Archives pour la catégorie Damien Chazelle

Babylon – Damien Chazelle – 2023

25. Babylon - Damien Chazelle - 2023Les fantastiques années 20.

   7.0   Babylon m’a fait passer par tous les états. Un peu d’ennui, notamment durant la première partie tant le cadre y est rempli d’une virtuosité, folle, homérique mais aussi un peu gratuite et vaine. De la circonspection, avec tout le côté scato : On se fait littéralement chier dessus, doucher de merde par un éléphant en guise d’ouverture. Et la suite est à l’avenant : Ça pisse, ça vomit, ça chie, en permanence. Je pense aussi que le film en fait trop tout le temps, que sa forme écrase l’interprétation, le récit et l’évocation du passage des années 20 aux années 30, du muet au parlant, un peu à l’image de cette scène underground complètement incongrue avec Tobey Maguire et un crocodile, dont on aurait pu largement se passer.  

     Et pourtant le film m’a séduit et fasciné pour deux raisons majeures. La première pour l’avoir vu en salle : En attendant le dernier cru Spielberg, j’ai vraiment eu la sensation récemment, entre Babylon et Avatar, d’assister à une « renaissance » hollywoodienne, au plaisir de me confronter à du cinéma américain épique, grandiose, isolé, débarrassé de ses franchises. Par ailleurs, je n’aurais pas donné cher au film si je l’avais découvert chez moi, je pense qu’il a besoin de la salle pour exister, pour faire le show, si j’ose dire. La seconde, pour le mélange fragile entre sa démesure carnavalesque (pas toujours bien canalisée, bien sûr) et sa mélancolie qui finit par irriguer tout le récit : C’est une montagne russe, capable de naviguer entre élans burlesques (le serpent) et envolées d’une tristesse infinie (le sort réservé au personnage incarné par Brad Pitt, par exemple). Entre cacophonie pure (de tournages qui se chevauchent, de scènes en boucle) et trouées délicates (la larme, le papillon).

     C’est un film fou, qui tente, qui irradie, qui rate, qui gave, qui touche, qui gonfle, qui sonne, qui rince. Qui capte le chaos effervescent et autodestructeur d’avant la naissance du cinéma sonore puis l’ordre dépressif mais ouvert provoqué par son immersion soudaine dans le quotidien des tournages. Un film difficile, chaotique auquel il est difficile de s’attacher, tant sa structure, son récit et ses personnages ne cherchent jamais à séduire. A ce titre, si Margot Robbie y est incroyable, Nellie LaRoy, le personnage qu’elle incarne, est plus indomptable, antipathique. Quant à Manny (incarné par Diego Calva) celui qui sera notre point d’ancrage, il semble en permanence ahuri, à côté, quasi fantomatique.

     C’est aussi et surtout une brillante reconstitution de l’âge d’or, Babylon. Alors si Chazelle me touche évidemment moins ici qu’avec La La Land ou First man, son ambition malade me plait, tant on sent qu’il est un cinéaste hollywoodien (l’obsession Chantons sous la pluie, de Stanley Donen – référence fondatrice déjà à l’œuvre dans La La Land – ouvertement cité et dont on pourrait dire que Babylon en est la relecture sous acide) avec une vision ouvertement européenne (Il va citer – un peu lourdement – Godard et Bergman, par exemple). Beaucoup aimé cette plongée de 3h10 dans les entrailles d’un Hollywood festif et dégénérescent, sans pourtant désirer le revoir illico – contrairement à ses deux films précédents ou au Once upon a time in Hollywood, de Tarantino, auquel on peut parfois le comparer.  

First man – Damien Chazelle – 2018

17. First man - Damien Chazelle - 2018The lost girl of moon.

   10.0   Comme dans La La Land, la première séquence de First man donne le La. On est dans la carlingue d’un avion-fusée, aux côtés de Neil Armstrong, lors de l’une de ses missions de pilote d’essai, en l’occurrence une sortie de l’atmosphère. Il va traverser la couche gazeuse avant de rebondir dessus, puis il va plonger à une vitesse fulgurante et se poser, tandis qu’on le croyait parti pour se crasher – Il faut dire que ces avions expérimentaux étaient davantage dédiés à établir des records qu’à faire figure de véhicules confortables : La dimension sonore de cette introduction est donc essentielle et permet de rappeler l’aspect ô combien rudimentaire de ces engins, dont on comprend pourquoi les accidents étaient si réguliers. On entend bien les moteurs, la ferraille, les grincements, le bruit des écrous. Tout est fait de vibrations, pression, cadrans en plastique. On y est. Dans l’habitacle d’un avion-fusée. En plein dans les années 60.

     C’est un prologue à l’image du film, qui ne cessera de montrer les ratés, les failles, avant la réussite miraculeuse – premier amarrage dans l’espace en 1966, puis premier alunissage en 1969 – au moyen d’enchainements qui n’auront pas l’agencement virtuose de son film précédent, mais la subtile simplicité de ces films dans l’ombre d’un autre : First man parfois s’essouffle, puis l’instant suivant redécolle, touche puis indiffère, comme ce personnage face à la vie ou face à son voyage, quelque part. C’est un film en symbiose avec son personnage. Difficile par ailleurs, de savoir s’il veut trouver sa fille sur la lune (comme Joe retrouve sa mère dans le monstre dans Super8 ou Ryan Stone trouve un élan de survie après le deuil de sa défunte fille dans Gravity) ou s’il souhaite y mourir. Parfois il semble être du côté de la vie, de sa femme, de ses garçons, parfois davantage du côté du rêve, avec ses plans, sa lunette astronomique, sa lune, sur laquelle il voudrait y laisser son deuil. C’est quasi un récit mythologique.

     Neil Armstrong est l’une des plus grandes figures héroïques de l’Histoire, la plus grande du point de vue de l’aventure spatiale, mais Damien Chazelle préfère délaisser le héros et s’intéresser à l’homme derrière le héros, le garçon paumé, le père meurtri. Un biopic sur Armstrong qui s’ouvre (presque) sur la mort d’un enfant, le sien, c’est surprenant, quand même. On pourrait d’abord penser que c’est une entrée passe-partout, que celle du trauma introductif, mais ça l’est moins si tout le récit tourne autour de ce trauma, si chacune des missions d’Armstrong se voit habitée par la mort de cet enfant, si le quotidien de cet homme est autant jonché de cadavres, de manière générale. C’est l’histoire d’un homme qui va sur la lune pour y laisser son deuil, y jeter un bracelet dans un cratère. Tout le film est habité par la mort.

     L’univers de First man est terrien – On ira finalement peu dans l’espace – et rythmé par la mort, puisque nombres des « collègues » d’Armstrong, à l’image de la mission Apollo 1, ne reviendront pas, laissant derrière eux des quartiers résidentiels de veuves et d’enfants sans père. Difficile d’imaginer un film si sombre à l’évocation d’une histoire (celle d’Armstrong) aussi héroïque, non ? Quoiqu’en un sens, il était déjà inédit de voir en La La Land une comédie musicale aussi triste, malgré sa légèreté, ses couleurs, ses musiques. Si Chazelle aime ses héros, un jazzman ici, un astronaute là, il les adore surtout paumés et/ou torturés et pas vraiment en adéquation avec le monde : En un sens, Buzz Aldrin remplace Keith ici avec cette conscience (que n’ont ni Sebastian ni Armstrong) d’être dans le sens du vent.

     Une fois encore, Damien Chazelle fait briller le film de sa mise en scène. Aux sorties spatiales orchestrées à merveille autant qu’elles révèlent leur dangerosité répond ces séquences familiales dont la plupart copie le filmage et l’imagerie malickienne. C’est comme si s’en échappait parfois des plans de The tree of life. Ce qui n’est pas pour me déplaire, aussi parce que Chazelle n’en abuse pas. Lors d’une séance d’entrainement d’Armstrong, qui se solda par son éjection in-extremis, Chazelle saisit à la fois l’absurdité de ce danger, avec cette machine aussi incontrôlable que les supers pouvoirs d’un super héros se les découvrant, et surtout effectue un brillant montage alternant la vision subjective de Neil Armstrong (comme au tout début du film) et une caméra qui colle au plus près de lui, notamment lorsqu’il chute au sol avec son parachute le trainant sur quelques dizaines de mètres. Il me semble qu’on a rarement offert ça au cinéma, cette impression que le personnage, ce héros absolu, est un pantin, tourné en bourrique par les machines et trainé dans un champ par une toile de parachute. C’est très beau, très brut. C’est comme lorsqu’Emma Stone & Ryan Gosling dansent dans son précédent film : Il y a quelque chose de vrai, qui ne triche ni avec le cinéma, ni le genre, ni l’époque.

     En fin de compte, le film surprend jusqu’au bout : avec le recul, la partie la moins passionnante, et c’est paradoxal car c’est aussi celle qui apporte une dimension plus spectaculaire, celle qui extirpe le film d’une léthargie un peu dangereuse, c’est la partie plus attendue du film : le voyage vers la lune, l’alunissage et l’attendu « One small step for man, one giant leap for mankind ». Disons qu’on retrouve les rails. Mais les plus beaux rails qui puissent nous être offerts. Il faut voir le génie de la mise en scène notamment lors de l’alunissage, la maitrise du montage alterné, la séquence du bracelet dans le cratère, la musique de Justin Hurwitz, qui trouve l’équilibre parfait entre l’emphase et l’élégance. Sans oublier que le final, le vrai, le retour en quarantaine, offre un échange de regards presque aussi déroutant, triste et intense que celui qui scellait La La Land.

     Sincèrement, il y a peu de films qui me terrassent autant que celui-ci, d’une beauté, d’une tristesse sans nom. First man me hantait depuis sa sortie. Je rêvais de le revoir tout en craignant de le revoir. Je le revoyais seulement maintenant, un peu plus de trois ans après sa sortie, dans un « cycle Apollo » juste après les découvertes du dernier film (formidable) de Richard Linklater, Apollo 10½ et de l’impressionnant documentaire Apollo 11, de Todd Douglas Miller. Le moment adéquat. First man est un film immense. Une merveille absolue, que je reverrai encore et encore.

La La Land – Damien Chazelle – 2017

03. La La Land - Damien Chazelle - 2017« Here’s to the ones
who dream…»

     10.0   Il s’agit donc du récit de mon curieux début de mois de février, constitué de quatre séances de La La Land en huit jours. Chose qui, évidemment, ne m’était jamais arrivé.

     La première fois, j’en suis sorti euphorique et dévasté. J’ai trouvé ça complètement fou, exaltant, vertigineux. J’avais le sentiment d’avoir vu le plus beau film du monde. Je n’ai pas versé tous les larmes de mon corps qu’on m’avait promises car j’étais accompagné donc je suis resté pudique, seulement saisi par quelques spasmes que j’ai élégamment réussi à masquer. Je gardais les larmes pour la deuxième fois.

     A propos je signale que la salle s’est confondue en applaudissements à la fin. C’était très bizarre car à la fois je ne suis pas pour applaudir un film quand il y a juste le film mais en même temps j’étais tellement happé que j’aurais voulu danser sur les sièges. Bref je n’ai ni pleuré ni applaudit mais j’étais complètement défait et béat. Le soir, le lendemain, j’écoutais déjà la bande originale en boucle, pour combler mon manque. Je jubilais. Il fallait donc que j’y retourne très vite. Mission accomplie le surlendemain.

     Ce jour-là je n’étais pas levé du bon pied et comme souvent dans ce genre de cas, toutes les petites emmerdes arrivent en même temps, au petit-déj, sur la route, au boulot. J’ai pensé que retourner voir La La Land ne serait pas une si mauvaise idée afin de réhabiliter cette journée de merde. Et y retourner seul. Le film et moi. J’en suis sorti agréablement anéanti, je crois que je l’aime définitivement beaucoup ainsi. La fin est terrassante, oui. Mais ce n’est pas triste. Enfin si, mais non. C’est ce qui est beau, j’y reviens.

     J’ai davantage observé la mise en scène cette fois qui m’a semblé incroyablement limpide tout en étant virtuose d’un bout à l’autre. Le film réussit absolument tout ce qu’il tente, dans chaque séquence, chaque saison. Je l’ai aimé entièrement cette fois alors que j’avais une petite réserve sur la partie Eté, réserve qui s’est largement envolée. Et s’il est grandiose dans son ensemble (Je me demande si j’ai vu un aussi grand film populaire depuis Titanic) je pense sincèrement que l’ouverture et les dix dernières minutes sont les plus belles vues depuis Le nouveau monde : Je pourrais les regarder en boucle sans m’en lasser.

     Un montage vidéo récapitulant les nombreuses références du film fit très vite son apparition sur la toile. C’est un très chouette montage – Qui donne envie de revoir plein de classiques – et c’est vrai que le film est rempli de clins d’œil. Ok. Mais là où je trouve La La Land vraiment fort c’est qu’il ne tire jamais sur la corde passéiste, tout est au service de son couple de personnages et TOUT n’est qu’affaire de pure mise en scène. J’en reviens pas qu’un type, la trentaine, américain qui plus est, qui s’est mis Hollywood à ses pieds en deux films, ait réussi ce pari-là, d’être aussi virtuose qu’intimiste, d’aimer danser et rêver, de déclarer sa flamme à LA et au jazz, de faire songer autant à Band Wagon qu’à Jacques Demy. Le film va d’ailleurs jusqu’à s’ouvrir comme Les demoiselles (l’arrivée des forains par le pont transbordeur) pour s’achever (un peu) comme Les parapluies, qui sont deux de mes films fétiches, donc ne serait-ce qu’avec ces deux séquences aux extrémités il m’a déjà conquis. Mais tout le reste est de ce niveau, me surprend sans cesse, m’émeut, me fait voyager comme rarement je voyage au cinéma. C’est comme si Demy (Jusque dans son utilisation des couleurs, magnifique) avait croisé la route de Mulholland drive. C’est comme si Chazelle avait réussi ce que Coppola avait un peu raté dans son Coup de cœur, qui était juste pas mal alors qu’il avait tout pour être mon film préféré. Je n’allais pas en rester là, il fallait que j’y retourne, encore et encore.

     Cette troisième fois, on m’y a invité. Comment refuser ? En fin de compte, si le film me touche aussi intensément et me surprend constamment par sa démarche c’est qu’il est moins traditionnaliste (Il a pourtant tout pour l’être) que purement tourné vers le présent ; Il n’est pas qu’un produit de réactivation nostalgique (façon The Artist, pur film musée) des comédies musicales d’antan couvrant autant Donen que Minelli, Chantons sous la pluie que Tous en scène. Inévitablement on y pense, puisque ces classiques sont intelligemment cités (et disséminés un peu partout) mais l’utilisation de ces stars – de ces danseurs – n’est pas la même puisqu’il ne s’agit plus de cumuler de gros numéros de danse à la Fred Astaire & Cyd Charisse. Emma Stone et Ryan Gosling, aussi bosseurs qu’appliqués, ne sont pas des danseurs, ils sont imparfaits donc plus proches de nous, plus enclins à favoriser le processus d’identification. On en revient donc moins à ces musicals de l’âge d’or d’Hollywood qu’aux films de Jacques Demy, où les personnages dansaient moins pour la performance caméra que pour faire progresser le récit. Evidemment, ça me parle nettement plus. Dans la comédie musicale, qui n’est à priori pas mon genre de prédilection, j’ai souvent l’impression qu’on me propose un numéro de danse avant de me raconter une histoire. Pour clarifier, ce qui m’intéresse ici et chez Jacques Demy, c’est qu’on me donne des personnages et non des performeurs. Je ne vois plus un film avec Fred Astaire & Cyd Charisse mais je fais corps avec l’histoire de Solange & Delphine. De Mia & Sebastian.

     Tout cela fonctionnerait évidemment moins sans son couple d’acteurs vedette : Emma Stone & Ryan Gosling sont à La La Land ce que Kate Winslet & Leonardo DiCaprio étaient à Titanic, si tu vois ce que je veux dire. Qu’il s’agisse de leur première « vraie » rencontre pendant et après « I ran » (Séquence drôlissime, par ailleurs), de leur dispute un soir de retrouvailles, de leurs regards en champ-contrechamp qui ferment le film, ils sont géniaux, trouvent chaque fois le ton (On serait tenté de dire la note) juste, ils utilisent merveilleusement leur corps, apprivoisent minutieusement les parcelles de silence. Ce ne sont d’ailleurs parfois que des petites choses : Stone qui rit quand elle chante « restaurant » ou « ratatat » sur City of stars ; sa manière de sourire face aux moments de malaise – L’audition avortée, sa colère contre Seb qui a raté sa représentation. Gosling qui sursaute constamment, imite James Dean « I got the bullets » ou répète deux fois l’expression « Pichi-caca ». En fait, Ryan Gosling c’est justement parce qu’il n’est ni Astaire ni Kelly qu’il est magnifique dans La La Land. Et il y a ce je-ne-sais-quoi entre eux qui rappelle autant les histoires d’amour des films des années 50 que celles d’aujourd’hui. On boit un coup en matant des jazzmen, on file voir La fureur de vivre « for research » tandis que tout avait commencé sur cette parcelle de périphérique, rencontre lancée par des coups de klaxon et un doigt d’honneur.

     Le film parvient à raconter cette curieuse histoire d’amour entre une femme qui rêve d’être une actrice sous les projecteurs et un homme qui voudrait ouvrir un bar de jazz comme il ne s’en fait plus. Chacun ses héros. Pour elle, Ingrid Bergman (apparaissant dans sa chambre sur un immense poster) et Humphrey Bogart (Fierté pour Mia de travailler en face de l’appartement où fut tourné Casablanca). Pour lui, c’est plutôt Thelonious Monk et Hoagy Carmichael (dont il possède le tabouret fétiche). Deux aspirations qui pourraient cohabiter si le fantasme simple n’était pas troublé par une réalité plus complexe et décevante. Et c’est précisément dans ce désaccord que leur épanouissement va se concrétiser, non sans embûches – Puisqu’il faudra en passer par l’effacement provisoire de Seb (Intégrer un groupe de jazz au dessein éloigné du sien, afin de stabiliser son couple) pour permettre à Mia d’écrire une pièce et comprendre, par son échec cuisant, sa volonté de devenir actrice. C’est en cela que l’épilogue (Et la partition de Justin Hurwitz avec) est prodigieux : il parvient à nouer le rêve (Sorte de flash-sideway lostien) dans l’éternité. Mia & Sebastian s’aiment (et s’aimeront toujours, sublime dialogue post audition devant un observatoire) et se sont mutuellement permis de s’accomplir, mais cet accomplissement ne peut fusionner avec une disponibilité amoureuse. La tristesse de leur dernier échange de regards concentre bientôt la promesse de leur amour éternel pour se diluer dans un ultime sourire qui semble dire : Merci d’avoir fait celui (celle) que je suis. C’est très beau.

     Ce qui conduit à point passionnant et essentiel qui parcourt tout le film, à savoir comment on raconte une histoire d’amour d’Aujourd’hui dans un moule d’Hier. Comment on réactive une certaine dynamique de l’âge d’or hollywoodien en l’y injectant dans le présent. On pourrait sans fin analyser le film sur ce simple point de vue. En ce sens, la première séquence, aussi géniale et virtuose soit-elle, agit comme une introduction gratuite et allégorique. Another day of sun, comme un cadeau, estival alors que le film dit s’ouvrir en hiver. Chazelle semble nous dire qu’il sait le faire et pourrait ne s’en remettre qu’à cette virtuosité un peu factice, mais il l’abandonne et se concentre aussitôt sur son récit. L’embouteillage a créé une marée dansante puis le titre s’affiche, l’embouteillage a repris mais cette fois, l’objectif se focalise sur deux voitures (les danseurs figurants n’existent plus), sur deux personnages qui feront tout le film.

     Toutes les idées de rupture qu’il injecte dans sa romance racontent beaucoup de cette mise en abyme. Quand Mia et Seb viennent d’entonner et danser sur A lovely night, c’est une sonnerie de smartphone qui interrompt leur éventuel premier baiser. Plus loin, lors de la projection de La fureur de vivre, c’est la pellicule qui crame et les empêche, une fois encore, de s’embrasser. Chazelle pourrait jouer sur un jeu de malédiction un peu cynique pourtant c’est l’humour qui reste omniprésent – Dans les deux premières parties, tout du moins. Les lumières se sont rallumées, c’est alors que Mia dit « I have an idea ». Si l’époque leur ôte la possibilité de vivre leur amour comme jadis ou par le prisme du fantasme, ils vont faire autrement. Et les voilà rendu directement sur la scène de l’observatoire du film de Nicholas Ray. Dans le planétarium où la pellicule s’était enflammée, Mia et Sebastian vont pouvoir danser la valse ensemble et littéralement s’envoler puis s’embrasser. Ils ont réglé le problème de la temporalité. Tout cela se reproduit évidemment dans le jazz qu’admire Sebastian : Lui redonner vie sans le dénaturer. Avant que les aspérités incompatibles des deux amants ne viennent tout briser.

     Si j’ai d’abord été très séduit par Gosling lors de ma première rencontre avec La La Land, sans doute surpris de le trouver aussi bon ce même si je l’ai toujours trouvé bien, dans Blue Valentine, Drive ou Crazy Stupid Love, cette fois, cette troisième fois c’est d’Emma Stone dont je suis tombé amoureux. Ça a commencé dans l’audition de départ, ça s’est poursuivi quand elle s’enroule d’un rideau sur Someone in the crowd, qu’elle ronchonne lorsqu’elle essaie de trouver du réseau au moment où elle découvre le panneau Fourrière, puis lorsqu’elle se fait bousculer par Seb, quand elle lui commande I ran, puis dans son petit pull de laine rose puis dans sa façon de dire « Maybe I’m not » puis durant l’audition finale. Jusque dans son bouleversant dernier regard. Je ne voyais plus qu’elle.

     Huit jours après la première, j’y suis retourné en amoureux. Eh bien, à ceux qui en doutent, c’est encore mieux la quatrième fois. Je me suis rendu compte d’un truc essentiel : L’instant de l’audition, quand Mia raconte l’histoire de sa tante, je pense en fin de compte que c’est ma scène préférée. J’aime beaucoup la sobriété de la mise en scène, la subtilité du zoom, des contours assombris, ce plan qui la contourne comme pour l’étreindre – Et qui fait écho à de nombreux autres plans similaires croisés précédemment. Et puis j’adore voir Mia sentir qu’enfin on lui laisse le droit d’aller au bout d’une audition. Je trouve qu’Emma Stone le joue super juste. J’aime le crescendo de sa voix. Audition n’est pourtant pas la chanson que je préfère. Je pense que City of stars l’emporte d’une courte tête – Mon fils me demande de lui chanter le soir pour s’endormir, je n’ai presque rien forcé. Mais toutes les chansons sont géniales en fait et me restent bien en tête, comme ça peut être le cas quand je revois Les demoiselles de Rochefort où il m’arrive de chanter quelques jours durant La chanson de Maxence ou de fredonner le concerto de Solange.

     N’empêche je dis à tous les gens que je croise de courir voir cette merveille. Et il y a de plus en plus de monde à chacune de mes séances. Donc je constate que mon bouche à oreille fonctionne c’est tout ce qui compte. Plus sérieusement, Damien Chazelle est mon nouveau héros. J’essaie de rattraper Whiplash assez vite. J’attends juste de digérer celui-là. Mais du coup j’en attends une montagne. Rien de mieux pour être déçu j’entends, mais j’y peux rien, ce mec, Chazelle, mon âge, sort (pour moi) de nulle part et pond un film que j’ai vu 4 fois en 8 jours. Huit jours durant lesquels il m’était impossible de voir autre chose. Difficile de faire plus belle surprise et fines attentes.


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