Archives pour la catégorie Cesar du meilleur film



La haine – Mathieu Kassovitz – 1995

32Cité abandonnée des dieux.

   9.0   Il y a les films qui sont des cultes de ton adolescence et que tu ne dois strictement pas revoir. Et il y a les autres. Comment savoir ? Ça se joue à la fois sur le vieillissement du film (A-t-il pris de la bouteille ou un coup de vieux ?) et sur ton vieillissement à toi, l’évolution de ton rapport au cinéma. Et c’est même plus complexe puisque l’humeur y tient un rôle majeur. Tout ça pour dire qu’il y avait un risque à revoir La haine, qui tenait une place importante dans ma maigre cinéphilie d’adolescent. Je ne l’avais pas revu depuis quoi, douze ans. Et agréable surprise, j’ai repris une claque comme à l’époque. Déjà il faut dire combien la mise en scène de Kassovitz est brillante, inventive, entièrement dévouée à l’espace qu’il vient capter autant qu’aux personnages. C’est une virtuosité qui n’est jamais gratuite ou bien elle se fond admirablement dans un ensemble visant une énergie qu’on n’avait encore peu vu jusqu’alors, qui plus est dans le registre de la chronique. Car contrairement au film de Richet (Ma 6-T va crack-er) qui joue plus la carte du polar à charge, La haine se concentre sur le terrain de la chronique, celle de trois jeunes d’une cité des Yvelines – Et à aucun moment le point de vue n’adoptera celui d’une autre d’entre eux – plongée en plein climat explosif depuis qu’un jeune s’est fait tabasser par un flic et navigue entre la vie et la mort. Le film se déroule sur une journée. Les heures viennent rythmer quelques fondus au noir. Dispositif souvent écrasant que Kasso utilise avec parcimonie, créant une étrange tension : Douce, puisque les journées de Vinz, Saïd et Hubert sont loin d’être foisonnantes ; Tragique, puisque dans cet écoulement impalpable (les cartons sont approximatifs, il n’y a aucun espèce de compte à rebours) quelque chose d’inéluctable est en train de se jouer. Surtout, le film voyage. Si en majorité, il se déroule dans la cité, celle-ci apparaît sous tous ses angles : appartements, toit, jardin d’enfants, parkings souterrain, arrière cour. Et quand on s’en extirpe, essentiellement dans son dernier tiers, c’est Paris que l’on vient capter. Un Paris refuge, un Paris cruel. Un dealer planqué dans une tour, une expo d’art, le métro. Le plan sur les trois potes allongés dans la gare devant l’écran qui leur annonce la mort d’Abdel au petit matin est l’un des plus violents que j’ai pu voir. Cette scène me terrifiait déjà à l’époque. Sinon je trouve le film nettement plus nuancé que dans mes souvenirs, j’avais gardé de La haine son esprit anti-flic mais il est bien plus ample, ne serait-ce que dans son trio (Pas un plan sans qu’on ne veuille mettre de baffe à Vinz et en même temps, il y a une fragilité dans son inconscience qui est très touchante) mais aussi chez les flics comme au moment ultra malaisant de l’arrestation où l’un des flics reste choqué, en retrait, autant que Saïd en fin de compte, quand il est spectateur du pétage de plomb de son pote s’apprêtant à buter un skinhead. Bref, c’est un film passionnant, qui plus de vingt après sa sortie n’a rien perdu de sa puissance et se révèle toujours excellent porte-drapeau d’une jeunesse opprimée. Le film est drôle ici, au moyen de répliques inusables (« Sans déconner, la façon dont tu viens de parler là, on aurait dit un mélange entre Moïse et Bernard Tapie »), pesant ailleurs. Point de brio documentaire, La haine est un brûlot qui tente plein de choses, notamment dans sa forme jusqu’à révéler deux mondes dos à dos qui ne peuvent que s’affronter de façon explosive après un si long refoulement. La fin est forte. Pourtant c’était elle que je craignais le plus, avec le côté boucle et la petite phrase d’Hubert, l’absurdité poussée à son paroxysme et la cruauté après l’instant rédempteur. Il y a le choc, oui. Mais il y a surtout une sécheresse, un corps effondré, un rire gêné, des yeux fermés bien plus forts et bouleversants que cette image des deux flingues/visages se faisant face. A part ça je ne me souvenais pas qu’on y croisait une pelletée de stars ou futurs stars, souvent dans des rôles minuscules : Karin Viard dans l’expo, Marc Duret, Zinedine Soualem et Bernie Bonvoisin chez les flics, Sergi Lopez aux merguez, Benoit Magimel sous un bonnet, Kasso himself en skinhead, Valeria Bruni-Tedeshi faisant la manche, Philippe Nahon chef de la police, Vincent Lindon bourré dans la rue, François Levantal (J’adore cet acteur, même chez Marschal) qui campe l’inépuisable Astérix « Eh ouai ducon, eh ouai » ou encore Edouard Montoute, Cut Killer. Bref, hallucinant.

Elle – Paul Verhoeven – 2016

13346500_10153706025187106_8812903165226418890_nLa féline.

   8.0   Si j’avais entièrement confiance en Verhoeven et sa capacité de se réinventer et de pervertir un certain type de cinéma, ce qu’il a toujours fait, je restais d’autant plus sceptique que je n’ai à ce jour (Mais il vient d’entrer dans le haut de ma watchlist) jamais vu Black Book, son dernier film en date (2006) avant Elle. Au départ, Verhoeven et moi c’est Total Recall, c’est Showgirls, c’est surtout Basic Instinct. Des films qui ont donc vingt ans, sinon trente.

     Elle a fait beaucoup de bruit lors de sa sortie cannoise (coordonnée avec sa sortie nationale, j’adore quand ça se déroule ainsi) et il en faisait déjà avant puisque pour la première fois, le cinéaste hollandais avait tourné en France, une production française, avec des acteurs français ; Casting aussi flippant qu’alléchant puisque réunissant entre autre Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Virginie Efira, Charles Berling, Vimala Pons et Anne Consigny. Quel rapport avec la choucroute ? Le truc délirant avant l’heure.

     La séquence d’ouverture donne le ton. D’abord l’écran noir, des cris, de la vaisselle qui casse ; relayé par le plan d’un chat, qui observe et ronronne. La dimension voyeuriste chère à Hitchcock s’incarne dans la peau d’un félin. On est déjà dans la farce. Une farce inquiétante, sauvage, dont la félinité à moins à voir avec l’indécence majestueuse (Le film ne va pas hésiter à cumuler les ouvertures flirtant moins avec le mauvais goût qu’avec le mélange des genres…) qu’au détachement malade, serein (…la folie des contrastes, l’audace d’une énergie noire comme stratégie de survie).

     Ainsi, de ce (premier) viol nous en verrons deux autres versions plus tard, avec son contre-champ violent (le souvenir) et sa représentation rêvée, vengeresse. Le procédé agit moins en tant que piqure de rappel et s’incarne aucunement comme un flashback, mais cherche à disloquer les règles du genre et surtout, permet au viol de préserver sa monstruosité et le cauchemar qu’il engendre, de façon à contrecarrer ce que Michèle (Isabelle Huppert) va en tirer : Le désir de la survie.

     La grande force de Elle est de ne justement pas tout faire fonctionner autour de Michèle ou du moins de parvenir à nous faire croire que certaines interactions ne tournent pas autour d’elle et de l’intrigue qui l’alimente elle et le film. Puisqu’il s’ouvrait là-dessus, quoi de plus logique que de le voir converger chaque séquence vers cette focalisation d’intrigue ?  Du coup, Verhoeven brosse des portraits. De nombreux portraits : le fils, l’ex-mari, l’amant, la meilleure amie, le voisin. Et le père.

     La dimension horrifique du film va quasi tout entière (puisque le viol lui-même est pervertit) prendre essor dans ce passé, certes lointain (Michèle n’était qu’une gamine) mais qui continue de faire ses injustices dans le présent. On sait d’après une discussion entre mère et fille que toutes deux reçoivent régulièrement le lynchage de ceux qui les ont éternellement reliés à ce monstre de père. Qu’a-t-il fait, ce père, pour qu’une passante inconnue, vienne lui renverser volontairement son plateau sur la tronche ? Le film va y répondre par deux fois, brièvement d’abord, au détour d’une info télévisée évoquant la possibilité d’une libération conditionnelle, puis explicitement plus tard, lorsque durant ce grand repas, Michèle raconte les faits à Patrick.

     Dire qu’on n’a jamais vu une back story racontée ainsi relève de l’euphémisme, tant Huppert s’emploie à accentuer avec brio la folie de son personnage, tant Verhoeven aussi s’amuse à faire éclater la situation, notamment par un chant de messe en fond sonore. On n’avait pas vu une séquence de repas aussi folle depuis Buñuel. Et quelque part, Elle c’est Le charme discret de la bourgeoisie, version Verhoeven. Depuis quand avions-nous rit aussi franchement dans une salle de cinéma ?

     On pourrait en parler longtemps tant il regorge de tiroirs fous (cette scène hallucinante avec l’urne contenant les cendres de la mère, les images des jeux vidéo, le bébé, la masturbation et les santons géants, le vent, la cave…) ; Il n’est d’ailleurs pas exclu que j’y retourne tant je trouve ça immense à tout point de vue, riche et vivant, absolument étonnant dans sa construction, son ton et cette façon qu’il a de dynamiter avec audace le cinéma français habituel.

Les nuits fauves – Cyril Collard – 1992

nuits-fauves-1992-07-gAvant de partir.  

   5.5   Crainte de la revision, énième épisode. J’aime assez Les nuits fauves même si moins qu’à l’époque où il m’avait bien marqué et même si je trouve que c’est un film qui fut clairement surestimé. Collard veut tout mettre dedans (de son bouquin sans doute) du coup ça devient un truc un peu informe, mais dans le mauvais sens du terme, quelque chose qui ne respire absolument pas. Malgré tout, il y a une forme d’abandon à la pellicule que je trouve plutôt beau, sorte de testament d’un gars qui voulait par tous les moyens exprimer sa souffrance avant de partir et même si cela, fait dans l’urgence, semble hyper maladroit.

Tess – Roman Polanski – 1979

01.-tess-roman-polanski-1979-1024x682   8.5   Chef d’œuvre absolu ! D’une beauté sidérante. Et je découvrais. Et en blu ray. Pfiou… Au début, en le lançant, je restais sceptique. Je me disais, ok c’est vrai que c’est beau, c’est la méga classe, mais le splendide support y est sans doute pour beaucoup, et puis je vais sans doute finir par me faire chier. Et puis le film te saisit par petites touches, des trucs auxquels tu ne t’attends jamais, un découpage hallucinant, une science du cadre, tout y est subtil, nuancé, plein de rebonds, de fulgurances. Au final je n’ai pas vu passer les trois heures. Au générique final, j’étais sur les rotules. Difficile de le comparer à d’autres films de la filmographie de Polanski mais nul doute que c’est le plus beau, ample et triste film que j’ai vu de lui. J’y reviendrai plus longuement la prochaine fois.

Les garçons et Guillaume, à table ! – Guillaume Gallienne – 2013

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   3.0   Voilà un film qui n’est pas dépourvu d’un certain attachement qui est le moindre sel de ces chroniques autobiographiques transcendées qui pullulent sur les écrans depuis toujours mais davantage encore ces derniers temps.  Certaines séquences – souvent celles avec la mère, là où Gallienne y laisse échapper toute sa fougue, sa tendresse et son génie du one man show – sont plutôt délicieuses, à défaut d’être hyper originales, dans leur écriture un peu osée, un peu méchante. Mais au-delà de ce narcissisme de tout bord – pas gênant s’il est bien relayé – le film fait montre d’une indigestion formelle hors norme, aussi bien Amélie Poulainesque qu’Almodovaresque. C’est dire l’angoisse. Folklore en tout genre, montage publicitaire, succession de courtes vignettes, musique hype omniprésente, inserts diverses bien immondes, le film loin d’être fin cherche avant tout à plaire à tous, déroulant son ramassis de kitcherie, alliant le nec plus ultra du mauvais goût, à l’image de seconds rôles pantins (Diane Kruger en masseuse fisteuse, mon dieu) et une hystérie en roue libre, avec néanmoins quelques idées attachantes, aussi paradoxal que cela puisse être, à croire que l’emphase puisse in fine s’avérer séduisante. Et dire qu’il y avait Guiraudie et Kechiche aux césars pour leur merveille respective et que l’assistance leur a préféré ce machin trop applaudi partout (presse et publique) me laisse coi. Cette hymne aux fofolles hétéro et ce tapage bien gluant pour nous dire que Gallienne n’est pas gai mais qu’il aime sa maman c’est un peu long et vain sur un film. Ça valait un sketch, un spectacle, mais c’est tout.

Le vieux fusil – Robert Enrico – 1975

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Le sang des innocents.

   6.5   Je suis content de l’avoir revu. On va dire que c’est un gros traumatisme d’enfance. J’avais dû le voir trop jeune, j’en avais fait des cauchemars, pleuré, vomi, je pense que j’avais souffert de devoir associer la fiction au réel. J’étais trop jeune pour effectuer le parallèle tout du moins. Enfin du coup j’avais des souvenirs de violences hyper esthétisées (corps maculés de sang dans un église bien mis en lumière, femme brûlée au lance-flamme au ralenti, sa fille déchiquetée par les balles etc…) mais en fait pas du tout. Il y a bien ces séquences, elles sont gravées dans ma mémoire depuis lors, mais je les avais déformées. En fait, le film est assez sobre sur ce point. Pas de ralenti. Pas d’excès à vouloir montrer. Son seul vrai problème c’est sa musique. Mais le reste est assez bien fait dans la mesure où il distortionne complètement la temporalité, je n’avais aucun souvenir de ça. Du coup on peut le voir comme un gros cauchemar à l’intérieur d’une réalité voire y voir le fantasme vengeur. Sinon, le personnage joué par Noiret m’a beaucoup fait pensé à celui du docteur Larcher dans Un village français. Dévoué mais tu sens que ça peut aussi très vite dérailler. Noiret est excellent d’ailleurs. Je m’attendais à ce qu’il cabotine mais en fait non.

Trois hommes et un couffin – Coline Serreau – 1985

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Trois en un.   

   6.5   Hum. Bon allez je me jette à l’eau : j’ai aimé (pas jeter de cailloux stp). Tout d’abord il faut situer le film dans ce qu’il représente pour moi, car je le regardais beaucoup étant petit, je me souviens que j’étais très ému par ce film. Je pensais détester aujourd’hui ne l’ayant pas revu depuis peut-être quinze ans. Et bien pas du tout ! Je le trouve toujours aussi attachant. Bien sûr en terme de mise en scène laissons tomber, c’est du Serreau de toute façon donc on est prévenu. Quoique je ne trouve pas que la réalisation à l’intérieur de l’appartement soit ratée, il y a vraiment des choses intéressantes dans la manière de filmer chaque pièce suivant le personnage et le salon comme un no man’s land. Dès qu’elle en sort c’est là que ça se gâte. Au-delà de ça je trouve les dialogues enlevés, les situations savoureuses même si on aurait aisément pu se passer de quelques aberrations, bien entendu. Mais surtout je trouve que le film est beau sur ce qu’il raconte de la transformation des personnages et leur fierté personnelle à ne pas s’avouer leurs faiblesses. Ce qui me surprend le plus c’est de le voir se jouer admirablement du stéréotype homme/femme et toute proportion gardée ça m’a rappelé Kramer vs Kramer (dans mon panthéon personnel) puisqu’il y a 3 hommes mais on pourrait dire qu’il n’y en a qu’un, aux personnalités multiples. D’ailleurs, la mère s’efface dans les deux cas à la fin, consciente que son enfant est entre de bonnes mains. On peut le voir comme une version bouffonne et couche culotte du film de Robert Benton mais je trouve que outre quelques ratés ci et là (le sachet de came par exemple) le film grimpe vraiment bien émotionnellement. Surprise donc, comme il y a longtemps, ça m’a ému.

Monsieur Klein – Joseph Losey – 1976

31_-monsieur-klein-joseph-losey-1976La métamorphose.

   9.5   Le cinéaste choisit, pour illustrer l’absurdité et le calvaire des déportés de la Shoah, de s’intéresser au destin d’un homme qui n’est pas directement concerné mais se retrouve imbriqué dans cette spirale kafkaïenne d’une identité que l’on dédouble avant qu’on ne la modifie pour l’anéantir.

     La film débute sur une séquence effrayante, aussi frontale que détachée, évidemment absurde, évidemment ignoble, où un médecin et son assistante observent le corps nu d’une femme, en dictant ses particularités afin d’établir ou non sa judéité. Identité placardée comme on montrerait du doigt un animal malade. Humilié, cet homme l’est aussi dans la séquence suivante, lorsqu’il souhaite se faire racheter un tableau par l’arriviste Monsieur Klein, qui marchande l’oeuvre et déclare en réponse aux interrogations de son interlocuteur, que bien souvent il préférerait ne pas dépenser. Quelque part il sous-entend que cette passion de la collection le dévore, qu’il faudrait presque l’en plaindre. Il a autant de respect pour cet homme qu’en a la médecin pour cette femme.

     La guerre est une aubaine pour Monsieur Klein, pour son business. Cette persécution juive l’indiffère sans doute plus qu’elle ne le réjouit, mais inconsciemment elle l’arrange, cela lui suffit à ne pas la considérer. C’est pourtant cette ironie là qui se met progressivement en place, dès l’instant qu’il reçoit, volontairement ou non, le journal des informations juives. On est en janvier 1942 et Monsieur Klein se retrouve bientôt pris pour un possible homonyme après qu’il ait simplement pensé à une erreur, s’en allant en rendre compte à la préfecture, sans imaginer – il est au-dessus de cette éventuelle méfiance – que cette réclamation pourrait ensuite lui devenir préjudiciable.

     Les idées de mise en scène vertigineuses sont nombreuses, aussi ostensibles qu’une déambulation subjective accentuant l’aspect paranoïaque que discrètes, par l’utilisation de l’ellipse ou du hors champ. Dans ce café, le serveur se déplace entre les tables, annonçant « téléphone pour Monsieur Klein » avec une ardoise en mains mentionnant les cinq lettres de son nom. Un nom à la craie sur une ardoise avant de disparaître en poussière, plus qu’une prémonition c’est une fatalité. Une scène dans un château où Klein part à la recherche de l’autre Klein et ne trouve que sa maîtresse, apparemment (car il n’y a aucune certitude dans le film de Losey, à aucun moment) lui demandant l’adresse de cet homme. Le plan montre le visage de la jeune femme lui répondant naturellement en lui donnant sa propre adresse à lui. Le plan se coupe, n’offre aucun contre champ, donc permet d’exacerber le malaise et le vertige. Klein s’efface peu à peu, disparaît au travers même de la mise en scène.

     Tous les personnages qui croisent alors sa route, de son avocat à son propre père pour les plus proches, demeurent suspects à son égard, on ne sait jamais s’ils sont de son côté ou s’ils font parti d’une possible machination visant à son aliénation progressive, le coinçant définitivement dans un problème identitaire qui le dépasse mais qui paradoxalement va lui rendre son humanité. Il est d’abord loin de tout ça, lui qui n’a d’autre préoccupation que de réfuter, aux yeux de la société, sa judéité. Le sort des juifs ne le soucie guère, c’est le sien qui lui pose problème, jusque dans ce véhicule pour déportés où il dit à une femme bouleversée qu’il n’a rien à voir avec tout ça. Peut-être que là, hors champ (toujours) il se rend compte de l’absurdité de cette pensée, de la vraie cruauté du monde. Il lui faudra ces dix dernières minutes : plongé en pleine rafle du Vel d’Hiv, et alors qu’il aperçoit son avocat brandissant le certificat authentifiant son identité, il se laisse enfoncer dans la foule en marche vers les trains, donc vers les camps. Lorsque les portes du wagon se referment sous son nez, le plan laisse apercevoir derrière lui, cet homme à qui il a marchandé ce tableau en début de film. Le tableau de ce compagnon d’infortune, qu’il refusa de laisser saisir par la police lors de la perquisition, dernier lien avec son ancienne identité et témoin de l’émergence de l’identité de substitution forcée, passerelle vers celle qui le conduira probablement vers la mort, vers Auschwitz. Le film a cette intelligence de montrer l’infime frontière existante entre une complicité inconsciente des gens ordinaires et les victimes directes des déportations.

Amour – Michael Haneke – 2012

02_-amour-michael-haneke-20121L’appartement.  

   6.0   Je n’étais pourtant pas le plus heureux des cinéphiles à l’annonce du nouveau sacre de Michael Haneke à Cannes, en mai dernier. Dans un tel dispositif festivalier où surgissent tant d’éclats et de renaissance il est tout de même dommage de voir un même cinéaste repartir deux fois avec la plus haute distinction, qui plus est à trois années d’intervalle. La palme est la récompense suprême au sens où c’est de celle-ci que l’on se souviendra ; qui a remporté le prix du jury cette année ? On ne le sait déjà plus. Quand Tropical malady passait incognito en 2004 auréolé de ce prix poubelle, Apichatpong Weerasethakul revenait et faisait définitivement parler de lui, en divisant, évidemment, avec cette palme, la plus audacieuse depuis longtemps, Oncle Boonmee, qui n’attendait évidemment pas l’année suivante pour sortir dans les salles de l’hexagone. Cette distinction devrait ne servir qu’à ça : déterrer, éclore, renaître. Jamais à célébrer. Qui, cette année, la méritait autant que Leos Carax, cinéaste revenu d’entre les morts, avec un film incroyable ? Que le film de Michael Haneke soit bon, et il l’est, soit, mais quel intérêt de le faire repartir avec une palme ? Pour Le ruban blanc c’était différent, c’était inutile aussi mais émouvant de voir qu’enfin, le cinéaste autrichien avait un prix à la juste valeur de sa riche filmographie, bien qu’il soit déjà reparti avec quelque chose pour La pianiste et Caché.

     Amour est un film beau et puissant, à la fois totalement conforme aux évolutions du cinéma de Michael Haneke (on pourrait vulgairement dire que c’est la rencontre entre son premier et son dernier film, entre ses deux plus beaux) et en même temps je trouve qu’il redéfinit les cartes de la cruauté de son cinéma, l’oppression n’est plus la même, la peur non plus ; Ses derniers films somnolaient volontairement, celui-ci aurait du dormir, pourtant il est extrêmement vivant, paradoxalement ouvert. Maîtrisé, certes, mais nourri d’échappées incroyables. Le film m’a laissé bouche bée durant son générique final, pourtant j’étais bien, terrifié mais bien. Je n’en suis pas sorti tétanisé, j’avais un besoin de tendresse. Il y a une sérénité qui se dégage du film, quelque chose d’assez inexplicable.

     L’idée de l’intrusion est au centre du cinéma d’Haneke. L’intrusion mais aussi la barrière. La peur est provoquée. L’entrée des tueurs dans Funny games, l’observation de l’extérieur à travers une caméra dans Benny’s video, un autre dispositif filmique dans Caché. Amour débute par une séquence où un appartement est forcé. Il y a du scotch sur les ouvertures et c’est la police qui s’introduit pour bientôt y découvrir un cadavre sur un lit. Cette scène pourrait être celle qui clôt son premier film, Le septième continent. Un peu plus loin dans le long-métrage, Georges entend du bruit dans le couloir de l’immeuble, demande qui est là et se fait surprendre (le plan montre un bras, uniquement un bas intrusif, image de peur suprême régulièrement utilisée dans les films d’épouvante) avant de se réveiller terrifié dans son lit. Aussi, à deux reprises, un pigeon entre dans l’appartement. Et vers la fin, Georges panique lorsque l’on sonne à la porte (sa fille) parce qu’il ne veut pas troubler la tranquillité de sa femme, qui se meurt doucement.

     Et le film aborde la question de la bonne distance (chère au cinéaste) et cette nouvelle manière qu’il a de la traiter (à l’intérieur même de son film) m’a fasciné. Qui est-on hors du couple ? Qui est-on à l’intérieur du couple ? Tour à tour, un ancien élève de piano, leur fille ou une infirmière seront amenés à rencontrer le couple dans ce retranchement, la vie dans sa plus pure dilapidation. Entre inquiétude faussement bienveillante et infantilisation maladroite, le film ne condamne pas ces personnages en décalage, mais il montre ce décalage. Il procède similairement avec le couple, en le divisant, montrant un mari aux abois qui croit bien faire sans que ni lui ni nous ne sachons s’il fait bien.

     Le film grimpe harmonieusement par des fulgurances qui ne sont pas ostensiblement forcées. Georges rêve. L’eau et la main sont les constantes prémonitoires de son rêve. L’eau qui recouvre le sol de l’étage et inonde ses pieds ; la main de l’étouffement qui le fait se réveiller. Peu après, Anne, incontinente, mouille les draps de son lit et se met à pleurer. Puis elle perd la parole. Cette espèce de passerelle métaphysique est esquissé dès les premiers instants, dans la séquence qui suit l’opéra où le couple rentre chez lui et découvre que l’on a tenté de forcer la porte de leur appartement, écho à la séquence avant opéra, qui est aussi la fin du film placée au début, dans laquelle le même appartement était forcé par les forces de l’ordre. L’intrusion encore et toujours, où l’appartement devient cette âme que la mort vient chercher. Le sentiment de boucle bouclée n’aura jamais été aussi nette au cinéma, même dans un film de Haneke.

The Artist – Michel Hazanavicius – 2011

The Artist - Michel Hazanavicius - 2011 dans Cesar du meilleur film 791804_the-artist-300x199     5.5   La réussite est totale ! J’ai pourtant cru un temps que ça finirait mal cette histoire. Lorsque Georges Valentin (Jean Dujardin) est sauvée de justesse du suicide par la belle Peggy (Bérénice Béjo) qui lui avoue avoir une idée lumineuse en réponse à ce mal-être qui le ronge selon lequel les spectateurs, désormais accoutumés aux voix, ne veulent pas l’entendre. L’idée c’est la comédie musicale. Et le film se terminera là-dessus, sur ce happy-end alors qu’il aurait pu opter pour un penchant régressif, nostalgie du muet autant qu’il aurait pu être un simple pastiche fun mais l’heure est plutôt à la cohabitation artistique des genres et des évolutions. Le muet est has-been, la faute au parlant. Le muet musical fait alors son apparition. L’idée ingénieuse est double puisque le parlant intervient par deux fois seulement dans le film. Lors d’un rêve dans un premier temps, cauchemar de la star qui matérialise ses obsessions et ses craintes, dans lequel il s’invente muet au milieu d’un monde sonore. Puis plus tard, dans la scène de fin, où précédé par le son des claquettes de nos deux danseurs, les mots de l’équipe technique en tournage retentissent, avec cette caméra qui s’éloigne de la scène (muette) et du plateau afin d’enrober ce vaste espace d’échange (parlant) qui se conclue par un traditionnel « Silence ! Moteur ! Action ! ». Le film ne sonne pas tant comme un rappel nostalgique d’un âge d’or révolu que comme la conscience d’une page qui se tourne, d’un monde qui change, évolue et c’est tant mieux, mais que se replonger dans le patrimoine a quelque chose de savoureux. The Artist pourrait donc être le film qui réconcilie les époques, le film d’Aujourd’hui qui donne envie de se replonger dans ceux d’Hier. C’est sa seule véritable ambition. Le reste, comme je le disais, est amplement réussi, aucun doute là-dessus mais il ne faut pas oublier que le film se contente d’être un pastiche, le voir comme tel, ne pas espérer davantage. Sans pour autant le submerger, les références inondent l’écran. Georges Valentin, star déchue, fait inévitablement écho à Sunset boulevard. L’évolution cinématographique dans une période charnière qui voit le parlant reléguer le muet c’était le cœur de Chantons sous la pluie. Quant au personnage de Dujardin, avec ces tentatives de burlesque Chaplinesque, on ne peut s’empêcher de penser aux Feux de la rampe, surtout que l’idée du vieillissement est aussi évoquée ici « les jeunes prennent la place des vieux » dira Peggy à la presse sans savoir que la star du muet l’écoute. Il ne faut pas oublier de signaler le bel emprunt au score de Vertigo et dire que la musique dans The Artist est de manière générale assez géniale. Pour le reste, car « ce film performance » mise aussi beaucoup sur son interprétation : Dujardin est impeccable, qui en aurait douté ? Bérénice Béjo est sublime, sex appeal de l’année haut la main. Quant à Uggy, aucune récompense du meilleur chien ne peut lui échapper, il est fabuleux.

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