Archives pour la catégorie Chantal Akerman

La folie Almayer – Chantal Akerman – 2012

La-Folie-AlmayerDe l’autre côté.

   6.5   Chantal Akerman nous a quitté ce lundi. Adieu à celle qui aura créé l’un des plus beaux plans de l’histoire du cinéma – Le tout dernier de News from home. Adieu à celle qui aura fait Jeanne Dielman, manifeste et merveille absolue. Adieu à celle qui aura réinventé le cinéma, une manière de raconter, une façon de s’approprier le temps. En attendant No home movie, son dernier film, qui n’est pas encore sorti, je voulais évoquer rapidement son adaptation du premier roman de Joseph Conrad. Le film ne m’a pas entièrement séduit ni marqué sur le moment, disons que ce fut une déception d’ensemble – due à mon amour immodéré pour les films d’Akerman des années 70. Néanmoins, quelques séquences me hantent encore, c’est un film puissant qui garde les thématiques de la cinéaste tout en élargissant son cinéma formellement, comme elle le faisait déjà dans La captive auquel on pense beaucoup. On se souvient de Stanislas Merhar qui imprime sa présence spectrale, de ce fleuve mystérieux, de la jungle. Un voyage vers le néant. Hypnotique. Je n’adhère pas entièrement mais il y a là-dedans aussi les plus beaux trucs vus ces dernières années comme cet insensé ultime plan.

News from home – Chantal Akerman – 1977

15_-news-from-home-chantal-akerman-1977Saute ma ville. 

   10.0   News From Home est un voyage à travers New York : ses boulevards, ses gratte-ciels, ses souterrains, ses rues désertes, sa circulation, ses magasins, ses fast-food, sa grandeur, le jour, la nuit… montrés sous travellings, plans fixes, ou panoramiques.

     Chantal Akerman raconte deux quotidiens. Le sien, en filmant différents lieux de New York qui ont accompagné son séjour quelques années avant le tournage de son film. Et celui de sa famille par l’intermédiaire de lettres reçues de sa maman de Belgique, qu’elle nous fait parfois partager en off. Sa mère y raconte son quotidien triste, des banalités, son envie de la revoir, sa fille lui manque beaucoup. Elle lui demande de façon récurrente, même agaçante, de ne pas les oublier, de penser à leur écrire plus souvent. C’est un double récit, bien que sans doute par pudeur, la voix monocorde de la cinéaste – une voix de lecture – citant les mots de sa mère, se perd dans les plans de la ville, dévorée par le brouhaha des voitures ou celui du métro. A moins que ce ne soit pour reproduire un détachement, celui avec lequel elle lisait et s’appropriait ces lettres. Car on entend parfois dans cette parole, que l’on déchiffre ou non, selon notre humeur, de l’inquiétude et du désarroi quant au peu de nouvelles rapportées de cette vie alternative, outre-atlantique. Absente ou succincte, la réponse se fait attendre. Certaines lettres envoyées par la cinéaste (qu’elle ne lit jamais) provoquent un contentement relatif ou une déception de contenu.

     C’est un exercice délicat de filmer le présent de ce que l’on a vécu par le passé. Chantal Akerman retrouve New York et laisse cette impression géniale de nous offrir des images qu’elle aurait prise durant son séjour, une impression d’absence de tournage, de saisies éparses sur le vif, ce qui n’est évidemment pas le cas. Au moment du départ (quitter Manhattan) que l’on peut interpréter par cette cassure formelle consistant en des mouvements de caméra forcés par les moyens de transport, pendant le dernier tiers du film, on a le sentiment d’un adieu au présent et non la reconstitution de cet adieu. Tout voir défiler. Images étirées comme autant d’impressions à jamais gravées. Pas étonnant que les plans soient beaucoup plus longs qu’auparavant. Il n’est question que de regard perdu dans l’espace et son immensité. Le cinéma permet cela : reconstruire un adieu et pouvoir le revivre ad aeternam.

     Le dernier plan du film est l’un des plus beaux plans de cinéma de l’univers : Un bateau quitte Manhattan, et à mesure de ce déplacement, le plan dévoile ses gratte-ciels, d’abord immenses, sectionnés par le cadre, puis immenses plein cadre avant de devenir minuscules plus tard, lointains, perdus dans un brouillard épais. Il est précédé de quatre plans foncièrement similaires puisqu’ils évoquent déjà ce départ, me semble t-il. La fixité n’a pas disparu mais cette fois le paysage se dérobe. Ce sont de faux plans fixes ou de faux travellings. L’objectif adopte un regard. Une mélancolie. On a tous déjà vécu cette suspension du regard, comme ici derrière le pare-brise arrière d’un taxi, la vitre d’un métro. On retrouve d’ailleurs, durant cet adieu, un plan que nous avions déjà eu précédemment, l’intérieur du métro, en fin de compte le plus représentatif d’entre tous, l’adieu au balai des usagers, à l’homme. Car New York est la ville humaine par excellence, le berceau de la civilisation. Quoiqu’il en soit, cet ultime voyage de dix minutes, d’envoûtement pur, avec ce bruit incessant des vagues frappant la coque du bateau est un haut fait du cinéma Akermanien.

Les Rendez-vous d’Anna – Chantal Akerman – 1978

les-rendez-vous-dannna-still1-526x284La solitude.

   7.0   Film d’errances, sur la solitude éternelle, un voyage sans but explicite, une jeune réalisatrice, cinq rencontres fortuites de personnes toutes plus seules, plus pessimistes les unes que les autres. Les dialogues semblent avoir un ressort cadavérique, et l’on sent à travers chaque mot qu’il n’y a plus de remparts devant la mort.

     C’est en quelques sortes le reflet de Chantal Akerman, enfin son reflet négatif. Mais quelque chose marche moins bien sur moi que dans ses précédents films. Le jeu de Aurore Clément ne me fascine pas beaucoup. A mille lieux je trouve de celui de Delphine Seyrig par exemple, qui me bouleverse dans chacun de ses regards et mouvements. Et il y a une austérité bloquée qui me gêne un petit peu. Evidemment Akerman ne fait pas de films joyeux d’accord mais disons que celui-ci ne véhicule pas les émotions que les autres véhiculaient. Mais bon c’est Chantal et je l’aime toujours. J’adore tout particulièrement la rencontre dans le train, le silence semble vaincre chaque parole, comme la nuit embrase un paysage que l’on aimerait voir, pour respirer.

     Quant à Haneke, il a dû s’inspirer pas mal de Chantal. La fin m’a rappelé un peu son cinéma, avec la présence de cette télé allumée, pour rien. La même froideur aussi. Mais une ambition plus forte chez la réalisatrice tout de même qui semble accorder davantage d’attachement au paysage, à la ville, à l’espace en fait.

Jeanne Dielman 23, Quai du commerce, 1080 Bruxelles – Chantal Akerman – 1976

01.-jeanne-dielman-23-quai-du-commerce-1080-bruxelles-chantal-akermanDeux ou trois choses que je sais d’elle.

   10.0   Une mère et son fils habitent un appartement de la capitale belge. Lui va chaque jour au lycée. Elle reste à la maison et vit de baby-sitting et de prostitution. En outre, le mari n’est plus, depuis six ans. Leur journée est programmée comme une horloge : Jeanne réveille Sylvain le matin avant de lui servir le petit déjeuner ; elle fait la vaisselle une fois que celui-ci est parti ; elle allume le poste radio chaque soir lorsque son fils lit et qu’elle tricote ; chaque fois qu’elle quitte une pièce elle se doit d’éteindre la lumière avant d’en allumer celle de la pièce dans laquelle est entre.

     Le film commence à l’heure où Jeanne prépare le dîner (son fils arrivera plus tard) en attendant son client hebdomadaire (il dira « à la semaine prochaine »). 1h30 plus tard, le film aura fait une boucle : 24 heures. Jeanne prépare à nouveau le dîner, on sonne à la porte, elle ouvre, débarrasse le client de ses frusques superflues et l’emmène dans sa chambre.

     Le choix de démarrer le film à cet instant n’est pas le fruit du hasard. C’est après la venue de cette autre personne qu’il semble se produire un premier dérèglement dans la routine de Jeanne. Sans doute que l’homme a davantage pris son temps par rapport aux autres, par rapport à ses habitudes, qu’importe, une chose est sure, quelque chose a perturbé la jeune femme. Ses pommes de terre sont trop cuites. Il ne lui en reste plus assez pour le repas, il faut qu’elle descende en acheter. Effet boule de neige, ce petit contretemps aura des répercussions sur le quotidien et la personnalité de Jeanne. Et l’on sait maintenant à quel point elle est attachée à sa routine. Le nombre de détails de ce dérèglement est absolument passionnant. Jeanne fera tomber une brosse, incident mineur, mais peu coutumier. Ou bien Sylvain lui fera remarquer qu’elle est décoiffée, la jeune femme n’ayant pas eu le temps de s’occuper de ses cheveux, perturbée par le changement du temps.

     Le dérèglement à son paroxysme le lendemain matin lorsque le réveil de Jeanne sonne une heure plus tôt. C’est dès lors sans nul doute le véritable déclencheur d’une prise de conscience d’une aliénation refoulée qui conduira Jeanne à l’implosion, l’apogée se trouvant évidemment dans cette chambre de prostitution, la boucle est bouclée, dans la plus cruelle des libérations morales. La précision chirurgicale des plans, tous fixes. La réflexion sur la répétition, sur le temps. Les ellipses narratives mesurées. Une Delphine Seyrig incroyable. Un travail sonore hors norme. Des cadrages d’une justesse insolente. Chantal Akerman réussit tout ce qu’elle entreprend. Fascine durant près de quatre heures. C’est tout simplement l’un des plus beaux et douloureux films que je connaisse. C’est absolument sidérant. Chef-d’œuvre absolu !

Je, tu, il, elle – Chantal Akerman – 1976

44Portrait d’une enfant déchue.

   8.0   Chantal Akerman n’a que 24 ans lorsqu’elle réalise Je, Tu, Il, Elle, l’histoire d’une jeune femme, jouée par elle-même, plongée dans une phase de trouble sentimental provoquant un anéantissement moral progressif, que la jeune cinéaste qualifiera de « cri de désespoir muet proche du hurlement ».

     Son film est scindé en trois parties bien distinctes, mais on pourrait aussi le découper en quatre. La première partie est vouée au cloisonnement. Le Je : Une jeune femme s’enferme dans une pièce, bouge les meubles, repeint les murs, s’habille, se déshabille et mange du sucre pour ne pas succomber de famine. Le Tu : Elle occupe son temps à écrire une lettre, probablement destinée à la personne qu’elle aime – on suppose une relation délicate – et cela durant un mois. Très souvent les plans sont fixes, la caméra ne sortira pas de cette pièce, même si par moment, dans un angle bien précis, on peut entrevoir l’extérieur, exempt de vie.

     La deuxième partie c’est la rencontre avec le camionneur. Le Il : La jeune femme est prise en stop, s’arrête avec le routier dans des bars, des restos avant que celui-ci ne lui raconte sa vie sentimentale et qu’elle l’est masturbé une fois hors champ. Long monologue en plan fixe où l’homme nous (lui) apprend qu’il s’est détaché de toute vie de famille, concevant dorénavant le plaisir des rencontres comme sexuel et fugace, mais non constructif.

     La troisième partie c’est le retour chez une amie. Le Elle : Accueillie froidement, l’hôtesse offrira de quoi manger à notre héroïne itinérante avant qu’elles ne se laissent aller à un échange sexuel, fondé sur le désir pulsionnel, fusionnel, que Chantal Akerman nous offre, en trois plans fixes durant en tout vingt minutes, avec beaucoup de grâce et de pudeur.

     Je, Tu, Il, Elle a quelque chose de flamboyant, mais en même temps de très sombre, et joue à merveille avec cette idée de juxtaposition silences/voix off/monologue. C’est passionnant. Et je ne suis pas loin de crier au chef-d’œuvre ! En réalité, je crois que je suis amoureux de Chantal Akerman. Je la trouve sublime. Radieuse. Elle me fascine. L’intensité de son oeuvre, de son visage, de son regard.

Hôtel Monterey – Chantal Akerman – 1972

Hôtel Monterey - Chantal Akerman - 1972 dans Chantal Akerman 46939Rester vertical.

   7.5   Premier long métrage à la réalisatrice, la spécificité d’Hôtel Monterey est de n’être doté d’aucune bande-son, d’aucun son. L’espace est lui aussi réduit puisque l’on ne sortira pas de cet hôtel. Au moyen d’un procédé ascensionnel intelligent, puisque l’on commencera par le hall d’entrée pour terminer sur le toit, Chantal Akerman filme les espaces exigus, un hall désert ou non, un ascenseur occupé ou non, un couloir vide, une chambre vide ou non, un toit surplombant New York.

     Capter le réel, capter le vide. Réfléchir sur ce vide. Convoquer l’imagination. Tels sont les enjeux du film. Car au-delà du fait que chaque plan soit d’une importance capitale, contenant sa singularité propre, il y a aussi un grand pouvoir de fascination dans toutes ces images que ça en devient surprenant. Comment imaginer le bruit, la vie derrière des murs silencieux ? Ces longs travellings avant/arrière dans un couloir aboutissant sur une fenêtre, elle-même donnant sur les villes, est un fidèle exemple de ce que provoque la mise en scène sur notre ressenti. De jour, de nuit, par beau temps, par mauvais temps, notre perception diffère.

     Selon moi, une version sonorisée aurait fait de ce film un chef-d’œuvre. Le panoramique sur le toit du Monterey est l’un des trucs les plus beaux que j’ai vu. Cette façon de rendre sublime un lieu, de capter quelque chose de fort dans le vide. Manquait plus que le bruit des voitures, de la civilisation.


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