Archives pour la catégorie Bong Joon-Ho

Parasite (Gisaengchung) – Bong Joon Ho – 2019

04. Parasite - Gisaengchung - Bong Joon Ho - 2019Une affaire de monstres.

   8.5   Memories of murder, The host, Mother, Snowpiercer sont autant de réussites majeures qui feraient frémir n’importe quel cinéaste. Pourtant, Parasite est, j’annonce, le meilleur film de son auteur, qui est arrivé à un point de maturité et de confiance en son art absolument incontestable. J’en aurais bien repris du rab et je veux d’ores et déjà y retourner. Palme d’or méritée bien qu’il méritait aussi les autres prix : La mise en scène, aussi évidente que virtuose ; le scénario à tiroirs, malin, d’une richesse hallucinante ; les acteurs tous étincelants. Bref, c’est une grosse claque, une sorte de mélange entre le Elle, de Verhoeven, Une affaire de famille, de Kore-Eda, Us de Jordan Peele et La cérémonie, de Claude Chabrol.

     La séquence d’ouverture annonce la couleur. Une petite fenêtre donne sur un trottoir. Un traveling vertical fait chuter le plan : Il faut aller en-dessous le sol pour voir les personnages de cette histoire. Alors qu’ils sont en quête de wifi, pestent contre l’installation d’un mot de passe sur le réseau du voisin qu’ils pirataient jusqu’alors, la caméra de Bong Joon Ho glisse dans ce taudis d’une pièce à l’autre avec une aisance confondante : En quelques minutes, on voit chacun de nos quatre personnages et on discerne la topographie des lieux. Echoués dans cet entresol, confectionnant des boites à pizza pour une chaine de restauration, la petite famille se fait littéralement pisser dessus par les badauds bourrés et enfumer par les entreprises de désinfection.

     C’est l’opportunité d’une arnaque un peu folle qui va progressivement grandement améliorer leur quotidien. Après avoir obtenu la falsification d’un diplôme, voilà le fils de la famille, Ki-woo, recommandé par un vieil ami mieux loti que lui, pour le remplacer et donner des cours d’anglais à la fille d’une riche famille des hauteurs de Séoul, les Park. L’entrevue se passe bien. Et Ki-woo entrevoit alors une autre opportunité : Puisque Mme Park est persuadée que son fils est un dessinateur de génie, il va lui conseiller de prendre un professeur de dessin et lui recommande l’une de ses connaissances, une art-thérapeute très prisée. Et c’est ainsi que Ki-jung, sa sœur hérite d’un job. Et qu’en est-il de la domestique et du chauffeur ? Les Kim avancent leurs pions sans que les Park ne soupçonnent la supercherie, mais pour combien de temps ? Certains auraient fait un film ne serait-ce qu’avec cette quadruple fantastique idée. Bong Joon Ho se chauffe tout doucement, lui.

     Il y a un élément sur lequel je tenais à revenir un peu. Lorsque la domestique est violemment évincée de son quotidien, de façon particulièrement dégueulasse – une histoire d’allergie à la peau de pêche transformée en menace de tuberculose – le film est tellement dans une mécanique burlesque torride à renfort d’un savant découpage comme on en ferait dans un film de braquage, et de plans ralentis, très composés, qu’il me gêne un peu, dans sa façon de nous faire jubiler en écrasant cette femme que le récit n’a pas creusé par cette famille, certes cruelle et malveillante, mais à laquelle on s’est forcément attaché depuis le tout premier plan. Là j’ai pensé que Bong allait peut-être trop loin. Mais le grand twist effacera magistralement ces doutes. Ça et sa manière de combiner si bien le drame et la comédie noire, la lutte des classes et le thriller horrifique, de jouer des ruptures de tons, des rebondissements. On en a pour notre argent.

     Je ne voudrais pas en dire davantage, il vaut mieux le voir pour le croire. Ça fait plaisir de voir un film aussi fort, dense, drôle, féroce, qui surprend, angoisse, sidère en permanence, mais qui garde son cap malgré tout, sa ligne claire, ne s’abime jamais en chemin. Et s’étire quand il faut étirer : Toute la séquence nocturne c’est du jamais vu, parce que notre attention est partout, sous cette table, dans le jardin, sur ce canapé : Une scène de sexe, torride, insolite, durant laquelle les riches parlent de l’odeur des pauvres en surveillant leur gamin jouant à dormir comme les indiens dans son tipi érige le tout vers un sublime, aussi tendu que jubilatoire. Et Parasite a cette force qu’il les cumule, ces instants-là.

     Visuellement, c’est puissant. Il y a ce décor en escalier, notamment, qu’on distingue aussi bien dans le quartier sécurisé – et à l’intérieur même de la demeure – que dans les sous-sols des pauvres, ainsi que cette lumière si particulière en haut, en bas. Surtout Bong capitalise sur l’architecture de cette immense maison d’architecte qui vient en opposition au cagibi qui ouvrait le film : Alors que tout semblait bouché là-dedans, que les plans emprisonnaient les personnages entre les meubles et les cloisons dans de petits corridors minuscules, il y a de la place à foison ici, c’est lumineux, épuré, immense et tellement spacieux qu’on a l’impression qu’on pourrait découvrir des recoins tout le temps, ce que le film va évidemment s’amuser à faire.

     C’est un film immense, imprévisible, d’une beauté aussi terrifiante qu’elle est galvanisante – Cette manière de filmer les « trois grands lieux/étages du film » c’est magnifique, d’offrir des pistes ci et là (l’instabilité du garçon qui jadis a vu un fantôme) mais de les disséminer tellement bien qu’on les oublie ; Et cette transition à mi-parcours – la plus belle scène du film – juxtaposant retour au bercail, verticalité sociale et catastrophe naturelle ; Sans parler de ce twist incroyable dont il ne faut absolument rien dévoiler tant il s’avère d’une puissance inouïe. J’aime tout ce que j’ai vu de Bong Joon Ho mais là ça me semble absolument colossal, vraiment.

Snowpiercer (Hangeul) – Bong Joon-ho – 2013

photo_snowpiercerEnfance brisée.

     8.0   L’image qui traverse le film, placardée, imaginée ou saisie à la volée, c’est celle du destin accablé d’un enfant. Ecoliers manipulés dans un wagon/salle de classe enseignant des valeurs hautement fascisantes. Le récit d’un nourrisson sauvé du cannibalisme en échange d’un bras adulte (L’idée même que la chair enfantine soit la plus convoitée est aussi fort que terrifiant). L’histoire d’un petit garçon plein de rêves qui lorsque le monde file à son extinction substitue son génie inventif à la vilenie de la survie à tout prix. Mais aussi en tant que moteur mélodramatique direct, le départ de ces deux gosses, enlevés aux mains de leurs parents, pour, nous l’apprendrons à la toute fin du film, faire fonctionner la machine dans un cockpit minuscule. A ce propos, sur les deux enfants mesurés puis embarqués, l’un ne réapparaitra jamais, dont on suppose qu’il existait uniquement en tant que remplacent potentiel à une éventuelle défaillance du premier. L’innocence anéantie est à mes yeux le vrai sujet du film.

     Nous sommes en 2031. La Terre est victime d’une nouvelle ère glaciaire. Le remède miracle au réchauffement climatique a eu des répercussions quelque peu excessives. Les seuls survivants du cataclysme sont parqués dans une arche métallique depuis 17 ans, parcourant le globe indéfiniment, s’engouffrant dans les infinies plaines glacées tel un serpent dantesque, brisant la glace sur son chemin de manière à la transformer en eau potable. A l’intérieur du train, les travers de l’humanité se sont reconstitués via ces hiérarchies arbitraires entre classe. A l’avant sont réunies les classes les plus aisées, à l’arrière les plus défavorisées, sorte de Titanic à l’horizontal – Les classes sont aussi séparées par des portes. Oligarchie que les opprimés s’apprêtent à renverser en espérant trouver un moyen de remonter les wagons et d’affronter celui qui gère cet ordre absurde établi.

     Le film s’ouvre dans la crasse. Dans un dédale obscure, étroit, où tous s’entassent sur des paillasses superposées et vivent de ce qu’on (le wagon suivant) veut bien leur donner à manger : Une brique de gelée noire, sorte de gros réglisse gélifié, peu ragoutant au premier abord. Un enfant est d’accord pour échanger son repas contre une demi-heure de ballon. Un indic à l’avant leur envoie des messages à l’intérieur de leur brique de bouffe. On ne comprend pas vraiment ce que chaque mot découvert façon Fort Boyard ne signifie sinon qu’il attise l’idée de rébellion qui semble indéfiniment planer sur ce wagon de queue. Nous comprendrons bien plus tard.

     Toute la remontée du train par le peuple résistant prend une trajectoire surprenante, informe, ne respectant que partiellement la très attendue progression par wagon, calquée sur le modèle du jeu vidéo, avec ce boss final tant évoqué, le fameux Wilford ici. Bong multiplie en effet les morceaux de bravoure (le film étant avant tout une grosse matrice hollywoodienne) mais ne frappe jamais là où on l’attend vraiment. Il structure à ce titre trois grands combats, dépourvus d’évolution idéale ou archétypale, juste avec la dose et le pouvoir d’abstraction qui caractérise son cinéma. C’est un affrontement à mains nues contre des gardes impuissants. Une véritable boucherie à la hache dans l’obscurité. Un corps à corps extrêmement brutal dans un sauna fumant.

     La première situation épique est la plus représentative d’un certain modèle américain, rencontré à la fois dans les films de guerre ou d’heroic fantasy, avec sa structure épileptique et illisible, pourtant elle surprend déjà dans sa conception et ses enchainements. En effet, le personnage de Curtis apparait d’ores et déjà en tant que leader évident mais il est soudainement supplanté, le temps d’une courte scène, par un jeune yamakasi, encore inconnu du spectateur jusqu’alors, courant sur les bidons, se faufilant sur les parois, afin de récupérer en moins de deux les clés d’une porte, accrochées en pendentif au cou d’une brute épaisse prenant effectivement et provisoirement ici l’apparence d’un boss de niveau. Le film saura parfaitement se départir de ce schéma initial certes intéressant (pour un film de baston et de rébellion) mais assez peu passionnant. La belle idée de cette séquence c’est le coup de poker du héros qui soupçonne que les armes des gardes sont vides, les munitions étant épuisées, pari-t-il, depuis le dernier soulèvement.

     Le récit regorge d’inventions lumineuses voire burlesques qui redéfinissent chaque fois un nouvel horizon, le cinéaste de The Host prouvant qu’il ne se satisfait jamais des facilités, qui plus est si son film est ici cerné par la production hollywoodienne. C’est ici un moyen de torture farfelu consistant à ouvrir une trappe/hublot donnant sur l’extérieur, par laquelle le bras du condamné est glissé quelques minutes jusqu’à n’avoir au sortir plus qu’un membre de pierre que l’on sectionne aussitôt à la masse. Ce sont les punitions des rebelles. A voir des membres manquants chez d’autres on se doute que ce n’est pas le premier à tenter d’enfreindre l’ordre, symbolisé ici par des militaires armés qui à chacune de leur entrée comptent la population du wagon, ligne par ligne. Ou alors c’est ici un wagon dortoir vide, sans doute celui des militaires abattus, où nos rebelles verront pour la première fois depuis fort longtemps la lumière du jour via ces rayons aveuglants du soleil, leur ouvrant la vue sur un véritable champ de ruines qu’ils n’avaient jamais pu voir : un monde sous la glace. En décalage encore aussi on peut évoquer cet arrêt providentiel dans un bar à sushis, agissant en tant que sublime pause autant qu’improbable au milieu du vacarme, où Curtis oblige la sous-fifre de Wilford, Mason (méconnaissable Tilda Swinton) à manger, à la place des appétissants sushis, le repas quotidien des wagons de queue dont il sait dorénavant qu’il est entièrement préparé à base de cafards et autres blattes. Le film voyage à merveille entre le poétique et le grotesque, le burlesque et la terreur. Prenons la première apparition de Mason, affublée de postiche et dentier improbables, aussi terrifiante que désopilante, avec cette manière inattendue de la voir chercher ses mots, d’être à la fois paumée dans les directives qu’elle donne et celles qu’elle semble recevoir. On dirait une très mauvaise actrice mais c’est finalement son personnage qui joue ici, c’est donc son personnage qui est mauvais acteur.

     La faculté du cinéma de Bong Joon-ho c’est aussi de se séparer aisément de certains éléments et sur ce point Snowpiercer est loin d’être avare. Le combat dans la pénombre en est l’esquisse déjà douloureuse de celle du sauna qui est un florilège de pertes avec notamment un duel incroyable, quasi une mise à mort, où une lame traverse la paume d’une main placée en bouclier avant d’entrer dans le cœur dans une séquence filmée à l’étreinte, corps à corps brut, qui prend l’apparence d’un baiser langoureux. Les personnages paraissent importants (parce qu’ils ont été longuement introduits dans la première séquence pré soulèvement) mais tombent littéralement comme des mouches.

     Mais parlons du train : Il suit un processus logique et perpétuel en faisant le tour du globe durant une année complète. Comme si l’humanité avait voulu garder un semblant d’ancrage avec les lois astronomique pour ne pas sombrer dans un vide continu. Toutes idées inhérentes à cette temporalité sont alors intéressantes. Franchissant les mêmes endroits année après année, certaines parcelles de rails sont quelquefois recouvertes de glace et le monstre de fer se doit de foncer sans réflexion, afin de garder sa concordance avec la trajectoire de la terre autour du soleil, au risque de se voir anéantir définitivement dans un gouffre béant. Ce sont là des corps de rebelles d’un autre temps, réduits à l’état de statues de glace, apparaissant chaque année sur le haut d’un récif montagneux, que des enfants manipulés pourront observer perpétuellement leur rappelant l’inutilité d’un soulèvement, le souvenir de l’échec. C’est ici un avion crashé que Namgoong Minsu observe chaque année constatant qu’il est de moins en moins recouvert de neige, interprétant une possible fonte. Ou encore c’est ce moment incroyablement loufoque, où l’on fait temps mort en plein combat en faisant le décompte de la nouvelle année. Le train serait donc ce nouveau monde qui aurait gardé de l’ancien ces quelques fondements afin que l’Homme ne cesse de se souvenir de ses origines.

     La surprise étendue par cette fin grandiloquente est multiple. Au-delà de sa puissance mélodramatique et panthéiste (l’enfant sacrifié, le recommencement) elle créé une sorte de vertige politique visant à déréaliser toute forme de révolution en pointant du doigt le dogme des instances riches, qui contrôleraient chaque soulèvement l’utilisant à sa guise pour réguler les populations. Aussi, cela crédibilise certaines situations extrêmes sinon douteuses comme de voir Curtis peu mis en danger ou Gilliam débarquant à chaque transition de combat comme une fleur. Ce face à face final symbolise à lui seul le cinéma du coréen, qui manie à merveilles les contradictions mais surtout il remplace cet attendu face à face par la foi de ses deux personnages coréens, père et fille, défoncés au kronol (drogue comme seul refuge mental des plus aisés, trop onéreux pour les autres), qui sont les seuls à penser qu’il est dorénavant possible de survivre sans le train. Lui connait le mécanisme électrique permettant d’ouvrir les portes puisqu’il a participé à leur conception. Elle a la faculté de voir plutôt de sentir tout ce qui se trame derrière chacune d’elles avant qu’elles ne s’ouvrent. Le film semble alors dire que toute résistance a ses glissements, aussi inimaginables soient-ils (l’ère glaciaire arriverait à son terme) et que cela passe par une refonte totale du monde, de ses hiérarchies et de ses mœurs.

     C’est un film-monde, baroque, délirant et jubilatoire. Un huis-clos même pas étouffant car toujours en mouvement, en bifurcation, en oscillation, avec cette récurrence d’un wagon une esthétique. Je n’ai pas lu la source d’inspiration directe (ça ne saurait tarder) à savoir la bande dessinée française, mais parait-il que le cinéaste n’a gardé que la trame de base, laissant libre court à ses libertés habituelles, ce que je trouve réjouissant, surtout quand on sait que Snowpiercer est une production éminemment internationale.

The host (Gwoemul) – Bong Joon-Ho – 2006

the_host_2Créature des temps modernes.    

   7.0   La première chose à laquelle j’ai pensé en regardant The Host c’est au chemin parcouru depuis Memories of murder, en terme de flamboyance. Attention je ne suis pas en train de dire que celui-ci est meilleur que le précédent, il est même fort possible que je garde un léger faible pour Memories of murder, et surtout pour Mother qui me touche beaucoup plus que les deux autres mais ce qui frappe ici c’est la vitesse avec laquelle on est plongé dans l’intrigue. Trois minutes dans un laboratoire suffisent pour introduire ce qui suivra. Un américain (Bong Joon-Ho n’aime pas trop les Américains) donne l’ordre à son collègue de vider des produits toxiques dans l’évier, tout se déversera dans le Han. Six ans plus tard un monstre marin hybride aura investit les lieux et s’apprêtera à se délecter de la population humaine locale.

     Plus qu’un simple film de monstre, The Host est une tragédie de famille. C’est un film de relais. Où lorsque les uns meurent, d’autres prennent la suite, lorsque certains sont arrêtés ou enfermés, d’autres, de la même famille, les remplacent. On craint autant les autorités que la bête dans The Host. Les premiers se révèlent même peu à peu beaucoup plus dangereux, Bong Joon-Ho ne leur offrant pas la poésie qu’il donne à son monstre. Lorsqu’il y a un uniforme à l’écran, il fait peur. Le monstre n’effraie pas, lui, on l’admire plus qu’autre chose. Dans sa singulière façon de se déplacer. Les plus beaux instants du film se situent au tout début lors de son apparition, et le chaos général qu’il procure, sur les berges du Han. La photo est sublime. Puis dans un registre plus fermé, plus glauque, caverneux dans les égouts de la ville, où la bête emporte ses victimes humaines, qu’elle dépose ou dégurgite.

     Il y a des choses que j’aime moins. Je n’aime pas trop l’idée de distribution de rôles. Où chaque personnage aurait une importance conséquente, pour ce qu’il sait faire, comme souvent dans les films de Shyamalan par exemple. L’attardé de la famille, narcoleptique chez qui l’anesthésie ne fait pas son effet. Le frère un peu ninja too much sur les bords. La sœur championne de tir à l’arc, très importante dans la séquence finale. Chez Shyamalan ça me plait car il y a tout un dispositif construit autour de ça. On jouit de l’instant. Comme c’est le cas dans La jeune fille de l’eau. Dans The Host ça n’existe pas pour nous faire jouir, c’est là mais un peu inutile, ça pourrait être autrement, plus harmonieux, plus fin. Sans compter que par moment je trouve les jeux un peu limite, caricaturaux. Lors de la séquence cérémoniale avec les photos des victimes j’ai un mal fou à y croire, l’emphase me sort complètement du film. Après je pense que le cinéaste a voulu jouer sur ces deux niveaux : la grande tragédie et un côté burlesque. Enfin c’est évident, il y a de nombreux moments qui prêtent à sourire. Mother fonctionne de la même manière. Mais ça se fond dans un ensemble. Pourtant j’ai déjà envie de le revoir. Pour sa photo et son organisation de l’espace hors du commun. Par moment j’ai pensé à de l’opéra. Spectacle et poésie.

Memories of murder (Salinui chueok) – Bong Joon-Ho – 2004

Memories of murder (Salinui chueok) - Bong Joon-Ho - 2004 dans Bong Joon-Ho memories_of_murder_2-300x200Le tueur sans visage.

   7.5   Hollywood semble planer sur tout le film du cinéaste coréen. Intéressant de voir comment il utilise une méthode que l’on appellera occidentale en y injectant sa culture et son sens de la mise en scène qui lui est propre. D’ailleurs les Américains sont évoqués à de nombreuses reprises durant le film. Ils sont la technologie supérieure, le dernier recours, l’espoir avant de ne devenir qu’une simple mauvaise inspiration. Avant de devenir, eux aussi, inefficaces. C’est un film sur l’indépendance. Parfois même on y voit de la compétition. Le modèle occidental donc, toujours en ligne de mire, mais aussi celui, dans le film, de ces deux policiers. L’un, flic du village, qui semble patauger dans une affaire trop grande pour lui. L’autre, qui lui vient en aide, flic de Séoul, qui semble déjà baigner dans ces fameuses méthodes Américaines. C’est un film sur l’impuissance évidemment, et c’est ici que le film puise son intérêt majeur, n’offrant pour ainsi dire jamais d’espoir, de porte de sortie, à l’image de l’inexistence totale d’indices.

     Bong Joon-Ho joue sur la répétition classique du film de serial killer à la Seven. Deux flics enquêtent, cherchent les preuves, sont en désaccord, arrêtent les mauvaises personnes, tentent d’apprivoiser une dynamique du meurtre. Si, dans le film de David Fincher, ils savaient d’emblée qu’ils se frottaient à un tueur qui exécuterait sept personnes selon une rigourosité méthodique, dans Mémories of murder c’est tout l’inverse. Jamais les deux policiers ne sont en avance. Les empruntes et autres indices sont souvent inutilisables, la pluie efface tout. Elle est omiprésent jusqu’à cette fin sublime sur cette voie de chemin de fer. Alors on s’invente des preuves afin de cantonner le tueur à une manière d’agir récurrente. Le haut rouge par exemple. On ne voit plus que ça un moment donné. Puis une nouvelle victime apparaîtra, elle ne sera pas vêtue de rouge. Il y a comme ça une impression de ne jamais y croire pour le spectateur. C’est cette impuissance qui est forte à mon sens, ces visages paumés durant tout le film. Ces corps qui donnent mais à qui l’on offre rien en échange. Ce vertige perpétuel.

L’histoire est tirée d’un fait divers authentique. Celui du premier serial killer de Corée. Il aurait tué dix personnes, dans un rayon de deux kilomètres, chaque fois un soir de pluie et n’aurait jamais été retrouvé. Le cinéaste coréen adapte ça magnifiquement. Il crée une attente, un suspense, espérant faire croire au spectateur que le tueur est là, sous ses yeux. Finalement plus que Seven, c’est de Zodiac, toujours de Fincher, que Memories of murder se rapproche. Et il a été fait avant. Cette façon de suivre l’enquête qui n’avance pas, qui chaque fois se trompe d’aiguillage. Et en parallèle de parfois suivre, en vue subjective, le nouveau meurtre. Ce que j’aime tout particulièrement ici c’est justement ce cachet réel qui transparaît de cette histoire. C’est la première fois dans un film asiatique, de ce genre, que je vois des flics aussi humains. Bien entendu c’est dû en particulier à cette impuissance redondante mais aussi à leurs comportements pulsionnels. On se fou sur la gueule, on casse plein de trucs, on tabasse les suspects. On tourne en rond. C’est un film humide, il pleut c’est vrai mais on transpire beaucoup aussi. Et c’est toujours basé sur « le tout est possible, tout est suspect ». Il y a une économie d’effets, une économie musicale aussi. Les soupçons tombent puis disparaissent.

Finalement je regrette qu’une seule chose. Que l’on ne s’intéresse pas en profondeur, je veux dire vraiment en profondeur, à ces deux flics, surtout celui de Séoul. Lorsque l’assistant du flic local apprend qu’il doit se faire couper la jambe, il y a climat émotionnel très intense à cet instant. En fait il y a une telle proximité entre les policiers que je trouve dommage de ne pas avoir vraiment tiré parti de ce potentiel, un peu comme l’aurait fait un James Gray par exemple. Je suis donc en admiration, principalement durant la dernière demi-heure, mais ça ne me touche que très peu, excepté la toute fin, qui m’a scié.

Mother (Madeo) – Bong Joon-Ho – 2010

Mother (Madeo) - Bong Joon-Ho - 2010 dans Bong Joon-Ho 19100510

La danse rouge.     

   7.0   Mother parle de surprotection des progénitures. C’est l’histoire d’une mère, qui tellement amoureuse de son fils un brin simplet qu’elle élève seule depuis toujours, est prête à tout, même à tuer, pour l’innocenter dans une affaire de meurtre. Le père est absent. Peut-être est-il mort il y a longtemps ? Peut-être n’a t-il jamais voulu reconnaître son fils ? Finalement on n’en saura rien, et c’est bien mieux comme ça.

     Comme dans Memories of murder, l’humour est très présent. Il désamorce provisoirement le processus mélodramatique. En général ce sont les séquences avec Do-Joon. Il lui arrive sans cesse quelque chose. C’est ce qui le rend très touchant. Il a un désir d’indépendance impossible assez formidable. Après cette fameuse nuit il rentrera chez sa mère, se couchera à ses côtés en position fœtale. C’est un enfant. Il y a eu meurtre, le fils est arrêté, toutes les preuves l’accablent. Policiers satisfaits, la mère mène son enquête. Elle ira jusqu’à soupçonner le meilleur ami de Do-Joon. Elle ira jusque chez lui, en quête de n’importe quelle preuve, et trouvera ce club de golf ensanglanté. Elle arrive au poste de police, essoufflée, trempée. Elle ne fait que courir. Il pleut énormément. Dans Mémories of murder il pleuvait que le soir, au moment des meurtres. Dans Mother il pleut presque tout le temps. Dès qu’elle est dans le cadre. Elle est tellement convaincue de l’innocence de son fils que ce qui n’est pas preuve devient preuve. Du coup ce comportement la rend quelque peu antipathique, dans sa manière de faire progresser son enquête. Ce besoin de remplacer la culpabilité de son fils. D’utiliser les objets des morts. De convoquer le mémoire des vivants en mettant le malheur de son fils au centre de tout, devant le meurtre de cette femme même. Lorsque ce policier lui dira qu’il ne peut plus s’occuper d’elle, lui avouant que son fils est désormais une affaire classée, j’ai ressenti comme de la colère aussi, et finalement cette mère va la traduire cette colère.

     C’est un film d’objets. Je crois que toute ma fascination progressive est venue de là. J’aime l’idée de l’avancée par l’objet. Très enquête policière et pourtant ici rendue très intime. Un collier perdu sur le lieu du crime. Une balle de golf. Deux éléments qui condamnent presque irrémédiablement Do-Joon. Ce téléphone portable qui représente l’espoir de la mère, celui qui détient peut-être la vérité. On peut même évoquer les marques : le sang, la photo. Autant d’éléments qui prennent peu à peu leur importance. Puis il y a cette boite d’aiguilles, que Do-Joon retrouvera sur un lieu d’incendie où un vieil homme a péri. Scène en écho à son souvenir récupéré, quand il avait cinq ans, lorsque sa mère avait tenté de l’empoisonner. C’est la fin du film, spirale émotionnelle hors du commun. Quelque part, cette mère, pour avoir réussi à faire sortir son fiston, a cassé une amitié, et détruit deux vies. C’est l’individualisme vu par Bong Joon-Ho. Individualisme forcé bien entendu, là est tout l’intérêt, quand on découvre cette totale incapacité des flics et des avocats. Au départ elle ferait presque les choses dans les règles cette pauvre maman, mais comme on ne l’écoute pas, elle prend les armes. Cette femme qui devient créature vengeresse puis meurtrière, le cinéaste ne lui offre aucune légitimité. Il en fait simplement un être humain. La dernière séquence dans ce bus de voyage pour personnes âgées (on devine) est un instant qui en dit long sur le pouvoir unique que détient l’être humain face à ses maux profonds, à sa rancœur. Ce pouvoir c’est l’oubli. On peut choisir d’oublier. Do-Joon n’avait probablement jamais eu le choix. Sa mère a toujours fait en sorte qu’il oublie tout pour mieux avancer. A lui demander maintenant de se rappeler elle a peut-être condamné leur relation.

     Il y a un montage fabuleux, très modèle américain, avec flash-back essentiels et reconstruction, par point de vue, par la mémoire, de l’instant clé du récit. Franchement on se croirait chez De Palma. Il y a du Clint Eastwood aussi. Dans son approche classique. Mystic River ne rôde pas très loin. Pour le côté mélo principalement et sa belle galerie de personnages. Et c’est vrai qu’il y a une virtuosité chez ce jeune cinéaste coréen. Il se plait à filmer des récits incroyables avec une mise en scène, sinon inventive, complètement efficace. Personnellement je marche à fond. Surtout qu’il s’entoure d’acteurs absolument impeccables. Son film passe à une vitesse folle. Je suis admiratif du travail technique et l’histoire m’emporte d’un bout à l’autre. Si la danse initiale m’intriguait, la danse finale m’a carrément terrassé d’émotion.


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