Desolationland, mon vieux pays natal.
7.0 Difficile de reconnaître Desplechin là-dedans tant le film s’éloigne, dans son verbe et son amplitude, de ses travaux habituels. Pourtant, s’il s’aventure sur les terres nouvelles du polar social, Desplechin originaire de Roubaix, expérimente toujours. Ici, il y a deux films en un seul, qui se répondent, convergent sans véritable cassure. Le glissement est imposant avec le recul mais invisible considéré dans la continuité. La pleine réussite de Roubaix, une lumière se situe à mes yeux dans ce curieux dispositif : Le fait qu’il navigue d’abord entre le L627, de Tavernier et Faits divers, de Depardon, soit en étant du côté du catalogue de solitudes variées, prises dans une émanation chorale, fragmentée, quasi documentaire. Avant qu’il ne vire vers Garde à vue, de Miller ou La vérité, de Clouzot. Grosso modo. Mais le propos est très ambigu, on ne verse pas dans la reconstruction théâtrale, comme si l’on répondait par la fiction au documentaire, par la théorie au réel, puisque c’est justement à partir de là que le film s’avère le plus factuel, reproduisant les faits qui se sont déroulés à Roubaix en 2002, déjà relatés dans le documentaire Roubaix, commissariat central, de Mosco Boucault. Bref, la mécanique du film ne s’appréhende pas si facilement.
Et l’autre réussite elle découle de cette étonnante construction, c’est le personnage qui l’habite. Daoud. Ce commissaire mystérieux, incarné par un Roschdy Zem exceptionnel. Passionné de courses de chevaux, mais pas joueur pour autant ; Fasciné par une certaine quête de la vérité alors qu’il dit reconnaître un innocent ou un coupable dès la première seconde ; Et c’est une volonté qui s’arme systématiquement de douceur, patience et compassion. La lumière de Roubaix, c’est évidemment lui. Il ne tient pourtant pas le film tout seul – comme on dit parfois de ces incarnations qui écrasent tout – puisque ceux qui gravitent autour de lui, dans la police (Reinartz) ou les habitants (Seydoux, Forestier) ont tous quelque chose à raconter, un personnage fort à incarner. Si le glissement central est très réussi, je crois avoir une nette préférence pour la seconde partie, justement pour son authenticité hallucinante là où la première rate certains fragments notamment celui avec Philippe Duquesne, qui ne fonctionne pas très bien. Très beau film, quoiqu’il en soit, surtout pour ce que Desplechin fait de Roubaix, sa lumière dorée nocturne, ses cheminées d’usine, ses ruelles pluvieuses, mais aussi dans chacun de ses intérieurs. D’un point de vue formel, c’est assez impressionnant.