Publié 7 février 2025
dans Artavazd Pelechian
Travail au soir.
6.0 Des torches dans la nuit, des hommes qui attendent. Des trains qui serpentent les voies ferrées du paysage arménien. Autour, des montagnes qui dominent. Film de fin d’études de Pelechian mais déjà très graphique, très tranché dans son montage. On y suit des hommes au travail, encordés qui grimpent sur la roche, dans les montagnes, préviennent des glissements de terrain, protègent les chemins de fer des éboulements, dynamitent des pans de roche instable. La nature y est constamment menaçante, les orages surgissent, les pluies et les vents se succèdent. Ce n’est que le début, la naissance d’un immense cinéaste, mais ça gicle déjà de chaque plan.
Publié 30 janvier 2025
dans Artavazd Pelechian
Le vol d’Icare.
8.5 Film extraordinaire. Pelechian au sommet de son art, ambitionne de raconter l’humanité et le XXe siècle, le combat contre la gravité, la conquête spatiale et la soif cosmique, en bref la vanité des hommes.
On y verra des visages de cosmonautes déformés par l’accélération, des champignons atomiques, des mises à feu dans le désert, des machines qui s’écrasent, d’autres qui explosent. Les pionniers de l’aviation. Un biplan qui s’élance, un autre qui se crash. Et plus tard ces deux trains qui entrent en collision, une fois, deux fois. Un dirigeable avant qu’il ne s’enflamme. Des lueurs cosmiques synchronisés à des battements de cœur. Et parfois le film vire au burlesque (musique à l’appui) lorsqu’il dévoile ces tentatives manquées d’envol.
Le film s’ouvre dans le vif : Une plate-forme de lancement. Une salle de contrôle, les yeux rivés vers le ciel. La carlingue d’un vaisseau. Des visages. Un décompte. Décollage. La boucle reprendra vers la fin du film, quasi identique, comme pour rappeler que tout n’est qu’un éternel recommencement. Que tout est à la fois magnifique, fou et vain. L’hypnose par l’absurde.
C’est une succession d’images détournées provenant d’archives probablement utilisées pour des films de propagande. Pelechian les assemble avec des images d’anonymes et de projets scientifiques, formant un tout vertigineux et musical. C’est Vertov qui aurait rencontré 2001, l’odyssée de l’espace dans un collage d’images et une expérience sensorielle hors du commun. Un voyage effrayant et somptueux.
Cette ambivalence – fascination / répulsion – est toujours au cœur de son cinéma. Rien d’étonnant à voir une foule acclamer le retour d’un cosmonaute dans une rue partiellement inondée avant d’en voir une autre pleurer ses héros disparus. Le film est jalonné de raccords fous. C’est une merveille de montage. Chef d’œuvre.
Publié 24 janvier 2025
dans Artavazd Pelechian
Voyage en Arménie.
7.0 Sans doute le film le plus célèbre de son auteur. Ce fut ma porte d’entrée dans le cinéma de Pelechian. C’était il y a huit ans. J’étais pas préparé. J’étais passé complètement à côté. Évidemment c’est magnifique. Et très doux : un voyage tout en harmonie entre l’homme et la nature, les bergers et les montagnes arméniennes. On y voit un berger tenter de sauver sa brebis dans un courant, des paysans dévaler des collines avec leurs bottes de foin, une rangée de paysans fauchant le blé en cadence formant une ligne sous l’arrête d’une montagne. Et par des effets de montage et de rythme dont seul Pelechian a le secret, une séquence succède logiquement à la précédente avant de se fondre dans la suivante. Vivaldi accompagne ce voyage à travers les saisons. C’est très beau.
Publié 17 janvier 2025
dans Artavazd Pelechian
Le penseur.
6.0 Un Pelechian moins fulgurant que dans ses œuvres à venir – réalisé quand il suit encore ses études de cinéma à Moscou – plus doux dans son montage, disons, plus optimiste aussi. Mais il y a déjà des plans étourdissants. Il filme l’être humain au travail et le résultat de ses créations, ouvrant sur un monde éclectique et harmonieux renforcé comme toujours par une science du montage hyper stimulante. En résulte une ode à la matière, aux transformations du paysage et aux réflexions humaines symbolisées ici par une statue du Penseur de Rodin, qui ouvre et ferme le film.
Publié 7 février 2021
dans Artavazd Pelechian
L’amour et la violence.
8.0 Qu’il s’agisse de fragments de corps de cygnes sur le point de s’envoler, d’une armée de manchots prêts à se disperser ou du visage d’un bébé chimpanzé désespéré – et ça vaut pour l’ensemble de ces dix frénétiques minutes – il y a chaque fois, dans Les habitants, une volonté de faire cinéma, abstrait et vivant, brutal et enivrant, de produire du gros plan surdécoupé (cygne), du plan d’ensemble (manchots) ou du regard caméra (singe). Pour ne prendre que ces trois exemples. On est donc loin du simple documentaire animalier. On est aussi loin du dispositif uniquement écologique, sur la destruction par l’être humain de l’harmonie naturelle. Le film effleure cela évidemment, mais son ambition est avant tout formelle, axée sur le rythme par le montage, au point qu’il est difficile d’enfermer l’objet dans des cases, de lui attribuer des référents évidents, sinon Vertov peut-être. Ça ressemble davantage à un concerto : On sort de ces minutes mélangeant beauté pure et angoisse apocalyptique avec une sensation de vertige.
Publié 22 mai 2020
dans Artavazd Pelechian
Libera me.
7.0 Je pensais donc finir ce confinement avec Fin. Mais ce soir-là j’ai appris que j’étais tonton, que mon petit frère était papa. Alors je me suis dit que Vie ça aurait quand même vachement de gueule plutôt que Fin. Je le connaissais déjà puisque je l’avais découvert au moment de la sortie de Gloria Mundi, de Guédiguian qui lui rend hommage en le citant crânement en ouverture. Évidemment c’est magnifique. Six minutes de beauté pure où Pelechian filme le visage de sa femme en train d’accoucher puis son bébé puis l’enfant qui a grandi face caméra aux côtés de sa maman, ultime plan qui rappelle Persona. C’est somptueux. Et puis le Requiem, de Verdi, quoi.
Publié 22 mai 2020
dans Artavazd Pelechian
Vers la lumière.
7.5 J’avais ouvert cette période de confinement, en découvrant Au début de Pelechian. Quoi de plus logique, ai-je pensé que de la terminer par Fin, 55 jours et 89 films plus tard ? Ici l’auteur arménien filme des visages, des fragments corporels, des profils, des regards, dans un train entre Moscou-Erevan. Ils observent le paysage défiler sous leurs yeux. Puis la plupart s’endorment, dont cet enfant qui rappelle celui qui ouvrait Nous. Et Fin c’est un autre Nous, une multiplicité ethnique condensée dans un lieu, qui file vers l’obscurité. En bande son, le roulis continu provoqué par le train en mouvement. Alors la caméra sort du train, s’occupe du paysage que les voyageurs observaient. Puis il y a un tunnel et il ne reste que des bribes, de visages dans le noir, puis un point de lumière qui s’impose doucement, avant que la blancheur de la sortie ne vienne sceller le film et offrir une nouvelle naissance. Le spectateur est libre de tout, Pelechian ne force rien. C’est superbe.
Publié 3 avril 2020
dans Artavazd Pelechian
Cosmos.
7.0 Dans une démarche frénétique plus canalisée, Nous témoigne une nouvelle fois de l’originalité folle d’un auteur en marge, véritable magicien du montage, véritable orchestration musicale, même lorsque la musique n’est pas, comme ici. C’est un film très sonore en effet, dénué de paroles – Ce que n’aura cessé de faire Pelechian, à travers son œuvre pour le moins ramassée – mais sa musicalité s’en remet cette fois aux bribes du réel, à la manière d’une musique concrète. Il suffit que l’on passe du plan d’une montagne à celui d’une explosion pour comprendre son ambivalence, son attirance pour la beauté et la cruauté. Que l’on voit le visage grave d’un enfant remplacé par une cérémonie funéraire pour apprivoiser tout son caractère humaniste et mortifère. Un peu comme lorsque cet homme, sur sa mobylette, semble disparaître dans le nuage de gaz d’échappement produit par le camion qui le précède dans un embouteillage. Le Nous du titre, c’est bien entendu le peuple arménien, mais c’est aussi l’histoire du XXe siècle, c’est toute l’humanité, condensés dans un regard, une explosion, une disparition, une répétition, une étreinte et des larmes, de tristesse (d’un visage enfantin) et de joie (de retrouvailles). Ce montage incroyable permet au film d’être touché par la grâce tant il semble idéalement accordé aux variables qui animent l’humanité toute entière. C’est puissant.
Publié 3 avril 2020
dans Artavazd Pelechian
Je pense donc je suis.
6.0 Pour le cinquantième anniversaire de la Révolution d’Octobre, Pelechian réalise cet essai fulgurant, dix minutes expérimentales, au rythme d’un montage effréné fait d’images d’archives, extraits de fictions préexistantes et prises de vues réelles, bref de sources infinies, assemblées ici dans un catalogue endiablé, quasi subliminal. La musique et les divers effets sonores remplacent les commentaires. Aucune voix en effet, aucune donnée offerte pour servir de repère ni délimiter le contexte. Ça semble inspiré de Vertov (L’homme à la caméra) et avoir inspiré Reggio (Koyaanisquatsi). Il y a ce même désir de vitesse, d’image perturbée et de gravité générale. Rien d’étonnant à ce que le film se ferme sur le visage d’un enfant, ce même visage qui ouvrira Nous, deux ans plus tard.