Archives pour la catégorie Claire Denis



Nénette et Boni – Claire Denis – 1997

Nénette et Boni - Claire Denis - 1997 dans Claire Denis nenette_webUn poison violent.    

   7.0   Boniface vit seul dans un appartement de Marseille (lequel est parfois squatté par certains de ses amis dont on n’apprendra pas grand-chose), il a quitté le foyer familial à la mort de sa mère, il est pizzaïolo, il fantasme sur la boulangère. Antoinette vit chez son père mais quitte son collège et part rejoindre son frère lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte.

     Nenette et Boni pourrait être une suite directe à US go home. Le temps aurait passé. Frères et sœurs seraient donc séparés. Et le jour où elle apprendrait sa grossesse elle quitterait le cocon familial – en l’occurrence le père a remplacé la mère – pour trouver une aide auprès de son frère qui lui manquait sans doute. Mais comme dans US go home, leur relation, à fleur de peau, est très violente, parce qu’ils se ressemblent. Du coup il est très vite question d’avortement en ce qui la concerne tandis que lui ne le souhaite pas. Elle souhaite d’abord mettre fin à cette souffrance puis accouche sous X. Lui la sauve in extremis de ses tentations suicidaires et s’en va prendre le bébé à l’hôpital, arme à la main.

     C’est un film très noir, plus encore que dans tous les autres films de Claire Denis. Pourtant c’est ci et là qu’elle insère des moments de grâce, suspendus, musicaux. Ainsi, la figure tant fantasmée est incarnée par ce couple de boulangers, récemment parents qui vivent des moments magiques. Lorsque l’on découvre Tedeshi et Gallo s’enlacer en dansant sur un morceau des Beach Boys on sait qu’on est chez Claire Denis, et ces mouvements corporels, cet amour vrai car muet.

     Ce n’est pas celui de ses films qui me touche le plus, la faute à une narration plus décousue, un montage plus abrupt. Néanmoins ça reste beau, passionnant, aérien – accompagné par le musique des Tindersticks – et comme toujours incroyablement bien joué.

US go home – Claire Denis – 1994

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Wild things.    

   9.5   Au début on se croirait chez Godard. Le son se désynchronise de l’image lorsqu’une jeune femme se met à parler, un peu comme ça, comme on écrirait au fil de la plume, évoquant les grands ensembles de la banlieue parisienne. Elle présente Paris dans cette cuvette brumeuse, puis son frère et une amie. Elle dit étudier le Russe. On distingue  en off deux filles parlant russe pendant que l’on voit un passage à niveau et un train le franchir. Son frère, un livre à la main, quelques pochettes de quarante-cinq tours accrochés au mur derrière lui, récite un texte comparatif sur le plaisir et le déshonneur de la sexualité incontrôlée. La jeune fille termine son bref monologue en évoquant la base militaire américaine voisine. On est dans les années 60. A première vue on dirait un remake de Passion ou de Deux trois choses que je sais d’elle, surtout ce dernier d’ailleurs, on sent venir un film de ville, un film qui laisserait vivre les constructions tout en filmant ses habitants. Et puis il y a vraiment cette consommation accrue de l’information, le pouvoir de l’image, ça avance déjà tambour battant, mais le montage n’est heureusement pas frénétique. Quelques instant plus tard le film s’ouvre littéralement à quelque chose d’incroyable qu’il ne fera que tenir jusqu’à la fin du film, se détachant un peu par la même occasion des expérimentations Godardiennes. Il s’ouvre à la musique, au mouvement du corps qui l’accompagne, on est déjà plus du côté de One plus one. Pire, c’est la musique qui donne clairement un tempo au film. Il ne s’agit pas de filmer un groupe dans une pièce qui tente de produire quelque chose qui toucherait à une sorte de perfection – le fameux morceau Sympathy for the devil que l’on entend à de nombreuses reprises jamais en entier – mais de filmer à tâtons des gens dans une pièce, comme si la caméra était curieuse, de voir si l’on peut vivre et danser ensemble. Avant cela, Alain (Grégoire Colin), le frangin, se met à danser dans sa chambre sur un morceau des Yardbirds, son corps embrase l’écran, rarement vu une séquence solitaire dansée aussi belle, aussi sensuelle, où le corps s’abandonne littéralement. Claire Denis filme cela en un seul plan, toute la durée du morceau. Au plan suivant nous découvrirons que nous étions les yeux de la petite sœur, qui observait son frère sans lui dire, lequel lui fera remarquer. Tout est alors placé sous le signe du pouvoir du corps, de l’abus que l’on peut en faire, à l’image de cette tirade du grand frère en tout début de film. Tout est placé sous le signe du sexe. Martine voudrait aller à une soirée, sa mère lui interdit sauf si elle y va accompagnée de son frère. Martine n’a qu’une idée en tête : faire l’amour, à première vue on pourrait même dire baiser. On surprendra une conversation avec Hélène, son amie, qui l’aide à se coiffer tout en chantant (séquence sublime une fois encore), lui disant de surtout bien se retirer au moment où l’homme s’apprête à jouir en elle. Très vite le film prendra la direction de cette soirée, où tout semble devoir s’y jouer. Ce genre de soirée qui commence avec les parents, puis qui devient entièrement jeune, collé-serré, où l’on danse un peu avec tout le monde, où l’on fait des rencontres. Martine tente des approches, maladroitement, elle se surprend elle-même. Elle verra son frère danser aux bras d’une fille, son amie au cou d’un autre garçon. La petite sœur ne semble pas prête, et l’ambiance aussi étrange soit-elle poursuit son chemin dans cette soirée très tactile. Une fois de plus la musique ne s’arrête jamais. C’est un vrai balai de corps dansants, tout est très sombre, il y a du monde. Qui mieux que Claire Denis pouvait reproduire cette sensation de chaleur corporelle, de peaux qui se frôlent, de balancement des corps ? Claire Denis ou le cinéma du corps en mouvement. Rarement ces séquences auront été si intenses, si puissantes. Après un fiasco total où Martine se rend compte que ce n’est pas ce qu’elle cherche, elle surprendra Hélène et Alain nus dans une pièce, après l’amour on se doute. Plus tard lorsqu’il faudra rentrer, nos deux frangins rencontreront un GI de la base américaine et la jeune femme en tombera amoureuse, rien qu’en l’écoutant, en le regardant. Quand son frère prendra l’initiative de renter à pied – tant qu’il peut fuir de l’amerloque – sa sœur restera avec cet homme, mystérieux, désenchanté, magnifiquement campé par Vincent Gallo. Ils écouteront de la musique. Ils fumeront une cigarette dans sa voiture. La cigarette dans le cinéma de Claire Denis a une importance capitale : les volutes de fumées épousent eux aussi à merveille les mouvements humains. Ils s’embrasseront, dans la pénombre le long d’une route forestière, puis sans doute davantage, la cinéaste les montrant en train de disparaître dans le hors-champ. Puis il ramènera la fille chez elle, avant de disparaître. Us go home, c’est le graffiti que nous verrons à la fin du film, sur un mur, comme pour rappeler qu’il est toujours question de monde, de préjugés sur les différences, ce qui n’empêche pas la jeune femme d’avoir vécu quelque chose d’encore plus miraculeux que ce qu’elle pensait vivre ce soir là. Elle s’est ouverte au monde. Et elle s’est ouverte au sexe, mais sûrement pas comme elle l’imaginait. Tous auront fait l’amour (peut-être même auront-ils tous perdus leur virginité, rien n’est à exclure) dans cette soirée si singulière dont on se doute qu’elle laissera des traces. Magnifique ultime plan.

Beau travail – Claire Denis – 2000

Beau travail - Claire Denis - 2000 dans * 100 beau-travail

Le petit soldat.    

   10.0   Chez lui, à Marseille, un homme se souvient du temps passé en tant qu’adjudant dans la légion étrangère à Djibouti, de ce quotidien si bien huilé, ordonné avant qu’un élément vienne perturber la machine.

     C’est un peloton de la légion perdu en plein désert africain, comme abandonné. Une vingtaine de jeunes recrues partage leur temps entre l’entraînement sportif, les simulations de combat, la lessive, le repassage, la cuisine, la garde et quelques sorties dans les bars de la ville. La routine, dira l’adjudant. Mais nous voyons tout cela comme porté par un envoûtement permanent, le film commence sur une très belle séquence dansante, puis se poursuit par les ballets de corps de légionnaires dans le climat aride et ce sable qui voltige en permanence rendant l’expérience limite cosmique. C’est comme un doux voyage, alors que ce pourrait être extrêmement violent.

     La preuve durant certaines scènes d’entraînement où la cinéaste filment les corps dans les obstacles, qui sautent, rampent, s’agrippent, mais nous ne voyons rien de ces parcours, les plans sont fixes, chaque légionnaire passe alors sous nos yeux, on dirait vraiment un ballet de gymnastes. Les dialogues sont déjà très rares, dans ce genre de séquence aérienne ils n’existent plus, tout passe par l’expression corporelle. Dans une scène similaire on découvre le camp encerclé par le sable à perte de vue, depuis un bateau qui traverserait le fleuve, pendant que chaque homme s’adonne à l’une de leurs responsabilités quotidiennes.

     Il y a aussi la voix de l’adjudant Galoup dans Beau travail, parcimonieuse, si discrète, sous forme de voix-off. Elle accompagne certaines images, parfois elle ne concerne pas ce que l’on voit. Cette voix ce sont comme des pensées, réfléchies, une recherche dans la mémoire, avec beaucoup de recul sur ce passé. L’ex-adjudant semble dire qu’il vivait durant cette période de sa vie, qu’il a perdu ce goût là aujourd’hui. La légion c’était sa vie, ce qui faisait son personnage. C’était un jeu aussi. Un perpétuel concours d’admiration réciproque avec son commandant, un respect mutuel éternel avec sa légion. C’est l’histoire d’un homme perdu, qui a donné toute sa vie à une situation qui lui a échappé, à un schéma de vie qu’il vivait comme s’il rêvait. Sur la forme, étant donné que l’on est véhiculé par les souvenirs d’un homme, il y a parfois des discontinuités, des déstructurations, comme des éléments racontés comme ils viennent, à la volée. Du coup, dès la première séquence de danse, on peut sentir un premier affrontement du regard entre l’adjudant et son légionnaire.

     Car c’est aussi une affaire de jalousie. C’est une nouvelle recrue, Gilles Sentain, qui devient la cause de sa perte. Cette admiration générale centrée sur ce garçon, légionnaire parfait, héroïque à ses heures, toujours disponible. Galoup souffrira beaucoup de cette nouvelle grande présence qui lui fait de l’ombre, principalement auprès du commandant, dont il ne voit là qu’infidélité. Il y a quelque chose d’Apocalypse now là-dedans. Rappelons que le film de Coppola n’est qu’illusion et désillusion sur la fascination d’un homme pour un autre, d’un homme pour une figure emblématique. Le rôle du colonel Kurtz pourrait alors avoir échoué au commandant dans Beau travail, jusque dans leur aspect physique, tellement proche. Et puis il y a un travail similaire sur l’apprivoisement des corps dans un lieu singulier (le long d’un fleuve pour l’un, le désert pour l’autre) et source de folies, de sentiments à leur paroxysme renforcés par l’étrangeté des lieux.

     Dans cette façon de travailler les corps, de les rendre si magnétiques (à l’image de cette séquence musicale où les recrues doivent effectuer une accolade intense musculairement) il y a comme une poussée maximale de l’admiration de l’autre qui amènerait ici à des pulsions homosexuelles refoulées, et symboliserait ce triangle Commandant/Adjudant/Légionnaire comme un amour impossible. Je crois qu’il n’est pas exclu d’y avoir songé, tant les sentiments sont justement décuplés par l’isolation du lieu et par l’entière proximité jour et nuit entre chacun de ces hommes, abandonné dans une immensité dans leur état primitif. Claire Denis filme l’éclosion d’un amour et tout ce que cela engendre, dans la plus pudique de sa représentation.

Trouble every day – Claire Denis – 2001

trouble-every-day_vincent-galloLes prédateurs.

   8.5   Comment parler de la pulsion cannibale par le plaisir sexuel sans jamais en évoquer le nom, sans même jamais vraiment parler de maladie ? Les deux personnages que sont Coré (Béatrice Dalle) et Shane (Vincent Gallo) éprouvent ce même désir pour des relations plus que violentes, puisqu’elles se terminent systématiquement par la mort de leur vis-à-vis. Enfin, cela est vrai pour Coré, que l’on voit littéralement enragée pendant tout le film, uniquement protégée par son mari (Alex Descas) médecin, j’y reviens. Tandis que Shane intériorise tout, il est en voyage de noces avec sa petite amie mais il est en bataille permanente avec ses pulsions qu’il sait dévastatrices. On vit le mal être de cet homme au quotidien et s’il semble plutôt inoffensif avec sa femme dans un premier temps, on verra plus tard des marques de morsure dentaire sur son corps, et même nous verrons un acte sexuel incroyablement triste, avec une femme impuissante devant les sensations quasi incontrôlables qu’est en train de vivre son mari, condamné à jouir dans les toilettes pour éviter le massacre. Il y a d’un côté l’histoire d’une fille sans scrupules, qui déguste au sens propre des proies humaines, aidée par son homme qui passe derrière, cache les corps et la nettoie, qui ne trouve aucun remède, dans une société qui se ferme littéralement à ses angoisses, à ses appels au secours. Il y a d’un autre côté l’histoire d’un homme qui tente de lutter contre ça, qui s’acharne à trouver des solutions pour palier à ses désirs inavouables. Il ira jusqu’à tuer cette sorte de mère spirituelle dans une scène déchirante. Plus tard, peut-être se croyant guéri de ses maux, il s’apprête à séduire une jolie femme de chambre, avec qui les regards se faisaient chaque fois plus intense depuis son arrivée sur Paris, mais lui fait l’amour à sa manière, la tue en lui dévorant le sexe. Scène quasi insoutenable.

     Je raconte l’histoire comme si elle était si simple, si lisible, mais c’est oublier de dire combien la mise en scène de Claire Denis, toujours très aérienne et charnelle, contourne toutes les facilités et nous raconte des tourments intérieurs plus que des violences sexuelles. C’est bien simple, Claire Denis déréalise tellement les attributs dramatiques autour de ses personnages victimes éphémères qu’elle se concentre sur le mal-être de ses bourreaux. Même les deux personnages qui côtoient nos deux malades n’ont pas réellement d’épaisseur, ça peut gêner. Il y a donc Dalle et Gallo. Ils sont magnifiques. Et la cinéaste arrive à trouver des trucs sensationnels en filmant leurs corps, leurs regards. On est constamment sous pression, dans une attente inconnue. Quand on pense que la jeune femme va surmonter ses pulsions carnassières en séduisant un petit jeune (Nicolas Duvauchelle) de manière très belle, très érotique, très calme, c’est finalement un carnage absolu, à en peindre les murs avec des boyaux. Quand on croit au retour du désir habituel, au sens non cannibale de l’homme, la machine se vrille et casse nos espoirs. Cette maladie si étrange est alors vécue comme une maladie incurable, uniquement battue par le mort elle-même. C’est d’une infinie tristesse.

     L’anthropophagie sexuelle me rappelle les figures habituelles du mythe vampirique. Coré et Shane apparaissent ainsi ou du moins à quelque chose qui ressemblerait à la figure du vampire. Dans leur façon de se déplacer, c’est la caméra de Claire Denis qui guide leur mouvement, on ne sait plus s’ils gravitent dans Paris de façon humaine ou non. Dans la séquence au tout début ou Coré dévore une de ses proies, elle nous apparaît sûr d’elle, invulnérable, complètement animale. Et la séquence se déroule de nuit. L’obscurité sera un motif récurrent puisque à chaque acte sexuel montré où l’un finit par être dévoré, cela se déroule de nuit si l’on est en milieu naturel, ou dans la pénombre si nous sommes en lieu clôt. On peut terminer cette analogie avec la figure du vampire en évoquant la mort de Coré : Shane l’étouffe et la laisse périr dans les flammes dans lesquelles son corps s’embrasera. La scène est déchirante.

     Récemment, un film est sorti sur la comtesse Bathory, un film de Julie Delpy. On y découvrait le désir d’une femme de dévorer le sang de ses servantes qui pensait-elle, devait lui rendre sa fertilité, sa jeunesse. C’est un très beau film sur la peur de la mort. Le sang est une dominante dans les films de genre, on en voit à outrance chez Roméro par exemple, et ces zombies qui se nourrissent du sang des humains. Rarement dans un film nous n’avions cette sensation nouvelle qui traverse le film de Claire Denis, que l’être humain aime la chair, aime le sang, mais que c’est la société et ses mœurs qui l’empêchent d’accomplir certaines envies. Lors d’un rapport sexuel, si l’on se plait à mordiller, fouiner, palper, caresser, embrasser, lécher c’est aussi par pur plaisir charnel au sens moral, parce que l’on s’est toujours arrêté avant la blessure. Coré n’a plus cette limite morale. Durant la séquence la plus éprouvante du film, elle est séduite par un jeune venue la délivrer de sa chambre transformée provisoirement en prison par son mari pour qu’elle ne réitère pas ces pulsions, puis pendant qu’ils font l’amour, elle le dévore dans le cou, puis le visage, elle ne mordille plus mais plante ses crocs. Puis elle jouit de ce plaisir là : lécher les plaies (On pense à Cronenberg), y enfoncer ses doigts, se frotter de tout son corps contre son jouet ou sa proie, tel un vrai prédateur animal.

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