Dans le royaume d’un soleil mourant.
7.5 Avec cette histoire de couple détruit et cette approche originale de la solitude puisque saisie du point de vue du fantôme, on pense forcément à Ghost – Et dans une moindre mesure à Always, de Spielberg. Ici, point de détour rocambolesque vers le rollercoaster pour la ménagère ni de discours bien pensant sur le bien et le mal ni de trouées franchement niaises, humoristiques ou carrément de remplissage. David Lowery (Qui m’était alors encore complètement inconnu) filme Rooney Mara et Casey Affleck, puis un simple drap blanc qui observe Rooney Mara. Les cojones, le mec. C’est surtout un lieu qu’il filme, quasi une seule pièce en fait, décharnée mais vectrice d’émotions diverses, d’interrogations existentielles, de vertige métaphysique. Avec de surcroît, une audacieuse réflexion sur le temps.
Tour à tour et pour des raisons variées, j’ai pensé à Interstellar, I origins, The tree of life, Post tenebras lux, le cinéma d’Ozu, celui de Weerasethakul. C’est fort. Et ça l’est d’autant plus que le film ne leur ressemble pas du tout sur la forme, à aucun d’entre eux. Il va même à l’encontre de ce qu’on peut attendre d’un film érigé dans un festival comme celui de Deauville. Rien que sur l’utilisation de ce format 1,33 arrondi sur les bords, la photo vintage et le fait que presque l’intégralité du film se passe de dialogues, se déroulant dans un intérieur, celui d’une petite maison de banlieue. Qui ose faire ça aujourd’hui ? Qui ose relier l’imagerie Instagram et la mécanique d’un film d’Akerman ?
Lowery opte pour des plans souvent très longs, fixes la plupart du temps (le couple au lit, la morgue, la tarte, pour ne citer que les trois plus représentatifs) de façon à faire résonner l’éternité à venir avec les possibilités générées par l’étirement du plan. On pense aussi au visuel du Within the Realm of a Dying Sun, le disque de Dead Can Dance. Curieuse, cette idée de drap blanc, tout de même. Ou la version désespérée du drap blanc horrifique de Myers dans Halloween, de Carpenter. De toute façon, Lowery joue beaucoup de ce statut entré dans l’histoire du cinéma, qui fait qu’un fantôme, qui plus est apparaissant ainsi, se doit de provoquer la peur. Les plans sont donc excessivement longs mais à défaut de viser le jump scare ils soulignent la mélancolie de l’éternité.
J’attendais un film de fantômes. J’étais loin d’imaginer un truc pareil. On sursaute par trois fois, c’est tout. Pour un piano, une pelleteuse et une vitre. C’est tout. Ce n’est pas hanté par la peur qu’on en sort mais chamboulé par sa mélancolie palpable et sa volonté de brasser une vie toute entière et bien plus encore (Je ne dévoile pas les ellipses hallucinantes qui vont vite nous être proposées) afin de revoir l’être aimé et d’établir le contact avec le dernier mot qu’elle nous a laissé. C’est puissant.
Il y a deux séquences qui font jaser et sont il est vrai pas loin de l’instant de bravoure. Rooney Mara qui mange une tarte et la tirade existentialiste de Will Oldham. Ce sont deux scènes qui font glisser le film dans une nouvelle ère. On peut les trouver lourdes (de sens) mais c’est un parti pris intéressant dans chaque cas. Si l’on comprend vite ce qu’elles signifient, elles débarquent vraiment à l’improviste je trouve. Et puis en terme d’étirement de plan on est quand même loin du Point Akerman.