Chercher la femme.
7.0 Un grand voyage vers la nuit est un film noir quasi abscons qui vire au film trip total, dans lequel un tueur est à la recherche d’une femme jadis aimée, dans son village natal de Kaili. On voit déjà certains s’enorgueillir de retitrer ça « Un grand voyage vers l’ennui » mais sitôt qu’on accepte sa dimension ouatée et son caractère stylisé, le nouveau Bi Gan est un voyage aussi doux que labyrinthique dans la mémoire (« Un rêve c’est une somme de souvenirs oubliés » dit le film un moment donné, ce ne sont peut-être pas les mots exacts, je cite de mémoire) et le cinéma aussi, quelque part, tant « son récit » repose sur l’originalité de son déploiement en deux parties aussi distinctes qu’elles se font écho, autant que par sa convocation de mythes, allant de Lynch (les récurrences rêve/réalité ne sont pas sans évoquer Mulholland drive) à Tsaï Ming-liang et Tarkovski, tant il est souvent question d’eau (Visage) et de ruines (Nostalghia), de chien et de zone (Stalker), de bouffe plein cadre en temps réel (La pomme évoque le chou des Chiens errants) voire de lévitation subjective (Andrei Roublev) sans oublier son amour pour le Millennium mambo, de Hou Hsiao-Hsien, qu’il remercie d’ailleurs au générique.
Disons qu’au regard de ces références, Un grand voyage vers la nuit pourrait n’être qu’un beau film cadeau-clins d’œil et pourtant il trouve sa singularité, un vrai regard, une vraie personnalité, puisque s’il rappelle un film, en priorité, c’est bien Kaili Blues, le premier film de l’auteur. Certes, celui-ci me touche moins, me surprend moins aussi, probablement, mais j’aime beaucoup l’humilité de son geste qui a pourtant tout pour être arty-prétentieux : Principalement lors de cette deuxième partie, ce plan-séquence d’une heure, durant lequel il me semble que le film vire moins à la prouesse et à l’explicatif (Si plein de choses résonnent avec ce qu’on voit, entend dans la première partie, rien n’est jamais définitif dans le cinéma de Bi Gan, tout n’est que sensations) qu’au ludique : Il faut jouer au ping-pong puis au billard pour avancer. C’est un jeu. Un tour de magie perpétuel : Le personnage traverse une vallée à bord d’un télésiège, puis bientôt, s’envole, littéralement. Il n’y a pas de limite. Et d’ailleurs on discerne quelques tressaillements dans le plan, parfois, on peut même percevoir les instants où l’auteur s’est protégé pour éventuellement coupé – on parle de sept prises. C’est aussi ce qui galvanise dans le cinéma de Bi Gan, ça pourrait peser des tonnes, aussi bien dans le fond que dans la forme, mais il y a une légèreté qui domine, le plaisir de filmer, de raconter et de se perdre dans ce qu’il raconte, qui s’avère absolument réjouissant.