La vengeance au doux visage.
7.5 En tant qu’ancien avocat, Cayatte pourrait être un cinéaste de la résolution – Ce qu’il sera un peu dans le bon, mais plus mécanique Les risques du métier. Le miroir à deux faces s’ouvre par cette résolution. Tardivet se pointe chez les flics et dit qu’il a tué puis raconte son histoire. On sent que Cayatte veut se débarrasser de ça sans doute aussi pour ne pas être tenté, ni tenter son spectateur, de suivre une maquette d’intrigue à suspense qui reposerait beaucoup sur sa fin. Il ne veut pas refaire Les diaboliques. De Clouzot le film s’apparenterait davantage à L’enfer, merveille inachevée que l’on ne verra jamais.
Tout se joue dans une structure archi fataliste où l’arc tragique provient de coïncidences apparemment anodines. C’est une petite annonce qui marie Bourvil, à une femme au physique ingrat. Dix ans plus tard, c’est un banal accident de voiture – « Mais n’allons pas trop vite » raconte-t-il ; L’image de cette voiture est en effet son dernier instant de plénitude vaniteuse – qui conduit sa femme entre les mains d’un chirurgien zélé qui en guise de constat préfère réparer les visages. Dans Le mépris, lorsque Camille et Paul rencontrent Palance qui demande à la jeune femme si elle veut faire un tour dans son Alfa, Paul la laisse filer, par suffisance et naïveté professionnelle. Dans Le miroir à deux faces, lorsque le médecin propose ses soins à Bourvil, ce dernier déchire ses photos Avant/Après précisant que sa femme ne veut pas changer son visage. Ce bref instant de dépossession dans l’un et de possession dans l’autre crée une faille. Toutes deux joueront alors le jeu de la contradiction.
Le film est imprégné d’images extrêmement fortes, autant sur le plan de la désagrégation conjugale – le réveil de Marie-José, l’indigente arrogance de Bourvil – que de l’anticipation de sa dissolution – Tout ce qui se trame à Venise, en début de film, annonce un destin funeste. Et bien sûr via le personnage de Michèle Morgan, qu’on transforme façon Les yeux sans visage. Et Cayatte a créé un monstre quasi absent du cadre mais qui n’est pas sans évoquer les plus grandes mères castratrices de l’histoire du cinéma. Bourvil, absolument excellent, campe ce fiston sous emprise, un peu benêt, beaucoup salaud, avec une puissance de jeu telle qu’il en devient insupportable. Type qui avait épousé une femme suffisamment laide pour ne pas se la faire prendre mais qui fait chaque jour en sorte qu’elle s’excuse de l’être en jouant le rôle de sa bonne à tout faire. La résurrection de cette femme soumise est à la fois quelque chose d’hyper jouissif autant que c’en est troublant, tragique. C’est vraiment un film très particulier, étonnant dans sa construction mais tout à fait limpide, classique et moderne à la fois.