Archives pour la catégorie Alice Diop

Saint Omer – Alice Diop – 2022

15. Saint Omer - Alice Diop - 2022Sainte aux mères.

    6.5   Il s’agit du premier long métrage de fiction d’Alice Diop, documentariste « de formation ». C’est un exercice délicat que celui de passer du documentaire à la fiction, voire de nouer les deux dans un même élan : le procès du film Saint Omer est un miroir de celui auquel la cinéaste elle-même a assisté. La romancière en question c’est elle. Le film fait plus qu’illusion (pas loin d’être très grand, à mon sens) une heure durant, parce qu’il orne peu, excepté l’ouverture sur le cours de Duras (aucun intérêt, sinon celui d’en mettre plein la vue aux festivaliers) qu’on oublie tant il est lourdement relayé par la convocation plus tard de Medée, de Pasolini (au secours).

     Mais il y a pire que ces petites bornes intellectuelles un brin hautaines : il y a ce qui se joue avec le personnage de la romancière, son apathie, son opacité, avec sa famille, son mec puis bientôt avec sa grossesse, révélée au mitan du film. Bien sûr on comprend le cheminement, l’effet miroir qu’il provoque, mais justement, pourquoi le souligner quand Alice Diop montre si bien l’impact sur un visage, un regard, un silence avec des personnages inconnus, figurants. Les yeux embués de la juge, pareil, quel intérêt ? Je pense qu’elle n’a pas suffisamment confiance en la force de ses plans, son personnage, le mystère absolu de ce fait divers.

     Et c’est dommage car de la force il y en a dans Saint Omer. Et notamment tout ce qui se déroule au tribunal, les meilleures scènes du film : Cette façon de resserrer petit à petit les plans jusqu’à ne cadrer plus que des visages, c’est magnifique. Car le début du procès est capté de manière opposée dans la forme, quasi anonymement disons au point qu’un très long plan (l’un des plus beaux) suit l’appel et la présentation de nombreux jurés et leur éventuelle récusation. Jamais on n’a vu ça ailleurs, sans doute car on est dans le document à cet instant, la durée, le réel. Et là je ressens qu’Alice Diop a assisté a tout cela. Dommage qu’elle n’étire finalement pas davantage.

     Les plus belles scènes se joueront aussi autour de la parole : quand l’accusée parle (ce corps qui fusionne avec le décor, et ce verbe si distingué), quand la juge (Valérie Dreville, déjà géniale dans Suite armoricaine) parle, quand l’avocate, le procureur, les témoins s’expriment aussi. Le reste devient de l’ornement de séduction. Intéressant sur les discrets flashbacks, mais d’une lourdeur dès qu’il s’agit de faire des ponts, des passations de larmes, entre personnages, mères, femmes, quand bien même il restera cette lumineuse idée de jouer la réconciliation entre mère et fille : de façon abstraite d’abord, d’un gros plan à l’autre au tribunal, du visage de l’accusée à celui de sa mère. De façon plus explicite à la fin avec ce plan d’union de mains et de respirations, de vie de mort, qui rappelle la scène d’ouverture sur la plage. Quoiqu’il en soit, quel plaisir de voir un film de procès si différent des autres. Raide, certes, bancal, bien sûr, beaucoup trop théorique certainement, mais passionnant et singulier.

Vers la tendresse – Alice Diop – 2016

09. Vers la tendresse - Alice Diop - 2016La cité sans voiles.

   6.0   Après un premier plan dans une salle de boxe, voyant deux hommes se faire face et frapper dans un sac, comme si déjà il y avait cette hypocrisie, ce désir refoulé d’aimer, maquillé par la violence des poings, Vers la tendresse s’ouvre sur ces mots : « Au cours d’un atelier sur le thème de l’amour, j’ai rencontré quatre jeunes hommes tous originaires de Seine Saint-Denis. J’ai enregistré nos conversations. J’ai eu envie de faire de ces voix un film »

     L’idée majeure, c’est de dissocier l’image de la matière sonore d’être à la fois dans le documentaire (l’observation / l’écoute) sans pour autant voguer dans le naturalisme, afin de confronter un espace de parole à un espace de vie. Ce sont donc quatre voix off de leur intimité qui se juxtaposent sur des images quotidiennes : celles de jeunes de quartiers, attablés à la terrasse d’un kebab, glandant sur un trottoir, dans une voiture en direction d’un week-end bruxellois ou marchant dans la rue.

     Dès la deuxième conversation, on pense que les suivantes suivront un schéma similaire à savoir la confession aussi misogyne que désenchantée d’hommes incapables d’aimer – L’un dira qu’éprouver des sentiments n’est pas du tout un comportement de racaille, l’autre qu’il n’a jamais vu l’amour, pas même dans le cercle familial – et recroquevillés dans leurs certitudes et leur lucidité – Ils sont convaincus d’être d’aussi grands salauds que les femmes sont des salopes, convaincus de leurs frustrations et de leur incapacité de nouer de l’affection. Sauf que le film surprend et demande alors à écouter deux autres discours très différents. Deux voix porteuses d’espoir et de liberté.

     Celle de Patrick, d’abord, ami de la réalisatrice, qui a grandi à la Courneuve avec ce désir pour les garçons, passant le plus clair de son temps à faire le mec (Il se bat énormément au collège) devant les autres, à se faire des mecs en cachette, sans jamais s’octroyer autre chose que du plan-cul. Il admet que, comme beaucoup, il s’est longtemps persuadé qu’on est taxé de pédé seulement quand on aime et qu’on se fait enculer. Sa parole, lumineuse, éclairée, valait au film son existence, ce qui donne d’autant plus de crédit à Alice Diop de l’avoir associé à trois autres qui lui sont diamétralement opposées sur bien des points.

     Celle d’Anis, ensuite, qu’on suit dans les bras de sa petite amie dans un hôtel d’Aulnay-Sous-Bois, se cachant de la cité ainsi que de leurs parents, pendant qu’il raconte off son amour des couples depuis tout gosse, ce désir d’aimer, de serrer quelqu’un contre lui, plus fort que n’importe quelle tentation de mise en conformité de la rue. Ici l’apparence est encore un problème mais on accepte de s’aimer. Et l’on se dit, bien que le chemin soit encore long, qu’entre la première image et la dernière, le film a voyagé de façon positive.

     Vers la tendresse, qui remporte le César du meilleur court-métrage en 2017, a le bon goût de se fermer sur Le cantique des cantiques, d’Alain Bashung. Une petite parcelle de ce sublime morceau, évidemment, mais c’est déjà beau.


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silencio


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