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Le passé – Asghar Farhadi – 2013

Le passé - Asghar Farhadi - 2013 dans Asghar Farhadi 1010311_le_passe_1366977667311-300x200Les temps qui changent.    

   5.5   Farhadi fait de moins en moins de mise en scène. Une séparation, déjà, se cantonnait à filmer un scénario mais il y avait ce parti pris du huis clos qui étouffait complètement le cadre. C’était puissant mais irrespirable, je ne veux surtout pas le revoir. Je me souviens pourtant d’A propos d’Elly qui était une vraie proposition post-Antonionienne, où l’on avait remplacé le grand rocher de L’aventura par cette maison au bord d’une plage perdue. Il y avait un lieu, une force qui s’en dégageait, c’était fort, même si parfois maladroit.

     Là, avec Le passé, il ne reste qu’un scénario, avec les rebondissements qu’il engendre. Film à secrets, à tiroirs. Des cadeaux au pied d’un sapin que l’on déballe un par un. Pour que l’on y croie, et personnellement j’y ai cru, il faut une qualité d’interprétation. Farhadi est je crois un grand directeur d’acteurs. Et il s’agit parfaitement de direction tant la maîtrise respire dans chaque plan, qui ne laisse passer aucune idée de cinéma qui pourrait germer à l’improviste. Tous les acteurs sont excellents. Même Tahar Rahim. Et Béjo, j’en doutais, mais non, elle irradie l’écran, je trouve que son personnage est très délicat à camper tant il est souvent antipathique. Le cinéma de Farhadi a au moins cela pour lui : un scénario et des acteurs. C’est qualité téléfilm mais en mieux. Du film pour Télérama, haut du panier. Tout ce que je pourrais détester (cf A perdre la raison, de Joachim Lafosse) sauf que j’ai trouvé ça très émouvant.

     Outre le fait d’être le cinéaste des acteurs, Farhadi aime les intrigues. Il ne vise pas à établir de mystère insoluble comme déclencheur d’un drame existentiel ou Shakespearien, mais celui qu’il va s’enorgueillir de résoudre en comblant peu à peu les embouchures, sans rien laisser trainer. A propos d’Elly méritait déjà qu’on lui sectionne ses dix dernières minutes. Là, il faudrait se séparer du dernier quart : suites de rebondissements improbables rejetant la culpabilité sur chacun des personnages. L’autre idée désagréable c’est la sur-symbolisation parce que Farhadi ne supporte pas de faire un imprévu sans connotation symbolique, quelque chose d’inattendu débarrassé de sa grossière écriture, il ne laisse rien vivre à l’intérieur du plan. Ce sont deux mains puis une seule sur un levier de vitesse, une voiture que l’on manque d’emplafonner, une paroi de plexiglas dans un aéroport, une poignée de main évincée, un jouet coincé entre deux branches d’un arbre. Ces situations pourraient être traitées selon leur trivialité mais le cinéaste ne leur accorde qu’une place explicative quand elles mériteraient d’être déviatrices. Tout a un sens, tout prend sens, systématiquement. Il veut raconter la vie mais la vie est plus complexe, inqualifiable et surtout insoluble. Ce genre de récit devrait laisser davantage place à l’abstraction et ne pas se noyer dans la signification. Le seul symbole du film qui aurait dû être retenu c’est cette maison, en chantier, mais pas totalement en chantier, avec cet évier bouché, ce pot de peinture que l’on renverse et cette peinture que l’on nettoie, cette remise qui abrite le passé mais qu’il faut vider, ces étranges étages, cette cuisine à multiples entrées comme autant de point de convergence de relations isolées qui lient les personnages.

     L’élément qui catalyse le cinéma d’Asghar Farhadi, celui que l’on retrouve dans chacun de ces films, c’est la culpabilité. Ce nouveau film en tient une forte dose. Peut-on avancer en souffrant ou doit-on supprimer le remord et revenir en arrière ? Souffrir intérieurement ou souffrir en ouvrant sa souffrance ? Paroxysme atteint lors du climax de la souffrance mis en lumière par le personnage de la fille ainée qui dévoile son secret, ou dans la très belle scène de fin qui voit Tahar Rahim avancer dans un couloir d’hôpital, jusqu’à un point de non-retour, qu’il finit par ne pas franchir.

     J’aime tout particulièrement deux choses dans Le passé : la mise en place et l’intelligence du mystère en début de film sur cette relation indiscernable, sont-ils amants, ont-ils été mariés, sont-ils frères et sœurs ? Puis plus tard lorsque l’on essaie d’établir des liens familiaux : Est-il le père des enfants ou non ? Le film est très doux dans l’explicatif au début. Et j’adore la manière qu’a le film de glisser, quasiment en quatre temps, d’un personnage à un autre, en les installent provisoirement au centre (de leur culpabilité ?) du récit. J’aime que tout d’un coup l’un efface l’autre sans que l’on s’y attende véritablement, efface les autres avant de s’effacer à son tour et que ce soit finalement l’histoire d’amour bouleversante du plus effacé qui soit révélée finalement comme si cette histoire avait plus d’importance que les autres qui n’étaient que des intrigues de substitution.

Une séparation (Jodaeiye Nader az Simin) – Asghar Farhadi – 2011

une-separation-jodaeiye-nader-az-simin-nader-and-simin-a-separation-08-06-4-gLe secret derrière la porte.    

   6.0   Je n’ai pas retrouvé l’utilisation de l’espace qu’il y avait dans A propos d’Elly, cette impression que le cadre était trop grand pour les personnages. Ici, la faute à des choix de lieux assez étroits, le cadrage est soit plus approximatif soit systématiquement en réponse au précédent. Ça ne déborde pas du cadre et c’est beaucoup trop découpé à mon goût, frénétique et moins par le mouvement que par la parole.

     A propos d’Elly était un film quasi irréprochable, dans sa manière de tracer ces chemins de vie, d’apprivoiser les personnages, de les rentrer en collision dans un premier temps par le lieu, puis par la disparition. Il y avait pas mal de L’avventura là-dedans. Et puis il y avait cette fin, sinon explicative, qui libérait le mystère de cette disparition, l’éternel interrogation concernant la mort ou la fugue. C’était raté. Je me souviens m’être dit que j’attendrais énormément Farhadi au tournant – tout de même, un film qui m’avait pris autant aux tripes, il n’y en avait pas des masses cette année-là – avec une inquiétude liée à cette fin qui racontait beaucoup du cinéaste en fin de compte.

     Mes craintes se sont réveillées vers la fin de Une séparation. Une fin ou plutôt la révélation d’un plan caché qui me déçoit beaucoup. Et ce n’est pas tant le fait que l’on me cache une partie du récit qui me gêne, mais que l’on me cache un plan que j’aurai dû voir, une scène que l’on a coupé une heure plus tôt pour retarder l’émotion, l’effet de surprise. Le film tend alors vers l’effet de surprise, l’effet onde de choc où l’on se dit que le cinéaste nous a bien piégé, sauf que ce n’est pas du tout ce que j’ai envie de ressentir devant un film comme celui-ci, qui doit investir sa force dans le présent, ses joutes verbales, ces multiples drames qui se jouent ou qui sont joués, faire réfléchir ses personnages sur une échappatoire. En fait, le problème c’est que la révélation est trop importante. Dans Hors jeu de Jafar Panahi on apprend à la toute fin du film pourquoi cette jeune femme était venue voir ce match de football. Mais cette question est passée au second plan, on l’apprend au moment où l’on a reçu davantage, qu’elle ne change pas l’issue du film, elle le rend seulement un peu plus bouleversant. C’était devenu, grâce au déroulement du film, tout à fait secondaire. Dans Une séparation, cet élément essentiel est caché dans le but de l’affubler en coup de théâtre, c’est dommage.

     Hormis ce détail un peu trop essentiel pour que le film en son entier me le fasse oublier, j’ai trouvé ça extrêmement éprouvant et d’une force incroyable. C’est peut-être même son côté confiné dans l’espace qui me fait cet effet là, mais chaque mot semble avoir une puissance telle que ça en fait l’un des films les plus physiques et violents vu cette année. J’en suis sorti comme de sur un ring.


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silencio


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