormis donc dans cette introduction) c’est parce qu’il juge bon de ne pas être un cas de distraction. De le voir s’aventurer là-dedans entre L’homme qui en savait trop, remake de son propre film, et Vertigo, son chef d’œuvre, dit combien c’est un cinéaste qui n’aura cessé de sortir des rails. Le faux coupable a ceci de fascinant qu’il est un pur produit hitchcockien autant qu’il est complètement inattendu pour du Hitchcock. Ça c’est fort.

L’inconnu du Nord Express (Strangers on a Train) – Alfred Hitchcock – 1952

hqdefaultAssociation fatale.

   7.0   Si l’étranger (Stranger) n’a besoin que d’une petite lettre supplémentaire pour devenir l’étrangleur (Strangler) il en faut à peine davantage à Bruno (le mystérieux inconnu) pour convier Guy (Le joueur de tennis) dans une affaire de meurtre tellement absurde et préméditée qu’elle prend la tournure d’un jeu de rôle farcesque dans lequel chacun doit réaliser la volonté meurtrière de l’autre. Une femme à abattre d’un côté, un père de l’autre. Sauf que la perception de cette discussion entre inconnus – Entre le sérieux nonchalant de l’un et la colère fantasmée de l’autre – dans un banal trajet ferroviaire prendra une dimension irréversible dès lors que Bruno aura accompli le sien et voudra qu’on lui rende la pareille. Hitchcock s’amuse déjà voire encore (difficile de trancher puisque Stangers on a train se situe à mi-chemin de la filmographie du maître) avec les constantes de son cinéma, puisque si tout n’y est pas encore maitrisé comme plus tard (De nombreux instants dans la seconde partie me dérangent vraiment) tout y est déjà présent, précisément. La fuite, la machination, le meurtre, la folie, le méchant charismatique (Qui rappelle Laughton dans La nuit du chasseur) et le double : Vertige qui naît sous les traits de la fille du Sénateur dont Bruno y retrouve malgré lui beaucoup, lunettes à double foyer aidant, de celle qu’il a minutieusement étranglée dans la fête foraine en honorant sa part du contrat – La plus belle séquence du film (Tunnel of love). En continu, le film effectue un chassé-croisé passionnant de jeu de miroir, entre reflet envoutant à peine déformé et/ou double maléfique.

Frenzy – Alfred Hitchcock – 1972

Frenzy - Alfred Hitchcock - 1972 dans * 730 Hitchcock-cameo-Frenzy-1972Le maniaque sexuel de Londres.

   9.0   A l’instar de Fenêtre sur cour, l’ouverture est un lever de rideau virtuose. Un plan aérien rejoint La Tamise, s’y engouffre et pénètre dans la capitale en se faufilant façon péniche sous le Tower bridge dont les routes se lèvent pour nous laisser entrer. Un monde de possibles, d’espoir et de réussite semble s’ouvrir à l’image de la musique entrainante qui l’accompagne et les promesses d’un speech gouvernemental sur le procès de l’industrialisation du fleuve. Tout le film naviguera sur ce procédé de pur trompe l’œil. Aussitôt les acclamations d’un auditoire satisfait on découvre le corps d’une jeune femme dans ce même fleuve, non pas dépecée à la mode de Jack L’éventreur comme le fait remarquer ironiquement un homme dans la foule (le film sera régulièrement parcouru de pointes d’humour carrément décalées) mais étranglée à la cravate. Et ce n’est semble-t-il pas la première. C’est une apparence de monde plein de promesses, relayée violement par le crime.

     Frenzy est l’un des tout derniers films d’Hitchcock, son pénultième pour être exact et c’est l’un de ses meilleurs, fascinant de maîtrise et d’expérimentations mise en scénique. Chaque fois il me passionne, me sidère différemment. Hitch règle en réalité ses comptes avec Psychose, autant qu’il se synchronise avec cette vague giallesque qui jaillit du cinéma italien durant cette même période, genre brièvement populaire alors à son apogée commerciale. Et en somme, oui, Frenzy c’est un peu le giallo à la mode d’Alfred. Pas de couteau ici ni d’ambiance volontiers excentrico-surréaliste mais une volonté de jouer dans cette cour, de manipuler ses propres codes en les malaxant avec ceux du genre. Une double référence qui s’impose finalement durablement, au moins dans le ton, assez unique dans un film d’Hitchcock, qui s’impose au fil du récit.

     Frenzy est parcouru par quatre meurtres, tous mis en scène de façon différente. La découverte macabre d’abord, post accomplissement, ce corps tuméfié flottant dans les eaux sales, s’échouant sur la berge. Plus tard, le geste tant attendu, lent, frontal, d’une violence inouï. Plus tard encore, celui hors champ (fameux travelling arrière de légende) étonnamment relayé par sa périlleuse évacuation. Et le dernier, qui ferme le film comme il l’avait ouvert, sur le corps cette fois inerte d’une inconnue, encore chaud. Un défilé de visages pétrifiés, langues sorties, yeux exorbités, en quatre mouvement. Quelque soit sa divulgation chaque meurtre est représenté sous le sceau de l’image choc : Un visage en cut terrifiant ici, un corps mélangé avec des patates là, un que l’on extrait des eaux, un autre que l’on sort de la couette. Ce sont vraiment les abysses du macabre.

     Alors pourquoi Psychose ? Tout simplement car Hitch se permet cette fois de faire disparaitre non pas un mais deux personnages féminins moteurs du récit, gravitant autour d’un innocent que tout accable. En un sens c’est tout le cinéma de Hitch qui se rejoint. Le thème du tueur en série et du faux coupable. Le mouvement, le divertissement et le macabre. Puisque la broche du tueur évoque aussi la clé dans Le crime était presque parfait, autant que la rousse qui se substitue à la blonde rappelle les rouages de Vertigo. Les escaliers ceux de chez Norman Bates. Un moment même, le héros malmené est englouti sur une place londonienne par un vol groupé d’oiseaux. Frenzy se permet absolument tout, dans la durée comme dans l’humour, à l’image de ces nombreuses séquences chez l’inspecteur, condamné à se farcir les expérimentations culinaires improbables (Cannetons aux cerises, soupe de lotte…) de son épouse, tandis que dans le même temps elle finit par lui faire ouvrir les yeux sur la véritable identité du serial killer. Il y a une corrélation jubilatoire entre la nourriture et le meurtre, comme dans La corde. J’aime cette folie qui émane dans chaque séquence. On pourrait tout aussi bien évoquer cette longue scène de camion transportant des sacs de pommes de terre, tant son épure, sa longueur, le suspense qui en émane, teinté d’humour, fait partie des plus grandes scènes folles qu’Hitchcock aura créé.

L’homme qui en savait trop (The Man Who Knew Too Much) – Alfred Hitchcock – 1956

L'homme qui en savait trop (The Man Who Knew Too Much) - Alfred Hitchcock - 1956 dans Alfred Hitchcock homme-qui-en-savait-trop-05-g Que sera, sera.

   7.5   C’était ma première fois et c’est vachement bien. Hyper bavard au départ mais dans le bon sens, c’est à dire que l’on sent l’installation d’une machination et ça grimpe merveilleusement, lentement, c’est très stimulant. La suite, hors Marrakech est tout aussi excellente. C’est vraiment la grande période de Hitch. Il faut que je voie le premier de 1934 maintenant.

L’étau (Topaz) – Alfred Hitchcock – 1970

L'étau (Topaz) - Alfred Hitchcock - 1970 dans Alfred Hitchcock etau-1969-03-g The sapphire affair.

   6.0   Tout d’abord merci à Arte d’avoir diffusé ces deux films d’Hitchcock (avec Le rideau déchiré) car ce ne sont pas ses plus considérés et du coup je ne me serais pas empressé de les voir. L’étau est un beau film d’espionnage, avec des fulgurances et des longueurs. Encore une fois Hitchcock atteint des sommets de suspense et de virtuosité dans les séquences muettes, sans doute ce que je préfère dans son cinéma.

Fenêtre sur cour (Rear window) – Alfred Hitchcock – 1955

35.12Une femme disparaît.

   10.0   Trois rideaux s’ouvrent vers le haut et le cadre qu’ils découvrent sera celui du film deux heures durant. L’occasion pour Hitchcock de triturer tout ce qu’il peut. En effet, nous ne quitterons pas l’infime espace que constitue T2 donnant sur la cour commune d’un quartier résidentiel. Le film n’aura pourtant jamais l’air d’être une pièce de théâtre. Introduction simple et géniale, ce n’est pas un dialogue futile et/ou attendu qui nous explique la situation du personnage, mais la mise en scène, purement, en un plan parcourant l’appartement, l’homme endormi, plâtré, une table avec un appareil photo cassé, une pile de magazines à côté, des photos de voitures accidentés encadrées. Jimmy Stewart n’est pas encore le voyeur qu’il sera bientôt mais ces instantanés révèlent beaucoup sur ce personnage, ce qu’il est, ce qu’il fait, ses obsessions.

     Il est le miroir du spectateur. Attentif, voyeur, en quête. Il y aura pourtant du passage dans cet appartement, mais chaque fois le regard se laisse gagner par l’extérieur, cet écran géant, cinéma grandeur nature, dans lequel Hitchcock projette le miroir de l’Amérique toute entière. Sombre tableau qui pourrait être vu comme la projection des désirs et des craintes du personnage joué par Stewart, électron libre ne voulant pas s’engager. Ce qu’il voit en face de lui c’est une somme de récits, de comportements, l’étendue des strates conjugales, ses possibilités, au travers d’une femme seule trinquant avec un partenaire imaginaire, un homme seul réfugié dans le piano et les diverses soirées qu’il donne régulièrement à son domicile ; Cette jeune sportive qui reçoit les hommes comme on ouvre son courrier, ce couple vieillissant mal, cet autre couple vieillissant bien mais en trouvant refuge la nuit sur leur balcon. Ou bien ces jeunes mariés, dans la consommation la plus absolue et autiste de leur amour.

     Fenêtre sur cour est un grand sur les relations de couple, en somme. Enfin disons que le catalogue qui nourrit l’écran et/ou les pensées du personnage est une représentation du monde duquel l’amour (le mariage) est le dénominateur commun. Cela m’avait échappé la première fois. Sans doute et c’est là tout le pessimisme hitchcockien parce qu’il est saisi du point de vue de celui qui le refuse, préférant l’observer, le disséquer, s’y projeter ou s’y frayer son propre intérêt, à la manière d’un cinéaste trouvant en son personnage un alter égo.

     Il est passionnant de constater combien la fenêtre de l’appartement de Stewart donne à voir une multitude d’autres fenêtres qui sont autant d’écran renfermant chacun sa petite histoire. C’est donc une folle affaire de voyeurs et de gens qui aiment se montrer. Le film marque d’ailleurs discrètement un certain crescendo thématique dans la mesure où à l’œil nu de Stewart succède d’abord les jumelles puis la longue focale, de même qu’à son obsession solitaire se développe une véritable table d’observation collective. Le film enchaine les plans ahurissants avec une science de la découpe qui tient du génie pur. Cette espèce de faux split screen (deux fenêtres séparées par une gouttière) sur ce couple en crise c’est absolument génial. Voire aussi ces nombreux hors champs systématiquement matérialisés par des murs, des rideaux, des volets. Cet équilibre entre les plans de jour et ceux de nuit. Quelque chose de continu et de tellement continu en apparence qu’il est en indéchiffrable dans sa temporalité.

     C’est un immense film sur la curiosité des hommes en tant que moteur obsessionnel. L’issue importe finalement assez peu. C’est le voyage immobile et monde à la fois, qui installe et nous convie au vertige. Un quartier étrange, suspect. Un truc de passionné. Un plateau avec un verre de lait, un sandwich et un appareil photo. Un plateau et un écran. Ou un écran de cinéma. Qu’importe, c’est une fenêtre sur un ailleurs.

Les oiseaux (The birds) – Alfred Hitchcock – 1963

23.-les-oiseaux-the-birds-alfred-hitchcock-1963-1024x553Les nouveaux monstres. 

   9.0   En revoyant Les oiseaux aujourd’hui on se dit inévitablement que c’est le père d’un certain cinéma catastrophe, apocalyptique, autant dans sa mécanique et ses motifs que dans sa construction. Et peut-être aussi parce qu’il est plus facile aujourd’hui d’effectuer un parallèle terroriste quand on a souvent évoqué dans les diverses analyses autour du film cette évidente parabole de la Genèse. Les oiseaux chez Hitchcock ont cette particularité d’attaquer progressivement, d’abord en tant qu’élément isolé (la séquence de la barque) puis en meute voire en espèces mélangées. Le cinéma nous habituera très vite aux créatures les plus terrifiantes, souvent en environnement humide (Requin, piranhas, orque) ou fantasmatique (Gremlins, Godzilla, Kong). Hitchcock choisit simple, il choisit l’oiseau, un animal de notre quotidien, un élément du décor. Et il choisit un lien sécurisé, en apparence tout du moins. Et le film se déroule intégralement de jour bien qu’il semble lentement glissé vers la pénombre jusqu’à ce magnifique plan post-apocalyptique final. Le tout sans musique. Zéro musique. La seule musique du film sont les cris intempestifs des volatiles, durant leurs périodes d’attaque. Le film démarrait d’ailleurs dans ce même bruit mais sans encore la présence d’un danger concret, dans une oisellerie. Comme Psychose, trois ans plus tôt, dénudait d’entrée le corps de Janet Leigh, douce prémisse de la future séquence de douche. Le film démarre pourtant presque façon Love story légère, sur la rencontre d’un homme et une femme. C’est l’orgueil du jeu qui guide cette rencontre, avec laquelle le film s’ouvre. Elle fait semblant d’être l’employée du magasin, lui feint de la prendre pour l’employée qu’elle prétend être. Les oiseaux au centre – des oiseaux d’amour – les inséparables deviennent l’instrument de cette rencontre. C’est comme si cet anodin péché allait être la cible d’une répression improbable. C’est d’ailleurs ce qui guide le film, l’improbable. Il faut en effet être solide pour accepter tous les soubresauts du scénario pré première attaque, qui voit Tippi Hedren s’échouer sur l’île d’une ville paumée en périphérie de San Francisco (ressemblant davantage à un village écossais) pour offrir des oiseaux à la fille de l’homme en question. Avant d’accepter de la voir louer une barque qu’elle accoste seule puis rame de ses talons hauts et tailleur court. On serait presque tenté de croire qu’elle est déjà habitée par les oiseaux tueurs. A la manière des profanateurs de sépultures. Elle est guidée par une force invisible vers le danger. A l’image de la séquence d’évacuation de l’école. C’est une sorte d’instrument de la rébellion et donc forcément liée (la radio le confirme un moment donné) à faire de la ville l’épicentre d’une épidémie planétaire. Autre chef d’œuvre inépuisable du Maître, hallucinant film apocalyptique, mise en scène à tomber par terre de la première à la dernière seconde, tout en blocs de séquences très étirées avec cette sensation de garder longtemps dans les oreilles après visionnages ces bruits stridents des oiseaux. Le blu-ray est à se faire dessus, vraiment, j’ai flippé ma race comme lors de la première fois. Le dernier plan est une baffe à lui tout seul.

Le crime était presque parfait (Dial M for murder) – Alfred Hitchcock – 1955

Le crime était presque parfait (Dial M for murder) - Alfred Hitchcock - 1955 dans Alfred Hitchcock crime-etait-presque-parfait-01-gLa clé de l’énigme.

   8.0   Film d’apparence mineure, quelque part entre Agatha Christie et Sherlock Holmes, il faut préciser que ce n’est que l’intrigue que l’on peut qualifier de mineure, bien qu’elle soit d’une efficacité redoutable, le film en lui-même, la mise en scène du film, elle, est prodigieuse. Hitchcock pourrait être le cinéaste qui répond exactement à la théorie selon laquelle les petits récits peuvent faire des grands films. C’est le procédé de mise en scène qui est passionnant ici, un huis-clos comme pour La corde ou Fenêtre sur cour. Tout ou presque se joue dans un appartement. Je dis presque car il faut prendre en compte ces plans au club de l’époux, essentiellement par téléphone avec l’appartement, au moment du meurtre, donc en somme, bien que oui nous n’y somme pas, nous ne quittons jamais vraiment l’appartement ; Ainsi que ces plans (proches de ceux qu’Hitchcock utilisera dans Vertigo) faisant office de scènes de tribunal, où l’épouse se retrouve face caméra, comme derrière un parloir, sur fond neutre avec couleurs tournoyantes, avant que l’on apprenne son incarcération et sa condamnation à mort. Du coup, le film ne subit pas de découpage, il ne propose pas de souffler puisqu’il revient, aussitôt ces quinze secondes transitionnelles passées, dans l’appartement conjugal. Ce parti prix est à l’image de l’entracte qu’Hitchcock insère entre deux séquences qui ne sont finalement pas déliées par la possible idée d’un découpage. Si bien que le film terminé on a oublié que l’on avait eu le droit à un entracte. Tout ou presque se joue dans le salon de cet appartement. Hitchcock gardera malgré tout certains plans autour (chambre, cuisine, couloir) très brefs construisant tout de même un décor de cinéma et non de théâtre. Hitchcock joue avec la vitesse du dialogue comme rarement il l’a fait auparavant et le fera ensuite, créant ainsi un flux d’informations conséquentes qui perdent peu à peu le spectateur, qui observe un détail pour en perdre deux. La clé devient l’exemple parfait puisqu’il appuie tant sur cet objet, aussi bien dans les mots que par l’image, que l’on ne quitte pas des yeux ces relais et chamboulements, dans les sacs ou les poches pour finalement commencer à négliger son importance dès l’instant où justement elle refait surface et sonne le glas de la résolution. Ce qui frappe avant tout dans Dial M for murder c’est l’écriture des personnages, stéréotypés sauf pour le mari trompé, ingénieux qui construit tout un plan pour se débarrasser de sa femme. Cette nuance là me fascine chez Hitchcock. Cette attirance pour le méchant. Cette manière de flatter le mal. C’est le bon gros salaud qui échafaude tout un mécanisme criminel minutieux fascinant, et les autres qui n’ont que peu d’épaisseur, ou unilatérale, cartésienne : un shérif à qui on ne la fait pas, une femme gracieusement nunuche et un amant écrivain obsédé par les romans policiers et le crime parfait. En somme, il y a les personnages facilement cernables et donc celui du mari, surprenant, insituable donc forcément passionnant. Cette qualité Hitchcockienne pour la valorisation mise en scénique d’un récit mathématique et l’inversement des rôles me fascine au plus haut point.


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