7.0 La faute à des échos pour le moins mitigés, je n’étais pas allé voir le dernier Mendoza lors de sa sortie en salle, en 2012. Cinéaste que j’aime pourtant infiniment et qui ne m’avait alors jamais déçu. Mais il faut bien reconnaître que le projet sentait moyennement bon : Faits réels, gros budget (pour du Mendoza), actrice française de renom, nombre d’éléments qui ne collaient pas vraiment au style et aux tentatives fauchées et spontanées habituelles du cinéaste philippin. Bien mal m’en a pris tant c’est du pur Mendoza. Sans doute pas ce qu’il a fait de mieux mais c’est exemplaire, au moins autant que Lola ou Masahista. C’est un film âpre, tendu, violent mais le cinéaste n’est pas tombé dans la complaisance pour autant, fidèle à son dispositif de plongée habituelle, il a laissé tombé le film de genre qu’était Kinatay (L’un des plus beaux films d’horreur « naturalistes » de ces dernières années) afin de s’accommoder aisément au film engagé, en gros. C’est assez classique, mais excellent de bout en bout, sans fausses notes rédhibitoires. Et puis ça résonne bizarrement aujourd’hui, spécialement aujourd’hui. Etrange d’effectuer un parallèle entre ma perception d’hier, de ce terrorisme joué sur un écran, forcément lointain, et celui réel d’aujourd’hui, qui nous touche de plein fouet, ne laissant derrière lui que tristesse et indignation. Dans une séquence forte , alors que les otages sont retenu en pleine jungle depuis au moins trois mois, leurs ravisseurs fêtent la réussite de leurs compères extrémistes qui à l’autre bout de la planète accomplissaient leur opération suicide un certain 11 septembre 2001. L’info arrive par radio et le commando exultent au beau milieu de leurs âmes kidnappées. Comment ne pas penser en ce jour de deuil national, aux horreurs qui se sont déroulées ce matin à Paris, chez Charlie ? Le cinéma a parfois ce pouvoir de coïncidences tragiques là.
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La vieille fille.
7.0 Le cinéaste philippin récidive. Après les superbes John John, Serbis et Kinatay où il s’intéressait respectivement à une mère porteuse qui devait se séparer de son fiston âgé de trois ans, au quotidien cru et frénétique d’un cinéma porno et de la famille qui le gère, à un voyage au bout de l’horreur d’un jeune homme fraîchement marié, voilà que Brillante Mendoza nous demande de suivre deux grands-mères en pleine survie, dans un chassé-croisé bouleversant. Une lola est une grand-mère aux Philippines. Ici il y a lola Sepa, qui cherche à offrir de dignes sépultures à son petit-fils tué d’un coup de couteau la veille dans un coin de Manille, tout en réclamant que justice soit faite. Il y a aussi lola Puring – qui apparaîtra à l’écran après un bon quart d’heure – qui n’est autre que la grand-mère du garçon meurtrier, qui va tout tenter d’abord pour le disculper, puis arranger le problème ‘à l’amiable’ avec l’autre famille. Comble de la situation impossible dans laquelle est engluée la ville, et donc le pays, ce sont ces deux vieilles femmes qui semblent combattre les éléments, les distances, les lois et la mort. Dans une première séquence hallucinante, lola Sepa marche contre le vent et la pluie, un parapluie dans une main, le bras de son petit-fils dans l’autre, dans les rues de Manille sans que l’on sache trop pourquoi dans un premier temps. Séquence très longue, qui rappelle beaucoup les premières images de John John, où l’on apprivoise le climat hostile et les rues bruyantes de ces ruelles. Jamais un film n’aura d’entrée été aussi immersif, on n’est pas loin de capter certaines odeurs. Finalement, lola cherche simplement à allumer puis déposer une bougie à l’endroit où son fils est décédé. Même l’allumage de la bougie est une épreuve fatigante, alors on sait que durant tout le film il s’agira d’une épreuve, que l’environnement n’aidera en rien les désirs de nos lola.
Mais la grande force, une fois de plus, du cinéaste est de ne pas expliquer certaines motivations. Ainsi il est tout aussi simple de comprendre les démarches des lola (quoique…) qu’il est difficile, sinon impossible, de comprendre celles de leur entourage. On ne saura jamais ce qui s’est véritablement passé entre leurs deux petits-fils, ce n’est de toute façon pas ce qui nous intéresse. De la même manière on peut percevoir les limites de ce cinéma très empathique, car proche des personnages à l’infini : chez Ken Loach par exemple, où le processus de victimisation est poussé à outrance, ce qui paradoxalement nous éloigne des personnages. Chez Von Trier aussi bien sur. Mais chez Mendoza, que l’on rapprochait plutôt d’un cinéma Dardennien, quoique les motivations concernant ne serait-ce que les éléments soient totalement différentes, il y a autre chose : C’est le fait de suivre les personnages et de casser par moment cette empathie évidente en les montrant effectuant des gestes, des actions qui peuvent les rendre antipathiques. Ainsi l’acharnement de lola Sepa qui voudrait voir mourir sur-le-champ le bourreau de son petit-fils. Ou encore la malice de lola Puring lorsqu’elle vole son client à l’usure (le billet de 50 pesos) où lorsqu’elle tente de manipuler les sentiments de l’autre lola en lui parlant de ses rhumatismes. C’est ce qui rend passionnant ce double voyage qui se chevauche durant deux/trois instants. Car à la fin de ce périple, toutes deux seront à égalité, comme elles l’étaient déjà au début, elles tentent de survivre.
Le film atteint une puissance assez nouvelle dans le cinéma de Mendoza dans trois séquences particulièrement marquantes, pas forcément les plus fortes (au sens émotion brute) mais justement les plus douces, trois séquences suspendues, hyper poétiques. La traversée en barque dans les rues de la ville complètement inondée, avec ce cercueil blanc qui semble lui aussi traverser une épreuve (scène qui m’a fait penser au meilleur moment du Temps des gitans). La scène des poissons, complètement frénétique autant que surréaliste, mais tellement détachée de tout ça qu’elle laisse entrevoir un rayon lumineux, de même que cette autre séquence en dehors de la ville, de chasse aux canards plutôt inattendue. Là où quelque fois Mendoza ne laisse pas son spectateur respirer il faut reconnaître qu’ici il effectue un truc assez nouveau qui promet pourquoi pas un prochain film hors du commun, qui convierait cette ambiance néo-réaliste dans laquelle le cinéaste est définitivement ancré avec des envolées spirituelles, beaucoup plus détachées, que seul un cinéaste actuellement sait gérer : Apichatpong Weerasethakul, le thaïlandais, dernier lauréat à la palme d’or, dont le dernier film était déjà avant son prix celui que je voulais le plus voir de cette sélection. Bref, à suivre cette possible transformation du cinéma de Mendoza…
Il y a par moments quelques partis pris qui empêche le film d’atteindre une certaine perfection : Comme dans ses autres longs métrages des petites choses me gênent : la caméra tremblotante dans Serbis qui rendait le tout étouffant et puis l’endroit clos, alors que Mendoza est un maître dans la foule. Quelques scènes un peu trop démonstratives dans Kinatay, limite insoutenable. Ici c’est l’utilisation musicale (complètement inutile) et quelques plans dont on se serait bien passé. Mais en fin de compte et comme dans les films précédemment cités tout est presque légitime. Serbis est un film qui nous prive du mouvement de la ville à raison. Kinatay montre, logique puisqu’il s’agit d’un film d’horreur. Dans Lola la musique est vraiment de trop. Le climat est déjà très âpre, tendu, tellement fort en émotion qu’il est dommage d’avoir appuyer cela. Mais ça n’arrive que deux fois, et très brièvement durant le film, comment lui en vouloir ? Car à côté de ça je trouve John John absolument irréprochable, sauf que c’est sans doute celui des quatre qui me touche le moins, sauf durant les dernières minutes. En définitive soit je ne sais pas ce que je cherche, soit je place la barre trop haute. Il y a de fortes chances que ce soit au niveau de l’attente que ça se joue et au niveau de l’immersion, tant je vie chacun de ses films. Forcément, à y entrer corps et âmes à chaque fois, il peut y avoir quelques instants en dessous. Quoi qu’il en soit, c’est un très beau film.
Kinatay – Brillante Mendoza – 2009
Publié 1 décembre 2009 dans * 2009 : Top 10, * 730 et Brillante Mendoza 0 CommentairesVoyage au bout de l’enfer
9.0 Mendoza est l’un des grands cinéastes jeunes à suivre. John John et Serbis le prouvait, Kinatay le confirme. Ce dernier est son film le plus intense, le plus suffocant. C’est une expérience cinématographique hallucinante qui diffère quelque peu de ses précédents films et tant mieux. Dans les premières minutes on se croirait à nouveau dans John John. Même effervescence de la ville. Puis, lorsque la nuit va tomber c’est un nouveau visage que nous montre Mendoza. Un cinéma du temps réel ça on le savait déjà, un cinéma de l’horreur version torture réaliste, surtout un cinéma expérimental déjouant les sons de l’extérieur par des sons artificiels stridents, angoissants, rappelant certains films d’horreur, dont il est en train de s’approprier les codes, de les utiliser à sa manière.
Un jeune homme d’une vingtaine d’année, qui prend des cours de criminologie (ironie du sort, premier clin d’œil à un possible film de genre) afin de devenir policier, vit avec sa petite amie, avec qui il va se marier en début de film (nouveau clin d’œil via la suite de l’histoire au genre Horreur avec un événement important renforçant le paroxysme de l’histoire donc sa non-crédibilité) et son bébé de sept mois. Pour y survivre il fait des petits boulots nocturnes illégaux, principalement liés à la drogue. Balades dans Manille, mariage express à la mairie, passage devant un attroupement de journalistes et passants attendant le suicide d’un citoyen. Caméra à l’épaule, lieux très bruyants, Mendoza fait du Mendoza et déjà c’est assez magnifique.
Puis il y a une scission, une cassure très nette dans ce quotidien tracé. Un boulot plus important qui rapportera un max de fric. Peping est alors embarqué dans une bagnole avec d’autres types. Un long voyage en quasi-temps réel, se jouant entièrement dans le silence, avec seulement les bruits de la ville, les klaxons, les cris, et comme seule lumière les phares des voitures, les lampadaires sur les trottoirs. L’objet de ce voyage c’est une fille, appelée Madonna, qui n’a pas réglé ses dettes de dope. L’enlèvement est très violent, Peping ne peut pas broncher, il est déjà l’impuissant. La deuxième partie du voyage est d’une intensité rarement atteinte. En plus des bruits initiaux, ceux de la jeune femme, qui s’égosille pour rien derrière un amas de scotch, pleure à grands sanglots, ceux artificiels qui renforcent cet enfermement, la peur qui se joue sous nos yeux, nous qui découvrons tout en même temps que Peping. Nous sommes Peping finalement.
La dernière partie du film n’est pas racontable. Elle se vit. On bascule dans l’horreur suprême, le tout filmé de façon très pudique (en tout cas pour un film d’horreur). Filmé du point de vue de Peping. Nous voyons ce qu’il voit. Il ne peut agir et devient complice du drame. Aucune complaisance là-dedans, nombreuses sont les séquences insupportables que Mendoza se garde de nous passer. Ou seulement en hors champs. Seuls les sons seront présents. Peut-être est-ce pire ? Quoi qu’il en soit, ce voyage au bout de la nuit, où le levé du jour apparaît comme un coup de massue, un retour au réel (la circulation), aux besoins quotidiens (un morceau de bœuf ?), à la vie intime (une femme et son enfant) est le truc le plus malaisant vu cette année. Sans oublier cette incapacité de Peping à prendre un autre taxi à la toute fin du film. Cette impuissance (symbolique) qui le conduira à reprendre le même. La réalité de sa nuit cauchemardesque a rejoint la réalité de son quotidien. J’étais content d’en sortir. Et pourtant je rêve d’y retourner, tant c’est une expérience hors du commun.
Manille, labyrinthe.
8.0 Je me suis pris une claque. le genre de claque innatendue. Car même si l’an dernier j’avais beaucoup aimé Serbis, il m’avait aussi pas mal désarçoné, surtout l’abus de caméra épaule. Là j’adhère entièrement. Une journée dans un bidonville de Manille où une famille d’acceuil va être contrainte de rendre l’enfant qu’ils gardent (qu’ils ont adoptés provisoirement) depuis trois ans à une riche famille américaine. Mendoza filme les quartiers comme personne. Il filme un quotidien comme personne. sa fin est magnifique. Bref, Serbis et John John montrent que Brillante Mendoza est sur la voie pour devenir un très grand cinéaste, cru et atypique.
Huis-clos.
7.0 Brillante Mendoza a beaucoup de talent. Sa mise en scène d’abord, partagée entre plans épaules qui suivent les personnages, le fait de filmer des corps dans leur nudité de façon assez crue mais jamais en étant voyeur ou porno (il suffit de voir cet extrait de film dans le film, un porno kitchissisme et mal filmé comme on a coutume d’en voir dans les séances de minuit à la téloche en total opposition avec la réa du cinéaste Mendoza plus sensuelle et maîtrisée), et ce rendu huis clos (on ne sortira de l’établissement qu’à la toute fin du film) particulièrement judicieux.
Certes la mise en scène est très intéressante mais ne m’embarque pas comme j’aurai aimé l’être. Cette caméra qui bouge sans cesse file la nausée. Pourtant très souvent j’y crois beaucoup, je me laisse bercer, et par le bruit de fond de la ville, de sa circulation, par la lumière assez sublime qui traverse les murs par légers rayons, par ce voyage à travers chaque recoin de l’établissement. Il me faudrait le revoir.
En ce qui concerne le thème de son film, Mendoza est très percutant. Il s’agit en effet de nous plonger dans ce quotidien familial (on imagine d’ailleurs que l’histoire se déroule sur quelques heures) qui tient un cinéma pornographique, probablement en passe de s’éteindre un jour ou l’autre (le plan final à ce titre est magnifique), qui leur permet de vivre, plutôt de survivre. Et malgré tout ça, le cliché du cinéma porno que l’on connait est complètement évacué : L’enfant, cette jeune femme qui malencontreusement se retrouve enceinte, cette grand-mère dont la séparation récente avec son mari l’a gravement atteint sont autant de situations qui rappèlent que mêmes dans ces établissements, où la saleté règne, où la prostitution règne, où la misère règne, l’innocence est toujours partout. Si je ne suis pas entièrement convaincu, la faute à un parti prix presque documentaire peut-être, l’impression d’une prise de vue désintéressée, je trouve ça vraiment puissant, formellement. Et parfois touché par la grâce.