Archives pour la catégorie Christopher Nolan

Oppenheimer – Christopher Nolan – 2023

37. Oppenheimer - Christopher Nolan - 2023What we have done.

   5.5   La première heure (en schématisant) est séduisante, prometteuse mais déjà confuse (Il y avait franchement moyen d’être plus clair, d’aller plus à l’essentiel, de créer de beaux personnages secondaires, féminins notamment, autour de cette figure centrale) dans son obsession à enchâsser les temporalités, offertes dans un code couleur complètement contre-intuitif.

     C’est apparemment plus limpide que d’habitude – pour du Nolan – pourtant on n’y comprend pas grand-chose, au sein de ces multiples lieux, situations et périodes (Cambridge, Le Nouveau-Mexique, l’audition de sécurité, l’audition parlementaire) où les personnages vont, viennent et disparaissent dans l’indifférence complète de notre part.

     Dès l’entrée en piste du projet Manhattan, le film m’a semblé plus clair dans ses intentions, offrant une deuxième partie absolument brillante : La ville fantôme de Los Alamos, l’essai Trinity (de très loin la meilleure scène du film, notamment le crescendo qu’elle impose et son parti-pris sonore au moment de l’explosion) ainsi que les discussions autour du largage de la bombe sur Hiroshima et Nagazaki.

     Avant que ne déboule une troisième partie complètement asphyxiante, interminable, répétitive, bavarde et hystérique : 90% de dialogues, en débit mitraillette, lors de procès ou commissions d’enquêtes. Il n’y a plus aucun changement de rythme, tout y est monochrome, monocorde. Ne reste plus qu’une matière sérieuse, sophistiqué et des tunnels de dialogues au montage surcuté.

     Au même titre, la musique omniprésente (chère à Nolan, quand bien même ce ne soit pas Zimmer cette fois) offre moins une sensation de voyage opératique (Comme on pouvait le sentir dans Inception ou Interstellar) qu’une bande-annonce / pudding géant, qui ne prend jamais le temps de rien, prend bien soin de nous interdire de penser. Le biopic psychologique empêche cette fois Nolan de s’épanouir dans le blockbuster cérébral. Le casting dément n’y change rien.

     Bref c’est trop long. Ça se pliait en deux heures selon moi. Mais le film est couillu, malgré tout, d’autant qu’il est présenté comme un des blockbusters de l’été. Il a de quoi en perturber plus d’un, aficionados de Nolan ou pas. Ce qui m’a troublé, personnellement : j’ai vraiment eu la sensation que Nolan s’identifiait a Oppenheimer, par fascination/répulsion, qu’il se sent au cinéma ce que lui était à l’humanité, son génie et son destructeur.

     Oppenheimer, le film, avait tout pour être le JFK de Nolan, en somme. Je pense qu’il se rate un peu car Nolan n’est pas Stone, et que pour que son cinéma s’épanouisse il a besoin d’un terrain de jeu (narratif, temporel, romanesque), en gros. Là, ce n’est plus ludique du tout. Ne reste que le plaisir d’observer cet acteur, magnétique Cillian Murphy, pure matière à fascination.

     Le plus intéressant là-dedans réside dans la résonance macabre entre la réaction en chaine que la bombe provoque (l’issue du film est vraiment très forte, sans pourtant faire office de twist) et l’idée même que personne ne savait si cette bombe, par réaction atomique, ne détruirait pas la planète tout entière. Il me semble que le film parvient à transmettre ce vertige-là, malgré tout.

Tenet – Christopher Nolan – 2020

05. Tenet - Christopher Nolan - 2020Be hard rewind.

   6.5   D’habitude j’aime beaucoup écrire sur le cinéma de Nolan. Mais Tenet ne m’inspire pas. Sans doute parce qu’il se prête moins au voyage et à l’analyse de ce voyage qu’à celle d’une fonction mathématique. Je ressens sensiblement la même chose avec le premier Matrix. Il faut le digérer, car thématiquement et visuellement y a plein de choses intéressantes, mais passé ce cap, il ne reste pas grand-chose. Sinon un déroulement suffisamment, ou en apparence, tortueux, tout du moins curieux, pour qu’on prenne plaisir à repenser au film ou à l’évoquer durant une conversation. Sensation étrange qui doit bien révéler quelque chose d’autre.

     Et pourtant c’est tout sauf un film béant et désordonné. C’est un pur film de matheux. Pas celui d’un matheux chiant, calculateur et poseur, mais plutôt celui d’un passionné, qui veut épater sa galerie tout en s’éclatant très sincèrement avec son jouet. Un peu comme un magicien. On en revient au Prestige, en somme. Bon là c’est le carré Sator et ses cinq inscriptions latines, que l’on retrouvera ponctuellement dans le film, qu’elles s’incarnent dans un lieu, un personnage, une société, un peintre ou le titre du film lui-même. Pourquoi pas. De mon côté, je préfère quand Nolan s’extirpe de cette froideur théorique et rigoureuse, pour m’embarquer au-delà, dans une dimension plus sensorielle, comme dans Inception ou Interstellar.

     Ces deux films me surprennent sans cesse. Je n’anticipe rien, j’aime cette capacité qu’ils ont de générer de la croyance. Ici c’est le contraire, le film ne sort pas suffisamment des rails pour être un pur objet de fascination et quand il le fait, on regrette qu’il n’ait pas joué la carte d’un Fury road, par exemple : En effet, j’ai été assez déçu que Tenet ne soit pas un pur palindrome, qu’il ne revienne pas à cette scène introductive de l’opéra ; Que la fin du film ne soit pas aussi intense et ludique que la double étrange scène de l’aéroport. Certes, la grande bataille finale se déroule dans la même temporalité que l’introduction, mais elle est aussi abrutissante qu’interminable.

     Mais il y a d’autres problèmes majeurs : Le premier, le plus évident, c’est que ce film-là, son Mission : Impossible ou son épisode de James Bond, en gros, Nolan l’a déjà fait et en mieux, c’était Inception. Le second problème vient d’une réplique, celle clamée en début de film par le personnage incarné par Clémence Poésy « Ne cherchez pas à comprendre. Ressentez ! » qui est une belle promesse d’évasion proposée au spectateur, tandis que le film ne va faire que prouver le contraire, tenter de nous accrocher par son récit et non par son voyage. L’autre souci c’est que si les acteurs sont tous très bons, leurs personnages manquent d’une vraie épaisseur, contrairement aux deux films suscités. Et pour finir, disons simplement que ce film existe déjà en mieux, c’est Terminator. Et une chose est sûre, Nolan n’est pas Cameron.

     Néanmoins, j’y suis retourné. Pas d’emblée comme j’avais pu déjà le faire avec Nolan, pour profiter à nouveau du voyage, mais ici avec l’espoir que je plonge justement dans le plaisir du grand–huit et non à me creuser la tête pour…pas grand-chose, il faut bien l’avouer. Et c’était plutôt agréable de le revoir, même si ça manque clairement d’émotion à mon goût, de personnages et d’une ambiance musicale. Alors voilà c’est un film à voir, même à revoir, avec de l’aspirine sur soi, mais ce n’est pas un très bon Nolan non plus.

Inception – Christopher Nolan – 2010

Inception - Christopher Nolan - 2010 dans * 2010 : Top 10 Inception

Sit down roller coaster. 
And tears.  

     9.0   Si Dunkerque, plus tard, concocte trois films de guerre en un seul, avec Inception, Nolan navigue autant entre les niveaux de rêves qu’entre les genres, puisqu’on est à la fois dans le film d’espionnage (la mission consistant à infiltrer le cerveau d’un riche héritier en lui administrant une idée), le film d’action (La séquence du couloir et de l’ascenseur sous pesanteur, pour ne citer qu’elle, ferait pâlir n’importe quel film d’action) mais aussi le pur mélodrame, puisqu’il n’est question que de deuil impossible.

     Si la mission investit en effet les rêves d’une cible, le film, lui, plonge dans les souvenirs torturés de Cobb, brillant espion extracteur, de plus en plus malmené par des vieux démons : D’une part sa défunte femme et ses enfants (qu’elle a jadis laissés en se suicidant) apparaissent dans les rêves de chacune de ses missions, au coin d’une rue ou dans la foule de figurants, créant un vertige plutôt perturbant, d’autre part car il utilise après chaque sortie de rêve un procédé de vérification à base d’une toupie (qui ne s’arrête pas de tourner si le rêve se prolonge) prouvant son instabilité face à cette frontière, devenue quasi invisible, entre rêve et réalité.

     Il faut attendre le dernier tiers du film pour que nous soit révélées les causes de cette disjonction : Cobb a jadis visité ce qu’on appelle les limbes. Autrement dit un niveau de rêve hyper avancé duquel on peut ne jamais revenir, où les minutes dans la réalité sont des années tout en bas. L’idée ô combien bouleversante d’Inception se situe dans cet espace créatif-là, à la fois exaltant (un monde façonné à notre image, où il s’agit de se prendre pour son Créateur, où l’on peut ne pas choisir entre une maison et un appartement, pour reprendre les mots de Cobb) mais dangereux puisque quoiqu’on finisse par croire (Il a vieilli avec sa femme là-bas avant de revenir, jeune, dans le monde réel) ce n’est pas la réalité. C’est du voyage dans le temps, pur et simple. Sorte de pendant mental d’Interstellar, en somme.

     Comprendre Inception de fond en combles, à en extraire les moindres détails et les étaler sur les forums n’est pourtant pas du tout ce qui m’intéresse. C’était déjà ça à l’époque de Matrix, vers lequel ce film de Nolan semble s’approcher et si ça m’avait titillé d’en ouvrir et fouiller les tiroirs je m’étais vite rendu à l’évidence que ce n’était pas tellement mon truc. Non, ce qui fonctionne à merveille ici, c’est cette plongée, complètement hollywoodienne dans une imagerie typique de l’action movie (Mission impossible, Au service secret de sa majesté) revisité par la technologie actuelle qui permet de faire des choses incroyables en terme de rythme tout particulièrement (la dernière heure du film c’est du jamais vu à ce niveau-là, Inception montrant les rêves dans les rêves, avec les mêmes personnages sur quatre temporalités différentes), mais aussi visuellement lorsque la ville de Paris se referme sur elle-même, lorsque les magasins explosent au ralenti, lorsque des rangées d’immeubles s’effondrent peu à peu dans l’océan, lorsque l’on assiste à un combat sous pesanteur.

     Alors certes, c’est une grosse machine, cent cinquante minutes qui filent à cent mille à l’heure,  il faut passer outre des codes de cinéma d’espionnage usés jusqu’à la moelle, avec son installation, ses rebondissements en rafale, son utilisation musicale (Le score de Hans Zimmer occupant 95% de l’ambiance sonore), sa narration pédagogique : en permanence, les personnages expliquent le déroulement de l’action, afin de former le personnage nouveau, incarné par Ellen Page, sur lequel on se projette. Ce n’est pas gratuit, mais heureusement qu’elle est là, disons, autrement ce serait imbitable. Après la projection, que l’on ait tenté de saisir chaque morcellement de l’histoire ou que l’on ait simplement été véhiculé par la dynamique du film, on est lessivé, quoiqu’il en soit. Ça fait presque office d’attraction forte.

     Mais la grande réussite d’Inception est d’avoir atteint la combinaison alchimique et souvent paradoxale voir casse-gueule entre film d’action et casse-tête, si bien que celui qui serait réfractaire à l’un pourrait tout aussi bien prendre son pied dans l’autre. Donc, le film peut se voir comme un récit de science-fiction où il s’agirait de cambrioler les rêves, d’en extraire des éléments (l’extraction) ou d’en y injecter (l’inception) dans une logique qui tiendrait entièrement du récit d’espionnage, mais tout aussi bien comme un film d’action nouveau, non au sens où il réinvente véritablement mais au sens où il prend des risques incommensurables à jouer sur différentes strates temporelles. On est moins vers quelque chose de cérébral que dans une version 2.0 de Mission : impossible, grosso modo.

      Lors de sa sortie en salle il y a huit ans, j’y suis allé deux fois. Moins pour comprendre et démêler des zones d’ombre que pour prolonger le plaisir, l’exaltation qui se dégage de chaque plan, chaque séquence. J’y suis retourné comme on remonte dans un manège. Inception est un rollercoaster, certes (le plus beau depuis quand ?) mais c’est sa mélancolie qui me fait l’aimer encore davantage aujourd’hui. C’est un grand film d’amour, sur une âme perdue, seule face à ses démons, ses souvenirs cruels, sa temporalité disloquée. Aujourd’hui, je me dis même qu’il est presque aussi fort émotionnellement qu’Interstellar. Bref, ça faisait 4 ! Comme le nombre de rêves imbriqués à la fin. Et je le reverrai encore, sans problème, d’autant que c’est comme Titanic, ça passe en un claquement de doigts.

Dunkerque (Dunkirk) – Christopher Nolan – 2017

24. Dunkerque - Dunkirk - Christopher Nolan - 2017Trois temps, trois mouvements.

   7.0   J’ai beaucoup pensé à Inception. D’abord dans sa façon d’aborder la triple temporalité, mais aussi plastiquement puisque je n’ai cessé de repenser aux brèves images des limbes, sur cette plage de la Mer du Nord. Que le film s’ouvre dans une ville canardée pour en extraire violemment un homme et le rejeter sur le sable évoque beaucoup ces buildings dévorés par l’océan. Plus loin il y a aura aussi l’omniprésence de l’écume – On croit parfois les soldats s’enfoncer dans une poudreuse – qui convoque ces arrivées dans les rêves quand DiCaprio se retrouvait plongé la tête dans le sable mouillé. L’idée de la marée permet de relier les deux obsessions de Nolan : L’engloutissement et le temps. Ce qu’il traitait déjà pertinemment dans Insomnia avec ce brouillard qui faisait naître un crime et ce ballet de journées sans nuit qui ouvraient droit sur la folie.

     Dunkerque suit l’Opération Dynamo sur trois espace-temps différents et un montage parallèle qu’affectionne tant Nolan : Une semaine sur une plage, une journée en mer, une heure dans les airs – On se souvient que dans Inception, quelques secondes dans une camionnette se dilatent sur une heure dans une forteresse en montagne ; Que Dans Interstellar, une heure sur la planète Miller équivaut à sept années terrestres. Trois chapitres balancés d’emblée pour mieux les oublier : Nolan choisit de faire converger astucieusement ces trois temporalités pendant une grande partie du film, notamment lors de séquences étouffantes (cockpit, épave, jetée) et de chevaucher curieusement la linéarité, au point que la seule temporalité qui finit par exister à nos yeux c’est celle du film. C’est très beau. La fin est plus convenue, plus didactique mais il fallait bien finir.

     Pour le reste j’aime que le film soit quasi sans parole, qu’il se concentre avant tout sur les gestes, les regards, les déplacements. S’il n’est pas bavard il n’est pas sans musique : M’est avis que ça doit être l’enfer pour les anti-Zimmer. Intense partition, une fois de plus, dont le film ne peut se détacher (Il ne s’en détache pas, dans mes souvenirs) autant dans ses roulements post-Glass, ses points d’orgue habituels que ses tentatives bruitistes plus subtiles. Pour moi le bémol du film c’est qu’il joue son va-tout sur l’immersion – Il refait l’ouverture de Saving Private Ryan sur 1h45 en gros. Ça marche hein, c’est vraiment sensoriel, suffocant, on a l’impression d’y être, mais c’est un genre (Le film de guerre) dans lequel ça m’a toujours un peu gêné – Je préfère voir ça dans Gravity par exemple, dans l’espace plutôt que sous les bombes.

     On est donc sur le pur terrain du survival, mais pour que ça fonctionne vraiment il faut des personnages et je n’en vois pas, plutôt je ne les distingue pas – C’est le revers de la médaille du film sans parole j’imagine, Nolan ne parvient pas à les incarner autrement qu’en minuscules concepts. Cette année j’ai découvert La 317e section de Pierre Schoendoerffer, qui est aussi l’histoire d’une fuite, d’un repli (l’anti-héroïsme de guerre en somme) mais il y avait de vrais beaux personnages dedans. Et le film était pourtant très immersif alors qu’il est dépourvu de musique et de grands bavardages. Grosse réserve donc, même si je le répète j’aime beaucoup comment Nolan transcende son matériau historique (Le fameux miracle de Dunkerque) en trois temps qui se collisionnent. Ça suffit à en faire un beau film, à mes yeux.

Insomnia – Christopher Nolan – 2002

15774913_10154309333557106_5348870620991404231_oDans la brume.

   7.5   « A good cop can’t sleep because he’s missing a piece of the puzzle. And a bad cop can’t sleep because his conscience won’t let him ». Ce sont les mots d’Ellie Burr s’adressant à un Will Dormer de plus en plus contrarié par ses insomnies. Mais en fait, ce sont ceux de Will Dormer. Une citation tirée de l’un de ses bouquins, puisque Ellie Burr en est une grande admiratrice. Insomnia n’aurait pu qu’être cette rencontre entre un flic racé devant faire équipe avec une apprentie fliquette qui a bien révisé pour l’impressionner. Il y a de cela. Cinq minutes. Autant qu’on pourrait croire ce polar lancé sur des bases traditionnelles d’enquête autour d’un serial killer. La séquence pivot arrive très vite dans le récit : La police a localisé le chalet dans lequel vit l’ermite suspecté (du meurtre d’une adolescente) et s’apprête à l’assiéger. C’est dans une forêt embrumée que la séquence s’achèvera. Le suspect aura pris la fuite. Et Will aura flingué son collègue par inadvertance. Une bavure à laquelle personne n’aura eu le plaisir d’assister, hormis nous, spectateur. Enfin pas exactement. Et tout l’intérêt d’Insomnia se trouve dans ce détail de grande importance. L’immense flic que l’ouverture promettait est soudain menacé d’avoir une carrière brisée, ce d’autant plus qu’il était évoqué jusqu’ici, en sourdine, ses démêlés avec la justice sur une ancienne enquête (Si on l’envoie en Alaska c’est surtout pour le mettre sur la touche) et des informations manquantes que son partenaire menaçait de divulguer dans les grandes lignes. Si le film détruit minutieusement la figure du bon flic autant qu’il casse le semblant de buddy-movie initial, il va aussi créer une connexion curieuse entre le flic et sa proie et non l’énième affrontement qu’on s’attendait à voir. Al Pacino & Robin Williams y sont parfaits. Ravi de l’avoir revu.

The dark knight rises – Christopher Nolan – 2012

30Combustion.

   5.0   Il faut déjà dire combien cette nouvelle trilogie de Batman, entièrement dirigée par Nolan, suivi intégralement par ses acteurs, ses techniciens, est un modèle d’assemblage, de cohérence d’ensemble, chaque volet répondant au précédent, aussi bien dans une évolution thématique qu’esthétique. Il m’aura donc fallu 48h pour voir les trois. Oui, il vaut mieux dormir un peu entre chaque, afin d’éviter l’indigestion. Et si ce dernier chapitre revêt surtout de la grosse machine hyper calibrée, explicative et répétitive (ses fameux personnages réversibles) saturée par les boum/boum de Hans Zimmer, je reconnais m’être pris au jeu, parfois certes interminable (un milieu qui rame) mais qui offre une dynamique qu’on a peu vu dans le cinéma d’action, de manière générale. Après, c’est vrai que l’entreprise de sérieux imposée par Nolan peut être rebutante, ce dégueulis de lourdeur délicat à encaisser mais si l’on accepte de se plier entièrement au cahiers des charges et à ce voyage épique, qui te brise les vertèbres comme Bruce Wayne, t’empêche de respirer comme Bane, te fait marcher sur une étendue gelée fragile et te fait croire que t’as une bombe nucléaire sous ton siège alors il faut admettre qu’une telle attraction de 2h45 est assez osée. Néanmoins, le rythme y est plus saccadé, le programme de démolition plus lissé et les personnages sont moins forts que dans le précédent (quoique la belle Anne « Catwoman » Hathaway vaille à elle seule le détour) notamment le méchant, masse qui semble échappée de The road warrior, qui fait davantage bulldozer (comme le film) que personnage à part entière, avec sa présence et la fascination qu’il pourrait dégager.  Pour ceux qui ne voudraient pas si risquer je leur conseille néanmoins de s’y ruer ne serait-ce que pour voir mourir Cotillard. C’est assez exceptionnel. Je ne vois pas trop ce qui les empêchait de faire une autre prise ou de foutre son « My father’s work is done » hors champ, mais ça vaut quoiqu’il en soit son pesant de cacahuètes.

The dark knight – Christopher Nolan – 2008

27Jubilation.

   7.0   C’était celui que je craignais le plus et donc celui qui m’excitait le plus. Celui dont on avait tellement vanté la mécanique de rouleau-compresseur et le programme d’action novateur qu’il me rendait fébrile. Attentif et fébrile. N’y allons pas par quatre chemins et j’en suis le premier surpris, qui plus est après Begins : j’ai trouvé ça excellent. Heath Ledger y est pour beaucoup, campant un Joker halluciné, bourré de tics, complètement dingue. Deux séquences géniales, parmi d’autres : Celle en voiture d’où il en sort la tête comme pour y respirer l’air du mal qu’il y a injecté ; Et celle de l’explosion de l’hôpital, tellement drôle, tellement puissante. Le film cette fois cumule les morceaux d’anthologie sans aucun répit, s’ouvrant sur un braquage totalement débridé et se fermant, sans qu’on ait eu le temps de se poser cinq minutes, sur un combat dantesque et une note archi sombre. C’est que le film l’est, sombre. Batman y est mis à mal comme jamais, le Joker ayant semble-t-il toujours dix coup d’avance, jusque dans sa création de Double face, personnage ancré dans le bien qu’il parvient à détourner en figure absolue du mal. C’est un pur méchant, intelligent et sordide sociopathe, qui n’a d’autre but que de semer le chaos dans Gotham. Inutile de mentionner combien la musique de Hans Zimmer participe, par sa finesse et son élégance bien connue (lol) à élever ce mastodonte en monstre ambigu et tragique. J’en suis sorti lessivé. Et ça me plait. Et sinon je veux bien une batpod pour noël.

Batman begins – Christopher Nolan – 2005

12309671_10153302347742106_2730635134719215467_oCuisson.

   3.5   Nolan et moi, resituons. On a un rapport assez ambigu, neutre, dans la mesure où je n’ai jamais compris ceux qui l’érigent en génie étendard hollywoodien ni partagé ce que ses détracteurs convaincus décèlent de si grossier en son cinéma. Ses premiers travaux et leur mécanique de malins, aussi attrayante soit-elle, m’avaient laissé relativement de marbre. Je parle là de Following, de Memento puis de The prestige. Le cas Inception a bousculé quelque chose car pour la première fois j’avais accès à son univers, il m’avait laissé les clés de sa chambre/Fête foraine et guidé à travers les roller-coaster qui la meublaient. Pas encore le déclic pour tenter l’aventure Batman (deux volets étaient déjà sorti) mais c’était un début. Joyau Interstellar allaient ouvrir ma curiosité. Bon, il m’aura tout de même fallu un an pour franchir le cap, mais voilà, c’est aujourd’hui.

     Démarrage difficile, c’est le moins que l’on puisse dire. Bien entendu, le choix de s’intéresser à la genèse de Batman est plutôt original quoique le montage parallèle est assez laborieux, si grossier que j’ai fini par m’assoupir, puis sombrer, vraiment. Du coup j’ai vu ce premier épisode en deux fois. Et franchement, je me rends compte que je m’en fou complètement. Ce n’est pas pour moi. C’est de la parlotte pendant les trois/quarts du temps. Liam Neeson est nul, Katie Holmes aussi. Et tout l’univers traumatique crée pour en arriver à cette explosion finale me parait bien fastidieux au regard de ce que le film raconte vraiment : Pas grand-chose. Au mieux on peut trouvé ça regardable et fonctionnant comme un joli clin d’œil aux fans « eh t’as vu on te l’avais pas encore fait le coup de la genèse de ton héros hein » mais niveau cinéma c’est zéro.

Interstellar – Christopher Nolan – 2014

1781950_10152503225192106_6950501695144680260_nComing home.

   10.0  J’ai trouvé ça immense. Je ne suis a priori pas fan du cinéma de Nolan (je n’ai d’ailleurs pas vu ses Batman) mais ce film m’intriguait beaucoup. Il ne m’a pas quitté depuis que j’en suis sorti, loin de là. Possible avec le recul que je le considère même comme le plus beau film vu cette année. Je développe un peu plus en profondeur ensuite mais je conseille à celles et ceux qui n’ont pas encore vu Interstellar de ne pas lire car je dévoile beaucoup de choses qu’il serait fâcheux de ne pas découvrir durant la projection. Mais courez voir ça en salle illico, franchement !

     Le cœur du film se joue selon moi dans ce vertige inédit suscité par la distorsion de la temporalité. Si le voyage de Cooper (Matthew McConaughey, qui est décidemment dans tous les bons coups cette année) en quête d’une planète de rechange se compte déjà en années pour un éventuel retour sur Terre (deux ans nécessaires pour atteindre Saturne) l’obligeant à manquer de voir grandir ses enfants, c’est en pénétrant dans un trou de ver, aux abords de la planète aux anneaux, et en foulant une terre inconnue au-delà du système solaire, où la notion temporelle est infiniment plus faible que sur la Terre (Une heure équivaut à sept ans !) que le voyage prend alors des proportions bouleversantes.

     Interstellar semble se situer dans une ère sans date. Dans un futur qui nous rappelle étrangement le passé, où les scientifiques (Cooper compris, ancien pilote d’essai) sont redevenus des agriculteurs, puisque les denrées alimentaires sont en berne la faute à un climat peu propice, entre précipitations en chute libre et nuages de poussières récurrents – altérant progressivement vivres et santé de la population. Ces tempêtes qui rappellent celles de la grande dépression des années 30. La temporalité insituable fait corps avec le leitmotiv du film, dans l’espace, ce qui lui confère une singularité sublime. Interstellar est moins un voyage spatial qu’un trip temporel fait de strates multiples, de planètes mystérieuses, de rebondissements permanents, où tout est agencé merveilleusement jusque dans ses imperfections – Grand coups d’orgue omniprésents de Hans Zimmer (qui ne m’ont même pas dérangé, c’est dire si j’étais dedans), charabia scientifique bien verbeux et neutralisation absolue du vide – Pas de respiration dans le cinéma de Nolan.

     Ce qui me plait beaucoup c’est de voir Nolan ne jamais véritablement cacher le nœud de son récit aux accents éminemment mélodramatiques. Le titre le dit déjà. Et le récit nous y conduit en permanence. Via cette première scène où une vieille femme raconte, dans une sorte de vidéo d’archive, l’histoire de son père, cultivateur de maïs qui sauva le monde – Il ne faudrait pas longtemps pour faire le lien et c’est cette humilité que j’aime infiniment, mais le film nous emmène tellement loin qu’on finit par oublier cette introduction. De la même manière, le film pourrait tout nous cacher dans cette première partie familiale, quasi Spielbergienne – On pense à Rencontres du troisième type – voire Shyamalanienne – relents de Signes – mais au contraire on peut y voir Cooper en discussion avec sa fille, s’appuyant sur une montre commune, qui semble remplacer la toupie de Inception, que son voyage dans l’espace et dans le temps pourrait très bien les voir se réunir au même âge. Nolan a toujours été un malin, mais là on ne pourra pas dire qu’il ne nous avait pas prévenus. Pour autant ce n’est vraiment pas une scène illustrative, ça se fond parfaitement dans le récit et dans l’intimité fragile de cette relation père/fille.

     On pourrait grossièrement diviser le film en deux parties : terrestre et spatiale. Deux mondes qui aurait pu être joints par une transition bien lourde (je la craignais) entre préparatifs à la mission, angoisse du départ, prise de connaissance de la base de lancement, multiplication de personnages, mais Nolan mise son va-tout sur une ellipse absolument sidérante superposant les adieux de Cooper à ses proches avec son décollage dans l’espace. Le film me fascinait déjà avant ce virage parfait mais je crois que c’est la première vraie grosse baffe que je me suis prise. En attendant les suivantes. Et les précédentes grâce aux suivantes. Autant le dire cash, Interstellar m’a ému aux larmes, à plusieurs reprises. Je n’imaginais pas dire cela un jour d’un film de Christopher Nolan, pourtant c’est le cas. J’en suis sorti épave, à la fois émerveillé et tétanisé.

     Les prémisses de ce bouleversant voyage sidéral se situaient, n’en déplaise à ses fidèles détracteurs, dans Inception, où le cinéaste expérimentait et faisait éclater cette fascination pour les serpentins temporels, les couloirs infinis, les paradoxes insensés, dans un maelstrom éprouvant façon Mission Impossible sur quatre niveaux de rêves l’élevant définitivement en jouissif mastodonte hollywoodien, qu’on pourrait rapprocher récemment du Edge of tomorrow, de Doug Liman. Plaisir à la fois régressif, cérébral et festif. L’émotion y était entièrement délaissée au profit de sensations fortes, malgré l’histoire de cette femme inéluctablement attirée par les limbes, qui me touchait beaucoup. Cooper lui, n’est pas à proprement parlé happé par les limbes ou le trou noir, mais il choisit le voyage, le rêve, moins pour sauver l’humanité – c’est pourtant l’enjeu frelaté de la mission secrète d’une nouvelle NASA clandestine – que les siens avant tout. Ainsi, le plan A (l’évacuation générale de la Terre) lui parle nettement plus que le plan B (Une colonisation via des embryons humains) ce qui peut se comprendre. Le puzzle mental de l’un est transposé à l’infinité spatiale de l’autre.

     C’est un grand film sur la peur de l’anéantissement des rêves. L’angoisse de voir s’effondrer la civilisation humaine au moyen de ce qu’elle a créée. Ici à l’école, on enseigne dorénavant que les missions lunaires d’antan n’avaient pour unique visée que de ruiner l’économie soviétique. On pourrait en dire autant de ce Plan B qui ne cesse de planer pendant tout le film et rime avec l’extinction d’une Humanité terrestre. On pourrait aussi parler de cette vague géante sur cette étrange planète océan, réapparaissant à intervalles réguliers – comme les débris de Gravity – et convoquant ces dust bowls sur la Terre, comme pour montrer qu’ici non plus l’Homme n’y survivrait pas longtemps. C’est l’une des séquences les plus belles du film, pour ce qu’elle engendre (la temporalité disloquée), ce qu’elle offre en tant que spectacle et pour sa brièveté. J’ai évoqué Gravity, autant en parler. Ces deux films ont un an d’intervalle donc on serait tenté de les rapprocher, de les comparer. Mais bon, ce serait comme de comparer Lumière et Méliès, ça n’a pas grand intérêt. On pourrait simplement s’amuser à comparer leur faculté à faire s’associer l’infiniment grand et l’infiniment petit, leurs élans gargantuesques et leurs douleurs intimistes – Le Skype des 23 ans de messages (scène terrassante) répond au deuil impossible de la mort accidentelle d’un enfant.

     La paternité est par ailleurs un élément fondamental du récit, mais je ne pense pour autant pas qu’il faille être parent pour l’apprécier. A mon avis c’est vraiment la patte Nolan, cette surcharge permanente, qui peut dérouter et je le comprends. Moi je suis friand ce genre de séance vertigineuse à condition qu’elle soit totale, qu’elle ne faiblisse pas. Il me semble qu’Interstellar a répondu à cette attente. Après, oui, le sujet me foudroie. Comme c’était le cas lors de cette trouée sublime dans Gravity où d’un coup, là où on ne l’attendait pas, le personnage confiait sa douleur de cet enfant tombé sur la tête dans la cour de récréation. Ou dans Super 8 lorsque le garçon voit le regard de sa mère dans celui du monstre à la fin. Ici, le monstre c’est Cooper. Il se retrouve face à sa fille qui pourrait en apparence être sa grand-mère, qui lui demande de la laisser mourir auprès de ses enfants à elle, parce que c’est dans la logique des choses. Je ne sais pas pourquoi mais ça m’évoque la sublime fin de Titanic où les passagers du paquebot se retrouvent dans une séquence hors du temps, autour de cet escalier et de cette horloge, où Rose peut enfin rejoindre ceux qui sont partis il y a cent ans. Et on pourrait aller encore plus loin en évoquant ce semi hors-champ final où Cooper semble parti rejoindre Amelia Brand, abandonnée sur la planète Edmunds – veuve de celui qu’elle aurait voulu rejoindre quatre-vingts ans plus tôt – pour fonder une colonie nouvelle.

     C’est une expérience de cinéma hors des normes dans la mesure où ses effets sont parfaitement distillées, limpides, homogènes, où la complexité du récit ne l’empêche pas pour autant d’être aisément compréhensif. Le film ne freine pourtant devant aucun jargon des plus repoussants au premier abord. Mais je suis fasciné par les séquences spatiales de Interstellar – pourtant très bavardes, à l’instar du Sunshine de Danny Boyle – car jamais je n’ai l’impression que le film croule sous une dévotion réduite au sens du spectacle. Chaque péripétie, aussi marquée soit-elle, n’est pas une machine à sensations extrêmes non plus, suffit d’évoquer l’aspiration dans le trou de ver ou plus loin celle dans le trou noir. Si le voyage est génial c’est aussi parce qu’il refuse de se perdre dans un trip figuratif afin de rester maître de son récit. Ce qui ne l’empêche pas de faire défiler des images proprement hallucinantes de nuages gelés, océans sans profondeur, course-poursuite dans un champ de maïs, trou de ver en sphère, le tesseract et j’en passe.

     Mais c’est surtout un grand film d’amour, ce qui le rapproche d’un cinéma total à la Abyss, ou à ce qu’on a pu récemment éprouver devant la série The Leftovers, une montagne d’émotions où passé et présent fusionnent, se chevauchent et bouleversent parce qu’ils aspirent à traverser les dimensions et atteindre un voyage quasi transcendantal. Nolan choisit cette fois le mélodrame familial plus que la montagne russe – inversant la dimension de Inception – mais comme à son habitude voit les choses en grand. Là où il emboitait les rêves il enchâsse ici plusieurs films, les uns dans les autres. Il cite Newton, La loi de Murphy et la physique quantique. Fait apparaître des fantômes dans une bibliothèque. Pour au final ne retenir qu’une chose : l’amour pour ses personnages. L’amour, tout court. Avant, la source d’énergie chez Nolan, le soleil de ces récits, c’était un rubik’s cube géant et des figurants, maintenant ce sont les êtres humains et le temps qui leur est donné pour s’aimer. Evidemment, ça change tout.

Following – Christopher Nolan – 1999

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Espion, lève-toi !

   5.0   Etonnant de constater à quel point Memento (le deuxième film réalisé par Nolan, qu’il me faudrait revoir, tout de même) n’est en fait qu’un copié/collé de son tout premier, Following. Rien de désagréable. On navigue entre le polar et l’introspection d’un suiveur suivi, variation autour du thème de l’arroseur arrosé, construction en puzzle où le puzzle s’avère complètement vain si ce n’est dans l’espoir de perdre le spectateur pour mieux lui tendre la main ensuite car déjà, Nolan est fasciné par cette espèce de facétie auto-satisfaite selon laquelle la magie avec laquelle il délivre les clés de son récit importe finalement plus que le récit lui-même, voire la mise en scène elle-même. Chez Rivette (Le coup du berger) par exemple, c’est évidemment tout le contraire, il y a des idées et la réussite du film ne tient pas qu’à son assemblage. Quand on y réfléchit, Following de façon linéaire, n’a plus les mêmes objectifs. Le spectateur serait bien trop libre. Néanmoins, je trouve cela correct car ça ne vise pas à être grand, c’est bourré d’énergies (et de tics, aussi) et tellement représentatif en mode mineur du futur cinéma de Nolan : importance des objets (une boucle d’oreille comme paradoxe, future toupie de Inception), goût évident pour le puzzle (déformation physique saccadée, tempo central de Memento), construction en pièges (le polar à la Insomnia). Nolan est un petit malin, un faiseur au sens petit magicien (Le prestige, bien sûr) qui aime embarquer le spectateur dans ses tours, lui en mettre plein à la vue, petit monde éternellement adolescent, déjà parsemé de petites (auto)références (le curieux logo Batman sur une porte, magie d’un devin). Ça aimerait sans doute faire du Lynch ou quelque chose qui s’en rapproche (on sent le désir de faire un Eraserhead) mais l’ambiance rappelle davantage l’horrible Pi d’Aronofsky. Mais le film, je le disais, reste anodin, divertissant plus qu’instructif, c’est sans doute pour cela que je l’aime modérément, ou que parfois je prends un pied monstre comme c’est le cas devant Inception, parce qu’à mon avis ce ne sont que des films d’espionnage sans autre vocation que leur pouvoir attractif.


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