Archives pour la catégorie Andreï Tarkovski

Stalker (Сталкер) – Andreï Tarkovski – 1981

pdvd0101La terre outragée.

   10.0   « Qu’est-ce que c’était? La chute d’un météorite? La visite des habitants de l’abîme cosmique? Ca ou autre chose dans notre petit pays s’était produit. Le miracle des miracles : la Zone. On y envoya des troupes. Elles ne revinrent pas. On encercla la Zone de cordons de police. Et on fit bien… Enfin, je n’en sais rien. »

Extrait de l’interview du professeur Wolles, prix Nobel, accordée à l’envoyé de la RAI.

Le film débute sur ces mots.

C’est déjà une plongée.

Tout, dorénavant, tiendra du voyage.

   Cela fait cinq ans qu’un papier sur Stalker est en chantier, cinq ans durant lesquels je me suis demandé si cela valait bien la peine d’écrire sur cet immense film, cinq ans que je me demande s’il n’est pas trop immense pour ma plume. Mais cinq ans de réflexion, cinq années d’obsession et autant de visionnages il fallait bien rendre compte de ça…

     Stalker est un grand film sur l’enfance. Sujet qu’il aborde de deux manières différentes à la fois grâce aux croyances de son personnage, en quête à travers les hautes herbes, qui se fraie un chemin, lance des pierres enrubannées, mais aussi grâce au décor qui évoque les longues balades en sous-bois de l’enfance, où l’on est accompagné de sa famille, un grand-père avec lequel on veut partager les découvertes, entre chemins de traverse et rivières, ou avec un cousin qui semble appartenir au même monde parallèle, naviguant entre les éléments qui prennent des significations toutes plus tortueuses les unes que les autres. Tarkovski et par extension le stalker, est cet enfant, qui observe comme nul autre cinéaste, la nature à l’état croupissant, humide et nauséabonde : une flaque d’eau boueuse, une mousse sur un rocher, un métal rouillé, une braise frémissante, une eau ruisselante. C’est un poème aquatique sur la terre ferme, un film de science-fiction qui fait entrer en collision le métal et la végétation. 

     L’enjeu philosophique est de mettre en opposition la foi et la raison. Le Stalker représente la foi, homme qui croit en ce lieu magique, en toute innocence et naïveté. On peut se dire que cette zone est un moyen pour lui, le seul moyen, d’échapper à cette terrible vie qui le poursuit quotidiennement, une vie sans saveur, décolorée, délavée, loin du carcan spirituel qu’il s’est créé. Un homme dans un esprit d’enfant, ou un homme brisé, en mal d’aventures. La zone est son lieu d’évasion. Un espace mental, tout à lui. Il y est à son aise, en connaît chacune des règles à respecter quand on y entre, gère le danger, les raccourcis, les obstacles. Il s’y sent chez lui. La raison englobe principalement les deux hommes qu’il s’éprend à guider mais l’on pourrait l’étendre à sa femme ou aux forces de police. L’un d’eux, le savant représente la quête du savoir, le besoin irrémédiable de la maîtrise, de tout connaître et contrôler ad aeternam. L’écrivain, lui, se situe davantage dans le rêve ultime, celui de la création absolue, qui l’empêcherait de traverser les phases de doutes, les pannes d’inspiration.

     C’est un conte cruel. Une aventure brisée, sous l’autel de sa canonisation. L’histoire d’une volonté à partager ces éclats de foi, de redonner à croire en un paradis, en sa magie. « Ils ne veulent plus y croire » dira le stalker à sa femme au retour du voyage. C’est un homme de foi ébranlé. Une façon de dire, pour le cinéaste, que l’être humain moderne a perdu sa croyance. Une façon de montrer aussi que l’homme a besoin de tout rationnaliser. Est-ce que les deux hommes sont venus pour y croire ? Avec la candeur de l’abandon ? Non, ce n’est que curiosité avide, proie aux doutes ou angoisse de la destruction. On peut se dire que c’est un film (le plus grand ?) sur la puissance du cinéma. Le plaisir de s’y abandonner et de découvrir sans cesse ou la volonté de tout contrôler, de se contenter, d’oublier la quête. Par allégorie, si la zone représente le Cinéma, la chambre des vœux englobe toutes les merveilles cinématographiques, une représentation intérieure, dédiée à la Foi. Une représentation unique où le cinéaste russe a sa place, inévitablement.

     Tarkovski a besoin de faire durer le plan, sans cesse mobile, travelling ou zoom, pour faire croire que le décor existe indépendamment de la caméra. On se souviendra du dernier plan de sa filmographie, dans Le sacrifice, avec ce travelling qui va et vient, quitte la maison en flamme et la retrouve. On pourrait ne parler que de mise en scène. D’une part car Tarkovski est le plus grand metteur en scène de tous les temps, d’autre part car Stalker se suffit pleinement en tant qu’expérience formelle et sensitive. Il y a par exemple la sublime séquence de la draisine, assimilable au dernier trip psychédélique de 2001, l’odyssée de l’espace. C’est un passage vers un autre monde, un glissement total, en un long faux travelling, avec cette répétition sonore du bruit du chemin de fer, ces gros plans des visages ne regardant jamais dans la même direction, contemplant un paysage désolé dont l’absolu silence évoque une terre ayant subi l’apocalypse. Changement de monde exacerbé par une brutale colorisation de l’image, où l’espace verdoyant infini remplace un sépia miteux à la profondeur dévastée, pour déboucher sur une seconde partie en mouvement dans un labyrinthe imaginaire, proche du jeu vidéo, avec ses mondes, des obstacles à franchir, une ligne de conduite à respecter, jusqu’à la porte d’un autre niveau, entre tunnel inquiétant et ondulations sableuses, où des voix se font entendre, des oiseaux peuvent disparaître. L’enfance, toujours.

     Stalker donne beaucoup à sentir, probablement plus que dans tout autre film de Tarkovski dans la mesure où il est le plus accessible et le plus associable à notre culture occidentale, cela même si ce qu’il en fait ne ressemble en rien à ce que l’on connait. C’est un manque terrible dans le cinéma d’action, d’aventure, de science-fiction, existentiel ou non, cette absence terrible du sensitif, l’oubli de la force des éléments, du minéral, de la chair. Tarkovski a compris l’importance de cette essence et ses films sont systématiquement ancrés dans un schéma très terrien avec sa constitution qui lui est propre. Il se permet par exemple durant quelques minutes quasi fantasmatiques, avec cette musique cosmique, de faire un travelling en plongée sur un sol inondé, d’où émergent les vestiges de civilisation humaine mélangés au croupissement d’une faune et d’une flore dans un déluge aquatique innommable. Cinéaste de l’espace mais aussi cinéaste des postures et de leurs significations. C’était vrai dans la draisine, ça l’est davantage encore lors de cette halte intemporelle, réelle ou rêvée, où chaque personnage se repose et se tient différemment, suivant ses croyances religieuses pourrait-on dire.

     J’aurais voulu en faire un bref résumé, en dire quelques mots suffisants pour vouloir s’y plonger corps et âmes, sans trop en savoir, mais je préfère citer Antoine De Baecque (Cahiers du Cinéma, 1989) qui le fait indéniablement mieux que moi :

     « Stalker présente l’histoire d’un ‘passeur’ clandestin qui propose à ses clients de les mener au cœur d’une Zone mystérieuse où ils trouveront la ‘chambre des désirs’. Là, leurs vœux se réaliseront, mais auparavant ils auront dû éviter de multiples pièges. Le Stalker (de l’anglais to stalk : avancer furtivement) y emmène un écrivain et un physicien. Ceux-ci, indécis et révélés à eux-mêmes, refusent cependant d’entrer dans cette chambre au bout de leur voyage. Sans doute n’ont-ils en fait pas compris que cette Zone était surtout intérieure, construite selon un espace de la foi plutôt que suivant les principes de la géométrie euclidienne. »

     Quand je regarde un film de Tarkovski je me dis chaque fois : Quel bonheur de voir un cinéaste qui croit autant en l’Homme – l’Homme spirituel et non matériel, Le sacrifice ça ne raconte que ça ! Je ressens parfois Bergman comme son exact contraire tant son cinéma est traversé de pessimisme sans alternative. Chez le cinéaste russe il y a un pessimisme, mais à l’échelle de l’humanité, non de l’individu et du même coup il y a accès au miracle individuel. Dans Le sacrifice, Alexandre est persuadé qu’en faisant vœu de silence et en brulant sa maison il va sauver l’humanité…

Nostalghia – Andreï Tarkovski – 1985

Nostalghia - Andreï Tarkovski - 1985 dans Andreï Tarkovski nostalghia

Tempo di viaggio.     

   8.0   Nostalghia raconte l’histoire de deux hommes, l’un laissant de côté ce pourquoi il fait ce voyage en Italie accompagné de sa traductrice afin de se concentrer sur le mystère de l’autre, ermite célèbre au pays, qui ne cesse de penser au devenir malheureusement matérialiste de l’être humain, qu’il pense, a abandonné définitivement sa vocation spirituelle.

     Nostalghia est un carrefour dans l’œuvre du cinéaste russe. L’homme est au plus mal. Les soucis de santé font surface d’une part, et le cinéaste vient de perdre sa mère à qui il dédie son film en toute logique. C’est un carrefour parce qu’il arrive juste après Stalker, film qui a permis à Tarkovski de s’affirmer, par conséquent il est attendu, notamment au festival de Cannes, d’où il repartira si ce n’est bredouille, avec un « prix » qu’il gagnera, au même titre que Robert Bresson pour son film l’Argent, pour sa création cinématographique, prix spécialement crée pour eux. C’est un carrefour puisque c’est la première fois que le cinéaste tourne en dehors de ses terres. Dans le pays italien, rendu un peu fantôme, avec ce village recouvert par un brouillard permanent, un village à l’architecture à la fois magnifique et menaçante.

     Et à l’instar de son film suivant, Le Sacrifice, il sera question de renoncement, de sacrifice en la personne de Erland Josephson qui s’immole par le feu après avoir offert un discours testamentaire au village, un discours noir, désespéré, non dénué d’un possible optimisme. Et surtout après avoir confié sa tâche qu’il s’essayait quotidiennement, à savoir faire la traversée du bassin brumeux une bougie allumée entre les mains, sans qu’elle ne s’éteigne. Tâche que les habitants du village empêchent d’être réalisé à chaque fois. Il demande donc à ce russe, devenu son miroir depuis cette fabuleuse séquence sous la pluie, d’accomplir cet acte qu’il juge déclencheur, important pour la survie de l’humanité, qui sera sauvée de ses maux, ses erreurs et pourra prendre un nouveau départ. C’est bien entendu, mais dans un contexte plus solitaire, le thème de son film suivant, et de cette maison qui disparaît sous les cendres.

     Sauf que Nostalghia me touche encore davantage. Sans doute parce qu’aucune barrière scénaristique n’entrave ma compréhension du récit, d’en saisir tout le fruit. Chaque image a un sens qui lui est propre. La couleur. Puis le noir et blanc (plutôt sépia même). Les cadrages. Chaque bruit est magnifié comme souvent avec le cinéaste. Un chien qui court dans une flaque d’eau et le son est accentué. Cette sublime scène de pluie avec le bruit sourd des bouteilles qui se remplissent. Les plans latéraux grands de fluidité. Les zooms d’avant en arrière. Et cette toute dernière scène : Un plan somptueux, peut-être le plus beau de tout Tarkovski réuni, où l’homme apparaît avec son chien comme dans un rêve, devant sa maison contenue par une abbaye italienne en ruines !

     Je n’ai rien dit en fait tant il y a de choses à dire. Ne serait-ce qu’évoquer la place de cette femme. Le rapport familial. La confrontation religieuse. Le thème est riche, trop riche. Mais c’est grand. Très, très grand !


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