La forêt des songes.
7.5 Je l’ai tellement rêvé ce film rêve amazonien, que je suis un peu déçu, inévitablement. Déçu de ne pas l’avoir découvert en salle, déjà, tant l’immersion procurée par ce genre de voyage somnambulique, ne peut pleinement s’apprécier que dans une salle obscure, sur un écran qui te fait otage, dans un instant où tu t’offres à lui autant qu’il s’offre à toi. Déçu aussi car derrière cette double exploration, reliée par un même lieu et un même guide/chaman, séparée par la temporalité (Quarante années), on ressort un peu gêné par tant de beauté plastique, ce soin dans chacun des mouvements de caméra, ces fulgurances d’esthète qui annihilent constamment sa portée spirituelle. Déçu qu’une si belle jungle ne se dévoile qu’au travers d’un (sublime) noir et blanc, tandis que l’affiche, elle, annonçait un film en couleurs. Déçu aussi que les mots soient si présents, si explicatifs alors que le film a tout pour nous perdre dans la contemplation, le silence et les doux bruits de la forêt. Déçu sans être déçu tant ces deux voyages se superposent à merveille, celui de l’ethnologue chevauchant celui de l’ethnobotaniste, deux allemands sur les traces du yakruna, une plante hallucinogène rare, quand la jungle a déjà été lavé de son caoutchouc par les Blancs, qui s’incarnent ici dans un vieux prêtre de mission catholique terrorisant des orphelins colombiens, là dans un messie à la tête d’une secte cannibale. Déçu sans être déçu, tant le film ne ressemble pas vraiment à l’idée qu’on se fait d’un film amazonien, quand on songe aux expérimentations herzogiennes ou au romanesque du dernier film de James Gray. C’est comme si la sensualité d’un Weerasethakul avait croisé le vertige d’une Kubrick ou d’un Aoyama Shinji – L’apparition de la couleur à la fin, sur un mode psychédélico-panthéiste rappelle autant 2001 que Eureka. Ravi surtout de voir combien le film prétend nous emmener quelque part (Sur les traces de ces deux aventuriers) avant de faire de son chaman, en pleine quête identitaire, son vrai personnage central. Beau film, donc, très beau film, même, sans que ce soit la déflagration espérée non plus.