Archives pour la catégorie Corneliu Porumboiu

Les siffleurs (La Gomera) – Corneliu Porumboiu – 2020

12. Les siffleurs - La Gomera - Corneliu Porumboiu - 2020Le tombeau des lucioles.

   6.0   Catrinel Marlon, bonjour madame. Objectivement il faut voir le film pour elle. Et puis on la voit dans le plus simple appareil. Je dis ça je ne dis rien.

     Qu’en est-il du film ? Je pense que c’est un tout petit Porumboiu. Un film noir anodin. Qui cite ouvertement Psychose et La prisonnière du désert, mais qui ressemble in fine à pas grand-chose. On est loin, très loin du choc tellurique que fut Policier, adjectif il y a dix ans. Là on retrouve celui du Trésor, mais sans la grâce du Trésor. Néanmoins, il y a de jolies scènes, un humour très bizarre, une drôle de construction (par personnages), il y est beaucoup question de caméras de surveillance, de faux et de faux pour sembler vrai – Belle idée ce décor de ville de Far West. Et les truands apprennent la langue sifflée, pour passer incognito. Le langage, toujours.

     Mais ce petit théâtre de caïds et flics corrompus, héros paumé et femme fatale, île et siblo ne prend pas. Avant les cinq dernières minutes j’aurais dit que c’était un film complètement artificiel. Mais il y a ce final à Singapour – et l’incroyable générique qui s’ensuit – et l’on se souvient que Le Trésor se fermait sur un soleil et Life is life, mais aussi que Les siffleurs s’ouvrait de façon très bizarre sous The passenger, d’Iggy Pop. Un clin d’œil à Antonioni ? Porumboiu a toujours plein des idées. Celle qui ferme Les siffleurs est peut-être la plus belle qu’il ait jamais eue.

     J’ai l’impression qu’avec ce final, le film m’offre son vain programme : C’est à la fois beau (cette histoire d’amour indomptable), soudain (l’ellipse), majestueux (Les roches des îles Canaries / Le Gardens by the bay Light and sound show à Singapour) et complètement artificiel. Un égarement en plein feu d’artifice, véritable triomphe du faux. Porumboiu joue franc jeu. Au point que sa partition festive finale entre cette fois dans la diégèse : Soit un agencement de tubes classiques. Un final qui vaut le détour.

Le trésor (Comoara) – Corneliu Porumboiu – 2016

30L’argent.

   6.5   D’emblée le film est déjà dans la fable : Un père lit à son fils l’histoire de Robin des Bois, quand il est interrompu par son voisin qui sonne à sa porte et vient lui demander un peu d’argent. Cette séquence d’ouverture oriente tout le film. Corti semble avoir une vie précaire mais suffisamment rangée pour que sa famille joigne les bouts, donc dans un premier temps il refuse. Puis, à ce rejet immédiat répond un accord tout aussi soudain, lorsque le voisin revient et explique qu’il a besoin de 800€ pour louer un détecteur de métaux lui permettant de chercher un trésor enfoui depuis des décennies dans le jardin familial, selon la légende, et propose de partager avec Corti sil accepter de lui avancer cet argent et venir creuser à ses côtés. Si l’on est familier du cinéma de Porumboiu on sait que le film sera découpé en segments. L’accord d’une part, la quête de la somme d’argent et du matériel ensuite. Puis dans un troisième élan, la chasse au trésor dans ce carré de pelouse, loin de la ville.

     Dans un premier temps, la mise en scène enferme littéralement les personnages dans des pièces froides et exiguës. Puis elle s’ouvre brutalement sur l’extérieur, tout en se libérant de sa sécheresse en y injectant un ton nouveau, plus léger et burlesque. Trois personnages seulement vont occuper une grande partie de cette étape : Le voisin, Corti et le technicien qui vient avec son matériel. Ils vont se nourrir l’un l’autre, tout en apportant chacun une tension qui va se reporter sur les deux autres. Le tout avec au centre deux détecteurs de métaux à les rendre fou : Un vieux truc qui s’emballe pour rien (Le trésor semble être partout) et un autre plus élaboré mais trop moderne sans doute (les statistiques sont reportées sur un écran de données) pour être correctement utilisé. C’est une séquence magnifique avec un cerisier dans le fond du jardin et un trou, qui grandit, jusqu’à proposer un mystère insondable, presque inquiétant. Il en faut peu au cinéaste roumain pour se créer un espace de cinéma qu’on n’a vu nulle part ailleurs, aussi parce qu’il convoque toute l’Histoire de la Roumanie, dans un malstrom de dates improbables, jusqu’à une résolution brusque, elliptique et enfantine. Le voleur qui aide les flics à l’ouverture du coffre c’est génial. Et le film est rempli de ces absurdités, suffit d’évoquer les bruits de ce détecteur de métal. Quant au butin…

     Je m’arrête là, mieux vaut vivre l’expérience plutôt que la lire, c’est quoiqu’il en soit un beau film, un peu fou et anecdotique, fascinant et frustrant aussi. C’est surtout un film très vivant, très utopique, ce qui dans la vague de cinéma roumain est assez singulier pour avoir la bonne idée de s’y aventurer. Ce d’autant plus quand on sait que la fiction s’inspire du documentaire, puisque Porumboiu avait préalablement prévu de tourner un film chez un ami qui disait avoir un terrain renfermant dans sa terre un trésor inestimable. Ils n’ont rien trouvé mais l’idée aura au moins permis au cinéaste d’en construire un espace de fiction et d’en faire un terrain qui aurait vu passer, en un demi-siècle, sinon davantage, une pharmacie, une école maternelle et un nightclub d’une époque à une autre, avant de retrouver le jardin de famille abandonné qu’il est devenu. C’est assez délirant. Mais c’est un délire étrange, une comédie au ralenti, qui ne ressemble à aucune autre, enfantine mais pas vraiment pour les enfants non plus. Ravi autant que surpris de le voir arborer un virage de la sorte après son Métabolisme que j’ai finalement bien vite oublié.

Métabolisme (ou quand le soir tombe sur Bucarest) – Când se lasa seara peste Bucuresti sau metabolism – Corneliu Porumboiu – 2014

20Et la forme.  

   5.5   Nouvelle relecture de Blow-Up (j’ai d’abord pensé que ce serait plutôt L’aventura mais un basculement direct m’a surpris) où le meurtre serait uniquement remplacé par une endoscopie. La photo par le cinéma. Les mimes par une camionnette de maquillage. L’errance par des dialogues infinis en voiture ou à table. Minimalisme du cinéma roumain poussé à un tel degré d’abstraction (le film doit compter en tout et pour tout quinze plans) qu’il m’est difficile de voir plus qu’un brillant exercice de style, contrairement au magnifique Policier adjectif. Mais c’est déjà un bel exercice de style quoi qu’il en soit.

Policier, adjectif. (Politist, adjectiv.) – Corneliu Porumboiu – 2010

Policier, adjectif. (Politist, adjectiv.) - Corneliu Porumboiu - 2010 dans * 2010 : Top 10 489250_sans-titre

Une journée à Bucarest.     

   9.0   Ce qui me plait avant tout ici c’est le côté film de genre maquillé, une enquête policière en filature d’apparence anodine, non plus filmé en rebondissements par paliers mais temps réel sans avancées évidentes.

     Cristi (je n’aime pas trop le choix du prénom, mais peu importe) est chargé par son supérieur de filer un lycéen consommateur d’herbe, de noter tous ses faits et gestes, les déplacements, de tout écrire dans un compte rendu journalier. On va très vite comprendre où le cinéaste veut en venir avec tout ça : la dichotomie récurrente écrit/oral et le principe même de loi. Cristi passe son temps à filer les autres, donc à les regarder, à regarder, à voir. Ce ne sont pas les écrits qui le guident, ce sont ses yeux, c’est la valeur la plus cartésienne, logique ou pragmatique selon lui. Avant qu’il y est cette fameuse séquence quasi-finale – qui restera comme un instant de cinéma absolument incroyable à mes yeux, de tension et d’étouffement – de dialogue entre un flic et son supérieur, il y aura d’autres signaux évidents mais plus discrets comme l’entrevue avec le collègue, et la discussion autour de la partie de football (Y a-t-il une loi disant qu’un joueur mauvais au foot l’est tout autant au tennis ballon ?) ou comme le dialogue avec sa femme, lorsqu’elle lui apprend un changement d’orthographe (Comment se fait-il qu’une loi se penche sur des changements de langue aussi anodins, pense Cristi, alors qu’elle ne s’intéresse pas à plus important ?) qui permettent de saisir la personnalité du policier. Cette faculté qu’il a de trancher, de se fabriquer un avis, en somme de devancer un peu tout le monde.

     Porumboiu parle de politique bien entendu, celle de son pays, la Roumanie, fraîchement entrée dans l’union européenne. Dans le film cette union est évoquée à plusieurs reprises, dans un premier temps de manière insolite autant que superficielle dans le rapport entre Bucarest et deux autres capitales européennes que sont Paris et Prague. Nouvelle loi devant laquelle le jeune policier semble avoir un souci : son collègue lui avouant qu’il aimerait que Bucarest soit surnommé elle aussi le Petit Paris, à l’instar de Prague. Et le policier de lui répondre que ceci est impossible car le Petit Paris restera Prague et ne sera jamais Bucarest. On en revient à la partie de football. Et dans un deuxième temps, de façon plus marquée, par rapport à la loi sur le haschich, laquelle est beaucoup plus laxiste dans les autres pays de l’union, pendant qu’en Roumanie un simple fumeur peut écoper d’une lourde peine de prison. Cristi devrait légalement faire un flagrant délit, le garçon est arrêté et on n’en parle plus. Mais il préfère remonter aux origines de la présence de la drogue, ne pas balancer un simple consommateur en taule. Qui dit jouer sur la loi, sur sa valeur, dit jouer sur les mots, sur la signification de ces mots. La scène à la fin du film avec le supérieur est à ce titre sans équivalent.  

     Pourtant, ce n’est pas vraiment pour tout ça que j’aime – voire que j’en suis venu à littéralement adorer – ce film mais pour ses partis pris formels avec lesquels il appréhende tout cela. Porumboiu choisit le temps réel. Un temps réel que l’on ne connaissait pas encore dans ce type de film. Nous sommes dans une filature durant les trois quarts du film et il ne s’y passe absolument rien, en tout cas rien de concret, c’est en filmant un quotidien des plus ennuyants que Policier, adjectif devient une œuvre carrément fascinante. Les scènes d’intérieurs, donc toutes celles hors filature, sont des plans fixes Akermanien, pour la plupart, de personnages assis à des tables, effectuant leurs tâches (manger, parler, travailler) en temps réel. Et en extérieur nous resterons dans ce type de plans, quasi tous fixes, au mieux panoramiques, avec des personnages entrants et sortants du champ. Porumboiu a opté pour un choix esthétique plutôt intéressant au passage, qui m’a rappelé celui utilisé par Lumet pour 12 angry men : le découpage en trois cycles.

     Le personnage entre avant tout dans le plan, avant de déjà faire parti du plan, pour totalement devenir hors champs dans le tout dernier plan. Comme s’il était un simple témoin du temps, qu’il apparaissait lui aussi puis qu’il disparaissait, pour laisser sa place. De toute façon Policier, adjectif parle aussi du temps. Celui imposé par la mise en scène : il suffit de voir le nombre de scènes d’attente que le cinéaste nous offre (rarement vu autant d’intensité dans l’attente depuis le Uzak de Ceylan) où le policier est simplement dans l’observation ou bien la marche pour suivre ; ou carrément se reporter vers la fin du film où Cristi attend d’être reçu par le commissaire dans son bureau, et qu’il patiente dans celui de la secrétaire, tout cela en temps réel, simplement en se tournant les pouces. Il y a comme cela un respect du temps qui me passionne, et une tension qui naît de cette attente, la même qui doit saisir le personnage à cet instant. C’est comme Chez Béla Tarr, le temps n’est plus guidé par la durée dans une simple unité de temps universel, mais par le plan. 

     Policier, adjectif m’a pris à la gorge comme très peu de films savent le faire. Et puis sans artifices. Que ce soit au niveau des rebondissements de l’intrigue qu’au niveau technique. Porumboiu se la joue Bressonien, il n’y a que chez le cinéaste français que l’on perçoit autant cette pureté, cette pudeur à travers le plan, ou à travers les visages des acteurs jamais dans l’emphase, où à travers le simple fait de montrer un compte rendu à l’écran, et non de le faire lire, de le dicter ou autre. 

     Il y a quelque chose de très fort qui se passe durant cette ultime séquence hors champ. Nous ne sommes pas vraiment dans la résignation, ce n’est pas ce qui transparaît de cette scène à mon avis. C’est la conséquence d’un simple combat de conscience. Le commissaire exécrable n’a pas gagné, c’est juste que Cristi s’est retrouvé face à un double question : Etait-il capable d’assumer son refus d’appliquer la loi, ne regretterait t-il pas d’obéir aux ordres ? Devait-il préserver son identité ou être en phase avec sa conscience ?


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silencio


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