Archives pour la catégorie Artavazd Pelechian

Les habitants (Obitateli) – Artavazd Pelechian – 1970

30. Les habitants - Obitateli - Artavazd Pelechian - 1970L’amour et la violence.

   7.0   Qu’il s’agisse de fragments de corps de cygnes sur le point de s’envoler, d’une armée de manchots prêts à se disperser ou du visage d’un bébé chimpanzé désespéré – et ça vaut pour l’ensemble de ces dix frénétiques minutes – il y a chaque fois, dans Les habitants, une volonté de faire cinéma, abstrait et vivant, brutal et enivrant, de produire du gros plan surdécoupé (cygne), du plan d’ensemble (manchots) ou du regard caméra (singe). Pour ne prendre que ces trois exemples. On est donc loin du simple documentaire animalier. On est aussi loin du dispositif uniquement écologique, sur la destruction par l’être humain de l’harmonie naturelle. Le film effleure cela évidemment, mais son ambition est avant tout formelle, axée sur le rythme par le montage, au point qu’il est difficile d’enfermer l’objet dans des cases, de lui attribuer des référents évidents, sinon Vertov peut-être. Ça ressemble davantage à un concerto : On sort de ces minutes mélangeant beauté pure et angoisse apocalyptique avec une sensation de vertige.

Vie (Kiank) – Artavazd Pelechian – 1993

22. Vie - Kiank - Artavazd Pelechian - 1993Libera me.

   7.0   Je pensais donc finir ce confinement avec Fin. Mais ce soir-là j’ai appris que j’étais tonton, que mon petit frère était papa. Alors je me suis dit que Vie ça aurait quand même vachement de gueule plutôt que Fin. Je le connaissais déjà puisque je l’avais découvert au moment de la sortie de Gloria Mundi, de Guédiguian qui lui rend hommage en le citant crânement en ouverture. Évidemment c’est magnifique. Six minutes de beauté pure où Pelechian filme le visage de sa femme en train d’accoucher puis son bébé puis l’enfant qui a grandi face caméra aux côtés de sa maman, ultime plan qui rappelle Persona. C’est somptueux. Et puis le Requiem, de Verdi, quoi.

Fin (Verj) – Artavazd Pelechian – 1992

21. Fin - Verj - Artavazd Pelechian - 1992Vers la lumière.

   7.5   J’avais ouvert cette période de confinement, en découvrant Au début de Pelechian. Quoi de plus logique, ai-je pensé que de la terminer par Fin, 55 jours et 89 films plus tard ? Ici l’auteur arménien filme des visages, des fragments corporels, des profils, des regards, dans un train entre Moscou-Erevan. Ils observent le paysage défiler sous leurs yeux. Puis la plupart s’endorment, dont cet enfant qui rappelle celui qui ouvrait Nous. Et Fin c’est un autre Nous, une multiplicité ethnique condensée dans un lieu, qui file vers l’obscurité. En bande son, le roulis continu provoqué par le train en mouvement. Alors la caméra sort du train, s’occupe du paysage que les voyageurs observaient. Puis il y a un tunnel et il ne reste que des bribes, de visages dans le noir, puis un point de lumière qui s’impose doucement, avant que la blancheur de la sortie ne vienne sceller le film et offrir une nouvelle naissance. Le spectateur est libre de tout, Pelechian ne force rien. C’est superbe.

Nous (Menk) – Artavazd Pelechian – 1969

25. Nous - Menk - Artavazd Pelechian - 1969Cosmos.

   7.0   Dans une démarche frénétique plus canalisée, Nous témoigne une nouvelle fois de l’originalité folle d’un auteur en marge, véritable magicien du montage, véritable orchestration musicale, même lorsque la musique n’est pas, comme ici. C’est un film très sonore en effet, dénué de paroles – Ce que n’aura cessé de faire Pelechian, à travers son œuvre pour le moins ramassée – mais sa musicalité s’en remet cette fois aux bribes du réel, à la manière d’une musique concrète. Il suffit que l’on passe du plan d’une montagne à celui d’une explosion pour comprendre son ambivalence, son attirance pour la beauté et la cruauté. Que l’on voit le visage grave d’un enfant remplacé par une cérémonie funéraire pour apprivoiser tout son caractère humaniste et mortifère. Un peu comme lorsque cet homme, sur sa mobylette, semble disparaître dans le nuage de gaz d’échappement produit par le camion qui le précède dans un embouteillage. Le Nous du titre, c’est bien entendu le peuple arménien, mais c’est aussi l’histoire du XXe siècle, c’est toute l’humanité, condensés dans un regard, une explosion, une disparition, une répétition, une étreinte et des larmes, de tristesse (d’un visage enfantin) et de joie (de retrouvailles). Ce montage incroyable permet au film d’être touché par la grâce tant il semble idéalement accordé aux variables qui animent l’humanité toute entière. C’est puissant.

Au début (Skisb) – Artavazd Pelechian – 1967

24. Au début - Skisb - Artavazd Pelechian - 1967Je pense donc je suis.

   6.0   Pour le cinquantième anniversaire de la Révolution d’Octobre, Pelechian réalise cet essai fulgurant, dix minutes expérimentales, au rythme d’un montage effréné fait d’images d’archives, extraits de fictions préexistantes et prises de vues réelles, bref de sources infinies, assemblées ici dans un catalogue endiablé, quasi subliminal. La musique et les divers effets sonores remplacent les commentaires. Aucune voix en effet, aucune donnée offerte pour servir de repère ni délimiter le contexte. Ça semble inspiré de Vertov (L’homme à la caméra) et avoir inspiré Reggio (Koyaanisquatsi). Il y a ce même désir de vitesse, d’image perturbée et de gravité générale. Rien d’étonnant à ce que le film se ferme sur le visage d’un enfant, ce même visage qui ouvrira Nous, deux ans plus tard.


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silencio


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