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Two years at sea – Ben Rivers – 2015

17. Two years at sea - Ben Rivers - 2015Le vieil homme et l’amer.

   7.5   Ben Rivers est allé filmer un homme, Jake Williams, qui vit en pleine nature, dans la campagne écossaise, au rythme des saisons, des variations météorologiques. Il a capturé des images, des sons. Observé parfois de vieilles photos qui sont comme retrouvées parmi d’autres dans des albums oubliés. Elles jalonnent le film, comme pour relier cet homme à un passé, une histoire. Mais il faut se faire sa propre histoire. Le film n’a pas non plus de structure, aussi bien narrative que formelle, puisque tout change en permanence, on peut observer longuement et simplement Jake en train de prendre sa douche puis d’un coup passer ici en plan abstrait en forêt, là en plan esthétisant dans des reflets ou des embrasures. Et bien sûr il y a le fétichisme de cette pellicule abimée, légèrement scintillante, tremblotante. Et du grain. Beaucoup de grain. Il y a du Albert Serra, du Raya Martin, là-dedans.

     Un moment donné, notre homme entre dans le cadre et se jette à l’eau sur son bateau de fortune : Des bidons en plastique font office de flotteurs sur un matelas pneumatique. Que fait-il sinon se laisser dériver, silencieusement, religieusement, dans un mouvement quasi invisible sur les eaux calmes ? Rien mais il dérive. Et dès l’instant où il va glisser hors du cadre – le plan est resté fixe, lui – il donne un coup de rame pour y revenir. Mais l’espace d’un instant c’est comme s’il avait rebondi sur les bords. A partir de cet interminable plan – Huit minutes, quand même – le film semble avoir tellement vrillé qu’il est superbe, jusqu’au bout. Plus tôt, un plan, plus court, était aussi très troublant : On y découvrait une drôle de caravane échouée dans les airs, un pur moment de rêverie et de grâce qui rejoue un peu de notre enfance à construire des cabanes dans les arbres.

     Vers la fin, une photo trouble notre attention, plus que les autres. On y voit deux jeunes filles, souriantes mais un peu aveuglées par les rayons du soleil. Les filles de Jake, dans une autre vie ? On fabrique notre propre fiction, on tisse, on imagine ce qu’on veut. C’est assez agréable, finalement, d’avoir autant de liberté, de ne pas être enseveli sous le background ou la psychologie. Si Jake serait davantage une déclinaison de Thoreau et du personnage de Braguino et si les deux films n’ont strictement rien à voir ni formellement, ni du point de vue production, je retrouve un peu ici de ce que j’aimais énormément dans le All is lost, de J.C.Chandor, avec Robert Redford en navigateur égaré.

     Puisque Jake ne parle pas et qu’il est de tous les plans, il fallait compenser avec la matière sonore qui l’entoure. Et c’est très fort. C’est par le son que le film s’avère à mes yeux le plus passionnant. Le bruit des pas dans la neige, le murmure continu ou presque du vent, le chat qui fait sa toilette, le crépitement du feu, le chant des oiseaux, le coassement des grenouilles, la pluie. Il y a quoiqu’il en soit quelque chose de fragile et d’un peu suicidaire chez cet ermite, qui raccorde bien avec la forme hésitante du film, qui varie beaucoup, les échelles et les durées, les focales et les volumes sonores. Forts contrastes qui se démarquent déjà par l’image avec ces noirs charbonneux qui croisent ces blancs ardents. C’est sans doute cela qui m’a le plus séduit finalement, l’impression que la forme épouse complètement l’opacité de ce personnage : Ben & Jake en fusion.

     De là à y voir un autoportrait il n’y a qu’un pas, il n’empêche que ce docu-fiction sur un solitaire recroquevillé dans son quotidien et sa création, bref dans son monde, fait logiquement déplacer le portrait sur l’auteur lui-même dont on sait qu’il fonctionne en marge, soit au détour de courts-métrages expérimentaux, soit via des installations. Jake pourrait bien être l’alter-égo de Ben Rivers au point qu’on songe d’abord qu’il est Ben Rivers : On se demande si cet homme n’est pas en train de faire son autoportrait, d’autant que la plupart des plans sont fixes et longs. Le film ne fait pas toujours les bon choix, forcément, à virevolter ainsi, notamment dans son systématisme de l’écran noir pour les transitions, mais aussi dans son approche hybride de documentaire très mis en scène, d’un quotidien capté de façon pas forcément exhaustive puisque cet espace de liberté solitaire sort peut-être davantage de la perception de Ben que des habitudes de Jake. C’est une bien maigre gêne au regard d’un film aussi fort.


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silencio


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