Ragging bull.
6.0 Si l’on s’attend, comme moi, à voir un biopic convenu, qui ne sort jamais du balisage, déroule tranquillement à l’instar de précédents films, déjà sur la boxe, le film de David O’Russel est plutôt une bonne surprise. Non pas qu’il bouleverse quoi que ce soit dans la narration où les enjeux scénaristiques, se contentant de faire défiler entraînements, matchs de boxe, coulisses et ambiance familiale – schéma très connu de la stagnation et ses déboires, puis ascension partielle jusqu’à la gloire – mais il arrive à atteindre une force assez rare.
Que le film soit tiré d’une histoire vraie ne m’intéresse pas. Je me fiche complètement de savoir que les vrais frères boxeurs ont été présents et ont aidé lors du tournage. De la même manière la performance ne m’intéresse pas, qui plus est dans ce type de film dont on entend déjà partout la démonstration de force de Christian Bale qui aurait perdu une vingtaine de kilos pour le rôle, l’abnégation de Mark Walhberg entraîné longtemps pour ne pas avoir l’air d’un guignol sur le ring. Ce sont des rôles à oscars, des rôles de spectacle, pas des rôles de cinéma. Mais voilà, voir Christian Bale déambuler comme il le fait, maigrichon, tout tremblant, un peu barje, un peu imprévisible, un peu fragile aussi, boxeur à la carrière derrière, désormais accro au crack n’entre plus dans le cadre de la performance, tant il représente assez vite une incarnation de nombre de ces talents déchus. Ou alors ça dure cinq minutes, où l’on se dit qu’il en fait trop, avant de découvrir cette immense fêlure qui se trame au fond de ce personnage si charismatique. De la même manière, voir Mark Walhberg sur un ring, frapper de ses propres mains, esquiver des coups, en prendre, en mettre, sans jamais que la caméra ne force elle-même ce côté sensationnel est là aussi une très bonne surprise. Plutôt que d’adopter un montage épileptique comme il est coutume d’en voir dans les films de boxe, afin que ça fasse plus vrai, plus rapide, plus impressionnant, David O’Russel use de la caméra circulaire et offre de l’énergie au combat qu’il filme (la préparation de Walhberg prend alors tout son sens) ou alors il filme façon HBO dans la reproduction des matchs, de façon à ce qu’il y ait cette impression de télévision, d’événement, avec présence du public, séquence grotesques, univers sonore important. L’idée est bonne.
Dans sa construction, Fighter est plus classique. C’est en gros l’histoire d’un boxeur qui n’arrive pas à percer, coaché par un frère junkie jamais à l’heure aux entraînements, managé maladroitement par sa mère qui lui plantent quelque peu sa carrière. Lorsqu’il tombe dans les mains de personnes plus haut placées qui souhaitent miser sur lui (le désir de son père), à la suite de l’incarcération provisoire de son frère, sa carrière fait un bond, mais il y a ce match qu’il n’aurait pu gagner sans les indications de ce mentor éternel. En fait le grain de sable qui enraye cette machine indubitablement cassée, puisqu’elle voue systématiquement Micky a des contre-performances, c’est sa rencontre avec une jeune serveuse, qui voudrait le sortir de ce cercle familial nuisible. Cette énergie représentée par la boxe, cette fougue, cette hargne, se retrouve dans les climats houleux qui accompagnent chaque rebondissement. On peut se dire que tout change grâce à cette jeune femme, qui n’est pas loin de s’en aller (« je ne pèse pas lourd » lui dit-elle, évoquant la présence de ses sept sœurs, de son frère et de sa mère) mais qui s’accroche, parce que ce qu’ils vivent tous deux est très fort, et au-delà du ring. On se dit que c’est probablement la première fois que Micky vit quelque chose au-delà du ring, à tel point qu’il est maladroit (la séance de cinéma) et enfantin (son désir soudain de remballer les gants).
La force du cinéaste est de ne pas avoir systématisé les influences de chacun, d’avoir fait de cette mère un monstre, de ce frère une pauvre merde, de ce boxeur un toutou, de cette jeune femme un messie. Il n’y a que concernant le père et les sept sœurs où il manque une épaisseur à mon sens, ce sont des personnages un peu mécaniques, qui peinent à exister, obstrués par les quatre personnages majeurs, dont le cinéaste a beaucoup travaillé les nuances.
Parce que cette mère, si répugnante, ingrate, a un truc touchant, bien caché en dessous cette épaisse carapace (truc que l’on entrevoit par exemple lors de la sortie de taule de Dicky) dans sa manière de se jeter à corps perdu dans le business pour permettre à son fils de combattre. C’est la recherche d’une fierté perdue. La volonté de faire parler de soi (il faut voir comme elle prend cher devant le documentaire sur son fils). Il n’est presque jamais question d’argent, en tout cas pas comme besoin primordial. O’Russel ne fait pas le même portrait de la précarité qu’en avait fait Eastwood avec Million Dollar Baby, qui ne laissait aucune chance à la famille de la boxeuse. Là, on ne sent pas de méchanceté, d’avidité mais de la passion, une passion si intense, si orgueilleuse qu’elle en oublie que le boxeur, peut aussi choisir ce qu’il veut devenir.
Quant à sa jeune amie c’est exactement le même procédé, le cinéaste n’en fait pas un ange, elle a une façon si intransigeante de séparer Miky des siens qui laisse perplexe. De la menace elle répond par la menace. Attaquée, elle attaque. Un moment donné le perron de son appartement se transforme en ring de boxe. C’est une fille au caractère bien trempé, qui sait ce qu’elle veut, n’hésite pas à entrer dans le lard (des sœurs cauchemar, de la mère, du frère), c’est sans nul doute le vecteur qui permet aux choses d’évoluer, mais elle s’investit sûrement de trop. « Tu es comme elles » dira Micky agacé, tentant alors de lier les uns aux autres, seules manières qu’il a de s’en sortir, choisissant de ne laisser tomber personne.
Plus tard justement, lorsque Micky s’entraînera à nouveau avec Dicky, une des plus belles scènes du film verra le jour, montrant l’énervement du jeune boxeur jusqu’ici resté en retrait. L’entraînement est observé par la famille. Il ne sera question que de Dicky, de sa sortie de prison, de son retour, de cette forme qui ne l’a jamais quitté, Dicky ceci, Dicky cela. Le petit frère foutra son frère à terre, s’égosillant sur le fait qu’il aimerait que pour une fois ce soit de lui que l’on parle, de son match. C’est aussi la compréhension qui naît autour de lui qui est très émouvante. C’est la même plus tard lorsque le grand frère demandera confirmation à son frère cadet qu’il a bien mit au tapis Sugar Ray, parce que les gens autour de lui, et en particularité la petite amie, en doutent, voire vont jusqu’à dire que son adversaire a glissé. Le grand qui cherche du réconfort auprès du petit, le petit qui lui offre, non avec gentillesse, mais avec sincérité. « Tu l’as promené pendant dix rounds, t’étais le meilleur ce jour-là ! » (sic). C’est très beau cette reconnaissance. C’est un film qui en est baignée. Quand l’un est aux prises avec la police, l’autre, pourtant empêché par ses pairs, coure à ses devants, n’hésitant pas à prendre part aux mouvements quit à en perdre momentanément sa main.
Je voudrais revenir sur Dicky, maintenant, le grand frère. C’est aussi un film sur lui que fait David O’Russel. Sur les chances disparues, les occasions non saisies, la déchéance physique, le désir de rattraper ce qui lui a échappé grâce à son petit frère. Dicky c’est un peu la mère de Natalie Portman dans Black Swan. C’est aussi un personnage fascinant qui vit dans une unique fierté, qui date de près de quinze ans. Il en parle tout le temps, regarde régulièrement les faits du match, le reconstruit, c’est le seul souvenir qu’il veut garder de cette carrière tumultueuse, tandis qu’il ne cesse d’annoncer un come-back imminent. Lorsque l’on tourne un documentaire sur lui, il ne sait pas qu’il se fait piéger et se plait à dire que l’on tourne sur son retour alors que l’on tourne sur les effets de la drogue. C’est incontestablement le plus beau personnage du film, celui à qui l’on n’en veut jamais, celui qui est aussi excessivement drôle à son insu, celui sans doute le moins aimé mais le plus aimant. Il a quelque chose de bouleversant.
De l’avoir fait catalyseur d’une réconciliation générale lui rend grâce évidemment, mais le film perd alors un peu de sa puissance dans le dernier quart. On se doute qu’il s’agit d’une entente générale provisoire mais elle est tout de même présente. C’est très beau, très touchant mais sans doute un peu facile. Reste que c’est un happy-end rêvé dans sa façon d’aller le chercher via le personnage le plus antipathique aux yeux de tous, le moins rattrapable. La discussion si importante entre Dicky et la petite amie de son frère est un haut moment du film. Vraiment très fort. C’est comme si Rocky avait trempé chez Loach. David O’Russel réussit l’un des films les plus émouvants de ce début d’année, un film sans grande prétention, mais un film d’interprétation essentiellement, car tous sont incroyables.